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Cour fédérale

 

 

Federal Court

 

Date : 20100311

Dossier : IMM-3581-09

Référence : 2010 CF 273

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

LASZLO JONAS

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée par le demandeur en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire du refus de l’agent d’exécution de reporter le renvoi du demandeur du Canada. Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

 

 

Le contexte

[2]               Laszlo Jonas est un citoyen de la Hongrie qui appartient au groupe ethnique des Roms. Il est sourd, muet et analphabète et accuserait un certain retard de développement.

 

[3]               M. Jonas est arrivé au Canada le 12 juillet 2001 et a aussitôt demandé le statut de réfugié. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande le 22 juillet 2003. La Cour lui a refusé l’autorisation de solliciter un contrôle judiciaire de cette décision.

 

[4]               La femme de M. Jonas a déposé une demande de parrainage le 26 janvier 2006. Cette demande a été rejetée le 9 janvier 2008, lorsque la femme de M. Jonas a retiré son parrainage du fait de la séparation du couple.

 

[5]               Le 4 mars 2008, M. Jonas a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH). Cette demande, qui a été acheminée au bureau local de CIC, demeure pendante.

 

[6]               Le 16 mai 2008, M. Jonas s’est vu remettre un formulaire de demande d’un examen des risques avant renvoi (ERAR). Sa demande d’ERAR a été rejetée le 17 avril 2009 et il n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision défavorable prise par l’agent d’ERAR.

 

[7]               Le 1er juin 2009, M. Jonas a sollicité le report de son renvoi jusqu’à ce que soit rendue une décision à l’égard de sa demande CH pendante. La demande de report était fondée sur l’invalidité de M. Jonas et le manque de soins adéquats en Hongrie, sur sa demande CH pendante ainsi que sur la discrimination qu’il subirait dans une maison de soins en Hongrie du fait de son origine ethnique rom et de son invalidité.

 

[8]               Le 13 juillet 2009, l’agent d’exécution a rejeté la demande de report du renvoi de M. Jonas. C’est de cette décision que M. Jonas demande à présent un contrôle judiciaire. M. Jonas a réussi à obtenir un sursis à son renvoi pour une période de 15 jours suivant soit une décision finale au sujet du présent contrôle judiciaire, soit, si elle est antérieure, une décision finale quant à la demande CH et la communication des motifs de cette décision.

 

La question en litige

[9]               La question en litige est de savoir si la décision de l’agent d’exécution de rejeter la demande de report du demandeur était raisonnable.

 

Analyse

[10]           Le défendeur soulève la question préliminaire de l’inadmissibilité devant la Cour de la lettre du Dr Otto Veidlinger puisqu’elle est datée antérieurement à la demande de report du demandeur et n’a ainsi pas été soumise à l’appréciation de l’agent. Je suis de cet avis. Le décideur n’ayant pas été saisi de cette lettre, la Cour n’en est pas saisie à bon droit dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision.

 

[11]           Le demandeur soutient que le report aurait dû lui être accordé puisque son renvoi l’exposerait à des traitements inhumains qui se situent au-delà des conséquences qui découlent ordinairement d’un renvoi et que sa demande CH pendante, qu’il estime devoir être accueillie, rendrait la mesure de renvoi inapplicable. Le demandeur soutient que la décision de l’agent est déraisonnable, l’agent ayant omis de tenir compte de l’ensemble de la preuve d’ordre médical ainsi que d’autres éléments de preuve soumis à l’appui de la demande. Il fait valoir que sa situation diffère de celle dont il était question dans l’arrêt Baron c. Canada (Sécurité et Protection civile), 2009 CAF 81, parce qu’en l’espèce son invalidité et le manque de soutien l’empêcheront de présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada.

 

[12]           Le défendeur se réfère à l’arrêt Baron, précité, ainsi qu’aux décisions Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 187 F.T.R. 219 (1re inst.), et Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 682, pour affirmer que le pouvoir discrétionnaire des agents d’exécution d’accorder un report du renvoi est très limité. Le défendeur affirme que les circonstances en l’espèce n’entrent pas dans le champ restreint de ce pouvoir discrétionnaire. Il affirme que les billets du médecin au dossier font état de préoccupations qui ne prêtent pas à conséquence et qu’ils ne sont pas déterminants en l’espèce. Il affirme en outre qu’une demande de report de renvoi ne doit pas servir de mesure de substitution à une demande CH et que les agents d’exécution n’ont pas la compétence pour prendre en compte les motifs d’ordre humanitaire. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable que l’agent rejette la demande CH pendante en tant que fondement de la demande de report de renvoi et que l’agent a tenu compte de tous les éléments de preuve et a adéquatement motivé sa conclusion, de telle sorte que la décision était raisonnable.

 

[13]           Les deux parties sont d’accord que les décisions sur les demandes de report de renvoi sont assujetties à la norme de raisonnabilité. Aux termes du paragraphe 48(2) de la LIPR, l’agent d’exécution est tenu d’appliquer la mesure de renvoi « dès que les circonstances le permettent ». L’article 48 n’accorde aux agents d’exécution qu’un pouvoir discrétionnaire limité d’évaluer les demandes de report de renvoi : voir l’arrêt Baron, précité, et les décisions Simoes et Wang, précitées.

 

[14]           Au paragraphe 48 de la décision Wang, précitée, le juge Pelletier (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale), a affirmé ceci :

[Il convient] de réserver l'exercice de ce pouvoir aux affaires où il y a des demandes ou procédures pendantes et où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu'il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain, alors qu'un report pourrait faire que la mesure devienne de nul effet. Dans de telles circonstances, on ne pourrait annuler les conséquences d'un renvoi en réadmettant la personne au pays par suite d'un gain de cause dans sa demande qui était pendante.

 

[15]           Le demandeur soutient qu’un éventuel retour en Hongrie l’exposerait à une menace de traitement inhumain en raison de son invalidité et qu’il ne pourra, du fait de cette invalidité, présenter une nouvelle demande de résidence permanente. Il soutient que son cas se situe ainsi dans le champ limité des exceptions auxquelles il est fait référence dans la décision Wang.

 

[16]           Hormis l’affirmation que les lettres d’appui fournies par le demandeur ont été relevées, l’agent n’a fait aucune référence explicite à la preuve médicale présentée. Dans une lettre, le médecin du demandeur a affirmé ceci :

[traduction]

M. Jonas est atteint de surdité congénitale et accuse un retard de développement. Il ne peut ni parler, ni lire, ni écrire. Il a besoin d’aide dans toutes les activités de sa vie quotidienne. Il ne peut pas se réadapter. Vu la complexité de son état de santé, M. Jonas a besoin d’une surveillance constante. Sa mère est la seule personne qui puisse lui apporter ce soutien. Il n’a aucun autre parent et ne pourrait subsister sans l’aide de sa mère.

 

 

[17]           L’agent a relevé que le demandeur est un sourd-muet, mais ne fait référence à aucun retard de développement. L’agent a plutôt mis l’accent sur le fait que les risques associés aux questions soulevées dans la demande de report du renvoi avaient été soulevés auprès de la SPR et de l’agent d’ERAR et que ces décideurs avaient tous deux rejeté les arguments du demandeur. L’agent note en outre que c’est au demandeur qu’il incombait d’établir, dans le cadre de la demande d’ERAR, qu’il serait exposé à un risque personnel. L’agent affirme que le demandeur a eu l’occasion de faire cette démonstration mais ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait.

 

[18]           M. Jonas ne prétend pas qu’il subira un traitement inhumain en raison d’un manque de soins adaptés qui affecterait les personnes dans une situation semblable à la sienne en Hongrie, mais soutient plutôt qu’il sera victime de discrimination dans la prestation de ces soins en raison de son invalidité et de ses origines ethniques. Il était loisible à M. Jonas de présenter ces arguments à la SPR et à l’agent d’ERAR (si toutefois ils étaient étayés de nouveaux éléments de preuve). L’agent d’ERAR a conclu que la SPR avait tenu compte de l’invalidité du demandeur, du retard qu’il accusait sur le plan de son développement et de son état de santé. L’agent d’ERAR a conclu que les éléments de preuve soumis à l’appui de ces arguments ne pouvaient être pris en considération dans le cadre de la demande d’ERAR puisqu’ils n’étaient pas des éléments de preuve nouveaux. Le demandeur n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’ERAR.

 

[19]           En réponse à l’argument du demandeur voulant que l’agent d’exécution ait omis de tenir compte du dossier dont il disposait, plus complet que celui présenté à l’agent d’ERAR, il convient de souligner que l’examen d’une demande de report ne saurait correspondre à une seconde demande d’ERAR. Le demandeur était tenu de présenter sa cause sous son meilleur jour pendant l’audition de sa demande d’asile et dans sa demande d’ERAR. S’il a omis de le faire, c’est à lui, et non à l’agent d’exécution, d’en assumer les conséquences. Il était raisonnable pour l’agent d’exécution de se fonder sur les évaluations de la SPR et de l’agent d’ERAR du risque personnel auquel serait exposé le demandeur. L’éventuel traitement inhumain sur lequel s’est appuyé le demandeur est fondé sur un risque qui a déjà été analysé à deux reprises.

 

[20]           Les agents d’exécution peuvent tenir compte des « demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n'ont pas encore été réglées à cause de l'arriéré auquel le système fait face », mais l’existence d’une telle demande ne nécessite pas en soi qu’un agent accorde un report de l’exécution : Simoes, précité au paragraphe 12.

 

[21]           En l’espèce, l’agent a considéré l’existence de la demande CH pendante et il lui était loisible de tenir compte de l’imminence d’une décision relative à cette demande. Il y a souvent lieu de considérer l’imminence d’une décision comme témoignant de la présentation d’une demande CH en temps opportun. En l’espèce, l’agent ne précise pas s’il considère que la demande CH a été présentée en temps opportun. Il convient toutefois de souligner que le demandeur a attendu presque cinq ans après le rejet de sa demande d’asile par la SPR pour soumettre sa demande. L’agent a conclu que la décision à l’égard de la demande CH n’était pas imminente, même si celle-ci avait été acheminée au bureau local de CIC. La conclusion de l’agent voulant que la demande CH pendante ne nécessite pas l’exercice de son pouvoir discrétionnaire était raisonnable.

 

[22]           Je ne puis souscrire à l’affirmation que l’agent a omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents. Un tribunal est en fait présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi : Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL). En l’espèce, l’agent a mentionné la preuve fournie à plusieurs reprises, ce qui appuie cette présomption. Le demandeur n’a relevé aucun élément de preuve qui contredise la conclusion de l’agent à tel point que l’omission d’y faire explicitement référence aurait constitué une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

 

[23]           Je ne puis accepter l’allégation du demandeur que l’agent n’a pas suffisamment motivé sa décision. L’obligation de motiver une décision est fonction des circonstances de chaque affaire : VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.). Dans la décision Boniowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1161, au paragraphe 11, le juge Mosley a affirmé que, vu la nature des décisions relatives au report de renvoi, l’obligation de fournir des motifs est moins contraignante. En l’espèce, les motifs de l’agent comprenaient une appréciation de la nature de son pouvoir discrétionnaire, une explication de ce dont il avait tenu compte pour en arriver à sa décision et un aperçu du fondement de son refus d’exercer son pouvoir discrétionnaire. Les circonstances en l’espèce n’exigeaient rien de plus : les motifs fournis étaient adéquats.

 

[24]           La question n’est pas de savoir si la Cour aurait accordé un report du renvoi en attendant l’issue de la demande CH du demandeur, mais bien de savoir si l’agent a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon équitable et si ses motifs étaient justifiés, clairs et intelligibles. Le demandeur n’a signalé aucune iniquité dans le processus décisionnel. Les motifs de l’agent étaient justifiés, clairs et intelligibles.

 

[25]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé qu’une question soit certifiée et je suis d’avis qu’il n’y a lieu d’en certifier aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

                                                                                                                « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3581-09

 

INTITULÉ :                                       LASZLO JONAS

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 24 FÉVRIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 11 MARS 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Randal Montgomery

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Veronica Cham

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RODNEY L. H. WOOLF

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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