Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100303

Dossier : T-1104-09

Référence : 2010 CF 247

Vancouver (Colombie-Britannique), le 3 mars 2010

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

MASAN NOOR KAHIN

demandeur

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA
REPRÉSENTÉE PAR

LE MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L’INFRASTRUCTURE

ET DES COLLECTIVITÉS, et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision, énoncée dans une lettre en date du 11 juin 2009 adressée au demandeur, par laquelle le directeur des programmes de filtrage de sécurité de Transports Canada a rejeté la demande d’habilitation de sécurité du demandeur pour un emploi à l’aéroport international de Vancouver. Pour les motifs qui suivent, je conclurai au rejet de la demande.

 

[2]               Le demandeur est né et a été élevé en Somalie. Il a fui à cause de la guerre en Afrique du Sud, pays où il a obtenu l’asile et a vécu pendant plus de dix ans. En raison de la situation en Afrique du Sud, le Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a par la suite réinstallé le demandeur au Canada, où il est devenu résident permanent.

 

[3]               Peu après son arrivée au Canada, le demandeur a obtenu un emploi auprès d’une entreprise de services, connue sous le nom de Swissport, qui dessert l’aéroport international de Vancouver. Il a été engagé comme agent de piste, et l’accès temporaire à certaines zones réglementées de l’aéroport de Vancouver lui a été accordé pour lui permettre d’accomplir ses tâches. Pour que son emploi devienne permanent, il était tenu d’obtenir l’habilitation de sécurité. Il a présenté une demande en ce sens environ neuf mois après son arrivée au Canada. Finalement, sa demande d’habilitation de sécurité a été rejetée et il a été congédié.

 

[4]               Pour sa demande initiale d’habilitation de sécurité, le demandeur a rempli un formulaire pré-imprimé. L’une des questions posées dans le formulaire était la suivante : « Quelles ont été vos activités durant les cinq (5) dernières années? – fréquentations scolaires, périodes d’emploi et de chômage, etc. » Le demandeur a répondu qu’il avait travaillé pour Swissport, avait fréquenté une école en Colombie-Britannique, avait auparavant été sans emploi et avait avant cela travaillé pour Metro Home Centre/Metro Fuel à Pretoria, en Afrique du Sud, de février 2001 à juin 2007. Transports Canada a envoyé au demandeur une lettre datée du 18 juin 2008 dans laquelle on lui demandait plus de renseignements. La lettre était rédigée dans les termes suivants :

[traduction] La présente fait suite à votre demande d’habilitation de sécurité en matière de transport pour un emploi à l’aéroport international de Vancouver. Après examen préliminaire, nous estimons que votre dossier ne contient pas des renseignements suffisants, fiables et vérifiables sur vos antécédents. Ainsi, Transports Canada ne peut effectuer une évaluation complète des facteurs pertinents quant à votre demande. En particulier, comme vous avez été absent du Canada pendant un total de quatre ans et trois mois au cours de la période de cinq ans ayant précédé votre demande, nous exigerons les documents pertinents originaux qui nous permettront de vérifier les renseignements que vous nous avez communiqués sur vos lieux de résidence et vos emplois hors du Canada, ainsi qu’un certificat de police orignal de l’Afrique du Sud qui nous fournisse les renseignements en matière criminelle demandés pour la période de cinq ans visée.

 

Vous êtes invité à soumettre des documents ou des observations écrites pour qu’ils soient examinés par une commission d’enquête, qui décidera s’ils sont suffisants, fiables et vérifiables. Pour qu’il en soit tenu compte, les renseignements demandés doivent être reçus par Transports Canada au plus tard le 18 juillet 2008. Veuillez les faire parvenir à : Transports Canada ABPB (À l’attention de Marlene Préseault), pièce 1531, 330, rue Sparks, Ottawa (Ontario) K1A 0N5.

 

Si vous avez d’autres questions, veuillez joindre Marlene Préseault par téléphone au 613‑949‑0232 ou par courriel à SecurityScreeningRequests/information@tc.gc.ca
Pour obtenir plus d’informations concernant le programme d’habilitation de sécurité, veuillez consulter notre site Web à http://www.tc.gc.ca/tsc

 

 

 

[5]               Les défendeurs ont présenté un affidavit de Marlene Préseault, surintendante à la gestion des cas à Transports Canada, dans lequel elle déclare qu’un autre agent de Transports Canad avait, lors dans une conversation téléphonique, expliqué au demandeur les types de documents exigés. Cette conversation aurait eu lieu le 18 juin 2008. Je n’accepte pas cet élément de preuve, car il s’agit d’un ouï-dire et on ne m’a pas fourni les raisons pour lesquelles il était nécessaire de présenter de cette façon cet élément de preuve, alors qu’on aurait pu fournir le témoignage de la personne qui a fait l’appel téléphonique. L’avocat des défendeurs soutient qu’il n’était pas nécessaire de s’appuyer sur l’appel téléphonique pour démontrer que le demandeur était au courant des documents exigés : la lettre du 18 juin 2008 suffisait.

 

[6]               Le dossier montre que le demandeur a, comme suite à la lettre du 18 juin 2008, entre autres présenté une lettre d’une organisation nommée Somali Refugee Forum en Afrique du Sud, dans laquelle le demandeur était identifié comme secrétaire adjoint, une note écrite à la main relative à l’adresse du demandeur en Afrique du Sud et une lettre de l’entreprise Foremost Service Station où il était indiqué que le demandeur y avait travaillé [traducteur] « plusieurs années comme pompiste ».

 

[7]               À l’insu du demandeur, Transports Canada a envoyé un courriel à Metro Home Centre pour demander des renseignements sur l’emploi du demandeur, dont la date d’embauche et la date à laquelle il avait quitté l’entreprise. Dans la réponse par courriel de Metro Home Centre, celle-ci s’est identifiée comme la propriétaire de Foremost Service Station et a déclaré que le demandeur avait travaillé pour elle [traduction] « plusieurs années », mais qu’elle ne pouvait pas confirmer la date d’embauche et de départ du demandeur.

 

[8]               La demande d’habilitation de sécurité du demandeur a été envoyée à une commission d’enquête interne de Transports Canada. Le 11 juin 2009, une lettre a été envoyée au demandeur.


Il s’agissait de la décision en cause en l’espère portant rejet de la demande d’habilitation de sécurité. La lettre était rédigée de la manière suivante :

[traduction]
La présente fait suite à votre demande d’habilitation de sécurité en matière de transport pour un emploi à l’aéroport international de Vancouver. Nous avons le regret de vous informer que le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités a rejeté votre demande d’habilitation de sécurité sur le fondement des renseignements contenus dans votre dossier et de la recommandation de la commission d’enquête.

 

Le ministre est d’avis que vous n’avez pas présenté des renseignements suffisants, vérifiables et fiables. En particulier, concernant les renseignements visant une période de cinq (5) années exigés dans le cadre du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport, vous n’avez présenté des renseignements dans votre demande que pour une période de 4 ans et 4 mois, ce qui est insuffisant. Cette période correspond au temps que vous avez passé en Afrique du Sud, où les renseignements ne peuvent être vérifiés dans le cadre des ententes dont Transports Canada peut se prévaloir. En particulier, les renseignements que vous avez présentés relativement à vos lieux de résidence ne couvrent pas toute la période examinée et Transports Canada a été incapable d’évaluer la fiabilité des renseignements que vous avez fournis. Transports Canada a par ailleurs noté des contradictions entre les renseignements donnés dans le formulaire de demande d’habilitation de sécurité et les renseignements additionnels que vous avez fournis.

 

Vous avez le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire de la présente décision à la Cour fédérale du Canada dans les trente (30) jours à compter de la réception du présent avis.

 

 

 

[9]               Le demandeur a introduit la présente demande de contrôle judiciaire. L’argument de son avocat est, pour l’essentiel, qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale envers son client et


que la décision doit par conséquent être annulée. Le manquement prétendu à l’équité procédurale comprenait :

•           le défaut de communiquer, clairement et dès le début, la nature et l’étendue de la documentation que le demandeur devait fournir;

•           le défaut de communiquer les courriels entre Transports Canada et Metro Home Centre;

•           le défaut de donner la possibilité au demandeur de fournir davantage de renseignements et de documentation, ainsi que celle de répondre aux contradictions apparentes signalées dans la lettre du 11 juin 2009.

 

[10]           L’avocat des défendeurs soutient que, selon la jurisprudence, le niveau d’équité procédurale qui doit être accordé à une personne telle que le demandeur est minime et que le demandeur, en particulier en raison du fait qu’il avait reçu la lettre du 18 juin 2008, était suffisamment au courant de ce qui était exigé. Les courriels sont dénués de pertinence.

[11]           Un nombre étonnant de causes portent sur des personnes employées dans des installations aéroportuaires et les questions d’habilitation de sécurité. Je suppose que l’explication réside dans le fait que les lettres qui transmettent le rejet de la demande d’habilitation de sécurité se terminent, comme c’était le cas de la lettre du 11 juin 2009 visée en l’espèce, par une invitation à demander le contrôle judiciaire de la Cour. Ces causes auxquelles ont renvoyé les avocats sont :

•   Irani c. Canada (Procureur général), 2006 CF 816

•   Singh c. Canada (Procureur général), 2006 CF 812

•   Motta c. Canada (Procureur général) (2000), 180 F.T.R. 292

•   DiMartino c. Canada (Ministre des Transports), 2005 CF 635

•   Xavier c. Canada (Procureur général), 2010 CF 147

 

 

[12]           Les avocats des parties conviennent que, puisque la question en litige a trait à l’équité procédurale, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision correcte.

 

[13]           La présente affaire est similaire à celle de Motta. En l’espèce, le demandeur n’a été employé, et en fait seulement au Canada, que pendant quelques mois, et n’a pas reçu l’habilitation de sécurité qui lui aurait permis de garder son emploi à l’aéroport. Dans Motta, au paragraphe 13, le juge Pinard a qualifié l’équité procédurale qui doit être accordée dans de telles circonstances de minime :

[13]      Dans le présent cas, nous sommes en présence d’une simple demande d’autorisation ou de permis faite par une personne qui n’a aucun droit existant à cette autorisation ou à ce permis et qui n’est accusée de rien. Le refus du Ministre d’accorder l’autorisation d’accès entraînant le retrait d’aucun droit au demandeur, ce dernier ne pouvait donc avoir d’expectative légitime que l’autorisation lui serait accordée (voir Peter G. White Management Ltd. v. Canada (Minister of Canadian Heritage) et al. 1997 CanLII 5142 (F.C.), (1997), 132 F.T.R. 89 et Cardinal v. Alberta (Minister of Forestry, Lands and Wildlife) (23 décembre 1988), Edmonton 8303-04015 (Alta.Q.B.)). Dans les circonstances, je considère donc que les exigences imposées par l’obligation d’agir équitablement sont minimes et qu’il suffisait au Ministre, après avoir permis au demandeur de présenter sa demande par écrit comme il l’a fait, de rendre une décision qui ne soit pas fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition. Aucune preuve que la décision dûment prise par le Ministre en vertu des pouvoirs à lui conférés par la Loi et le Règlement soit ainsi mal fondée n’ayant été apportée, l’intervention de cette Cour n’est pas justifiée. 

 

 

[14]           Dans Irani (paragraphe 21) et Singh (paragraphe 20), la Cour a de façon similaire conclu à l’existence d’une obligation minimale.

 

[15]           Les circonstances dans DiMartino et Xavier sont différentes. Dans ces deux affaires, une habilitation de sécurité avait été révoquée en raison de rapports de police faisant état d’activités criminelles. Dans ces causes, la Cour a exigé qu’on donne à l’individu l’occasion de prendre connaissance des allégations formulées contre lui et de présenter des observations écrites étant donné que les allégations d’inconduite provenaient de tiers.

 

[16]           En l’espèce, la décision était fondée sur des renseignements et des documents remis par le demandeur. Celui-ci n’avait pas encore reçu l’habilitation de sécurité et il n’avait travaillé à l’aéroport que pendant quelques mois. J’estime que la présente affaire est similaire au groupe de cas de Motta. L’équité procédurale dont devait bénéficier le demandeur n’était que minime. J’estime que la lettre du 18 juin 2008 est suffisante à cet égard.

 

[17]           Par conséquent, je rejette la demande. Aucune partie n’a demandé l’adjudication des dépens et il n’en sera pas adjugé.


JUGEMENT

Pour les motifs exposés,

LA COUR STATUE que :

            1.         La demande est rejetée.

            2.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1104-09

 

INTITULÉ :                                       MASAN NOOR KAHIN c.

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE et al.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er mars 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 mars 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Fritz C. Gaerdes

POUR LE DEMANDEUR

 

Robert Danay

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alexander, Holburn, Beaudin & Lang LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.