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Date : 20100311

Dossier : IMM-4097-09

Référence : 2010 CF 277

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE FREDERICK E. GIBSON

ENTRE :

FREDERIK BALIGNOT REYES

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Introduction

[1]               Les présents motifs et la présente ordonnance font suite à l’instruction, à Toronto, le 10 février 2010, de la demande de contrôle judiciaire visant la décision du 6 août 2009 par laquelle un agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’agent) a rejeté la demande faite par le demandeur d’une suspension administrative de son renvoi, fixé au 28 août 2009, vers Manille, aux Philippines.

 

Le contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen des Philippines et d’aucun autre pays. Il est arrivé au Canada le 17 juillet 2002, muni d’un visa de visiteur valide jusqu’au 30 juillet 2002. Le statut de visiteur au Canada du demandeur a été prorogé jusqu’au 16 janvier 2003, après quoi, semble-t-il, ce dernier a présenté une demande d’asile. Le 3 mars 2004, cette demande a été rejetée. Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire du rejet de sa demande d’asile. À son tour, le 3 février 2005, la demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire a été rejetée.

 

 

[3]               Le 25 octobre 2006, le demandeur a soumis une demande de résidence permanente parrainée par le conjoint. Le 23 novembre 2006, un avis de convocation à une entrevue, fixée au 12 décembre 2006, a été transmis au demandeur. Bien que cela n’ait pas été précisé dans l’avis, l’entrevue fixée était une entrevue préalable au renvoi, où l’on aurait l’occasion d’informer le demandeur de son droit d’amorcer un processus d’examen des risques avant renvoi. À l’entrevue, on a dit au demandeur que c’était [traduction] « son jour de chance », et le demandeur a quitté l’entrevue sans qu’on lui ait demandé de songer à amorcer un processus d’ERAR, apparemment en raison de la demande de résidence permanente de conjoint en attente; ce dernier motif ne semble toutefois pas avoir été communiqué au demandeur. Le demandeur devait revenir le 12 janvier 2007 afin de subir une nouvelle entrevue. 

 

[4]               Lors de l’entrevue du 12 janvier 2007, le demandeur a remis aux représentants du défendeur des copies de son certificat de mariage ainsi qu’une attestation de présentation de la demande de parrainage de conjoint.

 

[5]               Le 2 décembre 2008, la demande de parrainage de conjoint du demandeur a été retirée à la requête de ce dernier, la relation entre lui et sa conjointe ayant apparemment pris fin.

 

[6]               Le 19 décembre 2008, le défendeur a reçu du demandeur une seconde demande de parrainage de conjoint.

 

[7]               Un nouvel avis de convocation a été envoyé au demandeur, qui s’est présenté le 19 mars 2009 à l’entrevue fixée. Lors de l’entrevue, on a informé le demandeur de son droit de soumettre une demande d’examen des risques avant renvoi; le demandeur s’est prévalu de ce droit. Le 29 juin 2009, la demande d’ERAR du demandeur a toutefois été rejetée.

 

[8]               Le 16 juillet 2009, l’on a encore envoyé un avis au demandeur pour le convoquer à une entrevue fixée au 5 août 2009. Le 22 juillet 2009, par l’entremise de son avocat, le demandeur a sollicité la suspension administrative de son renvoi. Le 5 août 2009, à l’entrevue, on a signifié au demandeur la décision défavorable rendue quant à l’examen des risques avant renvoi. Le lendemain, le refus de suspendre cette décision défavorable a été décidé, et c’est ce refus qui fait l’objet du présent contrôle.

 

[9]               Le 28 août 2009, le demandeur a quitté le Canada à destination de Manille, aux Philippines, après rejet d’une demande de sursis à la mesure de renvoi se fondant sur la présente demande de contrôle judiciaire.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[10]           Le motif invoqué pour rejeter la demande d’une suspension administrative du renvoi était que le demandeur n’y avait pas droit en raison de la politique d’intérêt public énoncée à l’appendice H du guide 8 de traitement des demandes au Canada, Catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, plus particulièrement de la restriction prévue au sous-paragraphe 5F de cet appendice. Les extraits pertinents de cette politique sont reproduits ci-après dans les présents motifs.

 

[11]           L’agent a écrit ce qui suit dans la décision faisant l’objet du présent contrôle :

[traduction]

Le 25 octobre 2006, M. Reyes [le demandeur] a soumis sa première demande de résidence permanente de conjoint présentée au Canada. Peu après, une entrevue préalable au renvoi a été fixée, M. Reyes devant s’y présenter le 12 décembre 2006 au Centre d’exécution de la Loi du Grand Toronto (CELGT) pour l’amorce d’un processus d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Au cours de cette entrevue préalable au renvoi, M. Reyes a remis à l’agent d’immigration une attestation de la présentation, avant la convocation à l’entrevue, de la demande de résidence permanente de conjoint. L’agent a alors suspendu l’amorce du processus d’ERAR, faisant bénéficier M. Reyes de la suspension administrative du renvoi autorisée en une occasion par la politique d’intérêt public énoncée à l’appendice H du guide IP 8.

 

Le 19 décembre 2008, M. Reyes a soumis une seconde demande de résidence permanente de conjoint présentée au Canada. Le 19 mars 2009, M. Reyes a été convoqué pour la tenue au CELGT d’une entrevue préalable au renvoi. Lors de l’entrevue, l’agent a amorcé le processus d’ERAR, comme M. Reyes avait déjà profité d’une suspension administrative de renvoi découlant de la précédente demande de résidence permanente de conjoint et, à ce titre, n’avait pas droit à une deuxième suspension du renvoi.

                                                                             [Non souligné dans l’original.]

 

IP 8 – Appendice H

[12]           On l’a dit, la politique d’immigration 8 est intitulée « Catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada ». L’appendice H de l’IP 8, pour sa part, est intitulé « Politique d’intérêt public établie en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR pour faciliter le traitement selon les règles de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada ».

 

[13]           Le paragraphe 1 de la politique, intitulé « Objet », prévoit ce qui suit :

Le ministre a établi une politique d’intérêt public en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) dans laquelle il expose les critères d’évaluation de la demande de résidence permanente des personnes qui n’ont pas de statut d’immigration légal et qui sont des époux et des conjoints de fait de citoyens canadiens et de résidents permanents au Canada. L’objectif de cette politique est de faciliter le regroupement familial ainsi que le traitement des cas des époux et des conjoints de fait qui vivent déjà ensemble au Canada.

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

[14]           Le paragraphe 3, intitulé « Politique », prévoit pour sa part ce qui suit :

CIC (Citoyenneté et Immigration Canada) s’efforce de faciliter le regroupement familial ainsi que le traitement du cas des époux et des conjoints de fait authentiques qui vivent déjà  ensemble au Canada. Le Ministère s’efforce également, dans la mesure du possible, d’éviter que les époux et les conjoints de fait qui vivent ensemble au Canada subissent le préjudice résultant de leur séparation.

                        [...]

 

[15]           On ajoute ce qui suit, plus loin, dans le même paragraphe :

Le L25 [article 25 de la LIPR] est utilisé pour faciliter le traitement dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada de tous les cas d’époux ou de conjoints  de fait authentiques qui sont sans statut et où un engagement a été présenté. Les demandes CH de conjoint, en attente, qui sont assorties d’un engagement seront aussi traitées dans cette catégorie. [...]

                                                [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[16]           Le paragraphe 4, intitulé « Intérêt public », prévoit notamment ce qui suit :

Le ministre a décidé qu’il était conforme à l’intérêt public d’évaluer tous les étrangers sans égard à leur statut (mariés ou en union de fait avec des citoyens canadiens ou des résidents permanents) en fonction des dispositions de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada s’ils remplissent les conditions suivantes :

 

·          L’étranger a présenté une demande de résidence permanente soit pour des considérations d’ordre humanitaire soit dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada;

[…]

 

 

 

[17]           Le sous-paragraphe 5F de la politique, intitulé « Suspension administrative du renvoi », prescrit pour sa part ce qui suit :

L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a accepté d’accorder, aux demandeurs qui sont visés par cette politique d’intérêt public, une suspension administrative du renvoi. La suspension ne sera pas accordée aux demandeurs :

[…]

·          qui ont déjà profité d’une suspension administrative découlant d’une demande CH de conjoint;

                        […]

Dans le cas des demandeurs qui font l’objet d’un examen des risques avant renvoi (ERAR), la suspension administrative pour le traitement des demandes présentées en vertu de cette politique d’intérêt public sera en vigueur le temps qu’il faudra pour effectuer l’examen en question […]. Les demandeurs qui ont renoncé à l’ERAR ou qui n’y ont pas droit se verront accorder une suspension administrative de 60 jours.

[…]  

                                                       [Non souligné dans l’original.]

 

Ce sont ces éléments de la politique d’intérêt public de l’appendice H qui donnent ouverture à la question dont la Cour est saisie.

 

Les questions en litige

 

[18]           L’avocat du défendeur a fait valoir le caractère théorique du présent litige, à titre de question préjudicielle, comme, en fait, le demandeur avait quitté le Canada, ou en avait été renvoyé, avant l’instruction de la présente demande de contrôle judicaire.

 

[19]           L’avocat du demandeur soulève une seule question, formulée comme suit, dans son mémoire des faits et du droit :

[traduction]

L’agent de renvoi a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur avait déjà profité d’une suspension administrative de renvoi, en application de la politique d’intérêt public, découlant d’une précédente demande au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, et en refusant de ce fait d’octroyer une suspension administrative du renvoi en vertu de la politique d’intérêt public?

 

 

 

[20]           La Cour estime qu’une troisième question se soulève, si est accueillie la présente demande de contrôle judiciaire en faveur du demandeur, quant à savoir quelle mesure de redressement il conviendrait alors d’accorder à ce dernier. J’examinerai maintenant ces questions selon l’ordre dans lequel je les ai mentionnées.

 

L’analyse

            Le caractère théorique

[21]           Nul n’a contesté que, sur la question du caractère théorique, l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général)[1] était celui faisant autorité. La démarche à suivre pour déterminer si un litige est théorique comporte une analyse en deux temps. Il faut se demander dans un premier temps si la décision de la Cour aurait pour effet pratique de résoudre un litige actuel entre les parties. Lorsque les questions en litige sont devenues « purement théoriques » ou que le « différend concret et tangible a disparu », l’instance n’a plus alors qu’un caractère théorique.

 

[22]           Il s’agit de se demander dans un deuxième temps si, malgré le caractère théorique du litige, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et trancher l’affaire. Dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la Cour devrait se guider sur les trois assises de la doctrine du caractère théorique : l’existence d’un contexte contradictoire, l’économie des ressources judiciaires et la nécessité pour la Cour d’être consciente de sa fonction juridictionnelle dans notre structure politique.

 

[23]           L’avocat du défendeur soutient qu’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision de refuser de suspendre un renvoi a un caractère théorique dans deux situations : premièrement, lorsque la question à la base de la demande de suspension est réglée avant que ne soit tranchée la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire; deuxièmement, lorsque la Cour n’accorde pas de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi et que le demandeur est renvoyé avant que ne soit tranchée la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[24]           L’avocat du défendeur prétend que l’une et l’autre situation s’appliquent en l’espèce. Il fait remarquer, en premier lieu, que la question à la base de la demande de suspension est réglée puisque le demandeur a quitté le Canada à la fin d’août 2009. En second lieu, tel qu’on l’a dit, une demande a été soumise à la Cour pour qu’elle sursoie à l’exécution de la mesure de renvoi en raison de la présente demande de contrôle judiciaire, et la Cour a rejeté cette demande. La demande de parrainage de conjoint présentée au Canada du demandeur a elle-même été rejetée le 9 novembre 2009, après que la présente demande eut été introduite.

 

[25]           L’avocat du demandeur soutient de son côté que la présente demande de contrôle judiciaire n’a pas un caractère théorique puisqu’il demeure un « litige actuel » entre les parties, soit essentiellement la seconde question en litige, ci-haut mentionnée, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[26]           L’avocat du demandeur ajoute qu’en tout état de cause, si la présente demande de contrôle judiciaire avait effectivement un caractère théorique, la Cour devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire et instruire l’affaire puisqu’il existe bien un contexte contradictoire, ce facteur prévalant sur ceux de l’économie des ressources judiciaires et de la nécessité pour la Cour d’être consciente de sa fonction juridictionnelle dans notre structure politique.

 

[27]           J’estime que la question du pouvoir discrétionnaire de la Cour a été, de façon générale, tranchée d’une manière favorable au demandeur dans les motifs de la majorité dans l’arrêt Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile)[2] de la Cour d’appel fédérale. Je devrais ainsi exercer mon pouvoir discrétionnaire et instruire la présente demande de contrôle judiciaire sur le fond puisqu’il continue véritablement d’exister un contexte contradictoire entre les parties, et que trancher ce différend importe davantage que de se soucier de l’économie des ressources judiciaires, comme en même temps la Cour, en examinant la présente demande sur le fond, respecterait les limites de sa fonction juridictionnelle.

 

Le demandeur avait-il déjà profité d’une suspension administrative de renvoi en application de la politique relative à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada au moment où a été rendue la décision faisant l’objet du présent contrôle?

 

[28]           Selon la règle de droit bien connue énoncée au paragraphe 48(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[3], lorsqu’un étranger tel que le demandeur est visé par une mesure de renvoi exécutoire, il doit immédiatement quitter le territoire du Canada, le mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent. L’agent de renvoi tel que l’auteur de la décision faisant l’objet du présent contrôle ne dispose que d’un pouvoir discrétionnaire extrêmement restreint. Dans l’arrêt Baron, précité, pour qualifier le pouvoir discrétionnaire dont est investi l’agent d’exécution étudiant une demande de suspension, la Cour d’appel fédérale a cité le passage suivant des motifs du juge Pelletier dans la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[4] :

Pour respecter l’économie de la Loi, qui impose une obligation positive au ministre tout en lui accordant une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. Pour ce qui est des demandes CH, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle.

 

 

[29]           Tout en reconnaissant qu’aucune des situations décrites dans le passage précité n’est ici applicable, l’avocat du demandeur soutient néanmoins que l’agent de renvoi a commis une erreur susceptible de contrôle en ne respectant pas la politique relative à la catégorie des époux ou conjoints de faits au Canada. Aux dires de l’avocat, cette politique donnait en effet ouverture à l’octroi d’un sursis pour des raisons d’intérêt public, comme le demandeur faisait l’objet d’une demande au titre de cette catégorie qui était en attente lorsque l’agent a été saisi de la demande de suspension, et le demandeur pouvait bénéficier d’une telle suspension, puisque n’était applicable aucune des conditions empêchant son octroi aux termes de la politique. L’avocat du demandeur fait particulièrement valoir que la suspension administrative dont son client avait profité dans le passé découlait non pas d’une demande de résidence permanente [traduction] « pour CH », mais plutôt d’une [traduction] « demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada ». La politique en cause prévoit qu’une suspension ne sera pas accordée aux personnes telles que le demandeur qui ont déjà profité d’une suspension administrative de renvoi découlant d’une « demande CH de conjoint ».

 

[30]           En toute déférence, j’en arrive à une autre conclusion que celle sollicitée par l’avocat du demandeur. Je reconnais que le libellé de la politique en cause laisse quelque peu à désirer. Selon les dispositions pertinentes de cette politique, que je reproduis par souci de commodité : « Le ministre a décidé qu’il était conforme à l’intérêt public d’évaluer tous les étrangers sans égard à leur statut (mariés ou en union de fait avec des citoyens canadiens ou des résidents permanents) en fonction des dispositions […] [de la politique] s’ils remplissent [l’une des deux] conditions suivantes : […] », notamment la présentation d’une demande de résidence permanente soit « […] pour des considérations d’ordre humanitaire soit dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada ». Toutefois, la suspension ne sera pas accordée à un demandeur qui a déjà profité d’une suspension administrative découlant d’une demande CH de conjoint. Or, je suis d’avis qu’une « demande CH de conjoint » s’entend aussi d’une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada – la première demande de résidence permanente du demandeur relevait de cette catégorie – et non pas simplement d’une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire.

 

[31]           C’est une politique ministérielle qu’il s’agit d’interpréter en l’espèce, et non un texte législatif ou des mesures législatives auxiliaires. J’estime que le principe d’interprétation qu’il convient en l’espèce d’appliquer consiste à interpréter la politique et ses dispositions conformément à leur objet, tel qu’il est énoncé dans la politique elle-même. Ainsi, la restriction prévue dans la politique pour l’octroi d’une suspension administrative devrait recevoir application, et j’estime qu’elle peut s’appliquer, sans dénaturer le texte de cette politique, à des situations telles que celle du demandeur au moment où a été rejetée sa demande de suspension présentée à un agent de renvoi.

 

[32]           Je conclus donc que la présente demande de contrôle judiciaire est sans fondement.

 

Mesures de redressement

[33]           Compte tenu de ma décision de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire, la question du redressement n’a plus elle-même qu’un caractère théorique. Je vais néanmoins examiner brièvement cette question.

 

[34]           Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur a sollicité les mesures de redressement suivantes :

1.         une ordonnance annulant la décision faisant l’objet du présent contrôle de l’agent et renvoyant l’affaire à un autre agent ou tribunal pour qu’il statue sur la demande par le demandeur d’une suspension de la mesure de renvoi;

2.         une ordonnance déclarant nul ou illégal le renvoi en date du 28 août 2009 du demandeur;

3.         finalement, une ordonnance enjoignant au défendeur [traduction] « […] de faire tout le nécessaire, à ses frais, pour faire revenir sans délai le demandeur au Canada, afin qu’il puisse s’y trouver jusqu’à ce qu’on ait statué sur la demande d’établissement au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada qui était pendante au moment du dépôt de son mémoire ».

 

[35]           Le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales[5] énonce les pouvoirs dont la Cour dispose dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Les mesures de redressement sollicitées au nom du demandeur ne cadrent pas parfaitement avec cette disposition. Elles ne semblent pas non plus conformes au bon sens, du moins en partie, étant donné que le demandeur ne se trouve plus au Canada et qu’a maintenant été rejetée sa demande au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Il y a prescription quant au réexamen de la demande par le demandeur d’un sursis à la mesure de renvoi. Le retour au Canada du demandeur aux frais du défendeur n’est pas un redressement prévu au paragraphe 18.1(3), et il y a cette fois aussi prescription, à moins que la réouverture ne soit ordonnée, par suite du contrôle judiciaire qui la vise, pour la décision relative à la demande du demandeur au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Pour sa part, une déclaration visant le renvoi du demandeur, si tant est qu’il y ait eu renvoi et non départ volontaire le 28 août 2009, tombe bien sous le coup du paragraphe 18.1(3). Pour ce qui est finalement des dépens sollicités par l’avocat du demandeur à l’audience, les dépens ne peuvent être octroyés dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire en matière d’immigration que s’il existe des « raisons spéciales »[6]. Or, je ne suis par convaincu qu’il existe de telles raisons spéciales en l’espèce.

 

Conclusion

[36]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. À la fin de l’audience, les avocats ont été informés de la décision qui serait rendue, et consultés au sujet de la certification d’une question. L’avocat du demandeur a demandé qu’on lui accorde du temps pour pouvoir formuler une ou des questions. Un bref délai lui a été accordé à cette fin, pendant lequel l’avocat a informé la Cour qu’il ne proposerait aucune question en vue de sa certification. Il a toutefois alors proposé des questions à la Cour au cas où celle-ci déciderait, de son propre chef, de certifier une ou des questions. L’avocat du défendeur n’a pour sa part proposé aucune question et a demandé qu’aucune ne soit certifiée. La Cour estime que la présente affaire est entièrement fonction des faits d’espèce relativement uniques. Cela étant, la Cour est elle-même d’avis que ne se soulève aucune question grave de portée générale qui serait déterminante quant à l’issue de tout appel interjeté à l’encontre de la présente décision. Aucune question ne sera donc certifiée.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

                                                                                               

                                                                                                            « Frederick E. Gibson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4097-09            

 

INTITULÉ :                                       FREDERIK BALIGNOT REYES c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

                                                                                               

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 FÉVRIER 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS ET

DE L’ORDONNANCE :                   LE 11 MARS 2010     

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rafael Fabregas                                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

Margherita Braccio                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann Sandaluk                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)                                                                    

                                                                                               

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR       

Sous-procureur général du Canada                                          

Toronto (Ontario)

 



[1]               [1989] R.C.S. 342, pages 352 à 356.

[2]               2009 CAF 81, 13 mars 2009.

[3]               L.C. 2001, ch. 27.

[4]               [2001] 3 C.F. 682 (C.F.).

[5]               L.R.C. 1985, ch. F-7.

[6]  Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, article 22, DORS/2002-232, art. 11

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