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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20100317

Dossier : IMM-3814-09

Référence : 2010 CF 308

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2010

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

CHRISTA KOZONGUIZI

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]                  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a établi que la demanderesse était interdite de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection de réfugiés (la LIPR). La demanderesse a été déclarée interdite de territoire en raison de son appartenance non contestée à une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle a été l’auteur d’un acte visant au renversement d’un gouvernement par la force.

 

[2]                  La demanderesse soutient qu’elle était membre à titre nominal, qu’elle n’avait aucune connaissance des activités de l’organisation et qu’elle n’y participait pas de façon active.

 

[3]                  La demanderesse soulève trois questions :

 

a)   La Commission a-t-elle mal évalué son pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l’application de l’alinéa 34(1)f)?

 

b)   La Commission a-t-elle mal évalué la jurisprudence qui se rapporte à l’alinéa 34(1)f)?

 

c)      La Commission a-t-elle omis de fournir des motifs suffisants?

 

 

[4]                  Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

LE CONTEXTE

 

[5]                   La demanderesse dit être devenue membre de la Caprivi Liberation Army (la CLA, Armée de libération de Caprivi) parce qu’elle était amoureuse de son fiancé, qui en était membre. Elle a payé 50 dollars namibiens en contrepartie desquels elle a reçu une carte de membre de l’organisation en janvier 2000.

 

[6]                  Dans un communiqué publié en août 2003, Amnesty International a rapporté les faits suivants :

 

Après une attaque armée menée par le groupe sécessionniste Caprivi Liberation Army (Armée de libération de Caprivi) contre des forces gouvernementales et des bâtiments officiels le 2 août 1999 dans la région de Caprivi, au Nord-Est de la Namibie, le gouvernement de Namibie a déclaré l’état d’urgence et placé en détention plus de 300 personnes soupçonnées d’avoir pris part à l’attaque ou soupçonnées de sympathie à l’égard des sécessionnistes et d’avoir aidé à préparer ou à lancer ces actions. Parmi les personnes arrêtées après ce soulèvement, environ 122 sont détenues depuis près de quatre ans, en attendant la reprise de leur procès pour haute trahison, meurtre et autres infractions en lien avec le soulèvement.

 

[7]                  La demeure de la demanderesse a été fouillée et la demanderesse a été arrêtée par la police et détenue durant deux jours en 2005. Elle a par la suite quitté la Namibie. Elle est arrivée à Vancouver le 9 septembre 2006 et a demandé l’asile quelques semaines plus tard.

 

[8]                  La demanderesse s’est montrée très franche à l’égard de son appartenance à l’organisation. Elle dit n’avoir assisté qu’à quelques réunions de l’organisation, au sujet de laquelle elle en savait très peu. Elle dit que l’organisation a comme objectif de [traduction] « permettre aux Namibiens de vivre librement ». Elle ne connaissait que le prénom de son dirigeant. Elle nie avoir su que l’organisation visait l’obtention par les armes de la sécession de la bande de Caprivi de la Namibie.

 

 

LA LÉGISLATION

 

34.  (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

c) se livrer au terrorisme;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c)

 

 

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

34.  (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

(c) engaging in terrorism;

(d) being a danger to the security of Canada;

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

 

 

 

 

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

 

[9]                  La Commission s’est penchée sur trois questions pour en arriver à sa décision : (1) l’appartenance, (2) le renversement par la force et (3) la participation inconsciente.

 

[10]              La Commission s’est appuyée sur l’aveu de la demanderesse à l’égard de son appartenance à la CLA. Au cours de plusieurs entretiens avec des agents d’immigration, la demanderesse a reconnu être membre de la CLA et n’a jamais démenti cette appartenance.

 

[11]              La Commission s’est appuyée sur les articles fournis par le ministre, lesquels font état des activités de la CLA, notamment un communiqué d’Amnesty International qui décrit l’attaque contre les forces du gouvernement dans la capitale régionale de Katima le 2 août 1999 et un article de la BBC News qualifiant la CLA de groupe sécessionniste. La Commission était convaincue que les actions de la CLA décrites dans le communiqué d’Amnesty International constituaient une tentative de renversement d’un gouvernement par la force.

 

[12]              La Commission a tenu compte de la connaissance superficielle qu’avait la demanderesse de la CLA et a estimé que la participation de la demanderesse y était « minimale ». La Commission a conclu que : « Le tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve clair démontrant que Mme Kozonguizi a sciemment adhéré à la CLA dans le but de commettre des actes visant au renversement par la force du gouvernement de la Namibie. »

 

[13]              La Commission a souligné que l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, dans son libellé, n’exige pas qu’une personne ait sciemment appuyé le renversement d’un gouvernement par la force. La seule précision tient au fait d’être « membre ». La Commission invoque la décision de madame la juge Judith Snider dans l’affaire Al Yamani c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2006 CF 1457 (la décision Yamani) au soutien de son interprétation selon laquelle la disposition a une portée très large et le recours prévu par la loi est la présentation d’une demande au ministre en vertu du paragraphe 34(2).

 

[14]              La Commission a conclu qu’elle ne pouvait considérer l’ignorance de la demanderesse et sa participation minimale aux activités de la CLA comme des facteurs atténuants.

 

[15]              La Commission a conclu que la demanderesse était une personne visée à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR et pouvait donc être expulsée pour interdiction de territoire.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[16]               Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a établi que les cours peuvent se fonder sur la jurisprudence pour déterminer la norme de contrôle appropriée dans un cas donné, ayant à l’esprit qu’il n’y en a plus que deux : la raisonnabilité et la décision correcte.

 

[17]              Dans l’arrêt Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85 (l’arrêt Poshteh), monsieur le juge Marshall Rothstein, lorsqu’il siégeait à la Cour d’appel, a mené une analyse pragmatique et fonctionnelle de la question de l’adhésion relativement à l’alinéa 34(1)f) et a établi qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de raisonnabilité. La norme de contrôle qui s’applique depuis l’arrêt Dunsmuir demeure la raisonnabilité. Voir la décision Chwach c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1036, au paragraphe 13.

 

[18]              L’évaluation du caractère adéquat des motifs est une question d’équité procédurale susceptible de contrôle selon la décision correcte.

 

 

ANALYSE

 

[19]              La demanderesse soutient que la Commission a interprété de façon erronée son pouvoir discrétionnaire quant à la définition de la notion d’appartenance pour l’application de l’alinéa 34(1)f).

 

[20]              La demanderesse soutient que l’arrêt Poshteh étaye une interprétation large de la définition de l’appartenance. Elle soutient que puisque dans cet arrêt, la Cour et la Cour d’appel ont analysé la participation du demandeur, en ce qui a trait à la notion d’appartenance, et ont conclu, en appel comme en première instance, que le fait d’avoir distribué du matériel de propagande faisait du demandeur un membre de fait, la Cour pourrait inversement arriver à la conclusion que la demanderesse, en l’espèce, n’est pas membre de la CLA.

 

[21]              Les observations de la demanderesse correspondent à la proposition d’un critère d’intégration pour déterminer l’appartenance. Selon la demanderesse, la Cour peut en arriver à une telle conclusion en soupesant les frais d’adhésion et la carte de membre par rapport à la motivation de la demanderesse à devenir membre de l’organisation et à son ignorance des visées de l’Armée de libération de Caprivi.

 

[22]              Dans l’arrêt Poshteh, le juge Rothstein a conclu qu’il convenait de donner à la définition du mot « membre », pour l’application de l’alinéa 34(1)f), une interprétation large et libérale. Il a fait valoir que la détermination de l’appartenance à une organisation terroriste n’est pas sans lien avec le travail de la Section de l’immigration. Il relève de l’expertise de la Section de l’immigration de déterminer s’il a été satisfait aux critères d’interdiction de territoire, dont l’appartenance, comme l’établit l’alinéa 34(1)f). Le juge Rosthein a conclu qu’il convient de faire preuve d’une certaine retenue à l’égard de l’interprétation que donne la Section de l’immigration du mot « membre ».

 

[23]              La Commission a souligné que le mot « membre » n’est pas défini dans la loi. Elle a fait valoir que la rigueur d’une interprétation large de ce mot est atténuée par le paragraphe 34(2), qui donne au demandeur l’occasion de convaincre le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. Cette évaluation a été employée dans la décision Yamani, précitée, au paragraphe 12 :

 

Le fait pour l’intéressé d’être membre de l’organisation échappe de même aux restrictions quant au temps. La question est de savoir si l’intéressé est ou a été membre de l’organisation. Aucune correspondance n’est nécessaire entre la participation active comme membre de l’intéressé et la période pendant laquelle l’organisation se livrait à des actes terroristes.

 

Le résultat peut sembler sévère. Une organisation peut modifier ses buts et ses méthodes, et l’intéressé peut décider de quitter l’organisation, de façon temporaire ou permanente. Or, la disposition ne semble pas laisser la porte ouverte à un changement de situation, tant en ce qui concerne l’organisation que l’intéressé. En insérant le paragraphe 34(2) de la LIPR, toutefois, le législateur a heureusement prévu le moyen de faire exception à une conclusion d’interdiction de territoire en application du paragraphe 34(1). Le paragraphe 34(2) prévoit en effet qu’un résident permanent ou un étranger peut présenter une demande en vue de convaincre le ministre que « sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national ». Le législateur fournit ainsi l’occasion aux personnes qui, par ailleurs, seraient interdites de territoire aux termes du paragraphe 34(1), de convaincre le ministre que leur présence au Canada ne serait pas préjudiciable à l’intérêt national. Dans ce cadre, des facteurs tels que le moment de l’appartenance à l’organisation ou la caractérisation actuelle de celle-ci peuvent être pris en compte.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[24]              Je souscris à cette analyse, étant moi-même arrivé à cette conclusion en ce qui concerne l’interaction de l’alinéa 34(1)f) et du paragraphe 34(2) dans l’affaire Qureshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 7.

 

[25]              La demanderesse cite la décision Chwach c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1036, à titre d’exemple d’une appartenance innocente. Dans cette affaire, le demandeur avait été membre du parti politique des Forces libanaises depuis 1992. Les Forces libanaises étaient une milice chrétienne qui se livrait à des activités terroristes. À la fin de la guerre civile au Liban, en 1990, l’organisation est devenue le Parti des Forces libanaises, un parti politique visant la représentation au Parlement libanais. Monsieur le juge Richard Boivin a accueilli la demande compte tenu du fait que le dossier ne contenait aucune preuve que le Parti des Forces libanaises avait perpétré des actes terroristes, et que l’agent des visas avait omis d’analyser la nature de l’organisation en question.

 

[26]              Les faits en l’espèce diffèrent manifestement. La demanderesse a adhéré à la CLA en 2000, très peu de temps après que celle-ci eut attaqué le gouvernement de la Namibie, en 1999. Aucun élément de preuve ne permet d’établir que la CLA ait jamais déposé les armes pour poursuivre ses objectifs de façon pacifique.

 

[27]              Enfin, la demanderesse n’a fourni aucun argument à l’appui de l’allégation du caractère inadéquat des motifs. Quoi qu’il en soit, il m’est d’avis que les motifs de la Commission sont suffisants.

 

[28]              La Commission a manifestement tenu compte de la participation inconsciente et minimale de la demanderesse, ayant noté l’acquiescement du représentant du ministre à l’égard du récit de la demanderesse et ayant souligné que la demanderesse pouvait se prévaloir du paragraphe 34(2) pour demander que soient pris en compte ces facteurs atténuants.

 

[29]              La décision de la Commission est raisonnable. La Commission a correctement interprété la jurisprudence.

 

[30]              La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

     « Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3814-09

 

 

INTITULÉ :                                       CHRISTA KOZONGUIZI

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 MARS 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN         

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 MARS 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dariusz Wroblewski

 

POUR LA DEMANDERESSE

Kareena Wilding

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gertler, Etienne, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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