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Date : 20100308

Dossier : IMM-5479-08

Référence : 2010 CF 264

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

VASYL VELYCHKO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 13 novembre 2008. La Commission a statué que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIRP).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

I.          Le contexte

 

[3]               Le demandeur est un citoyen ukrainien de 49 ans. Son épouse et ses enfants sont toujours en Ukraine, et ne sont pas parties à la demande.

 

[4]               Le demandeur prétend qu’il est exposé à des risques d’extorsion en Ukraine. Il affirme qu’il était propriétaire exploitant d’un stand où il vendait divers produits. En 2000, deux inconnus ont commencé à exercer sur lui des tactiques d’extorsion. Lorsqu’il n’a plus été en mesure de payer, les individus se sont attaqués à lui à son domicile, à la suite de quoi, il a dû aller à l’hôpital. La police a pris sa déposition pendant qu’il était à l’hôpital. Le demandeur prétend qu’après qu’il ait fait sa déposition à la police, son stand a été incendié, il a lui-même été frappé par une automobile et il a reçu des appels de menaces, le tout par les mêmes individus qui tentaient de l’extorquer. Le demandeur a déclaré qu’il n’avait pas communiqué avec la police à la suite de ces événements puisque ceux qui avaient tenté de l’extorquer étaient de mèche avec la police et qu’il était évident que l’Ukraine était une société corrompue.

 

[5]               Dans sa décision, la Commission a établi qu’il n’y avait pas de lien entre le demandeur et un des motifs de la Convention puisque la vendetta n’est pas un motif justifiant l’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention. De plus, la Commission a statué que le demandeur n’était pas une à protéger parce qu’elle ne l’a pas jugé crédible, que le demandeur n’a pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État et que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Kiev.

 

[6]               La Commission a jugé que le demandeur n’était pas crédible en raison des contradictions figurant dans sa preuve, plus particulièrement dans un rapport médical et dans un certificat d’imposition.

 

[7]               La Commission a ensuite statué que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État. À la lumière de la preuve documentaire, la Commission a établi que l’Ukraine était en mesure de fournir une protection, fût-elle rudimentaire, et que le demandeur devait d’abord tenter d’obtenir la protection de son pays. La Commission a statué que les motifs du demandeur de ne pas avoir communiqué avec la police une seconde fois n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

[8]               Enfin, la Commission a déterminé que le demandeur disposait d’une PRI à Kiev puisqu’il n’existe pas de registre national en Ukraine, même si les citoyens doivent s’enregistrer localement.

 

II.         La norme de contrôle

 

[9]               Les questions soulevées en l’espèce sont la crédibilité, la protection de l’État et la possibilité de refuge intérieur (PRI). Elles seront évaluées selon la norme de contrôle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; [2008] 1 R.C.S. 190 et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339). Comme l’a statué la Cour suprême dans Dunsmuir et dans Khosa, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Il tient également à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[10]           La Cour doit faire preuve de retenue à l’égard des décisions de la Commission en ce qui a trait aux questions de crédibilité et d’appréciation de la preuve (Camara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 362; [2008] A.C.F. no 442, paragraphe 12).

 

III.       Les questions en litige

 

[11]           En l’espèce, le demandeur a soulevé trois questions :

a)         la Commission aurait commis une erreur de droit en concluant qu’il n’y avait aucun lien entre la demande et l’un des motifs de la Convention;

 

b)         la Commission aurait commis une erreur en statuant que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État parce que son analyse des documents sur la situation du pays était déraisonnable;

 

c)         la conclusion de la Commission quant à la PRI était déraisonnable.

 

A.        La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en concluant qu’il n’y avait aucun lien entre la demande et l’un des motifs de la Convention?

 

[12]           Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait aucun lien entre sa situation et les motifs prévus dans la Convention. Le demandeur prétend que la Commission n’a pris en compte que certains éléments de la preuve qui confirmaient sa perception du crime organisé en Ukraine et qu’elle a écarté les éléments qui contredisaient cette perception.

 

[13]           La partie défenderesse, pour sa part, est d’avis que la Convention ne protège que les personnes ayant une crainte raisonnable de faire l’objet de persécution en raison de leur religion, leur race, leur nationalité, leur opinion politique ou leur appartenance à un groupe social.

 

[14]           Il est toutefois clair que les victimes d’actes criminels ne sont pas protégées par la Convention (Bencic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 623; 2002 CFPI 476, paragraphe 17). Le demandeur a cité l’arrêt Vassiliev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 955; 72 A.C.W.S. (3d) 900, paragraphe 13, pour étayer son point de vue selon lequel il existait un lien entre sa demande et l’un des motifs de la Convention. Toutefois, dans Vassiliev, la Cour a statué qu’il n’existait pas de distinction entre l’aspect de lutte contre le crime et les aspects idéologiques ou politiques, en ce qui concerne la crainte qu’a le demandeur d’être persécuté et que le refus du demandeur de participer à un régime corrompu était une expression d’une opinion politique.

 

[15]           Ce lien n’existe pas en l’espèce. Bien que le demandeur maintienne au paragraphe 11 de son exposé des faits et du droit que son [Traduction] « refus de coopérer avec la mafia en raison de ses convictions morales personnelles serait considéré comme l’expression d’une opinion politique », il n’a fourni aucune preuve de l’identité des individus qui l’auraient extorqué ni de leurs liens avec une organisation gouvernementale. Le refus de céder à l’extorsion, aux menaces et à la violence liées à son statut de propriétaire d’entreprise ne le rend pas admissible au statut de réfugié au sens de la Convention. La décision était raisonnable.

 

B          La Commission a-t-elle commis une erreur en statuant que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État parce que son analyse des documents sur la situation du pays était déraisonnable?

 

[16]           Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des documents indiquant que la corruption persiste en Ukraine. Selon lui, la Commission a eu tort de juger que l’État doit réellement offrir de la protection et non simplement indiquer la volonté d’aider. Bien que le demandeur eût reconnu qu’il faut présumer que la Commission a analysé tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés (paragraphe 11 de l’exposé des faits et du droit supplémentaire du demandeur), il prétend que la Commission a commis une erreur en omettant d’expliquer pourquoi elle avait accordé plus de poids à certains éléments de preuve plutôt qu’à d’autres qui étaient contraires à ses conclusions quant à la question fondamentale de la protection de l’État.

 

[17]           Enfin, le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en statuant qu’il n’était pas raisonnablement objectif de la part du demandeur de conclure qu’il n’obtiendrait aucune protection de l’État.

 

[18]           La partie défenderesse maintient pour sa part que la Commission a conclu de façon raisonnable que le demandeur aurait dû faire d’autres démarches pour obtenir une protection en Ukraine et que la Commission est fondée à accorder à certains documents davantage de poids qu’à d’autres.

 

(1)        La présomption relative à la protection de l’État

 

[19]           La protection des réfugiés se veut une forme de protection de remplacement dans les cas où le demandeur d’asile n’a pas pu obtenir la protection de son État d’origine (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; [1993] A.C.F. no 74; Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171; [2007] A.C.F. no 584).

 

[20]           Dans Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94; 69 Imm.. L.R. (3d) 309, la Cour d’appel fédérale a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État. La Cour a statué que l’intimée dans cette affaire n’avait pas fait d’efforts additionnels pour obtenir la protection des autorités lorsqu’elle n’a pas obtenu la protection de la police locale (paragraphes 31-36).

 

[21]           Dans Szucs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1614; 100 A.C.W.S. (3d) 650, le demandeur prétendait qu’il n’avait pas rapporté deux incidents de persécution à la police, car il n’estimait pas que cela l’aiderait. Dans ses motifs, le juge Pierre Blais a statué que la Commission pouvait examiner toutes les mesures raisonnables que le demandeur avait prises en vue d’obtenir la protection de son État d’origine.

 

[22]           Dans la présente affaire, la police a pris la déposition du demandeur après la première agression, mais ce dernier ne lui a pas signalé les autres incidents. La Commission a conclu que les motifs invoqués par le demandeur pour ne pas avoir communiqué avec la police et ne pas avoir tenté d’obtenir la protection des autorités ne réfutaient pas la présomption de protection.

 

[23]           Le demandeur d’asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l’État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante (Carrillo, précité, paragraphe 30). En l’espèce, le demandeur n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État, et la décision de la Commission était raisonnable.

 

[24]           Dans son exposé des faits et du droit supplémentaire, le demandeur a fait valoir qu’il n’a pas à solliciter la protection de l’État s’il est objectivement raisonnable de présumer qu’elle ne serait pas assurée (Avila Ortega c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1057; [2009] A.C.F. no 1295). Aux paragraphes 22-23 dans Ortega, le juge Russell Zinn a affirmé ce qui suit :

[22]      Un demandeur n’a pas à solliciter la protection de l’État s’il est objectivement raisonnable de présumer qu’elle ne serait pas assurée. « [L]’omission du demandeur de s’adresser à l’État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l’État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée » [Non souligné dans l’original.] : Ward, page 724.

 

 

[23]      Aux pages 724 et 725 de l’arrêt Ward, le juge LaForest a décrit deux types d’éléments de preuve qu’un demandeur pourrait fournir afin de réfuter la présomption de la protection de l’État : (1) la preuve que le demandeur a bien essayé d’obtenir la protection de l’État et qu’il ne l’a pas obtenue, (2) la preuve que des personnes se trouvant dans une situation semblable ont été incapables d’obtenir la protection de l’État. Il ne voulait pas que ces exemples soient exhaustifs; cependant, ces exemples illustrent bien les types d’éléments de preuve les plus souvent présentés par les demandeurs.

 

[25]           En l’espèce, la Commission a rejeté les motifs invoqués par le demandeur pour ne pas avoir communiqué avec la police après avoir été hospitalisé et a plutôt privilégié la preuve documentaire qui démontrait que l’Ukraine offre une protection de l’État. Par conséquent, la Commission a conclu que la présomption relative à la protection de l’État n’avait pas été réfutée. Cette conclusion était raisonnable.

 

(2)               L’analyse de la preuve citée dans les motifs

 

[26]           Le fait que la Section n’ait pas énuméré chacun des documents déposés en preuve devant elle n’indique pas qu’elle n’en a pas tenu compte. Un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu’à preuve du contraire (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.)). En ce qui concerne l’évaluation de la preuve documentaire, la Commission dispose d’un large pouvoir discrétionnaire, et elle est fondée à accorder à certains documents davantage de poids qu’à d’autres (Velinova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 340, 324 F.T.R. 180).

 

[27]           Dans la présente affaire, le demandeur n’a pu démontrer que la Commission a commis une erreur en accordant plus de poids à certains éléments de preuve qu’à d’autres. La Commission a mentionné qu’elle avait tenu compte de l’ensemble de la preuve produite, mais qu’elle avait accordé davantage de poids à la preuve documentaire qu’au témoignage du demandeur parce que les documents provenaient de diverses sources objectives, indépendantes et désintéressées. Ce raisonnement suffisait en l’espèce (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, 1998 CanLII 8667 (C.F.)).

 

C.        La conclusion de la Commission relativement à la PRI était-elle déraisonnable?

 

[28]           Comme on l’énonce dans Irshad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 763; [2005] A.C.F. no 941, au paragraphe 21, la notion de PRI fait partie inhérente de la définition de « réfugié au sens de la Convention ». Pour être considéré comme un réfugié au sens de la Convention, un individu doit être un réfugié d’un pays et non d’une région d’un pays. Par conséquent, lorsqu’il dispose d’une PRI, le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger (Sarker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 353; [2005] A.C.F. no 435).

 

[29]           En l’espèce, la Commission a conclu que le demandeur disposait d’une PRI à Kiev, précisant qu’il n’existe pas de registre central en Ukraine et qu’il serait donc difficile pour les extorqueurs de le retrouver là-bas. Cette conclusion était raisonnable.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.         la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5479-08

 

INTITULÉ :                                       VELYCHKO

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNTÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 4 FÉVRIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 8 MARS 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joel Etienne

 

POUR LE DEMANDEUR

Neal Samson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gertler, Etienne LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

n

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