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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100317

Dossier : IMM-5290-08

Référence : 2010 CF 304

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

HIWOT ASFAW MEKURIA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée à l’encontre d’une décision défavorable rendue le 9 octobre 2008 par un agent du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à l’égard de la demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) de la demanderesse. Celle-ci demande, à titre de réparation, l’annulation de la décision du ministre et le renvoi de l’affaire à un tribunal autrement constitué afin qu’il procède à un nouvel examen.

 

[2]               Pour les motifs exprimés ci-après, la présente demande est devenue théorique, du fait que la demanderesse ait été renvoyée du Canada. En l’absence d’un litige actuel entre les parties, la Cour refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher l’affaire sur le fond (voir Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; [1989] A.C.S. no 14).

 

I.          Le contexte

 

[3]               La demanderesse, une citoyenne de l’Éthiopie, est venue au Canada à six reprises. Elle est mère d’une fille née au Canada, laquelle n’est pas partie à la présente instance.

 

[4]               Lors de sa cinquième visite au Canada, en mai 2006, la demanderesse a présenté une demande d’asile. Elle a retiré cette demande en octobre 2007 et a choisi de ne pas demander l’examen des risques avant renvoi (ERAR). En décembre 2007, la demanderesse a volontairement quitté le Canada pour aller en Éthiopie. Environ un mois plus tard, elle a quitté l’Éthiopie pour se rendre aux États-Unis, où elle n’a pas revendiqué le statut de réfugié. En février 2008, la demanderesse a présenté une demande de prolongation d’un visa de visiteur qui lui avait antérieurement été émis pour l’entrée au Canada. Cette demande a été rejetée.

 

[5]               En juillet 2008, la demanderesse a présenté une seconde demande d’asile. Celle-ci a été rejetée en vertu de l’alinéa 101(1)c) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La demanderesse a été invitée à présenter une demande d’ERAR, ce qu’elle a fait en se fondant sur la violence familiale et son appartenance à un certain groupe politique. Une décision défavorable a été rendue à l’issue de l’ERAR le 9 octobre 2008. La demanderesse a sollicité l’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’ERAR.

 

[6]               Une mesure de renvoi a été prise à l’encontre de la demanderesse et devait être exécutée le 8 janvier 2009. Elle s’est adressée à la Cour pour demander un sursis à son renvoi. Le 7 janvier 2009, le juge Michael Kelen a rejeté sa demande sur le fondement de l’absence de préjudice irréparable (Mekuria c. Canada (Citoyenneté et Immigration Canada), IMM-5290-08 (le 7 janvier 2009)). La demanderesse a été renvoyée du Canada.

 

[7]               Le 14 décembre 2009, la demande d’autorisation de l’appelante a été accordée.

 

II.         Analyse

 

[8]               Les parties s’entendent sur le fait que la présente affaire est théorique. Le défendeur a soutenu cette thèse dans son mémoire des faits et du droit et la demanderesse a affirmé, au paragraphe 3 de son mémoire supplémentaire, que [traduction] « La demanderesse ne se trouve plus au Canada. En conséquence, l’affaire est théorique. » Comme je l’ai déjà mentionné, je souscris à cette opinion.

 

[9]               Il ressort de l’arrêt Borowski, précité, que la Cour peut trancher une affaire sur le fond même si celle-ci est devenue théorique. Dans l’arrêt Borowski, précité, la Cour suprême du Canada a établi trois facteurs qui doivent être pris en considération lorsqu’il s’agit de déterminer si la Cour devrait exercer ce pouvoir discrétionnaire. Ces facteurs se résument ainsi : (1) l’existence d’un contexte contradictoire; (2) le souci d’économie des ressources judiciaires; (3) la nécessité pour la cour d’être consciente de sa fonction.

 

[10]           La demanderesse invoque l’intérêt de son enfant né au Canada pour demander à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionaire. Elle soutient également que lorsqu’elle a demandé de surseoir à la mesure de renvoi prise à son endroit, elle devait être renvoyée aux États-Unis. Elle se trouve désormais en Éthiopie et soutient qu’il en va de l’intérêt de la justice que l’affaire soit entendue, puisque la question du préjudice irréparable n’a pas été examinée en fonction de l’Éthiopie, mais des États-Unis.

 

[11]           Le défendeur soumet que la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire. Je suis de cet avis.

 

[12]           Mon refus d’exercer mon pouvoir discrétionnaire est fondé sur les décisions qu’a rendues la Cour dans les affaires Rana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 36, Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 108; [2007] A.F.C. no 158, Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 663; 328 F.T.R. 290, Ero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1276; 226 F.T.R. 311. Dans ces affaires, la Cour était saisie de questions semblables à celle qui nous occupe en l’espèce : le demandeur ayant été renvoyé du Canada avant l’audition de sa demande de contrôle judiciaire.

 

[13]           En l’espèce, je suis convaincu qu’il existe toujours un contexte contradictoire entre les parties. Cependant, l’existence d’un contexte contradictoire ne prédomine pas sur les deux autres facteurs établis dans l’arrêt Borowski, précité.

 

[14]           Ces facteurs, soit l’économie des ressources judiciaires et l’importance pour les tribunaux d’éviter de s’écarter de leur rôle juridictionnel, ont été considérés par le juge Luc Martineau dans la décision Perez, précitée. Je souscris à ses motifs et les fais miens en l’espèce. Je souscris notamment aux motifs voulant qu’un litige théorique ne doive pas accaparer les ressources de l’appareil judiciaire, que le fait d’ordonner la tenue d’un nouvel examen risque d’entraîner la création d'une nouvelle catégorie de personne à protéger, que ce qui était à l’origine un acte légal du gouvernement (l’exécution de la mesure de renvoi) puisse par la suite devenir illégal par le seul effet d’une observation du tribunal et que le fait de statuer sur la demande de contrôle judiciaire puisse correspondre essentiellement à un réexamen indirect du bien-fondé de la décision discrétionnaire du juge Kelen à l’égard du sursis.

 

[15]           Il convient également de tenir compte du fait que je ne peux en l’occurrence accorder aucune réparation pratique : bien que je sois en mesure d’annuler la décision de l’agent, je ne peux ordonner un nouvel ERAR (voir la décision Ero, précitée, aux paragraphes 26 et 27). Le but de l’ERAR, énoncé au paragraphe 31 de la décision Sogi, est de permettre un examen des risques avant renvoi et non après le renvoi.

 

[16]           En l’espèce, la fille de la demanderesse est citoyenne canadienne et ne fait l’objet d’aucune mesure de renvoi. Bien qu’il soit habituellement préférable qu’un enfant demeure auprès de ses parents, je constate que l’enfant a des proches parents au Canada qui sont en mesure de s’occuper d’elle et l’ont d’ailleurs déjà fait.

 

[17]           Au moment de l’audition de sa demande de sursis, la défenderesse devait être expulsée vers les États-Unis. Le fait que le gouvernement des États-Unis l’ait par la suite expulsée vers l’Éthiopie n’est pas du ressort de la Cour et ne me convainc pas de devoir exercer mon pouvoir discrétionnaire pour connaître de l’affaire.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.         La demande est rejetée.

2.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5290-08

 

INTITULÉ :                                       MEKURIA c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 MARS 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 MARS 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LA DEMANDERESSE

Nur Mohammed-Ally

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

SOLICITORS OF RECORD:

 

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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