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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100312

Dossier : T-2240-07

Référence : 2010 CF 291

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2010

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

APOTEX INC.,

APOTEX FERMENTATION INC.,

CANGENE – CORPORATION,

NOVOPHARM LIMITED,

PHARMASCIENCE INC.,

RANBAXY PHARMACEUTICALS

CANADA INC.,

RATIOPHARM INC.,

SANDOZ CANADA INC. et

TARO PHARMACEUTICALS

demanderesses

et

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE et

GLAXO GROUP LIMITED

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Apotex Inc., Apotex Fermentation Inc., Cangene – Corporation, Novopharm Limited, Pharmascience Inc., Ranbaxy Pharmaceuticals Canada Inc., Ratiopharm Inc., Sandoz Canada Inc. et Taro Pharmaceuticals (les demanderesses) sollicitent, en vertu de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), une ordonnance radiant l’enregistrement de la marque de commerce canadienne n° TMA 687,313 (la marque GSK) aux motifs qu’elle n’est pas distinctive et que, en tant que façonnement de la marchandise, elle aurait dû être enregistrée comme signe distinctif en vertu de l’article 13 de la Loi.

 

I.                    Le contexte

[2]               La marque GSK, qui appartient à Glaxo Group Limited (GSK), a été enregistrée au Royaume-Uni le 20 décembre 2003. Elle a plus tard été enregistrée au Canada, le 9 mai 2007, et GlaxoSmithKline Inc. est autorisée par licence à l’utiliser. L’enregistrement de la marque de commerce canadienne décrit ainsi la marque GSK :

[traduction]

 

La marque de commerce se compose de la couleur violet foncé (n° 2587C du code Pantone*) et de la couleur violet pâle (n° 2567C du code Pantone*) appliquées à la surface visible de certaines parties de l’objet concerné, à savoir un inhalateur servant à l’administration de produits pharmaceutiques, illustré dans le dessin annexé. Le dessin porte les couleurs violet foncé et violet pâle. *PANTONE est une marque enregistrée.

 

 

[3]               L’objet qui est associé à la marque GSK est un inhalateur sphérique en plastique qui, lorsqu’il est prescrit pour usage médical, contient diverses doses d’une association de médicaments en poudre sèche (propionate de fluticasone et xinafoate de salmétérol) pour le traitement de l’asthme et de la maladie pulmonaire obstructive chronique. GSK est également propriétaire des marques « Advair » et « Diskus », qui se rapportent à ce même appareil d’inhalation. La validité de ces marques n’est pas en cause dans la présente instance. L’inhalateur Advair Diskus est appelé inhalateur d’entretien ou inhalateur de contrôle, par opposition à un inhalateur de soulagement, qui sert à traiter un état aigu ou critique. Les inhalateurs Advair Diskus ont été profitables pour GSK, puisqu’ils ont généré un chiffre d’affaires dépassant 600 millions $CAN entre 1999 et 2007.

 

[4]               Lorsque l’inhalateur Advair Diskus est délivré au public, il est contenu dans une boîte étiquetée « Advair » et « Diskus », qui donne également des indications sur GSK, sur les posologies, sur l’entreposage, sur les ingrédients et autres indications de ce genre. L’inhalateur porte la même étiquette à l’avant et à l’arrière. La marque GSK, quant à elle, n’a ni appellation commerciale ni étiquette. Il s’agit simplement d’une marque composée d’une forme et de deux couleurs violettes complémentaires.

 

Les principes juridiques applicables

[5]               J’accepte la position de GSK pour qui la marque GSK est présumée valide et pour qui les demanderesses ont la charge de prouver le contraire selon la prépondérance de la preuve à la date de la présente demande (le 21 décembre 2007). Une marque de commerce valide est une marque qui effectivement distingue les marchandises du propriétaire de celles fabriquées par d’autres. La question de savoir si une marque est distinctive est une question de fait, qui doit être tranchée par référence au message que la marque transmet aux consommateurs ordinaires : voir la décision Novopharm Ltd. c. Bayer Inc. (1999), [2000] 2 C.F. 553, paragraphe 70, 3 C.P.R. (4th) 305 (C.F. 1re inst.), conf. par (2000), 9 C.P.R. (4th) 304, 264 N.R. 384 (C.A.F.). Le groupe pertinent de consommateurs, pour un produit comme celui-ci, comprend les médecins, les pharmaciens et les patients : voir l’arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc. (1993), [1992] 3 R.C.S. 120, paragraphe 110, 44 C.P.R. (3d) 289 (C.S.C.). Aux fins de la présente affaire, la question est de savoir si, le 21 décembre 2007, tous ces consommateurs reconnaîtraient, d’une manière significative, la marque GSK d’après son apparence (à l’exclusion des étiquettes et de l’emballage) et associeraient cette habillage à une source unique : voir Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., précitée, paragraphes 78‑79.

 

II.         Les questions en litige

[6]               a)         Les demanderesses sont-elles des parties intéressées selon l’article 57 de la Loi?

b)         La question de fond soulevée dans la présente instance est : à la date de la demande, la marque GSK avait‑elle acquis sur le marché canadien un caractère distinctif suffisant pour qu’elle réponde aux conditions de l’article 2 de la Loi?

 

III.       Analyse

            Les demanderesses sont-elles des parties intéressées?

[7]               J’admets que les demanderesses sont des parties intéressées qui sont fondées à introduire la présente procédure en vertu de l’article 57 de la Loi. Il ressort de la preuve qu’elles sont des fabricantes de médicaments génériques ayant un intérêt dans la fabrication et la vente de produits qui ressemblent étroitement à des médicaments de marque. Il s’agit là fondamentalement d’un intérêt commercial, encore qu’un intérêt public accessoire puisse également être avancé consistant à minimiser la confusion chez les patients. Une personne intéressée est une partie dont les droits peuvent être restreints par l’enregistrement d’une marque ou qui craint raisonnablement un préjudice : voir la décision Fairmont Resort Properties Ltd. c. Fairmont Hotel Management, L.P. (2008), 2008 CF 876, paragraphes 45 à 57, 67 C.P.R. (4th) 404. La marque GSK restreint manifestement l’intérêt des demanderesses dans la fabrication d’un inhalateur analogue et je suis d’avis qu’elles ont produit la preuve minimale requise pour que soit engagée la présente instance.

 

À quel moment une marque présente-t-elle, en droit, un caractère distinctif?

[8]               GSK affirme que, pour établir le caractère distinctif, il suffit que les médecins, les pharmaciens et les patients fassent le lien entre l’apparence de la marque GSK et une origine commerciale unique. Elle dit qu’il n’est pas nécessaire que le lien soit assez solide pour conduire à la décision de délivrer le médicament ou à celle de l’acheter.

 

[9]               Au soutien de sa position, GSK affirme que le juge Paul Rouleau est allé trop loin dans les décisions qu’il a déjà rendues : Novopharm Ltd. c. Ciba-Geigy Canada Ltd. (2000), 6 C.P.R. (4th) 224, paragraphe 16, 97 A.C.W.S. (3d) 141 (C.F. 1re inst.), conf. par Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB, 2001 CAF 296, [2002] 2 C.F. 148, et Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag (2000), 187 F.T.R. 119, 6 C.P.R. (4th) 16, paragraphe 13 (C.F. 1re inst.), conf. par Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB, 2001 CAF 296, [2002] 2 C.F. 148. Il avait jugé que, pour conclure au caractère distinctif d’une marque, il fallait « démontrer que les médecins, les pharmaciens ou les patients sont susceptibles d’employer la marque de commerce projetée en choisissant de prescrire, de préparer ou de demander le produit [diclofénac de Ciba ou oméprazole d’Astra] ».

 

[10]           Pour ce qui nous concerne, il suffit de noter que la Cour d’appel fédérale a confirmé, dans l’arrêt Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB, précité, les décisions du juge Rouleau, en faisant explicitement référence à sa manière de considérer la question du caractère distinctif (voir paragraphe 46). Par ailleurs, le lien entre l’habillage d’un produit et le choix du consommateur a été clairement reconnu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., précité, où, au paragraphe 111, elle concluait par l’ordonnance suivante, qui rappelle fortement les mots employés par le juge Rouleau :

NOTRE COUR DÉCLARE qu’en ce qui concerne la commercialisation des médicaments délivrés sur ordonnance, un demandeur, dans une action en prétendue commercialisation trompeuse d’un médicament délivré sur ordonnance, doit établir que la conduite reprochée risque de semer la confusion dans l’esprit des médecins ou des pharmaciens, ou dans celui des patients clients, lorsqu’ils doivent choisir de prescrire, de délivrer ou de demander soit le produit du demandeur, soit celui du défendeur.

 

 

Il s’agissait là d’un cas de commercialisation trompeuse, mais je ne crois pas que la question de savoir si l’habillage d’un produit a acquis une notoriété propre différerait le moindrement de la question de savoir si une marque fondée sur l’apparence du produit était distinctive.

 

[11]           Dans l’arrêt Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, [2005] 3 R.C.S. 302, la Cour suprême du Canada a reconnu à nouveau qu’une marque est un symbole du rapport entre la source d’un produite et le produit lui-même, « afin qu’idéalement les consommateurs sachent ce qu’ils achètent et en connaissent la provenance » (paragraphe 39).

 

[12]           J’ajouterais à cela que l’article 2 de la Loi définit une marque de commerce comme une marque employée par une personne pour distinguer des marchandises. Il faut voir dans les mots de cette définition davantage qu’une observation passive ou irrésolue de la provenance possible des marchandises.

 

[13]           À mon avis, il ne suffit pas de montrer que l’apparence d’un produit peut constituer une vérification secondaire de l’identité du produit ou qu’elle peut amener une personne à se demander si le produit attendu a été correctement délivré. Ce qu’il faut, c’est que les médecins, les pharmaciens et les patients rattachent la marque à une source unique et par là utilisent la marque pour manifester leurs décisions de prescrire, de délivrer ou d’acheter tel produit plutôt qu’un autre. Pour constituer le caractère distinctif, il ne suffit pas d’un jugement approximatif sur la provenance, ni d’ailleurs d’une conception qui est simplement sans équivalent sur le marché et est reconnue comme tel : voir la décision Royal Doulton Tableware Ltd. c. Cassidy’s Ltée (1985), [1986] 1 C.F. 357, pages 370 et 371[1], 1 C.P.R. (3d) 214 (C.F. 1re inst.). Le fait qu’un médecin ou un pharmacien puisse spontanément tenir pour acquise la provenance d’un inhalateur discoïdal de couleur violette à l’occasion d’un dialogue thérapeutique avec un patient ne suffit pas non plus à établir le caractère distinctif.

 

La couleur et la forme du produit en tant qu’aspects du caractère distinctif

[14]           Il ne fait aucun doute que la couleur et la forme peuvent aider à distinguer les produits d’un fabricant par rapport à ceux d’un autre. La forme et la couleur peuvent aussi influer considérablement sur le comportement du consommateur. Néanmoins, une marque qui est fondée sur la couleur et la forme d’un produit sera probablement une marque faible : voir la décision Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., précitée, paragraphe 77. Il n’est pas non plus facile de prouver que l’apparence ou l’habillage d’un produit est devenu distinctif : voir l’arrêt AstraZeneca AB c. Novopharm Ltd. (2003), 2003 CAF 57, au paragraphe 26, 24 C.P.R. (4th) 326. Contrairement aux marques qui tiennent lieu de symboles pour de grandes sociétés, une reconnaissance généralisée du caractère distinctif dans le domaine de la conception de produits non fonctionnels suscite à juste titre des questions d’intérêt public : voir l’arrêt Wal-Mart Stores, Inc. c. Samara Brothers, Inc. (2000), 529 U.S. 205 (C.S. É.‑U.).

 

[15]           S’agissant des médicaments d’ordonnance, l’importance de la couleur et de la forme pour les décisions d’achat et pour la notoriété de la marque est moins évidente parce que, comme le montre la preuve, les choix initiaux sont faits en connaissance de cause par les médecins et les pharmaciens. Cette intermédiation professionnelle est aussi un élément influent, mais non déterminant, des décisions des consommateurs. Après tout, on n’achète pas des médicaments d’ordonnance sur un coup de tête.

 

[16]           Je reconnais avec GSK qu’il n’y a rien de foncièrement répréhensible dans une marque qui consiste, pour un produit, en une association particulière de formes et de couleurs. Il existe évidemment des marques notoirement connues fondées sur des associations de formes et de couleurs. Cependant, s’agissant d’un marché où les décisions d’achat sont habituellement prises par des professionnels, ou sur l’avis de professionnels, le caractère distinctif d’une telle marque dans le commerce sera naturellement plus difficile à établir. S’il en est ainsi, c’est parce que, ainsi que l’établit le poids de la preuve que j’ai devant moi, les médecins et les pharmaciens ne sont pas fortement influencés par ces attributs et n’ont aucune raison évidente de les associer à une source commerciale unique ou à une provenance unique. Dans la mesure où le consommateur ultime trouve de l’agrément dans une décision d’achat, il sera largement influencé aussi par les conseils reçus du médecin et du pharmacien (sans oublier l’étiquette) et, sans aucun doute, par l’association du produit à telle ou telle appellation notoirement connue.

 

[17]           Il importe aussi de se rappeler que le consommateur ne verrait jamais la marque GSK qu’à la faveur d’une étiquette et compterait sans doute largement sur les renseignements imprimés avant de tirer des conclusions sur l’origine du produit. C’est là une observation qu’avait faite le juge Heery dans l’arrêt Cadbury Schweppes Ltd. v. Darrell Lea Chocolate Shops, [2008] F.C.A. 470 (C.F. Australie), paragraphes 64 et 65 :

[traduction]

 

64.       L’emploi du violet est inséparable du mot « Cadbury » – le violet n’est jamais employé isolément [100]. Le fait que le violet n’a jamais été employé sans le mot « Cadbury » ne semble pas être contesté; voir le jugement antérieur, paragraphes [82] à [87].

 

65.       Les témoins experts de Cadbury ont dit que cela ne présentait aucune pertinence. Je ne partage pas leur avis. Le témoin expert de Cadbury appelé à témoigner au procès antérieur, le professeur Roger Layton, professeur émérite de marketing à l’Université des Nouvelles-Galles du Sud, a clairement considéré l’association de la marque à la couleur comme un élément important de la perception du consommateur; voir le jugement antérieur, paragraphes [77] et [78]. Pour des raisons assez évidentes, le consommateur ne se voit jamais offrir, au point de vente, un produit Cadbury, de couleur violette ou non, sans que le nom Cadbury n’apparaisse bien en évidence. Le consommateur ordinaire et raisonnable doit certainement en avoir conscience lorsqu’on lui propose le produit Darrell Lea censément trompeur.

 

 

Si le consommateur de confiseries au chocolat est vu comme suffisamment intelligent pour prendre une décision sur l’identité d’un produit en se fiant à une étiquette, le consommateur de produits pharmaceutiques l’est certainement tout autant.

 

[18]           L’attribution d’un niveau modéré d’intelligence au consommateur a également été reconnue par la juge Barbara Reed dans la décision Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1997), 130 F.T.R. 1, paragraphes 151 et 152, 73 C.P.R. (3d) 371 (C.F. 1re inst.), conf. par (2001), [2001] 2 C.F. 502, 10 C.P.R. (4th) 10 (C.A.F.). Examinant la question de la confusion dans le contexte d’une action en commercialisation trompeuse, elle s’exprimait ainsi :

151     L’attention des consommateurs qui, bien que ne demandant pas une marque en particulier, s’attendent néanmoins à en recevoir une, peut être éveillée, quant à l’identité de marque qu’ils ont obtenue, par le reçu qui leur est remis au moment de l’achat, par l’étiquette sur le flacon, par les inscriptions apposées sur chaque capsule ou par la différence de prix dans les cas où ils passent d’un médicament d’origine à un médicament générique. Même si certaines de ces indications, comme la désignation du fabricant sur le reçu ou sur l’étiquette du flacon, n’attirent valablement l’attention du consommateur que si celui-ci a appris à les chercher, il est fort probable que le pharmacien, qui veut délivrer une marque différente de Prozac à un consommateur de ce produit, informera le client du changement.

 

152     La Cour ne peut conclure que les demanderesses ont prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que le fait que les défenderesses vendent de la fluoxétine dans des capsules similaires aux leurs est susceptible d’entraîner un important risque de confusion.

 

 

[19]           Le caractère distinctif d’une marque fondé sur la couleur et la forme peut également être réduit par son association avec une appellation enregistrée. Lorsqu’un produit pharmaceutique est toujours employé en association directe avec une marque verbale notoirement connue, le risque de confusion dans l’esprit du consommateur sera réduit, sinon totalement absent, lorsqu’un produit analogue sera offert à la vente avec une marque différente. Le problème de l’association de marques a été examiné dans l’arrêt General Motors du Canada c. Moteurs Décarie Inc. (2001), [2001] 1 C.F. 665, paragraphe 34, 9 C.P.R. (4th) 368 (C.A.F.). Selon la Cour d’appel fédérale, l’emploi constant de la marque verbale revendiquée « Décarie » en association avec les mots « Moteurs » et « Motors » indiquait que l’emploi du seul mot « Décarie » constituait un emploi « faible, voire inexistant », qui n’avait pas acquis une notoriété propre.

 

[20]           Je fais mien le point soulevé par le juge John Evans dans la décision Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., précitée, au paragraphe 79, lorsqu’il écrivait qu’il n’est pas fatal à un enregistrement de marque de commerce que les consommateurs puissent avoir recours à d’autres moyens que la marque pour rattacher le produit à une source unique. Néanmoins, le juge Evans atténuait son propos en disant qu’il fallait quand même qu’il existe une preuve suffisante de l’aptitude de la marque à être ainsi reconnue par elle-même. Autrement dit, une marque fondée sur l’habillage ne saurait acquérir son caractère distinctif du seul fait qu’elle est employée en association avec une marque verbale distinctive.

 

[21]           Dans la décision Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB (2004), 2003 CF 1212, au paragraphe 22, 28 C.P.R. (4th) 129, la juge Eleanor Dawson estimait que la couleur et la forme ne constituaient qu’une vérification secondaire pour l’identification d’un comprimé pharmaceutique. Elle énonçait la question ainsi : Que signifie pour un pharmacien une pilule rouge-brun? La réponse, selon elle, était que les pharmaciens ne portent que peu d’attention à la couleur et à la forme des médicaments qu’ils délivrent.

 

            La preuve du caractère distinctif – Médecins, pharmaciens et patients

[22]           La principale difficulté que pose la majeure partie de la preuve de GSK portant sur le supposé caractère distinctif de la marque GSK est que l’inhalateur n’est jamais commercialisé sans une étiquette, de telle sorte que les témoins s’exprimaient sur une situation hypothétique qui ne s’est presque jamais présentée. Un bon exemple de cela est apparu dans le témoignage du Dr Robert Dales. Il a indiqué que l’inhalateur Advair Diskus [traduction] « semble très différent des autres inhalateurs » et que cela lui permettait [traduction] « de le distinguer des inhalateurs fabriqués par d’autres sociétés ». Néanmoins, durant son contre-interrogatoire, il a reconnu qu’il s’en remettait aux étiquettes pour identifier le produit et, prié de dire ce qu’il ferait si on lui remettait un inhalateur sans étiquette, il a répondu ce qui suit :

[traduction]

 

Q.        Et si cela arrivait, il vous faudrait regarder l’étiquette. N’est-ce pas exact?

 

R.         Je ne sais pas, je ne me suis jamais trouvé dans cette situation. C’est un peu comme… j’essaie d’imaginer, mais je ne suis pas sûr. Par exemple, je ne sais pas si l’on peut trouver des inhalateurs de couleur violette sur Internet. Je n’ai jamais vu un – comme un Diskus – un inhalateur qui ressemblait à l’Advair Diskus, qui n’était pas l’Advair Diskus, à ma connaissance, alors…

 

Q.        Avez-vous déjà fait une recherche sur Internet pour voir s’il en existe?

 

R.         Non.

 

Q.        J’imagine que vous ne donneriez jamais à un patient un inhalateur tel que celui qui est illustré dans la pièce A, si vous ne saviez pas ce qu’il y a à l’intérieur?

 

R.         Si je ne savais pas ce qu’il y a dans un inhalateur, je ne le donnerais pas au patient.

 

Q.        Et j’imagine que, si vous voyiez un inhalateur comme celui de la pièce A, vous pourriez faire un jugement approximatif et dire qu’il ressemble à un inhalateur Advair, mais jamais vous ne mettriez en péril la sécurité de votre patient en le lui remettant s’il ne portait aucune étiquette?

 

R.         Si je voyais un inhalateur comme celui-là, je ne le lui donnerais pas. Je veux dire, il ressemble à un Advair Diskus, mais s’il ne porte pas l’étiquette, pour moi cela voudrait dire, eh bien, ce n’est pas comme cela que je suis habitué à voir ces choses. Je serais donc certainement troublé et il faudrait que je voie ce qu’il en est.

 

 

[23]           Le témoignage du Dr John Axler a été beaucoup plus catégorique. Selon lui, parmi sa clientèle, la couleur et la forme sont les principaux attributs distinctifs de l’inhalateur Advair Diskus. Il y a toutefois dans ce témoignage un dogmatisme troublant, notamment une déclaration surprenante, faite en contre-interrogatoire, lorsqu’il a dit qu’il se fiait principalement à la couleur et à la forme et que [traduction] « l’étiquette joue un rôle mineur. Je dois admettre que je ne lis pas l’étiquette ». Ce témoignage ne s’accorde pas avec le poids des autres témoignages de professionnels, et je ne l’accepte pas.

 

[24]           Le témoignage du Dr Richard Kennedy ne va pas plus loin que reconnaître que, parce que l’apparence des divers inhalateurs sur le marché varie, leur provenance varie sans doute elle aussi. Cette déduction offre un fondement très faible qui permet difficilement de conclure à l’existence d’un caractère distinctif sur le plan commercial, parce que, comme la Cour suprême des États-Unis l’écrivait dans l’arrêt Wal-Mart Stores Inc., précité, page 1344, [traduction] « la conception du produit sert presque immanquablement des fins autres que l’indication de la provenance ». Le Dr Kennedy a admis aussi volontiers qu’il utilisait l’appellation Advair pour bien reconnaître les échantillons de produits et que, en l’absence d’une étiquette, il tiendrait pour suspect ce qu’il a entre les mains.

 

[25]           Le témoignage d’Ayman Eltookhy n’appuie pas la prétention de la marque GSK à un caractère distinctif. En tant que pharmacien habilité à délivrer des médicaments, le Dr Eltookhy utilise la couleur et la forme uniquement comme indices secondaires de l’identité du produit, et il ne délivrerait jamais un inhalateur dépourvu d’étiquette. Ce témoignage s’accorde aussi avec ceux de James Snowdon et de Janine Matte. Lorsqu’on a demandé à M. Snowdon s’il pouvait, en tant que pharmacien, reconnaître un inhalateur Advair Diskus dépourvu d’étiquette, il a répondu ce qui suit :

[traduction]

 

Q.        J’imagine que, si vous voyiez quelque chose comme votre pièce A, vous sauriez que quelque chose ne va pas?

 

R.         Oui. Au premier abord, cela ressemble à un Advair, mais les éclaircissements procurés par l’étiquette feraient défaut.

 

Q.        Et j’imagine que, en tant que pharmacien consciencieux, vous ne voudriez pas délivrer un objet ressemblant à la pièce A?

 

R.         Jusqu’à ce que j’en sache davantage, non.

 

Mme Matte, elle aussi pharmacienne, a été priée de dire ce qu’elle ferait d’un inhalateur identique portant le nom Apo-Fluticasone Salmeterol, et elle a répondu : [traduction] « Il s’agira d’Apotex ».

 

[26]           Gordon Hood s’est exprimé sur le rôle de la couleur et de la forme et il a lui aussi reconnu la grande importance des étiquettes dans son métier de pharmacien. Il a admis qu’un inhalateur analogue portant une étiquette Apotex le conduirait à supposer que l’inhalateur vient d’Apotex et non de GSK. Prié de dire ce que serait probablement sa réaction si on lui présentait un inhalateur portant une couleur inattendue, il a dit qu’il [traduction] « communiquerait avec le fabricant pour voir s’il y a eu un changement dans l’apparence du produit ». C’était là une réponse sensée, mais qui reconnaissait aussi que l’apparence constitue un fondement trop incertain pour autoriser des conclusions sur l’identité ou la provenance d’un produit et que, pour un professionnel, la marque et l’étiquette éclipseraient presque toujours l’apparence du produit comme indicateur de son origine.

 

[27]           Selon moi, la preuve anecdotique produite par les deux témoins consommateurs de GSK ne suffit pas à établir qu’un nombre important de consommateurs associerait l’apparence de l’inhalateur Advair Diskus à une source unique. Leur témoignage sur ce point était fondé sur une situation hypothétique qu’ils n’avaient pas connue (c’est-à-dire un inhalateur sans étiquette). Dans le cas de Mme McGee, l’endroit d’où provenait l’inhalateur qu’elle utilisait ne lui importait pas, ou bien elle l’ignorait. Elle ne savait pas non plus si Ventolin était une appellation se rapportant à une société, ni si d’autres inhalateurs de couleur violette existaient au Canada. Autrement dit, l’apparence du produit ne lui importait pas particulièrement.

 

[28]           M. Owens a témoigné qu’il s’inquiéterait s’il recevait un inhalateur analogue ne portant pas l’étiquette Advair et, manifestement, pour lui, c’est cette marque verbale qui faisait le caractère distinctif du produit. Ce témoignage s’accorde pour l’essentiel avec celui des médecins et pharmaciens qui ont admis que, lorsqu’ils prescrivent ou délivrent des médicaments, l’identité du produit est associée à l’information figurant sur les étiquettes, y compris à l’appellation Advair, et non à l’apparence de l’inhalateur.

 

[29]           Il me semble que cette preuve anecdotique, très limitée, ne suffit pas à supplanter la preuve des professionnels qui ont témoigné pour les demanderesses, preuve selon laquelle, en règle générale, les patients n’accordent pas beaucoup d’importance à l’apparence des produits pharmaceutiques, y compris des inhalateurs. Ce qui compte pour eux, c’est la fonctionnalité, la posologie et l’efficacité. La preuve par affidavit de la pharmacienne Heather Parker me semble refléter une vue plus exacte des perceptions du patient :

[traduction]

 

66.       Les patients se préoccupent surtout de savoir si le médicament, par exemple l’inhalateur, qu’on leur a prescrit et/ou qu’ils ont acheté donnera des résultats, s’il produira des effets secondaires et combien il coûtera. La plupart des patients ne se soucient pas de savoir à quoi ressemble un médicament ou un inhalateur.

 

67.       Les patients se préoccupent rarement de savoir qui est le fabricant de leurs médicaments (ou de leurs inhalateurs). En fait, d’après mon expérience, la plupart d’entre eux ne pensent pas aux fabricants de leurs médicaments, et ils n’en ont aucune idée. Les patients ne savent pas non plus que, pour un produit pharmaceutique donné, il peut n’y avoir qu’un seul fabricant, ou bien plusieurs.

 

68.       Habituellement, dans mon officine, lorsque je conseille des patients, je ne leur mentionne pas le nom du fabricant. En général, la plupart des patients veulent simplement savoir ce que fait un médicament et comment se l’administrer.

 

69.       Quand des patients parlent de l’apparence de leurs médicaments, j’ai constaté, par expérience, que, pour eux, la couleur, la forme et/ou la taille du médicament sont des indicateurs de l’emploi qu’ils doivent en faire. Par exemple, ils vont dire : « mon somnifère bleu », « mon diurétique rose » ou « mon inhalateur bleu ». À mon avis, c’est à l’apparence du médicament que les patients attribuent en général un effet thérapeutique.

 

70.       Lorsque des patients utilisent plus d’un inhalateur en même temps et à diverses fins, ils utilisent souvent les couleurs de leurs inhalateurs pour faire la distinction entre eux. Par exemple, un patient dira qu’il utilise son inhalateur de secours « bleu » lorsqu’il a une crise d’asthme, ou qu’il utilise son inhalateur « violet » deux fois par jour pour combattre son asthme. Pareillement, alors que souvent les patients ne se souviennent pas du nom du principe actif de leurs inhalateurs, ils se souviennent souvent qu’un inhalateur est « bleu » et qu’il sert par exemple à enrayer les symptômes de l’asthme.

 

71.       Les patients savent en général que les inhalateurs peuvent se présenter dans une diversité de couleurs, de formes et de tailles, et que plusieurs peuvent avoir la même couleur, la même forme ou la même taille. Ils ne font pas en général le rapprochement entre la couleur ou la forme de l’inhalateur et son fabricant ou sa provenance.

 

 

[30]           Les témoignages du Dr Robert McIvor, du Dr Neil Marshall et du pharmacien Joseph Lum allaient dans le même sens :

Le Dr McIvor s’est exprimé ainsi :

 

[traduction]

 

62.       D’après mon expérience, et à mon avis, les patients n’associent pas la forme et la couleur de leur inhalateur à tel ou tel fabricant ni même à une provenance unique. Ils associent la couleur de leur inhalateur à son usage thérapeutique. Ils parlent le plus souvent de leurs inhalateurs en indiquant leur couleur et, plus rarement, leur marque ou leur nom générique. Par ailleurs, lorsqu’ils utilisent leur marque ou leur nom générique, je crois qu’ils les utilisent pour dire ce qu’est le médicament (c’est-à-dire son usage thérapeutique), non pour dire d’où il vient (ainsi, « Advair » signifie leur inhalateur de contrôle).

 

Le Dr Marshall s’est exprimé ainsi :

 

[traduction]

 

59        Lorsque des patients évoquent l’apparence de leurs médicaments (c’est-à-dire en indiquant la couleur, la forme et/ou la taille), ils associent l’apparence du médicament à son usage thérapeutique. Par exemple, les patients parleront de leurs somnifères « bleus ». Plus particulièrement, s’agissant de ceux de mes patients qui prennent le propionate de fluticasone/xinafoate de salmétérol (par exemple Advair) et un autre inhalateur (souvent le sulfate de salbutamol (par exemple Ventolin)), ils parleront souvent de l’inhalateur de secours « bleu » qu’ils utilisent lorsqu’ils ont une crise d’asthme, et de l’inhalateur « violet » qu’ils utilisent régulièrement comme inhalateur d’entretien. En fait, pour ceux de mes patients qui utilisent plusieurs inhalateurs, la plupart d’entre eux parlent de tel ou tel inhalateur en évoquant sa couleur.

 

60        L’association évoquée ci-dessus entre la couleur d’un inhalateur et son effet thérapeutique n’est pas propre à mes patients réguliers. Dans mes interventions en salle d’urgence, j’ai souvent affaire à des patients qui utilisent des inhalateurs, et ils me parlent de la même manière – ils identifient leurs inhalateurs d’après leur couleur et leur effet thérapeutique. Lorsque je m’occupe de ces patients en salle d’urgence, dont la plupart ont leur propre médecin de famille, je n’ai pas à modifier mon langage. Cela signifie que a) beaucoup d’autres médecins conseillent leurs patients à propos de leurs inhalateurs en se référant à la couleur et aux effets thérapeutiques de tel ou tel inhalateur, et b) les patients associent généralement l’apparence (c’est-à-dire couleur, forme et/ou taille) de leurs inhalateurs à leurs usages thérapeutiques.

 

M. Lum s’est exprimé ainsi :

 

[traduction]

 

63        Je crois que nombre de mes patients en sont venus à reconnaître leurs médicaments et leurs inhalateurs d’après leur apparence générale, en particulier lorsqu’ils prennent plusieurs médicaments ou se servent de plusieurs inhalateurs sur une base régulière. Par exemple, nombre de patients qui utilisent régulièrement l’inhalateur à poudre sèche contenant du propionate de fluticasone et du xinafoate de salmétérol (par exemple Advair Diskus) utilisent aussi l’inhalateur au sulfate de salbutamol (par exemple Ventolin) pour les crises d’asthme.

 

64        Si la couleur du médicament ou de l’inhalateur du patient était changée, le patient me demanderait s’il y a eu erreur. En de tels cas, j’ai constaté que les patients croient qu’une erreur a été commise et que l’ordonnance n’a pas été exécutée convenablement (le médicament qui a été délivré ne correspond pas à la bonne zone thérapeutique). Les patients veulent en général avoir l’assurance qu’ils ont bien reçu le médicament (le principe actif doit correspondre à la bonne zone thérapeutique) que leurs médecins leur ont prescrit. En temps normal, les patients ne sont pas inquiets d’avoir reçu un médicament de marque différente lorsque l’apparence (couleur, forme et/ou taille) de leur médicament a changé. Il est donc évident que, si les patients accordent une signification à l’apparence de leurs médicaments ou de leurs inhalateurs, c’est que cette apparence indique l’effet ou l’usage thérapeutique du médicament ou de l’inhalateur. Par exemple, les patients parlent de leur inhalateur « bleu » de secours ou d’urgence, ou de leur inhalateur « violet » de tous les jours.

 

 

[31]           Dans une certaine mesure, ces témoignages ont été confirmés par les témoins de GSK, notamment par une admission du Dr Dales, pour qui la couleur était [traduction] « cliniquement utile pour les patients et les médecins qui peuvent ainsi savoir ce qu’il y a à l’intérieur […] »

 

[32]           J’ajouterais que, contrairement aux marques verbales Advair et Diskus, aucun avis n’est donné de la marque GSK sur l’emballage du produit ou sur l’inhalateur lui-même pour renforcer la prétendue association dans l’esprit de l’acheteur au point de vente. Le raisonnement qui résulte des précédents susmentionnés s’applique à la marque GSK, parce que GSK ne l’utilise jamais comme marque autonome, mais toujours concurremment avec Advair et Diskus. L’appellation Advair est manifestement la marque dominante et elle est parfois utilisée par les médecins comme référence de prescription.

 

[33]           La preuve établie aussi d’une manière concluante qu’aucun médecin ou pharmacien prudent ne s’en remettrait à la couleur ou à la forme d’un inhalateur pour émettre une opinion professionnelle sur le produit, et peu de patients feraient un choix fondé uniquement sur l’apparence d’un inhalateur sans étiquette. Avec une étiquette, les patients sont suffisamment équipés pour distinguer un produit d’un autre et pour prendre des décisions d’achat en connaissance de cause.

 

[34]           Au vu de ces témoignages, je suis d’avis que la couleur et la forme ne sont pas les attributs principaux par lesquels GSK distingue l’inhalateur Advair Diskus des marchandises de ses concurrents ou, qui plus est, par lesquels les acheteurs de cet inhalateur exercent leurs choix.

 

[35]           Je suis arrivé à la conclusion, selon la prépondérance de la preuve, que, bien que quelques patients fassent parfois un rapprochement entre l’apparence de la marque GSK et une provenance unique, la preuve ne suffit pas à appuyer la prétention de GSK selon laquelle c’est un rapprochement que ferait la majorité des patients. S’agissant des médecins et pharmaciens, je ne crois pas qu’ils feraient un tel rapprochement dans l’exercice de leur profession.

 

La preuve touchant les ventes et la commercialisation

[36]           Il ne fait aucun doute que GSK a élaboré, pour son inhalateur Advair Diskus, une stratégie marketing qui fait appel à un thème de conception uniforme. Cela ressort de la publicité et du conditionnement du produit. Je reconnais aussi que GSK a dépensé des millions de dollars pour faire connaître son inhalateur Advair Diskus dans des campagnes de publicité et de promotion. Simultanément, la promotion de la marque GSK en tant qu’élément de cette stratégie d’image de marque n’est pas aussi universelle ni aussi importante que celle que GSK emploie pour ses marques verbales Advair et Diskus. En outre, dans sa publicité, la marque GSK n’est pas décrite comme une marque autonome (c’est-à-dire sans étiquette) telle que son caractère distinctif en sortirait renforcé dans l’esprit des acheteurs.

 

[37]           GSK fait aussi valoir que, s’agissant de l’apparence, l’inhalateur Advair Diskus est unique au Canada, et largement utilisé. Ce caractère unique et ce rayonnement, affirme GSK, sont à l’origine de la notoriété de la marque GSK et de sa reconnaissance par le public.

 

[38]           Tout cela constitue une preuve pertinente, mais ce n’est pas, en soi, une preuve convaincante. Dans l’arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée (2000), [2000] 3 C.F. 145, 5 C.P.R. (4th) 180 (C.A.F.), le juge Marshall Rothstein, s’exprimant pour les juges majoritaires, a refusé d’admettre que des chiffres de vente importants et des dépenses publicitaires tout aussi importantes puissent attester un caractère distinctif alors que la marque verbale revendiquée « Export » n’avait jamais été employée seule (voir le paragraphe 79). Dans la décision Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Novopharm Ltd. (1994), 56 C.P.R. (3d) 289, à la page 313, 83 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.), le juge Rothstein avait aussi jugé que l’existence d’un monopole ne permettait pas à elle seule de dire que l’apparence d’un produit avait donné à ce produit une notoriété propre. Cette décision a été infirmée pour d’autres motifs : (1994), 83 F.T.R. 161, 56 C.P.R. (3d) 289, et (1994), 83 F.T.R. 233, 56 C.P.R. (3d) 344. Pareillement, dans l’arrêt Conseil canadien des ingénieurs c. Lubrication Engineers, Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 243, page 245, [1992] 2 C.F. 329 (C.A.F.), le juge James Hugessen avait estimé que l’emploi d’une marque en liaison avec les marchandises et dans leur publicité, sans rien de plus, ne suffisait pas à établir qu’elle avait acquis un caractère distinctif.

 

La couleur comme attribut fonctionnel

[39]           La prétention de la marque GSK à une notoriété propre du fait qu’elle utilise la couleur violette est encore affaiblie par le fait que, sur le marché, la couleur est reconnue comme un attribut fonctionnel des inhalateurs bronchiques. La preuve que j’ai devant moi donne à penser que la couleur des inhalateurs a acquis en partie un lien thérapeutique dont se servent les fabricants et les groupes d’intérêt public pour conseiller les patients. Par exemple, dans une publication de la Société canadienne de l’asthme destinée aux enfants asthmatiques[2], il est écrit que les inhalateurs contenant un médicament de soulagement sont généralement de couleur bleue et que les inhalateurs contenant un médicament d’entretien se présentent sous diverses couleurs. Cette distinction entre la couleur des inhalateurs de soulagement et celle des inhalateurs d’entretien est reflétée dans plusieurs autres exemples contenus dans le dossier, y compris dans des documents associés à GSK[3] et à l’Association pulmonaire[4]. Ce lien thérapeutique avec la couleur est également évoqué dans les passages suivants de l’affidavit de M. Lum, aux paragraphes 34 et 35 :

[traduction]

 

34.       Pour tous les types d’inhalateurs, la couleur joue un rôle important, parce qu’elle indique aux patients l’usage thérapeutique de l’inhalateur. Souvent, les patients prennent conjointement a) un médicament d’entretien comme le propionate de fluticasone/ xinafoate de salmétérol (par exemple Advair), le propionate de fluticasone (par exemple Flovent), ou le xinafoate de salmétérol (par exemple Serevent), et b) un médicament de secours, tel que le sulfate de salbutamol (par exemple Ventolin). La couleur de l’inhalateur, associée aux étiquettes qui y sont apposées, devient alors fonctionnelle, car elle apporte une autre garantie de bonne administration des médicaments. Il est courant aussi que des patients utilisent l’inhalateur à poudre sèche avec propionate de fluticasone (par exemple Flovent Diskus) et/ou l’inhalateur à poudre sèche avec xinafoate de salmétérol (par exemple Serevent Diskus), pour passer ensuite à l’inhalateur à poudre sèche avec propionate de fluticasone/xinafoate de salmétérol (par exemple Advair Diskus), ou inversement. Les patients remarquent en général le changement de couleur et ils l’attribuent à une différence d’usage ou d’objet thérapeutique. Certains patients peuvent aussi attribuer le changement de couleur à la différence survenue dans les principes actifs de l’inhalateur.

 

35.       D’après mon expérience, les patients associent généralement les couleurs de leurs inhalateurs à leur usage thérapeutique. Les couleurs sont souvent utilisées par les patients comme moyen de faire la distinction entre l’inhalateur qu’ils utilisent pour un soulagement immédiat (c’est-à-dire l’inhalateur de secours) et l’inhalateur qu’ils utilisent pour une thérapie préventive (c’est-à-dire entretien ou usage prophylactique). Par exemple, la majorité de mes patients qui utilisent des inhalateurs parlent de leurs inhalateurs « bleus » pour évoquer leurs inhalateurs de secours. Les patients prennent donc généralement conscience que la couleur de leur inhalateur tient lieu d’indicateur des effets thérapeutiques de l’inhalateur.

 

 

[40]           J’admets la position de GSK pour qui, du moins s’agissant des inhalateurs d’entretien ou de contrôle, ce lien fonctionnel avec la couleur n’est pas un obstacle rédhibitoire à l’enregistrement d’une marque fondée sur une couleur particulière. Cependant, dans un marché qui a engendré certains liens thérapeutiques avec la couleur du produit considéré, il devient plus difficile d’établir le caractère distinctif fondé en partie sur la couleur, et l’argument en faveur d’une notoriété propre a moins de force.

 

L’article 14 de la Loi

[41]           GSK invoque l’article 14 de la Loi et signale l’enregistrement antérieur de la marque GSK au Royaume-Uni. L’article 14 est ainsi formulé :

14. (1) Nonobstant l’article 12, une marque de commerce que le requérant ou son prédécesseur en titre a fait dûment déposer dans son pays d’origine, ou pour son pays d’origine, est enregistrable si, au Canada, selon le cas :

 

a) elle ne crée pas de confusion avec une marque de commerce déposée;

 

b) elle n’est pas dépourvue de caractère distinctif, eu égard aux circonstances, y compris la durée de l’emploi qui en a été fait dans tout pays;

 

c) elle n’est pas contraire à la moralité ou à l’ordre public, ni de nature à tromper le public;

 

d) son adoption comme marque de commerce n’est pas interdite par l’article 9 ou 10.

 

Assimilation à marques déposées à l’étranger

 

(2) Une marque de commerce qui diffère de la marque de commerce déposée dans le pays d’origine seulement par des éléments qui ne changent pas son caractère distinctif ou qui ne touchent pas à son identité dans la forme sous laquelle elle est déposée au pays d’origine, est considérée, pour l’application du paragraphe (1), comme la marque de commerce ainsi déposée.

14. (1) Notwithstanding section 12, a trade-mark that the applicant or the applicant’s predecessor in title has caused to be duly registered in or for the country of origin of the applicant is registrable if, in Canada,

 

 

(a) it is not confusing with a registered trade-mark;

 

 

 

(b) it is not without distinctive character, having regard to all the circumstances of the case including the length of time during which it has been used in any country;

 

(c) it is not contrary to morality or public order or of such a nature as to deceive the public; or

 

 

(d) it is not a trade-mark of which the adoption is prohibited by section 9 or 10.

 

 

Trade-marks regarded as registered abroad

 

(2) A trade-mark that differs from the trade-mark registered in the country of origin only by elements that do not alter its distinctive character or affect its identity in the form under which it is registered in the country of origin shall be regarded for the purpose of subsection (1) as the trade-mark so registered.

 

 

La disposition ci-dessus n’abaisse pas, selon moi, la norme à observer pour établir le caractère distinctif d’une marque selon l’article 18 de la Loi. L’article 14 doit être lu conjointement avec l’article 12. Il me semble que l’objet de l’article 14 était de supprimer certains des obstacles à l’enregistrabilité qui sont énoncés dans l’article 12, lorsqu’une marque a été enregistrée à l’étranger. La disposition n’élimine pas, cependant, la nécessité du caractère distinctif dont parle l’alinéa 18b). Mais, pour le cas où je ferais fausse route ici, j’affirme que la preuve produite dans la présente instance ne suffit pas à atteindre le niveau de preuve, qu’on pourrait qualifier de faible, reconnu par la Cour dans la décision Fairmont Resort Properties Ltd., précitée. Voir aussi l’arrêt Conseil canadien des ingénieurs, précité, page 245.

 

IV.       Conclusion

[42]           En conclusion, et pour paraphraser les propos tenus par la juge Dawson dans la décision Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB, précitée, la question qui se pose ici est la suivante : « que signifie pour un médecin, un pharmacien ou un patient un inhalateur circulaire dépourvu d’étiquette et comportant deux tons de violet? » Cette question appelle la même réponse : pas suffisamment pour qu’on puisse dire qu’il présente un caractère distinctif. Vu cette conclusion, il ne m’est pas nécessaire d’examiner l’argument des demanderesses selon lequel la marque GSK aurait dû être enregistrée en tant que signe distinctif.

 

[43]           Je suis d’avis que les demanderesses se sont acquittées du fardeau de la preuve et ont établi que la marque GSK n’est pas distinctive. La demande sera donc accueillie et l’enregistrement de la marque canadienne n° 687,313 sera radié du Registre des marques de commerce.

 

[44]           Les demanderesses ont droit à leurs dépens, payables par GSK. Je laisserai aux parties le soin de régler cet aspect, à défaut de quoi j’examinerai les observations écrites de leurs avocats, qui ne devront pas dépasser dix (10) pages.

 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la demande est accueillie et que l’enregistrement de la marque canadienne n° 687,313 est radié du Registre des marques de commerce.

 

LA COUR STATUE EN OUTRE que GSK paiera aux demanderesses leurs dépens et que la Cour réserve sa décision sur la question du quantum, au besoin.

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2240-07

 

INTITULÉ :                                       APOTEX INC. et autres

                                                            c.

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE et autre

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LES 26 ET 27 OCTOBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 12 MARS 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Carol Hitchman/Esther Jeon

416-865-4023

 

Christopher Tan

416‑777-0888

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

James Mills/Grant Lynds

613‑233-1781

 

POUR LA DÉFENDERESSE –

GLAXO GROUP LIMITED

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gardiner Roberts LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE –

GLAXO GROUP LIMITED

 

 



[1]    Voir aussi la décision Royal Doulton Tableware Ltd., précitée, à la page 371, où la Cour écrivait que l’objet d’une marque était de faciliter l’achat d’un produit à partir d’une source à laquelle le consommateur fait confiance.

 

[2]    Be a Secret Asthma Agent, pages 394 et 395 du dossier des demanderesses.

[3]    The 30-Second Asthma Test, page 165 du dossier des demanderesses.

[4]    Voir pages 174, 181 et 184 du dossier des demanderesses.

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