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Date : 20100312

Dossier : T‑127‑09

Référence : 2010 CF 283

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

MOLSON CANADA 2005

demanderesse

et

 

ANHEUSER‑BUSCH, INCORPORATED

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, modifiée (la Loi), d’une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission ou la C.O.M.C.) en date du 28 novembre 2008. Dans cette décision, la registraire des marques de commerce a rejeté l’opposition de la demanderesse Molson à la demande 1091807 (la demande 807) produite par la défenderesse Anheuser‑Busch pour l’enregistrement de la marque de commerce BUDWEISER en script sur le dessin de l’étiquette en vue de son emploi en liaison avec de la bière et des articles vestimentaires, nommément tee‑shirts et chapeaux, et des récipients à boire, nommément tasses, grosses tasses, verres et chopes.

 

[2]               La demanderesse sollicite un jugement déclaratoire portant que la registraire des marques de commerce a commis une erreur en rejetant son opposition à la demande 807, une ordonnance infirmant la décision de la registraire des marques de commerce et refusant la demande 807, le tout avec dépens. La défenderesse soutient que la Cour devrait rejeter l’appel et confirmer la décision du 28 novembre 2008, le tout avec dépens.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, l’appel est accueilli en partie. La registraire des marques de commerce n’avait pas le pouvoir de limiter la portée de la protection conférée à la marque de l’opposante en l’espèce. La demande 807 crée de la confusion avec la marque déposée LMCDF 40809 portant sur une marchandise, en l’occurrence de la « bière ». La décision de la registraire était raisonnable en ce qui concerne les « articles vestimentaires, nommément tee‑shirts et chapeaux, et récipients à boire, nommément tasses, grosses tasses, verres et chopes ».

 

I.          La demande en litige

 

[4]               Anheuser‑Busch qualifie la demande 807 de version « mise à jour » d’étiquettes de bière déjà enregistrées. Anheuser‑Busch a déposé sa demande le 6 février 2001 en se fondant sur un emploi projeté au Canada en liaison avec de la bière et des articles vestimentaires, nommément des tee‑shirts et chapeaux, et des récipients à boire, nommément tasses, grosses tasses, verres et chopes (les marchandises autres que la bière).

 

[5]               La défenderesse affirme au paragraphe 19 de son mémoire que la demande 807 a été déposée sur le fondement d’un emploi projeté [traduction] « parce que l’étiquette diffère sous certains aspects mineurs de l’étiquette déjà employée et enregistrée par Anheuser‑Busch ».

 

[6]               La demande 807 est reproduite ci‑dessous :

 

II.         Les marques déposées

 

[7]               Il existe présentement dans le registre trois marques qui nous intéressent directement en l’espèce. On ne trouve dans le dossier aucune explication en ce qui concerne la façon dont ces marques très semblables ont pu être enregistrées par des inscrivants différents.

 

[8]               La première marque concerne l’étiquette de bière appartenant à Molson, LMCDF 40809, la marque Standard Lager. Cette marque a été enregistrée en 1926 par Drewry’s Limited en vue de son emploi en liaison avec la marque Standard Lager. Elle est passée entre les mains de propriétaires successifs pour se retrouver en la possession de Molson et elle n’a pratiquement jamais été modifiée jusqu’à aujourd’hui. Suivant la preuve versée au dossier, la lager de marque Standard Lager est vendue sans interruption au Canada depuis 1926, il s’agit d’une marque‑créneau qui est vendue presqu’exclusivement au Manitoba et Molson ne fait pas la promotion de cette marque en accordant des dollars à titre promotionnel, des promotions spéciales ou des cadeaux promotionnels.

 

[9]               Voici la forme sous laquelle se présente la marque Standard Lager :

 

[10]           En deuxième et troisième lieux viennent les étiquettes appartenant à Anheuser‑Busch et portant les numéros LMC 172014 et LMC 168703, les étiquettes Budweiser. Ces marques ont été enregistrées en 1970 en vue d’être employées en liaison avec de la bière, sur le fondement d’un emploi au Canada remontant au moins à 1957 et 1903 respectivement. Suivant la preuve versée au dossier, Budweiser utilise pratiquement la même étiquette au Canada depuis les années 1880, Anheuser‑Busch est titulaire de plusieurs enregistrements portant sur des marques de commerce associées à la demande 807, et Budweiser est une des bières les plus vendues au Canada, elle fait l’objet d’une commercialisation poussée et on trouve une série de produits connexes tels que des vêtements, des refroidisseurs de bière, etc.

 

[11]           Voici les étiquettes Budweiser :

LMC 172014 :

 

LMC 168703 :

 

III.       Genèse de l’instance

 

[12]           Le contentieux qui oppose les parties à l’instance au sujet des trois marques déposées ne date pas d’hier.

 

A.                 L’arrêt de la Cour d’appel (Brasseries Carling O’Keefe du Canada Ltée c. Anheuser‑Busch Inc. (1986), 10 C.P.R. (3d) 433; 68 N.R. 226 (C.A.F.)) (l’arrêt de la Cour d’appel).

 

[13]           En 1980, les Brasseries Carling O’Keefe du Canada Ltée. (Carling), alors propriétaire de la marque Standard Lager, introduisait une action devant la Cour fédérale contre Anheuser‑Busch pour contrefaçon et commercialisation trompeuse de sa marque Standard Lager. Carling réclamait également la radiation de l’enregistrement des étiquettes Budweiser.

 

[14]           Anheuser‑Busch a contesté l’action et a présenté une demande reconventionnelle dans laquelle elle cherchait à faire radier l’enregistrement de la marque Standard Lager. Elle réclamait la radiation de la marque de Carling au motif que celle‑ci avait copié une étiquette antérieure de Budweiser et qu’elle en avait obtenu l’enregistrement sans droit.

 

[15]           Le juge de première instance a conclu que les éléments graphiques de la marque Standard Lager ne constituaient pas une conception originale et qu’à défaut d’être effectivement copiés sur la marque de la défenderesse, les éléments en question s’inspiraient à tout le moins de la marque de la défenderesse et avaient été conçus par des personnes qui connaissaient cette marque (Brasseries Carling O’Keefe du Canada Ltée c. Anheuser‑Busch Inc. (1982), 68 C.P.R. (2d) 1, [1982] A.C.F. no 1110 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 23).

 

[16]           Cette décision a été portée en appel devant la Cour d’appel. La Cour d’appel a infirmé le jugement de première instance sur la question de la confusion et a tiré quatre conclusions importantes :

1)         Les marques de commerce se ressemblaient au point de créer de la confusion et il était impossible de ne pas conclure qu’elles créaient de la confusion.

 

2)         L’obtention de la marque par Drewry en 1929 était entachée d’irrégularités. La Cour d’appel a jugé qu’à défaut d’être effectivement une copie, la marque était inspirée de l’étiquette Budweiser et conçue par des personnes qui connaissaient cette dernière (les irrégularités entachant l’enregistrement).

 

3)         Si la marque Standard Lager avait été attaquée en temps opportun, cette contestation aurait certainement réussi. Carling a toutefois pu invoquer un moyen tiré de l’equity, à savoir la défense d’inertie et d’acquiescement, malgré les irrégularités entachant l’enregistrement initial. La Cour d’appel a estimé que rien dans la preuve ne permettait de penser que les agissements de Drewry qui lui avaient permis d’obtenir l’enregistrement pouvaient être attribués à Carling.

 

4)         En raison de l’inertie et de l’acquiescement des deux parties, aucune d’entre elles ne devait être autorisée à faire radier l’enregistrement de l’autre.

 

[17]           En conséquence, bien que la Cour d’appel n’ait pas expressément déclaré que les enregistrements devaient « coexister » dans le registre, c’est effectivement ce qui s’est produit. Les deux enregistrements se trouvent toujours dans le registre et ils sont valides. L’emploi des marques n’a été assujetti à aucune restriction, y compris en ce qui a trait au territoire desservi.

 

B.         Opposition d’Anheuser‑Busch (Anheuser‑Busch Inc. c. Molson Breweries, a Partnership (1993), 49 C.P.R. (3d) 402; [1993] C.O.M.C. no 13 (C.O.M.C.)

 

[18]           En 1993, Anheuser‑Busch s’est opposée avec succès à la demande présentée par Molson pour l’enregistrement d’une version actualisée de sa marque Standard Lager en vue de son emploi en liaison avec de la bière. L’opposition a été accueillie au motif que la marque Standard Lager « actualisée » visée par la demande d’enregistrement créait de la confusion avec les marques Budweiser. La Commission des oppositions des marques de commerce (C.O.M.C.) s’est estimée contrainte de conclure que les marques créaient de la confusion en raison de la conclusion déjà tirée par la Cour d’appel.

 

C.        Opposition de Molson (Molson Breweries, a Partnership c. Anheuser‑Busch, Inc. (1995), 66 C.P.R. (3d) 92; [1995] C.O.M.C. no 213 (C.O.M.C.)

 

[19]           En 1995, Molson a cherché sans succès de s’opposer à la tentative faite par Anheuser‑Busch pour faire enregistrer les étiquettes Budweiser en vue de leur emploi en liaison avec diverses marchandises qui ne comprenaient pas de la bière. À l’audience, Anheuser‑Busch a fait valoir qu’il serait injuste ou inéquitable que le registraire refuse à Anheuser‑Busch le droit de faire enregistrer sa marque, compte tenu des procédures antérieures. Le registraire a rejeté cet argument, déclarant que la C.O.M.C. n’était pas compétente pour tenir compte des règles de droit tirées de l’equity. L’opposition a été rejetée pour d’autres motifs.

 

D.        Action récente en contrefaçon et en commercialisation trompeuse

 

[20]           En 2002, Anheuser‑Busch a poursuivi Molson devant la Cour fédérale pour contrefaçon et commercialisation trompeuse des étiquettes Budweiser. Anheuser‑Busch soutenait que Molson prévoyait lancer sa marque Standard Lager en Ontario et la vendre par l’intermédiaire du réseau des magasins « Beer Store ». Les parties sont parvenues à un règlement.

 

IV.       Décision de la C.O.M.C. visée par le présent appel

 

[21]           La demande 807 a été déposée le 6 février 2001 et a été publiée le 11 décembre 2002. La demanderesse s’est opposée à la demande 807 le 13 février 2003. À la suite d’une audience complète, la C.O.M.C. a rejeté l’opposition en vertu du paragraphe 38(8) de la Loi le 28 novembre 2008.

 

[22]           Les motifs d’opposition peuvent être résumés comme suit :

•           la demande 807 n’est pas enregistrable parce qu’elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée, en l’occurrence la marque Standard Lager;

 

•           Anheuser‑Busch n’est pas la personne qui a droit à l’enregistrement étant donné que sa demande est fondée sur un emploi projeté et que sa marque crée de la confusion avec une marque de commerce qui a été employée au Canada par Molson, en l’occurrence la marque Standard Lager;

 

•           la demande 807 n’est pas distinctive étant donné qu’elle ne se distingue pas des marchandises de Molson qui sont vendues en liaison avec la marque Standard Lager, en l’occurrence de la bière.

 

[23]           La présidente de la C.O.M.C. a scindé ses motifs en deux parties en fonction des marchandises en cause. La première partie de la décision porte sur la bière visée par la demande 807, tandis que la seconde concerne les marchandises autres que la bière.

 

A.        Bière

 

[24]           Pour tirer sa conclusion au sujet de la bière, la commissaire s’est fortement inspirée de l’arrêt de la Cour d’appel.

 

[25]           La commissaire a expliqué que, comme les parties convenaient qu’il y avait une probabilité de confusion entre les marques employées en liaison avec de la bière, il n’était pas nécessaire d’entreprendre une analyse fondée sur le paragraphe 6(5) de la Loi. La commissaire a estimé que la question à trancher était celle de savoir si l’opposante devait être autorisée à invoquer sa marque Standard Lager devant la C.O.M.C.

 

[26]           À la page 8 de la décision, la commissaire explique que la demanderesse Budweiser demandait à la Commission de suivre l’arrêt de la Cour d’appel et d’être autorisée à enregistrer une version actualisée de l’étiquette. La commissaire déclare : « Pour ce faire, cependant, je dois déterminer si j’ai compétence pour limiter la protection accordée à la marque de l’Opposante en l’espèce ».

 

[27]           La commissaire a estimé qu’elle avait cette compétence. Elle a conclu que l’arrêt de la Cour d’appel avait été rendu à la suite d’une audience complète tenue avec les mêmes parties et presque les mêmes marques que celles employées en liaison avec de la bière. La commissaire a ensuite conclu que la Cour d’appel avait jugé que la marque Standard Lager avait été obtenue sans droit. Elle cite le jugement Sunbeam Products Inc. c. Mister Coffee & Services Inc. (2001), 16 C.P.R. (4th) 53; 2001 CFPI 1218, à l’appui de la position que la registraire a compétence pour déclarer qu’un opposant ne peut invoquer un emploi illégal de sa marque si la question de la légalité est claire. Voici ce qu’elle écrit à ce propos :

Compte tenu de l’arrêt de la Cour fédérale et de la jurisprudence examinée plus tôt, j’estime avoir le pouvoir de limiter la portée de la protection accordée à la marque de l’Opposante en l’espèce et d’autoriser la coexistence des marques des parties, comme la Cour d’appel fédérale l’a fait. Par conséquent, je rejette chacun des motifs d’opposition relatifs à la bière.

 

Je tiens à ajouter qu’en limitant la portée de la protection accordée à la marque de l’Opposante en raison des faits particuliers de la présente affaire, j’estime ne pas causer de « grave injustice » ou l’« annihilation de l’achalandage de l’Opposante » comme cela aurait pu être le cas si j’avais été un juge de la Cour fédérale appelé à décider si la marque de l’Opposante doit être radiée. Je suis consciente que la Loi vise notamment à accorder une protection aux propriétaires de marques, déposées ou non, mais, étant donné que la Cour d’appel fédérale a déjà limité la portée de la protection accordée à la marque de l’Opposante, il semble raisonnable et logique que j’en fasse autant puisque sont concernées les mêmes parties et presque les mêmes marques.

 

[28]           La commissaire a continué en établissant une distinction entre la présente affaire et les décisions rendues par la C.O.M.C. dans les affaires Anheuser‑Busch, Inc. c. Molson Breweries, a Partnership (1993), précitée, et Molson Breweries, a Partnership c. Anheuser‑Busch, Inc. (1995), précitée. La commissaire a expliqué que, comme la question de savoir si l’enregistrement de l’opposante Molson devait se voir accorder une protection limitée compte tenu de l’arrêt de la Cour d’appel n’avait pas été soulevée par la C.O.M.C. dans sa décision de 1993, le même raisonnement ne pouvait s’appliquer en l’espèce.

 

B.         Les marchandises autres que la bière

 

[29]           La commissaire a conclu qu’il n’y avait pas de probabilité raisonnable de confusion entre les marques de l’opposante et de la demanderesse employées en liaison avec des articles vestimentaires, nommément des tee‑shirts et chapeaux, et des récipients à boire, nommément tasses, grosses tasses, verres et chopes. La commissaire a estimé que l’opposante Molson n’avait pas établi pourquoi la portée de la protection accordée à son étiquette Standard Lager devait s’étendre à des marchandises qui n’étaient pas liées à des boissons alcoolisées brassées. Elle a par conséquent rejeté chacun des motifs d’opposition dans le cas des marchandises autres que la bière.

 

V.        Questions en litige

 

[30]           La demanderesse soutient que la registraire a commis une erreur de fait et de droit :

•           en ne refusant pas la demande 807 sur le fondement du motif d’opposition tiré des alinéas 38(2)b), c), d), 12(1)d), 16(3)a) de la Loi;

 

•           en concluant qu’elle avait compétence pour limiter la portée de la protection accordée à la marque Standard Lager, en permettant la présentation d’une demande visant une marque de commerce faisant l’objet d’une opposition dans laquelle les parties admettent qu’il existe une probabilité de confusion en ce qui concerne la bière, alors que la Cour d’appel fédérale a déjà jugé que les marques de commerce pratiquement identiques de la demanderesse créent de la confusion avec la marque de commerce déposée de l’opposante et en concluant que la marque de commerce faisant l’objet de l’opposition crée de la confusion avec la marque Standard Lager, tout en rejetant néanmoins l’opposition en se fondant sur les alinéas 38(2)b) et 12(1)d) au motif que l’enregistrement initial était entaché d’irrégularités qui ne pouvaient aucunement être imputées à Molson;

 

•           en ne permettant qu’à Molson de bénéficier de la marque Standard Lager au cours de l’instance;

 

•           en refusant d’accepter la marque Standard Lager telle qu’elle se présentait et, ce faisant, en concluant qu’une procédure d’opposition constitue un moyen approprié pour apporter tacitement des modifications au registre des marques de commerce;

 

•           en ne refusant pas la demande 807 compte tenu des faits plaidés.

 

[31]           La défenderesse soutient que les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :

•           la norme de contrôle appropriée;

 

•           la question de savoir si Molson a démontré que la registraire a commis une erreur en décidant que :

o          lorsqu’on applique l’arrêt rendu en 1986 par la Cour d’appel fédérale, la justice commande que l’on permette à la demande 807 de coexister avec la marque Standard Lager dans le registre des marques de commerce;

 

o          vu l’ensemble de la preuve, il n’y a pas de probabilité raisonnable de confusion entre la marque Standard Lager et la demande 807 pour ce qui est des marchandises autres que la bière;

 

o          l’opposition portant sur la bière peut être examinée séparément de l’opposition visant les marchandises autres que la bière.

 

A.        Thèse des parties

 

[32]           Fait plutôt rare dans le cas d’une procédure d’opposition, les deux parties s’entendent pour dire qu’il y a une probabilité de confusion entre les marques en litige dans la présente demande qui sont destinées à être employées en liaison avec de la bière.

 

[33]           Leur terrain d’entente se limite toutefois à cet aspect. La demanderesse Molson soutient que la commissaire n’a pas la compétence pour limiter la portée de la protection accordée à son enregistrement. Sa thèse est qu’en rejetant son opposition, la commissaire a effectivement déclaré que les marques ne créaient pas de la confusion au motif que la commissaire a le pouvoir de limiter la portée de la protection accordée à la marque déposée de Molson en raison des irrégularités entachant l’enregistrement initial.

 

[34]           La défenderesse soutient pour sa part que la décision de la commissaire ne devrait pas être modifiée.

 

VI.       La norme de contrôle

 

[35]           Aux termes du paragraphe 56(1) de la Loi, toute décision rendue par le registraire des marques de commerce est susceptible d’appel devant la Cour fédérale :

 

Appel

 

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

 

 

 

Appeal

 

56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

 

[36]           Selon le paragraphe 56(5) de la Loi, de nouveaux éléments de preuve peuvent être présentés en appel et la Cour fédérale peut exercer tout pouvoir discrétionnaire dévolu au registraire.

 

[37]           Dans le cas qui nous occupe, Molson a déposé des éléments de preuve supplémentaires, à savoir l’affidavit de Marisa Hood, auquel était jointe une copie certifiée conforme de l’exposé détaillé de l’enregistrement LMCDF 40809 de Molson, ainsi que des copies certifiées conformes de documents du greffe de la Cour fédérale portant sur l’action intentée en 2002 contre Molson. Lorsque les éléments de preuve supplémentaires présentés en appel auraient pu avoir un effet sur les conclusions de fait du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit reprendre depuis le début l’examen de la question en tenant compte de l’ensemble de la preuve (Shell Canada Limitée c. P.T. Sari Incofood Corporation, 2008 CAF 279, 68 C.P.R. (4th) 390)).

 

[38]           Dans son mémoire, la demanderesse affirme que les documents joints à l’affidavit de Mme Hood ont été fournis simplement pour situer dans son contexte le différend opposant les parties. Elle ajoute qu’elle ne prétend pas que la présentation des éléments de preuve supplémentaires oblige la Cour à reprendre depuis le début l’examen  de la question. J’abonde dans son sens.

 

[39]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême a défini deux normes de contrôle dans le cas des décisions administratives : la norme de la raisonnabilité et la norme de la décision correcte. Empreinte de déférence, la norme de la raisonnabilité s’applique habituellement lorsque le décideur interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie. La question de droit qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui est étrangère au domaine d’expertise du décideur administratif appelle la norme de la décision correcte. Au paragraphe 59 de l’arrêt Dunsmuir, les juges Bastarache et Lebel écrivent, pour la majorité : « Un organisme administratif doit également statuer correctement sur une question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité ».

 

[40]           La question de la norme de contrôle à appliquer lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi habilitante a récemment été examinée dans l’affaire Association des pilotes fédéraux du Canada c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 223, 392 N.R. 128, aux paragraphes 36 à 51. Le juge John Maxwell Evans y affirme que la norme de la décision correcte est celle qui convient dans le cas des véritables questions de compétence ou de constitutionnalité  que soulève notamment l’interprétation de dispositions législatives qui distinguent les compétences respectives afférentes à différents régimes administratifs. Dans ces conditions, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

 

[41]           La décision de la commissaire de limiter la portée de la protection de la marque Standard Lager est une question de compétence. En l’espèce, comme nous le verrons plus loin, l’interprétation que la Commission fait de sa propre compétence se heurte à la compétence que l’article 57 de la Loi confère à la Cour fédérale. Il y a donc lieu d’appliquer la norme de la décision correcte lors du contrôle de la question de compétence. Toutes les autres questions seront assujetties quant à elles à la norme de la décision raisonnable (Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, 49 C.P.R. (4th) 321, Guido Berlucchi & C.S.r.l. c. Brouillette Kosie Prince, 2007 CF 245, 56 C.P.R. (4th) 401)). Dans son analyse de la raisonnabilité, la Cour s’interroge sur l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, pour reprendre la formulation de l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

 

VII.      Le cadre législatif

 

[42]           Le paragraphe 38(8) de la Loi sur les marques de commerce précise les pouvoirs qui sont conférés au registraire lors d’une audience portant sur une opposition. Il dispose :

 

[…]

 

Décision

 

(8) Après avoir examiné la preuve et les observations des parties, le registraire repousse la demande ou rejette l’opposition et notifie aux parties sa décision ainsi que ses motifs.

[…]

 

Décision

 

(8) After considering the evidence and representations of the opponent and the applicant, the Registrar shall refuse the application or reject the opposition and notify the parties of the decision and the reasons for the decision.

 

[43]           L’article 57 de la Loi précise la compétence de la Cour fédérale en matière de radiation ou de modification du registre des marques de commerce :

Juridiction exclusive de la Cour fédérale

 

57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

 

Restriction

 

(2) Personne n’a le droit d’intenter, en vertu du présent article, des procédures mettant en question une décision rendue par le registraire, de laquelle cette personne avait reçu un avis formel et dont elle avait le droit d’interjeter appel.

 

 

Exclusive jurisdiction of Federal Court

 

57. (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark.

 

Restriction

 

(2) No person is entitled to institute under this section any proceeding calling into question any decision given by the Registrar of which that person had express notice and from which he had a right to appeal.

 

[44]           Les droits conférés au propriétaire d’une marque déposée sont énoncés à l’article 19 :

Droits conférés par l’enregistrement

 

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle‑ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

 

 

Rights conferred by registration

 

19. Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade‑mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade‑mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade‑mark in respect of those wares or services.

[45]           Est enregistrable la marque qui réunit les conditions suivantes, énoncées à l’article 12 :

Marque de commerce enregistrable

 

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

a) elle est constituée d’un mot n’étant principalement que le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;

 

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

 

c) elle est constituée du nom, dans une langue, de l’une des marchandises ou de l’un des services à l’égard desquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer;

 

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

 

e) elle est une marque dont l’article 9 ou 10 interdit l’adoption;

 

f) elle est une dénomination dont l’article 10.1 interdit l’adoption;

 

g) elle est constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée et elle doit être enregistrée en liaison avec un vin dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication;

 

h) elle est constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée et elle doit être enregistrée en liaison avec un spiritueux dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication;

 

i) elle est une marque dont l’adoption est interdite par le paragraphe 3(1) de la Loi sur les marques olympiques et paralympiques, sous réserve du paragraphe 3(3) et de l’alinéa 3(4)a) de cette loi.

 

 

When trade‑mark registrable

 

 

12. (1) Subject to section 13, a trade‑mark is registrable if it is not

 

 

 

(a) a word that is primarily merely the name or the surname of an individual who is living or has died within the preceding thirty years;

 

 

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

 

 

 

 

 

(c) the name in any language of any of the wares or services in connection with which it is used or proposed to be used;

 

 

 

 

(d) confusing with a registered trade‑mark;

 

 

(e) a mark of which the adoption is prohibited by section 9 or 10;

 

(f) a denomination the adoption of which is prohibited by section 10.1;

 

(g) in whole or in part a protected geographical indication, where the trade‑mark is to be registered in association with a wine not originating in a territory indicated by the geographical indication;

 

(h) in whole or in part a protected geographical indication, where the trade‑mark is to be registered in association with a spirit not originating in a territory indicated by the geographical indication; and

 

(i) subject to subsection 3(3) and paragraph 3(4)(a) of the Olympic and Paralympic Marks Act, a mark the adoption of which is prohibited by subsection 3(1) of that Act.

[46]           Il est possible de s’opposer à une marque de commerce en invoquant un des motifs énumérés à l’article 38 :

Déclaration d’opposition

 

38. (1) Toute personne peut, dans le délai de deux mois à compter de l’annonce de la demande, et sur paiement du droit prescrit, produire au bureau du registraire une déclaration d’opposition.

 

 

 

Motifs

 

(2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

 

a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30;

 

 

b) la marque de commerce n’est pas enregistrable;

 

c) le requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement;

 

d) la marque de commerce n’est pas distinctive.

Statement of opposition

 

38. (1) Within two months after the advertisement of an application for the registration of a trade‑mark, any person may, on payment of the prescribed fee, file a statement of opposition with the Registrar.

 

 

Grounds

 

(2) A statement of opposition may be based on any of the following grounds:

 

(a) that the application does not conform to the requirements of section 30;

 

(b) that the trade‑mark is not registrable;

 

(c) that the applicant is not the person entitled to registration of the trade‑mark; or

 

(d) that the trade‑mark is not distinctive.

 

 

[47]           L’article 6 précise dans quels cas on considère qu’une marque de commerce crée de la confusion et énumère les facteurs dont on doit tenir compte pour déterminer s’il y a confusion :

Quand une marque ou un nom crée de la confusion

 

6. (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

 

Idem

 

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

Idem

 

(3) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec un nom commercial, lorsque l’emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à cette marque et les marchandises liées à l’entreprise poursuivie sous ce nom sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à cette marque et les services liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.

 

Idem

 

(4) L’emploi d’un nom commercial crée de la confusion avec une marque de commerce, lorsque l’emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à l’entreprise poursuivie sous ce nom et les marchandises liées à cette marque sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom et les services liés à cette marque sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.

 

 

Éléments d’appréciation

 

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

When mark or name confusing

 

 

6. (1) For the purposes of this Act, a trade‑mark or trade‑name is confusing with another trade‑mark or trade‑name if the use of the first mentioned trade‑mark or trade‑name would cause confusion with the last mentioned trade‑mark or trade‑name in the manner and circumstances described in this section.

 

 

 

 

 

 

Idem

 

(2) The use of a trade‑mark causes confusion with another trade‑mark if the use of both trade‑marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade‑marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

 

 

 

 

 

 

Idem

 

(3) The use of a trade‑mark causes confusion with a trade‑name if the use of both the trade‑mark and trade‑name in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with the trade‑mark and those associated with the business carried on under the trade‑name are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

 

 

 

 

 

Idem

 

(4) The use of a trade‑name causes confusion with a trade‑mark if the use of both the trade‑name and trade‑mark in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with the business carried on under the trade‑name and those associated with the trade‑mark are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

 

 

 

 

 

 

 

What to be considered

 

(5) In determining whether trade‑marks or trade‑names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

 

(a) the inherent distinctiveness of the trade‑marks or trade‑names and the extent to which they have become known;

 

 

(b) the length of time the trade‑marks or trade‑names have been in use;

 

 

(c) the nature of the wares, services or business;

 

(d) the nature of the trade; and

 

(e) the degree of resemblance between the trade‑marks or trade‑names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

 

VIII.     Analyse

 

[48]           La procédure d’opposition à une marque de commerce est régie par des règles précises se rapportant au droit à l’enregistrement. Au cœur de toute opposition se pose la question suivante : le demandeur a‑t‑il le droit d’enregistrer la marque de commerce revendiquée dans la demande? Les faits de la présente affaire sont tout à fait uniques; ils tournent en effet autour de la question des droits, s’il en est, que Molson peut revendiquer au sujet de l’enregistrement de la marque de commerce Standard Lager.

 

[49]           La registraire a scindé ses motifs en deux parties. La première partie porte sur la bière visée par la demande 807, tandis que la seconde concerne les marchandises autres que la bière. La registraire a rejeté l’opposition tant dans le cas de la bière que dans le cas des autres marchandises. Toutefois, par souci de commodité, je vais reprendre cette analyse scindée dans mes motifs.

 

[50]           À l’audience, la défenderesse a laissé tomber tout moyen tiré de la « mauvaise foi » dont serait entaché l’enregistrement initial de la marque Standard Lager, selon l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, et qui pourrait être imputée à la demanderesse. Je constate que la Cour d’appel n’a imputé aucune « mauvaise foi » aux Brasserie Carling O’Keefe du Canada Ltée dans l’arrêt précité, de sorte qu’on ne peut en attribuer aucune à la demanderesse.

 

A.        Application à la présente affaire de l’arrêt rendu en 1986 par la Cour d’appel

 

[51]           Avant d’examiner la compétence de la registraire pour limiter la portée de la protection conférée à la marque Standard Lager, il est nécessaire que je m’arrête un instant sur la question de l’application à la présente affaire de l’arrêt rendu en 1986 par la Cour d’appel.

 

[52]           En 1986, la Cour d’appel s’est prononcée sur l’enregistrement, le 16 novembre 1926, de la marque de commerce Standard Lager portant le numéro 40809, et sur l’enregistrement, le 23 avril 1970 de la demande 168703, et de la demande 172014, le 16 octobre 1970 (les étiquettes Budweiser). Dans cette affaire, les deux marques étaient enregistrées et chacune comportait les droits prévus à l’article 19 de la Loi.

 

[53]           La marque Standard Lager n’a pas été radiée et l’arrêt de la Cour d’appel a donné lieu à la coexistence, dans le registre, des trois marques déposées en tant que marques valides. La Cour d’appel n’a pas expressément limité la portée de la protection dont pouvaient bénéficier les marques déposées. Les limites que la décision a pu apporter à la marque Standard Lager ne valaient que pour les étiquettes Budweiser en litige dans cette affaire.

 

[54]           La défenderesse affirme que la présente affaire rouvre le débat sur les questions sur lesquelles la Cour d’appel s’est déjà prononcée. L’intitulé qui se trouve à la page 7 de son mémoire résume bien sa thèse : [traduction] « Décision judiciaire antérieure – Mêmes marques ».

 

[55]           Je ne suis pas de son avis. En l’espèce, le débat porte sur l’enregistrabilité de la demande 807, sur le fondement d’un emploi projeté, compte tenu de la marque déposée Standard Lager.

 

[56]           Pendant tout le déroulement de la présente instance, y compris à l’étape de l’opposition, les parties ont qualifié la demande 807 de version « actualisée » des étiquettes Budweiser, qui bénéficient déjà d’une protection en tant que marques déposées. Le fait d’employer des qualificatifs différents ne saurait changer la réalité juridique, c’est‑à‑dire le fait que la défenderesse a choisi de déposer une nouvelle demande en se fondant sur un emploi projeté, en vue de protéger le nouveau dessin qu’arbore l’étiquette.

 

[57]           La demande 807 vise une seule et unique marque de commerce. Une demande portant sur une étiquette Budweiser « actualisée » ne peut revendiquer de protection contre les restrictions que l’arrêt de la Cour d’appel a pu apporter à la marque Standard Lager en ce qui concerne les marques de commerce canadiennes enregistrées sous les numéros 168703 et 172014. Bien qu’elle coexiste dans le registre avec les marques portant sur les étiquettes Budweiser, la marque déposée LMCDF 40809 Standard Lager n’a pas été radiée ni limitée par l’arrêt de la Cour d’appel.

 

B.         Compétence

 

[58]           Dans sa décision, la commissaire a expliqué que la question en litige était celle de savoir si l’opposante devait être autorisée « à enregistrer une version actualisée » de l’étiquette Standard Lager Label, ajoutant qu’elle devait « déterminer si j’ai compétence pour limiter la portée de la protection accordée à la marque de l’Opposante en l’espèce ». La commissaire a répondu par l’affirmative à cette question. Ce faisant, elle a commis une erreur.

 

[59]           Plusieurs motifs peuvent être invoqués pour justifier le dépôt d’une marque de commerce, tels que l’emploi antérieur ou l’emploi projeté (voir l’article 16 de la Loi). Selon l’alinéa 38(2)b) de la Loi, il est possible de s’opposer à une demande d’enregistrement au motif que la marque n’est pas enregistrable. Une marque n’est pas enregistrable si elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée (voir l’alinéa 12(1)d)). Comme l’article 6 le précise, pour déterminer s’il y a confusion, on tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris des facteurs énumérés au paragraphe 6(5).

 

[60]           Dans une procédure d’opposition, le commissaire doit se borner à déterminer si la marque de commerce projetée est enregistrable ou non. Le registraire ne doit pas enregistrer une nouvelle marque si une marque susceptible de créer de la confusion est déjà inscrite au registre. Si l’enregistrement d’une marque de commerce invalide fait obstacle à l’enregistrement d’une nouvelle marque de commerce, le demandeur peut prendre toutes les mesures nécessaires pour faire corriger le registre (Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., [1968] 2 R.C. de l’Éch. 22; 54 C.P.R. 49, inf. pour d’autres motifs à 57 C.P.R. 1; [1969] R.C.S. 192 (C.S.C.)).

 

[61]           Dans une procédure d’opposition fondée sur la confusion créée avec une marque déposée, la validité de la marque déposée de l’opposant n’est pas en cause. La compétence de la registraire pour examiner la validité de l’enregistrement d’un opposant a été examinée dans l’affaire Sunshine Biscuits Inc. c. Corporate Foods Ltd., 61 C.P.R. (2d) 53; [1982] A.C.F. no 15, aux paragraphes 21 à 27 et 44 à 52. Aux paragraphes 27 et 57, le juge Alexander Cattanach écrit :

Ainsi, dans une procédure d’opposition, ce qui est en jeu c’est le conflit possible entre une marque de commerce faisant l’objet d’une demande d’enregistrement et une marque de commerce déposée, et non la validité de l’enregistrement de la marque de commerce.

 

[…]

 

Comme je l’ai indiqué, dans le cas où l’on prétend qu’une confusion existe entre une marque de commerce déposée et celle du requérant et où l’opposant est le propriétaire de la marque de commerce déposée, la validité de cette dernière ne peut pas être soulevée dans une procédure d’opposition. C’est une procédure de radiation que le requérant doit entamer.

 

 

[62]           Si j’ai bien compris, la question de la radiation a été soulevée devant la Cour d’appel en 1986 et la Cour a refusé de radier l’une quelconque des marques déposées. Toutefois, les faits uniques de la présente affaire ne permettent pas d’écarter le libellé clair de la Loi et de la jurisprudence antérieure en ce qui concerne la compétence du registraire dans les procédures d’opposition.

 

[63]           L’article 41 de la Loi permet au registraire, dans certaines circonstances bien définies, d’apporter des modifications au registre. Il ne peut exercer ce pouvoir qu’à la demande du propriétaire inscrit de la marque de commerce. Aucune des circonstances énumérées ne s’applique en l’espèce.

 

(1)        Modifications tacites au registre

 

[64]           Le registraire n’a pas compétence pour apporter des modifications tacites au registre. Dans l’arrêt Bacardi & Co. c. Havana Club Holdings S.A., 2004 CAF 220, 32 C.P.R. (4th) 306 (C.A.F.), le juge en chef John D. Richard écrit, au paragraphe 38 :

38        La situation actuelle ressemble à celle qui était soumise au juge Cattanach dans l’affaire Sunshine Biscuits Inc. c. Corporate Foods Ltd., (1982), 61 C.P.R. (2d) 53 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, qui portait aussi sur une procédure d’opposition, l’appelante exhortait le registraire à ne pas tenir compte de la marque de commerce de la demanderesse. Le juge Cattanach a refusé cette demande en reconnaissant que l’appelante demandait en fait la radiation d’une marque de commerce existante. Dans cette affaire, comme dans la présente, la voie de recours que l’appelante aurait dû choisir était une demande de radiation devant la Cour fédérale. Indépendamment de la façon dont la requête est formulée, l’opposition n’est pas la procédure qui convient pour demander expressément ou tacitement la modification du registre.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[65]           Dans l’affaire Bacardi & Co. c. Havana Club Holding S.A., 2003 CF 938; 237 F.T.R. 292 (C.F. 1re inst.), l’opposante souhaitait se fonder sur son présumé droit de propriété sur une marque déposée sans obtenir de la Cour qu’elle modifie la propriété de cette marque. Le juge Luc Martineau a estimé que le registraire ne pouvait agir ainsi, sous peine d’usurper la compétence exclusive de la Cour fédérale, ajoutant que le registraire « ne peut faire de fait ce qu’il ne peut faire de droit » (au paragraphe 13).

 

(2)        L’equity

 

[66]           À l’audience, la défenderesse a mentionné à quelques reprises le fait que la décision de la registraire était essentiellement juste. Au paragraphe 59 de son mémoire, la défenderesse affirme que la registraire [traduction] « s’est acquittée de son obligation d’en arriver à un résultat juste plutôt que de se contenter d’une analyse superficielle ou mécanique ». Il n’en demeure pas moins que le registraire est créé par une loi et n’a aucun pouvoir inhérent (Bacardi & Co. c. Havana Club Holding S.A., (C.F. 1re inst.), précité, au paragraphe 19). L’article 38 définit les pouvoirs du registraire en cas d’opposition et il ne fait pas allusion aux règles d’equity.

 

(3)        Compétence de la Cour fédérale

 

[67]           Aux termes du paragraphe 57(1) de la Loi, seule la Cour fédérale a compétence pour modifier le registre de la manière préconisée par la défenderesse et adoptée par la registraire en l’espèce. Il serait contraire à l’intention du législateur de priver la Cour fédérale de cette compétence exclusive (Bacardi & Co. c. Havana Club Holdings S.A., (C.A.F.), précité).

 

(4)        Circonstances dans lesquelles l’opposante peut se voir refuser la protection ou les droits conférés par une marque déposée

 

[68]           La défenderesse soutient qu’il existe des circonstances dans lesquelles la Commission a le pouvoir de limiter la portée de la protection à accorder à la marque d’un opposant. La défenderesse affirme tout d’abord que cette proposition trouve appui dans deux décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce, à savoir Conseil canadien des ingénieurs c. Krebs Engineers, [1996] C.O.M.C. no 93, 69 C.P.R. (3d) 267 (C.O.M.C.) et Enterprise Car & Truck Rentals Ltd. c. Enterprise Rent‑A‑Car Co., [1998] C.O.M.C. no 174, 87 C.P.R. (3d) 544. En second lieu, la défenderesse affirme que la registraire peut limiter la portée de la protection lorsqu’une décision a été rendue au sujet de la question de la légalité.

 

a)         Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

 

[69]           Dans l’affaire Conseil canadien des ingénieurs, précitée, le propriétaire d’une marque officielle a été empêché d’invoquer sa marque parce qu’il n’avait pas réussi à dissiper les doutes soulevés par le demandeur, qui affirmait que la marque officielle n’avait pas été légitimement acquise.

 

[70]           Aux paragraphes 13 et 16 de la décision, le commissaire a estimé, au vu de la jurisprudence de la Cour fédérale, que lorsqu’un opposant se fonde sur une marque officielle et que le demandeur soulève des doutes au sujet de la condition relative à la publication, l’opposant doit soumettre des éléments de preuve au sujet de l’emploi de la marque, sous peine d’être déclaré irrecevable à invoquer la marque officielle en question.

 

[71]           L’affaire Conseil canadien des ingénieurs, précitée, portait sur des règles de procédure qui ne valent que pour les marques officielles et qui ne s’appliquent pas en l’espèce.

 

[72]           Dans l’affaire Enterprise Car & Truck Rentals Ltd., précité, la C.O.M.C. a examiné une opposition portant sur des services automobiles et de location de voitures et de camions. À la suite de l’introduction de l’instance, la demanderesse avait obtenu une injonction par laquelle la Cour fédérale interdisait de façon permanente à l’opposante d’employer la marque de commerce en litige. Le commissaire a estimé que l’injonction constituait une circonstance additionnelle qui empêchait l’opposante de se fonder sur la demande qu’elle avait antérieurement déposée.

 

[73]           Dans l’affaire Enterprise Car & Truck Rentals Ltd., précitée, le commissaire a estimé que l’injonction qui avait été obtenue légalement constituait une des circonstances de l’espèce dont il y avait lieu de tenir compte pour l’analyse fondée sur l’article 6. Le commissaire ne s’est pas fondé sur l’injonction pour écarter la marque de l’opposante.

 

b)         Légalité

 

[74]           Suivant la jurisprudence de notre Cour, l’opposant peut se voir nier les avantages découlant de son emploi antérieur d’une marque qui est similaire au point de créer de la confusion lorsqu’un tribunal compétent a déjà qualifié l’emploi que l’opposant a fait d’illégal, ou lorsque cet emploi est par ailleurs manifestement illégal (Sunbeam Products Inc. c. Mister Coffee & Services Inc., 2001 CFPI 1218; 16 C.P.R. (4th) 53)). Le registraire est uniquement compétent pour déclarer que l’opposant ne peut se fonder sur son emploi de sa marque de commerce si la légalité de l’emploi de l’opposant est claire.

 

[75]           Le juge Michael Kelen a examiné cette question dans l’affaire Sunbeam Products Inc., précitée. Aux paragraphes 17, 18 et 23, le juge Kelen précise dans quels cas le registraire a compétence pour nier à l’opposant le droit de se fonder sur sa marque déposée (non souligné dans l’original) :

17        La demanderesse soutient que le registraire avait la compétence nécessaire pour conclure que l’emploi par la défenderesse du nom commercial MISTER COFFEE était illégal. Elle invoque à cette fin les décisions McCabe c. Yamamoto & Co. (America) Inc., (1989), 23 C.P.R. (3d) 498 (C.F. 1re inst.) et Lunettes Cartier Ltée c. Cartier, Inc., (1991), 36 C.P.R. (3d) 391 (C.O.M.C.) dans lesquelles le registraire a jugé illégal l’emploi d’une marque de commerce par l’opposante. Dans l’affaire McCabe, la Cour fédérale avait été saisie de la preuve qu’un tribunal américain avait conclu que l’emploi de la marque de commerce par l’intimée constituait une atteinte aux droits de l’appelante. Dans l’affaire Lunettes Cartier, la Commission des oppositions avait été saisie d’éléments de preuve indiquant que l’intimée était visée par une injonction de la Cour fédérale lui interdisant d’employer les marques de commerce, les mêmes marques de commerce qu’invoquait l’intimée au soutien de son opposition.

 

18       En l’espèce, la preuve n’indique pas clairement que l’emploi de la marque de commerce MISTER COFFEE par la défenderesse est illégal. Cette question nécessite la tenue d’une audience. Le fait que la demanderesse n’ait pas sollicité d’injonction interlocutoire ni engagé de procédures judiciaires avant 1995 soulève des questions qui doivent être tranchées par un tribunal compétent. Dans le cadre d’une opposition faite en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, le registraire n’a pas compétence pour procéder à une audience complète avec présentation de preuves orales pour déterminer la légalité de l’emploi par la défenderesse de sa marque de commerce. Si la question de la légalité est claire, la registraire a alors compétence pour statuer que la défenderesse ne peut pas invoquer son emploi de la marque de commerce parce que cet emploi n’est pas légal. En l’espèce, la registraire ne peut pas en arriver à cette conclusion claire dans la procédure d’opposition.

 

[…]

 

23        La défenderesse a commencé à employer le nom MISTER COFFEE en liaison avec des services, puis elle l’a fait relativement à des marchandises associées au café. La demanderesse a toujours employé le nom MR. COFFEE en liaison avec des marchandises, savoir des cafetières et des carafes à café, mais elle cherche maintenant à étendre sa marque de commerce à d’autres marchandises, savoir du café et des nettoyeurs. Les activités de la demanderesse et de la défenderesse ont tellement évolué qu’elles entrent maintenant en conflit. Par conséquent, leur emploi respectif de la marque de commerce MR. COFFEE et du nom commercial MISTER COFFEE nécessite une audience complète ainsi que la détermination des droits respectifs des parties.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[76]           La défenderesse affirme qu’en l’espèce, la Cour d’appel a, en 1986, tenu une audience complète et qu’elle a défini les droits respectifs des parties.

 

[77]           En l’espèce, la commissaire ne pouvait se fonder sur l’arrêt rendu en 1986 par la Cour d’appel pour conclure que la question de la légalité était claire. À la page 10 de sa décision, la commissaire explique que, comme la Cour d’appel fédérale avait déjà limité la portée de la protection accordée à la marque Standard Lager, « il semble raisonnable et logique que j’en fasse autant puisque sont concernées les mêmes parties et presque les mêmes marques ». Comme nous l’avons déjà dit, ce n’était pas la question qui été posée à la Commission. La question en litige lors de la procédure d’opposition était celle de l’enregistrabilité de la demande 807, sur le fondement d’un emploi projeté, compte tenu d’un enregistrement valide, celui de la marque Standard Lager. N’étaient pas concernées « presque les mêmes marques ».

 

[78]           La Cour d’appel n’a pas jugé la marque Standard Lager illégale. Elle a en fait conclu que l’enregistrement de la Standard Lager n’était pas entaché de nullité (Brasseries Carling O’Keefe du Canada Ltée. c. Anheuser‑Busch Inc., (1986), précité, au paragraphe 33). Comme je l’ai déjà expliqué, l’arrêt de la Cour d’appel, de même que toute limite ou restriction imposée à la marque Standard Lager ne valait que pour l’enregistrement de Budweiser, et non pour la demande 807.

 

[79]           En déclarant que la demanderesse ne pouvait se fonder sur l’enregistrement de la Standard Lager lors de l’audience sur l’opposition, la registraire a modifié le registre en refusant à la demanderesse la pleine jouissance de son enregistrement valide au sens de l’article 19 de la Loi. La registraire n’a pas cette compétence.

 

(5)        Autres considérations

 

[80]           À l’audience et dans son mémoire, la défenderesse a insisté sur les aspects commerciaux de la présente affaire. À titre d’exemple, aux paragraphes 83 et 84 de son mémoire, la défenderesse fait valoir qu’il serait « manifestement abusif » de permettre à Molson de se fonder sur l’emploi et l’enregistrement de la marque Standard Lager pour empêcher Anheuser‑Busch d’enregistrer la demande 807 et ce, d’autant plus que la marque d’Anheuser‑Busch a été employée au Canada bien avant qu’une version plagiée ne soit illégalement enregistrée par le prédécesseur de Molson, Drewry, ajoutant que la marque d’Anheuser‑Busch est employée à grande échelle partout au Canada depuis. Elle affirme que [traduction] « l’administration de la justice serait ternie si la tentative de Molson réussissait ».

 

[81]           Elle ajoute que cette position est intenable, compte tenu de la vaste publicité et des ventes et de la mécanisation accessoire des produits arborant l’étiquette Anheuser‑Busch de Budweiser, en comparaison de l’emploi plus restreint que Molson a fait de la marque Standard Lager.

 

[82]           Ces arguments se fondent sur les réalités commerciales de la demanderesse et de la défenderesse. Ces réalités commerciales commandent des solutions commerciales que notre Cour ne peut, en l’espèce, accorder. Dans le jugement Kayser‑Roth Canada (1969) Ltd. c. Fascination Lingerie Inc., [1971] C.F. 84, 3 C.P.R. (2d) 27 (C.F. 1re inst.), le juge Simon Noël était saisi d’une affaire de marque de commerce dont l’issue était susceptible d’avoir de graves répercussions commerciales pour l’une des parties. Le juge Noël écrit, aux paragraphes 17 et 18 :

17        […] Nous sommes ici, en effet, en matière statutaire et dans ce domaine, l’on ne peut exercer que les recours prescrits par la loi [...]

18        Il appartenait à la défenderesse d’établir qu’elle avait le droit de se prévaloir de l’art. 21(1) et, malheureusement, elle n’a pas réussi à le faire. Il ne me reste, dans les circonstances, qu’à rejeter le plaidoyer de la défenderesse, car celle‑ci, pour des raisons que je n’ai pas à apprécier, n’a pas cru bon d’attaquer la validité de l’enregistrement de la marque de commerce de la demanderesse. Je n’ai vraiment pas le choix. Je le fais, cependant, avec beaucoup de regret puisque le jugement rendu dans cette cause affectera sûrement les activités de la défenderesse et exigera la cessation de l’emploi de la marque de commerce Fascination de la demanderesse par la défenderesse.

 

C.        La demande 807 crée‑t‑elle de la confusion avec la marque Standard Lager employée en liaison avec de la bière?

 

[83]           La défenderesse soutient que la demanderesse se fonde sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale en affirmant que la registraire est liée par cet arrêt en ce qui concerne la question de la confusion. Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que l’arrêt de la Cour d’appel ne lie pas la regisraire. La Cour doit par conséquent entreprendre une analyse de la confusion fondée sur l’article 6 de la Loi, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce, y compris celles énumérées au paragraphe 6(5) (voir plus haut).

 

[84]           Je signale qu’il n’est pas nécessaire d’accorder le même poids à chacun des facteurs énumérés au paragraphe 6(5), mais qu’il faut leur accorder la valeur qui convient en tenant compte des faits de l’espèce (Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., précité). Ainsi qu’il est déclaré dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, [2006] 1 R.C.S. 824, 2006 CSC 23, le critère applicable est celui de la première impression laissée dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé (au paragraphe 20).

 

[85]           Après examen des facteurs énumérés au paragraphe 6(5), je conclus que le facteur a) favorise la défenderesse étant donné que le nom et l’étiquette se rapportant à sa bière Budweiser sont devenus connus des Canadiens dans une plus large mesure que le nom et l’étiquette Standard Lager. Le facteur b) penche fortement en faveur de la demanderesse étant donné que l’étiquette Budweiser actualisée est fondée sur un emploi projeté. Les facteurs c) et d) penchent en faveur de la demanderesse étant donné que les deux étiquettes sont employées en liaison avec de la bière et que les marchandises empruntent les mêmes canaux de distribution. En l’espèce, le facteur e) milite en faveur de la demanderesse, car il existe une forte ressemblance entre la marque Standard Lager et la demande 807 compte tenu des éléments graphiques utilisés dans les deux marques.

 

[86]           Dans le cas qui nous occupe, je tiens également compte de deux circonstances qui ont un grand poids, à savoir : (1) le fait que la Cour d’appel fédérale a jugé que deux marques semblables créaient de la confusion, et (2) le fait que, dans leur mémoire, la demanderesse et la défenderesse affirment toutes les deux que la marque Standard Lager et la demande 807 créent de la confusion.

 

[87]           Compte tenu de mon analyse de la confusion fondée sur l’article 6 de la Loi, je conclus que la demande 807 crée de la confusion avec la marque Standard Lager portant le numéro LMCDF 40809.

 

D.        La demande 807 crée‑t‑elle de la confusion avec la marque employée en liaison avec d’autres marchandises que la bière?

 

[88]           Aux pages 10 à 14 de sa décision, la commissaire a examiné la demande 807 en fonction des marchandises autres que la bière, en l’occurrence des articles vestimentaires, nommément des tee‑shirts et chapeaux, et des récipients à boire, nommément tasses, grosses tasses, verres et chopes. Le contrôle de cet aspect de la décision se fera selon la norme de la décision raisonnable.

 

[89]           La demanderesse soutient que, comme les marchandises autres que la bière sont censées faire la promotion de la bière de marque Anheuser‑Busch de Budweiser, il devrait s’ensuivre qu’il y a une probabilité de confusion si la marque est affichée sur des articles autres que de la bière comme des vêtements et des récipients à boire ou des articles promotionnels. La défenderesse affirme que rien ne justifie d’infirmer la décision de la registraire en ce qui concerne les marchandises autres que la bière, et que cette décision était raisonnable.

 

[90]           La registraire a tenu compte de tous les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi, ainsi que de la solide réputation et de la renommée de la marque Budweiser et de ses principaux éléments constitutifs. Elle a également tenu compte des éléments de preuve portant sur les activités de commercialisation associées aux étiquettes Standard Lager et Budweiser. La registraire a estimé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existait pas de probabilité raisonnable de confusion entre la marque Standard Lager et la demande 807 pour ce qui était des marchandises autres que la bière et elle a rejeté l’opposition.

 

[91]           La décision de la registraire était raisonnable.

 

E.         Bien‑fondé de la décision

 

[92]           La demanderesse insiste pour rappeler que le paragraphe 38(8) de la Loi prévoit qu’après avoir examiné la preuve et les observations des parties, la registraire repousse la demande ou rejette l’opposition. Elle fait observer que la Loi ne permet pas de décision partagée.

 

[93]           En l’espèce, la registraire n’a pas rendu de décision partagée. La registraire a rejeté l’opposition. Certes, elle a scindé ses motifs en examinant séparément la bière et les marchandises autres que la bière, mais sa décision n’était pas partagée. Il n’est donc pas nécessaire que j’examine cet argument.


 

JUGEMENT

 

LA COUR :

1.         ACCUEILLE l’appel de la décision rendue par la registraire des marques de commerce en ce qui concerne la « bière ». L’opposition de la demanderesse à l’enregistrement de la demande 807 en ce qui concerne la « bière » est accueillie;

 

2.         REJETTE l’appel de la décision rendue par la registraire des marques de commerce en ce qui concerne les marchandises autres que la bière. L’opposition de la demanderesse à l’enregistrement de la demande 807 en ce qui concerne les marchandises autres que la bière est donc rejetée;

 

3.         N’ADJUGE aucuns dépens, compte tenu du succès partagé obtenu en l’espèce.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑127‑09

 

INTITULÉ :                                                   MOLSON CANADA 2005

                                                                        c.

                                                                        ANHEUSER‑BUSCH INCORPORATED 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 9 DÉCEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 12 MARS 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elizabeth Elliott et John Macera

 

POUR LA DEMANDERESSE

Mark Robbins

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elizabeth G. Elliot

Macera & Jarzyna, SRL

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Mark L. Robbins

Bereskin & Parr

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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