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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100302

Dossier : T‑1048‑07

Référence : 2010 CF 241

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

ELI LILLY CANADA, INC.,

 ELI LILLY AND COMPANY,

ELI LILLY AND COMPANY LIMITED et

ELI LILLY, SA

 

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

 

et

 

 

NOVOPHARM LIMITÉE

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Novopharm Limitée (Novopharm) demande un recours extraordinaire dans une situation particulière.

 

[2]               Novopharm demande une ordonnance d’injonction comme celle établie dans Mareva afin d’interdire à Eli Lilly Canada Inc. (Lilly Canada) de transférer ses recettes à sa société mère, Eli Lilly and Company (Lilly É.‑U.). Subsidiairement, Novopharm demande une ordonnance exigeant que Lilly Canada verse une garantie pour les dommages‑intérêts qui n’ont pas encore été quantifiés dont elle soutient qu’ils lui seront attribués en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, dans sa version modifiée (le Règlement AC), et une ordonnance enjoignant à Lilly Canada de divulguer chaque trimestre ses comptes financiers à Novopharm.

 

[3]               Novopharm se préoccupe du fait que, même si elle obtient gain de cause contre Lilly Canada dans un litige concernant le brevet canadien no 2,014,113 (le brevet ’113), le transfert continu des recettes à Lilly É.‑U. pourrait rendre Lilly Canada inattaquable par jugement lorsque l’instance devant la Cour visant à décider les dommages‑intérêts en vertu de l’article 8 sera tranchée.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, la requête est rejetée.

 

Faits

[5]               En réponse à un avis d’allégation de Novopharm en date du 5 août 2004, Lilly Canada a déposé une demande (dossier de la Cour T‑1734‑04), en vertu de l’article 6 du Règlement AC, pour obtenir une ordonnance interdisant à Novopharm de commercialiser ses comprimés d’olanzapine. Cette demande a ensuite été abandonnée lorsque Novopharm a retiré son avis d’allégation le 21 avril 2005 ou vers cette date.

 

[6]               Le 20 juillet 2005, Novopharm a signifié à Lilly Canada un deuxième avis d’allégation concernant ses comprimés d’olanzapine. Lilly Canada a déposé une deuxième demande en vertu de l’article 6 du Règlement AC (dossier de la Cour T‑1532‑05), demandant encore une ordonnance interdisant à Novopharm de commercialiser ses comprimés d’olanzapine. Le 5 juin 2007, le juge Hughes a rejeté la demande de Lilly Canada. Il a conclu que l’allégation de Novopharm selon laquelle le brevet ’113 était invalide était justifiée : Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limitée, 2007 CF 596. Le lendemain, le 6 juin 2007, Novopharm a obtenu un AC et a commencé à commercialiser son produit. Un appel de la décision du juge Hughes a été rejeté en raison de son caractère théorique et l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada a été rejetée : Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limitée, 2007 CAF 359, autorisation d’appel à la C.S.C. refusée, 32415 (le 13 mars 2008).

 

[7]               De plus, le 6 juin 2007, Lilly Canada, ainsi que sa société mère et Eli Lilly SA, ont déposé la présente action contre Novopharm pour contrefaçon de brevet. Novopharm, par voie de demande reconventionnelle, a déposé une action en dommages‑intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement AC. Malgré les protestations de Novopharm, la Cour a ordonné la disjonction de l’instruction de l’action; la demande reconventionnelle en dommages‑intérêts en vertu de l’article 8 ne serait instruite que si Lilly Canada est déboutée en première instance.

 

[8]               L’article 8 du Règlement AC prévoit un effet dissuasif visant à rendre prudente une société pharmaceutique innovatrice lorsqu’elle décide si elle devrait intenter une action relative à un avis de conformité. Si l’innovateur est débouté, le générique peut ensuite déposer une action en dommages‑intérêts découlant de tout retard de l’obtention de son AC causé par la suspension prévue par la loi de l’approbation créée par l’instance.

 

[9]               Le 5 octobre 2009, le juge O’Reilly a rejeté l’action contre Novopharm en concluant que le brevet ’113 était invalide. Il a conclu en outre que Novopharm avait droit à l’indemnité prévue à l’article 8 du Règlement AC : Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2009 CF 1018. Un appel devant la Cour d’appel fédérale a été déposé par les demanderesses le 3 novembre 2009 (A‑454‑09) et il n’a pas encore été entendu. Le juge O’Reilly de notre Cour a rédigé son jugement comme suit :

1.      Les revendications du brevet 113 en litige sont invalides;

 

2.      L’action en contrefaçon de brevet de Lilly est rejetée;

 

3.      Novopharm a droit à l’indemnité prévue à l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) laquelle sera déterminée dans une instance distincte. Elle a également droit aux dépens.

 

[10]           La signification du paragraphe 3 du jugement a été remise en question. Le juge O’Reilly, dans une ordonnance subséquente en date du 16 décembre 2009, répondait cette question et dans sa réponse, il a rédigé ce qui suit :

[traduction]

 

Je souscris à l’observation de Lilly selon laquelle certaines questions se rapportant aux mesures de redressement auraient pu être tranchées durant la phase du procès consacrée à l’appréciation de la responsabilité (p. ex., les dates de début et de fin des pertes que Novopharm aurait subies). Toutefois, je n’étais pas tenu de trancher ces questions. J’ai conclu qu’il serait préférable de trancher la question de la période des prétendues pertes, ainsi que d’autres questions directement liées à l’indemnisation en vertu de l’article 8, lors de l’audience sur les mesures de redressement, et j’ai pris une ordonnance à cet effet. Contrairement à l’observation de Lilly, l’ordonnance de disjonction ne précisait pas les questions qu’il fallait trancher à l’étape de l’appréciation de la responsabilité; elle indiquait les catégories de la preuve qu’il ne fallait pas présenter.

 

La procédure requise pour décider le montant des dommages‑intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement AC n’a pas encore été fixée et les documents dont dispose la Cour indiquent qu’elle ne pourra pas être entendue avant 2011.

 

[11]           Novopharm soutient qu’une estimation prudente des dommages‑intérêts qui lui seront accordés varient de 86 millions de dollars à 138 millions de dollars, à l’exclusion des frais judiciaires.

 

[12]           Les demanderesses ont adopté la thèse selon laquelle Lilly Canada est la seule entité responsable des dommages‑intérêts en vertu de l’article 8 parce qu’elle était la seule « première personne » figurant à l’action relative à un AC. Cette thèse, ainsi que d’autres éléments de preuve qui seront mentionnés ci‑dessous, a suscité la préoccupation de Novopharm selon laquelle Lilly Canada peut devenir inattaquable par jugement. En conséquence, Novopharm a déposé la présente requête en vue d’interdire à Lilly Canada de transférer ses recettes à sa société mère aux États‑Unis et, subsidiairement, d’obtenir une ordonnance exigeant qu’elle remette une garantie pour les dommages‑intérêts et fournisse des comptes financiers trimestriels.

 

Discussion

[13]           L’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales et l’article 373 des Règles des Cours fédérales confèrent le pouvoir d’ordonner une injonction Mareva avant la décision relative à la responsabilité; il s’agit de l’objet traditionnel des injonctions Mareva et la Cour d’appel a déclaré que la Cour a le pouvoir de rendre de telles injonctions : Standal succession c. Swecan International Ltd., [1990] 1 C.F. 115 (C.A.). Je suis d’avis qu’on ne peut prétendre sérieusement que la Cour n’a pas le pouvoir d’ordonner une telle injonction lorsque, comme en l’espèce, une décision relative à la responsabilité a été rendue, mais non le montant y afférent.

 

[14]           La véritable question en litige entre ces parties est celle de savoir si Novopharm a répondu au critère pour accorder l’indemnité demandée.

 

[15]           Il existe une règle générale de longue date dans notre système de common law selon laquelle il ne devrait avoir aucune exécution avant jugement : Lister & Co. c. Stubbs, [1886-90] All E.R. 797 (C.A.); Bedell c. Gefaell, [1938] O.R. 726 (C.A.). La probabilité qu’un demandeur obtienne gain de cause si une question est instruite ne constitue pas en soi un motif pour ordonner au défendeur de remettre une garantie.

 

[16]           Même avant l’avènement de l’injonction Mareva il existait des exceptions à la règle générale décrite dans Lister : voir Aetna Financial Services Ltd. c. Feigelman, [1985] 1 R.C.S. 2, au paragraphe 17. Toutefois, dans Nippon Yusen Kaisha c. Karageorgis, [1975] 3 All E.R. 282 (C.A.) et Mareva Compania Naviera SA c. International Bulkcarriers SA, [1980] 1 All E.R. 213 (C.A.), le lord Denning a ouvert la voie à un nouveau recours judiciaire qui est maintenant connu comme l’injonction Mareva. Dans Third Chandris Shipping Corporation c. Unimarine S.A., [1979] 1 Q.B. 645, aux pages 668 et 669 (C.A.), le lord Denning a décrit les exigences auxquelles un demandeur doit répondre pour obtenir une injonction Mareva gelant ainsi les biens du défendeur avant jugement :

 

[traduction]

 

(i)                  Le demandeur doit faire une divulgation complète et franche de toutes les questions connues du requérant qu’il est important que le juge connaisse;

 

(ii)                Le demandeur doit donner les détails de sa réclamation contre le défendeur, indiquant le motif et le montant de cette dernière. Il doit franchement déclarer les points soulevés par le défendeur contre la demande;

 

(iii)               Le demandeur doit donner certains motifs de croire que les défendeurs ont des biens dans le ressort; [...]

 

(iv)              Le demandeur doit donner certains motifs de croire qu’il y a un risque pour que des biens soient enlevés avant que le jugement ou l’indemnité soient exécutés; [...]

 

(v)                Les demandeurs doivent fournir un engagement de régler des dommages-intérêts dans le cas où leur demande est rejetée ou que l’injonction s’avère injustifiée.

[Citations omises.]

 

 

[17]           Les lignes directrices décrites dans Third Chandris Shipping Corp. qui ont été citées au Canada avec approbation dans de nombreuses affaires : voir par exemple, Marine Atlantic Inc. c. Blyth et al.

 

[18]           Dans Chitel et al. c. Rothbart et al. (1983), 39 O.R. (2e) 513, aux pages 532 et 533 (C.A.) une modification importante a été apportée à la quatrième exigence décrite dans Third Chandris Shipping Corp., notamment :

[traduction]

 

Les pièces produites par le requérant doivent convaincre la cour que le défendeur est en train de sortir ses biens du ressort pour parer un jugement éventuel, ou qu’il y a un risque réel qu’il le fasse, ou encore que le défendeur soit en train de dissiper ou d’aliéner autrement ses biens d’une manière manifestement différente de sa façon habituelle de vivre ou d’administrer ses affaires, de sorte que la possibilité de retracer ultérieurement ces biens soit ténue, voire impossible en fait ou en droit.

 

 

[19]           En résumé, au Canada les exigences suivantes doivent être établies pour obtenir une injonction Mareva :

1.      Le demandeur doit établir preuve prima facie solide quant à aux chances de succès au procès : Aetna Financial Services Limited, au paragraphe 27;

 

2.      Le demandeur doit répondre aux cinq lignes directrices énoncées dans Third Chandris Shipping telles qu’elles sont reformulées et modifiées dans Chitel, notamment a) une divulgation complète et franche; b) les détails de sa réclamation; c) des biens dans le ressort; d) un risque que les biens soient enlevés avant que le jugement ne soit exécuté; et e) un engagement quant aux dommages‑intérêts;

 

3.      Le demandeur doit répondre à un critère triparti pour une injonction interlocutoire décrit dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, à la page 334, notamment a) la présente d’une question sérieuse à juger; b) un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée; et c) la prépondérance des inconvénients milite en faveur de la partie requérante.

 

[20]           Si la demanderesse ne répond pas à ces critères, la Cour devrait refuser l’injonction Mareva.

 

[21]           Novopharm n’a fourni aucun engagement quant aux dommages‑intérêts. Elle soutient que la Cour a un pouvoir discrétionnaire pour dispenser un tel engagement et que, quoi qu’il en soit, le raisonnement de l’exigence que le demandeur fournisse un engagement ne s’applique pas en l’espèce. Il est soutenu que le raisonnement correspond à celui décrit par le juge Sharpe dans son livre, Injunctions and Specific Performance, feuilles mobiles (Canada Law Book : Aurora (Ontario), 2009) à la page 2.470 :

[traduction]

 

Une telle obligation vise à protéger le défendeur du risque qu’on accorde une réparation avant de statuer sur les droits substantiels des parties. Si le défendeur a gain de cause au fond, l’injonction interlocutoire l’aura empêché d’agir conformément à ses droits. L’engagement relatif aux dommages-intérêts a pour effet de faire passer le risque, en tout ou en partie, à la partie qui sollicite la réparation préalable [...]

 

[22]           Novopharm a fourni trois observations quant à la raison pour laquelle aucun engagement ne devrait être exigé en l’espèce. Je ne peux faire mieux que de reproduire ses observations tirées des paragraphes 75 à 77 de son mémoire :

[traduction]

 

En premier lieu, Novopharm ne demande pas un recours préventif et, par conséquent, la logique de l’analyse du juge Sharpe ne s’applique pas strictement et simplement. Il n’y a aucun risque que l’injonction cause un préjudice à Lilly, puisqu’il s’agit d’une certitude que Lilly devra payer des dommages‑intérêts à Novopharm.

 

En deuxième lieu, tel que cela est indiqué ci‑dessus, le critère est ou devrait être différent puisque l’indemnité demandée est une injonction après jugement. Encore une fois, il n’y a aucun doute que Lilly devra verser un paiement à Novopharm; la seule question consiste à savoir le montant de ce paiement. Tout comme Novopharm ne devrait pas être tenue d’établir un préjudice irréparable dans ces circonstances, elle doit également être dispensée de toute exigence de prendre un engagement quant aux dommages‑intérêts.

 

Il faut également tenir compte de la description par le juge Huges des dommages‑intérêts en vertu de l’article 8 en tant qu’« engagement » par les premières personnes, comme Lilly, donné en échange de l’injonction prévue par la loi, qui est obtenue sans avoir à prouver les critères qui sont habituellement requis aux fins d’une injonction prévue par la loi. La Cour ne devrait pas exiger que Novopharm fournisse un engagement pour exécuter l’engagement de Lilly.

 

[23]           Je ne suis pas convaincu que, dans ces circonstances notamment uniques, il faudrait renoncer à l’exigence d’un engagement de la requérante.

 

[24]           Je ne retiens pas l’observation de Novopharm selon laquelle elle ne demande pas un recours préventif parce que la Cour a déjà décidé que Novopharm a droit aux dommages‑intérêts en vertu de l’article 8. Un procès quant à ces dommages‑intérêts n’a pas encore été instruit. Même si le juge O’Reilly a jugé que « Novopharm a droit à l’indemnité prévue à l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), laquelle indemnité sera déterminée dans une instance distincte. » qui découle directement du texte de l’article 8 du Règlement AC qui prévoit, en partie, que « Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est [...] rejetée par le tribunal [...], la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période. »

 

[25]           Novopharm affirme que [traduction] « il s’agit d’une certitude que Lilly devra payer des dommages‑intérêts à Novopharm. » Je suis d’avis, selon les documents dont la Cour est saisie, qu’il ne s’agit pas d’une certitude. Le paragraphe 8(5) du Règlement AC dispose « Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin. » Lilly Canada soutient qu’il est loin d’être certain que Novopharm sera accordée des dommages‑intérêts en fonction des questions qu’elle demandera à la Cour d’examiner lorsqu’elle évalue les dommages‑intérêts.

 

[26]           Lilly Canada soutient que, si Novopharm n’avait pas retiré son premier AC, il se peut qu’elle n’ait pas été retardée à mettre son produit sur le marché parce que la première instance aurait été conclue avant que Novopharm ait reçu son avis d’approbation de Santé Canada. Elle soutient en outre que Novopharm a renoncé à la totalité ou à une partie de sa réclamation de dommages‑intérêts en vertu de l’article 8. Elle invoque un affidavit déposé par Novopharm dans lequel elle atteste : [traduction] « Le fait qu’une décision sur le fond de l’affaire a été retardée par le retrait de l’avis d’allégation est entièrement au préjudice de Novopharm (qui a perdu des mois pour obtenir l’approbation de commercialisation, la perte de réclamations de dommages‑intérêts en vertu de l’article 8) ». Lilly Canada fait également valoir que Novopharm devrait être privée de tous dommages‑intérêts en vertu de l’article 8 en raison de [traduction] « inexactitudes dans les AC de Novopharm ». Enfin, Lilly Canada soulève le moyen de défense d’atténuation, en soutenant que Novopharm n’a pas atténué les dommages qu’elle aurait pu occasionner lorsqu’elle n’a pas accumulé les produits et qu’elle a été prête à la commercialisation.

 

[27]           Il se pourrait, suivant une instruction complète, qu’aucun de ces moyens de défense et qu’aucune des observations de Lilly Canada ne soit jugée valides. Toutefois, à ce stade, au cours d’une requête interlocutoire, la Cour ne peut pas et ne doit pas passer à une analyse détaillée des questions soulevées par Lilly Canada. Toutefois, ce qui est clair est qu’il ne s’agit pas d’une certitude que des dommages‑intérêts seront accordés à Novopharm en raison de l’audience en vertu de l’article 8.

 

[28]           Pour ces motifs, je rejette la deuxième observation de Novopharm selon laquelle il s’agit réellement d’une injonction après jugement.

 

[29]           Enfin, le juge Hughes n’a pas déclaré exactement que l’article 8 constituait une forme d’engagement de l’innovateur. Ce qu’il a dit est qu’il est assimilable à un engagement :

À maints égards, on pourrait assimiler l’article 8 à l’engagement généralement requis d’une partie qui demande à un tribunal de prononcer une injonction interlocutoire. La Cour (paragraphe 372(2) des Règles des Cours fédérales [...], ainsi que la plupart des autres cours de justice de ce pays, exigent, sauf ordonnance contraire, que soit donnée une promesse de réparation. Une promesse est une affaire sérieuse et les dommages‑intérêts accordés peuvent être substantiels, encore que, comme l’écrivait la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Delrina Corp. (c.o.b. Carolian Systems) c. Triolet Systems Inc. (2002), 58 O.R. (3d) 339, au paragraphe 87, ils doivent être raisonnablement prévisibles au moment de l’octroi de l’injonction interlocutoire et doivent découler naturellement de l’injonction, et non d’autre chose.

 

[30]           Dans son avis de requête, Novopharm a demandé une ordonnance selon laquelle Lilly Canada ne peut pas transférer ses profits à [traduction] « une entité affiliée à Lilly ou liée à celle‑ci » ou, subsidiairement, [traduction] « déposer une caution ou une autre garantie sous forme acceptable par Novopharm, auprès de la Cour fédérale d’une somme suffisante pour couvrir un jugement en dommages‑intérêts de 100 000 000 $ et les dépens de Novopharm aux fins de la présente action. » Même si les éléments de preuve déposés à l’appui de la requête indiquent que les dommages‑intérêts en vertu de l’article 8 s’élèveront entre 86 millions de dollars et 138 millions, son avocat a reconnu, en plaidoirie, que, si la période de dommages était limitée à 3,5 mois, comme Lilly Canada suggère que c’est justifié, les dommages‑intérêts s’élèveraient à 20 millions de dollars.

 

[31]           Novopharm n’a pas été en mesure d’établir de manière convaincante qu’un montant est susceptible de constituer le jugement qui sera rendu à son égard. Il serait irrégulier et inapproprié de rendre l’ordonnance demandée dans cette circonstance. Elle aurait une incidence importante sur les activités commerciales de Lilly Canada, ainsi que probablement sur celles de Lilly US. Si, en fin de compte, l’injonction ne devait pas être accordée, Novopharm devrait donc être responsable de tout dommage envers les demanderesses qui découle d’une telle ordonnance et c’est pour cette raison que je conclus que, si l’injonction était accordée, un engagement doit être donné par Novopharm. Aucun n’a été offert et, par conséquent, aucune injonction ni la garantie proposée en tant que solution de rechange, ne seront accordés.

 

[32]           En outre, le fait que Novopharm n’a pas été en mesure de quantifier ses dommages selon tout détail établi ainsi que son omission de prouver un préjudice irréparable. Un préjudice irréparable est un préjudice qui surviendra pendant la période entre maintenant et le moment où les dommages sont quantifiés et leur paiement est ordonné. Un préjudice irréparable est un préjudice qui ne peut être réparé et Novopharm doit établir le préjudice à l’aide d’éléments de preuve clairs et convaincants, ainsi qu’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice allégué est susceptible de survenir. Les éléments de preuve doivent être crédibles et le préjudice ne doit pas constituer une conjecture. Le préjudice allégué, son omission de recouvrer un jugement, ne répond à aucune de ces exigences puisque Novopharm ne peut que spéculer quant au montant des dommages‑intérêts dont elle fait valoir qu’elle n’est pas en mesure de le recouvrer.

 

[33]           Je conclus que Novopharm n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que Lilly Canada ne sera pas en mesure de satisfaire à un jugement du montant qu’elle souhaite obtenir.

 

[34]           Enfin, le critère établi dans Chitel n’a pas été respecté. Novopharm ne m’a pas convaincu que Lilly Canada enlève ou qu’il existe un véritable risque qu’elle soit en train de sortir ses biens du Canada pour parer un jugement éventuel ou qu’il y ait un risque réel qu’elle le fasse, ou encore qu’elle soit en train de dissiper ou d’aliéner autrement ses biens d’une manière manifestement différente de sa façon habituelle d’administrer ses affaires, de sorte que la possibilité de retracer ultérieurement ces biens soit ténue, voire impossible.

 

[35]           Voici les seuls éléments de preuve déposés par Novopharm à cet égard :

a.                   que Lilly Canada ne conserve aucun profit, mais qu’elle envoie tous ses profits à Lilly É.‑U.;

b.                  que Lilly Canada ne tient à jour que des comptes d’exploitation utilisés pour assurer ses activités au Canada, mais qu’elle n’a aucun investissement;

c.                   qu’après la décision du juge Hughes, lorsque Lilly Canada a perdu l’exclusivité de commercialisation de l’olanzapine, Lilly Canada a mis à pied des employés et certains l’ont décrit comme étant dans un [traduction] « état affaibli »;

d.                  que l’avocat général et le secrétaire de la société de Lilly Canada ont fait des déclarations sous serment qui [traduction] « suggéraient » que Lilly É.‑U. souhaiterait se départir de toute responsabilité envers Novopharm.

 

[36]           Ces éléments de preuve ne démontrent pas, selon la prépondérance des probabilités, que Lilly Canada est en train de sortir ses biens du Canada ou qu’elle envoie ses profits à sa société mère, qu’elle agit d’une manière différente de sa façon habituelle dans le cours normal de ses affaires. En outre, rien au dossier n’étaye, selon la prépondérance des probabilités, que les demanderesses liquident leurs activités canadiennes plutôt que de payer à Novopharm tout jugement qui lui est accordé. Au mieux, à l’aide du texte utilisé par Novopharm, la preuve « suggère » et cela ne constitue tout simplement pas une preuve suffisante sur laquelle fonder l’octroi d’une injonction Mareva.

 

[37]           Pour ces motifs, la requête est rejetée. En tenant compte de l’ordonnance du juge O’Reilly quant aux dépens suivant l’issue du procès, Lilly Canada a droit à ses dépens afférents à cette requête se situant au milieu de la colonne III et a droit aux frais afférents à la participation d’un deuxième avocat à l’audition de la requête.


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que :

1.                  La requête est rejetée;

2.                  Lilly Canada a droit à ses dépens afférents à cette requête se situant au milieu de la colonne III et a droit aux frais afférents à la participation d’un deuxième avocat à l’audition de la requête.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER                                           T‑1048‑07

 

INTITULÉ :                                       ELI LILLY CANADA INC. ET AL c.

NOVOPHARM LIMITÉE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 février 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 mars 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Anthony Creber                                                               POUR LES DEMANDERESSES

Me John Norman

                                                                                              

 

Me Jonathan Stainsby                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

Me Neil Fineberg                                                                     

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP                        POUR LES DEMANDERESSES

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

HEENAN BLAKIE LLP                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

 

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