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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100308

Dossier : IMM-5442-08

Référence : 2010 CF 262

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

DAI LE CHEN

(alias DAILE CHEN)

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision (la décision) datée du 20 novembre 2008 de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a conclu que le demandeur n’a ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie.

 

I.          Le contexte

 

[3]               Le demandeur est un citoyen chinois âgé de 24 ans. Sa demande est fondée sur sa crainte d’être persécuté du fait de sa participation aux activités d’une église clandestine. Le demandeur est venu au Canada en septembre 2006 pour étudier. Il a demandé l’asile en décembre 2006.

 

[4]               Le demandeur affirme avoir fréquenté une maison-église clandestine pendant les cinq mois qui ont précédé sa venue au Canada. Il est devenu membre de l’église parce qu’il éprouvait des difficultés avec un collègue. Au dire du demandeur, l’église comptait 8 membres, dont aucun pasteur, qui n’avaient pas de lieu de rencontre défini. Le demandeur a affirmé qu’en décembre 2006, alors qu’il se trouvait au Canada, il a appris de ses parents qu’il y avait eu une descente dans l’église, que quatre de ses membres étaient détenus et qu’une sommation le concernant avait été remise à ses parents par le Bureau de la sécurité publique (le BSP) en raison, entre autres, de sa participation illégale aux activités d’une maison-église. Le demandeur a par la suite demandé l’asile au Canada.

 

[5]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié ni n’avait établi la possibilité sérieuse qu’il serait persécuté s’il devait retourner en Chine. La Commission a conclu que le demandeur est un chrétien pratiquant au Canada mais qu’il ne pratiquait pas le christianisme au sein d’une église clandestine en Chine et qu’aucun élément de preuve objectif n’étayait sa crainte subjective. À la page 5 de ses motifs, la Commission a affirmé que : « Le tribunal estime que le demandeur d’asile pourrait retourner dans la province du Fujian et y pratiquer sa foi chrétienne sans crainte raisonnable d’être arrêté et incarcéré. »

 

II.         La norme de contrôle

 

[6]               Les questions soulevées en l’espèce seront examinées en fonction de la norme de raisonnabilité (voir les arrêts Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339).

 

[7]               Les arrêts Dunsmuir et Khosa, précités, établissent que la raisonnabilité tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

III.       La question en litige

 

[8]               Le demandeur formule ainsi la question en litige : la Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’a ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger, tout en concluant que le demandeur est un chrétien pratiquant et en ne tenant pas compte de la sommation?

 

[9]               La Commission a été saisie des éléments de preuve suivants : le témoignage du demandeur, son Formulaire de renseignements personnels ainsi que des documents communiqués par le demandeur et par la Section de la protection des réfugiés. La sommation qui aurait été adressée au demandeur a été présentée à la Commission.

 

[10]           La seule référence à cette sommation, dans les motifs, se trouve à la page 1, dans une note de bas de page. Cette note fait partie de l’examen des allégations par la Commission. Dans cet examen, la Commission a noté qu’une sommation qui exigeait que le demandeur se présente au BSP à une date précise avait été remise aux parents du demandeur.

 

[11]           À la page 4 de ses motifs, la Commission a conclu que : « […] une maison-église de cette taille dans la province du Fujian ne serait pas ciblée par une descente du BSP et que le demandeur d’asile ne serait pas arrêté ou incarcéré ». La Commission a affirmé en être arrivée à cette conclusion en se fondant sur la preuve documentaire dont elle était saisie, ajoutant qu’elle y avait accordé une plus grande valeur probante en raison du fait qu’elle contenait des renseignements provenant de plusieurs sources indépendantes et impartiales.

 

[12]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la sommation. Il soutient que la sommation constituait un document important et qu’il s’agit d’un élément de preuve qui contredit la conclusion de la Commission voulant que le demandeur n’ait pas de crainte raisonnable d’être arrêté ou incarcéré. En conséquence, le défaut de la Commission d’examiner la sommation de façon significative dans ses motifs écrits constitue une erreur qui ne peut résister à un examen judiciaire.

 

[13]           Le défendeur soutient que la Commission a affirmé avoir tenu compte, dans ses motifs, de l’ensemble des éléments de preuve soumis par le demandeur et qu’elle a même mentionné la sommation dans une note infrapaginale. Il ressort des motifs de la Commission que celle-ci s’en est plutôt tenue à la preuve selon laquelle les groupes de prière et d’étude de la Bible qui se réunissent entre amis et parents dans des maisons-églises n’éprouvent de difficultés que lorsque leurs membres deviennent trop nombreux et qu’ils se dotent d’un lieu de rencontre défini. La Commission s’est aussi fondée sur la preuve documentaire selon laquelle la province d’origine du demandeur, le Fujian, est l’une des plus libérales en ce qui concerne les pratiques chrétiennes.

 

[14]           Il est de droit constant que la Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard de l’évaluation que fait la Commission des éléments de preuve dont elle dispose (voir la décision Camara c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 362; [2008] A.C.F. no 442, au paragraphe 12). La Commission n’est pas non plus tenue de mentionner chacun des documents mis en preuve ni de résumer toute la preuve dont elle est saisie (voir l’arrêt Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.)).

 

[15]           Le demandeur soutient que le fait, pour la Commission, de n’avoir pas tenu compte d’un élément de preuve pertinent constitue une erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire (voir la décision Vigueras Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359; 295 F.T.R. 35) et que l’obligation de tenir compte d’un tel élément de preuve augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question à l’égard des faits contestés (voir la décision Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35; 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.). Le juge John Evans s’est exprimé ainsi aux paragraphes 15 à 17 de la décision Cepeda-Gutierrez :

[15]      La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.

 

[16]      Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

 

[17]      Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[16]           Dans l’arrêt Mahanandan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F no 1228; 49 A.C.W.S. (3d) 1292 (C.A.F.), les appelants soutenaient que la Commission n’avait pas bien ou n’avait pas du tout examiné le fondement objectif de leur crainte, en omettant notamment d’examiner une volumineuse preuve documentaire. Au paragraphe 8, le juge en chef Julius A. Isaac a affirmé ceci :

[8]        C'est aussi notre avis. Lorsqu'une preuve documentaire comme celle en cause est admise en preuve à l'audience, et pourrait vraisemblablement influer sur l'appréciation, par la Commission, de la revendication dont elle est saisie, il nous semble que plus qu'une simple constatation de son admission, la commission doit indiquer dans ses motifs l'incidence, si elle existe, de cette preuve sur la revendication du requérant. Comme je l'ai déjà dit, la Commission ne l'a pas fait en l'espèce. A notre avis, cette omission équivalait à une faute irréparable, et il s'ensuit que la décision de la Commission ne peut être maintenue.

 

[17]           En l’espèce, je suis d’accord avec le défendeur que la Commission a bien fait mention de la sommation dans une note au bas de la page 1 de ses motifs. Cette mention constituait une « simple constatation de [l’]admission » de la sommation. La Commission a aussi affirmé qu’elle avait tenu compte de l’ensemble de la preuve mais qu’elle s’en était plutôt tenue à sa propre preuve documentaire, celle-ci contenant des renseignements provenant de plusieurs sources indépendantes.

 

[18]           Cependant, ni la mention infrapaginale de la sommation ni « l’affirmation générale » en ce qui concerne la preuve ne suffisent en l’espèce. La sommation contredisait nettement la conclusion de fait de la Commission selon laquelle « […] une maison-église de cette taille dans la province du Fujian ne serait pas ciblée par une descente du BSP et que le demandeur d’asile ne serait pas arrêté ou incarcéré ». La sommation avait une pertinence considérable à l’égard des faits contestés et, de ce fait, « l’obligation » de la Commission « de fournir une explication » quant au poids qu’elle y accordait était accrue.

 

[19]           Les faits sont semblables à ceux de l’affaire Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1198; [2009] A.C.F. no 1492. Dans la décision Zhang, précitée, le juge Yves de Montigny a conclu que l’omission de tenir compte de la sommation constituait une erreur susceptible de contrôle judiciaire. Le juge de Montigny a affirmé que la sommation était un élément de preuve important dans la demande de la demanderesse et que la Commission avait l’obligation d’examiner la sommation et de donner des motifs, soit pour l’accepter en tant qu’élément de preuve crédible supplémentaire, soit pour la rejeter (voir les paragraphes 13 à 17).

 

[20]           En l’occurrence, si la Commission a précisément mentionné la sommation, elle ne l’a toutefois pas examinée dans ses motifs. Bien que l’évaluation de la preuve soit une question qui relève de l’expertise de la Commission et que celle-ci ne soit pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuve soumis à son appréciation, il était déraisonnable que la Commission n’exprimât pas explicitement la façon dont elle avait traité cet élément de preuve en particulier.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et la demande est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu’il rende une nouvelle décision.

2.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5442-08

 

INTITULÉ :                                       CHEN c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 3 FÉVRIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 8 MARS 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leonard Borenstein

 

POUR LE DEMANDEUR

Adrienne Rice

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Leonard Borenstein

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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