Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


Date :  20010305

Dossier :  IMM-4250-09

Référence :  2010 CF 257

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2010

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

YVES KAMBALE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur conteste la légalité d’une décision rendue le 12 août 2009 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) rejetant sa demande d’asile en raison de son manque de crédibilité. Pour les motifs qui suivent, la présente demande doit échouer.

 

[2]               Le demandeur déclare être persécuté au Rwanda en raison de son appartenance ethnique. Précisons d’emblée que le demandeur est né le 6 mai 1983 et qu’il est un citoyen du Rwanda. Son père est Congolais et sa mère, une citoyenne rwandaise d’ethnicité Hutu. Sa mère est décédée le 10 août 1998. Bien que son père soit Congolais et qu’il ait vécu en République démocratique du Congo (RDC) au cours de la majeure partie de sa vie, le demandeur n’est pas un citoyen du Congo et ne peut l’être.

 

[3]               Les principales allégations du demandeur se résument comme suit.

 

[4]               La mère du demandeur était propriétaire de deux maisons à Kigali au Rwanda, et le demandeur en a hérité. À son retour au Rwanda, le demandeur a voulu récupérer le loyer des locataires. C’est à ce moment que ses problèmes ont commencé. En effet, les maisons en question étaient occupées par des officiers Tutsis du Front Patriotique Rwandais (FPR). Jusqu’à l’année 2007, ceux-ci auraient payé le loyer. Toutefois, en mars 2007, les officiers auraient refusé de lui remettre le loyer dû en disant que le « règne [des Hutus] était terminé et que c’était maintenant [le règne des Tutsis] ».

 

[5]               Selon le demandeur, les officiers en question l’ont menacé. S’étant adressé à un juge, ce dernier lui aurait appris que sa défunte mère avait un dossier devant les tribunaux Gacaca et qu’il gagnerait à se calmer, sinon on pourrait le traîner lui-même devant ces juridictions. Or, après avoir consulté deux avocats qui ne désiraient pas prendre charge de sa plainte concernant des officiers du FPR, le demandeur serait retourné à l’université qui est située à la ville de Butare. Au début du mois de juillet 2007, il aurait alors été informé que sa bourse d’études serait annulée à compter du mois d’août 2007. Il en a déduit que l’annulation de sa bourse était directement reliée à la plainte formulée contre les officiers du FPR. C’est à ce moment que le demandeur a compris que sa vie était en danger s’il restait au Rwanda. Vers la fin du mois de juillet, il est retourné à Kigali pour obtenir un visa pour entrer aux États-Unis. Le 16 août 2007, le demandeur est arrivé au Canada.

 

[6]               En déterminant que le demandeur n’est pas crédible, la Commission constate :

…le demandeur a présenté un témoignage marqué par un certain nombre d’incohérences, de tergiversations qui on contribué à affecter sa crédibilité.

Le tribunal lui demande s’il avait une preuve concernant les accusations portées à l’encontre de sa défunte mère. Le demandeur déclare n’avoir aucune preuve, mais dit se baser sur des propos qu’un magistrat, instructeur de son dossier de réclamation en ce qui concerne ses créances de loyers lui aurait déclarés. Il n’a pas vu d’acte d’accusation à l’encontre de sa défunte mère et n’a reçu aucune convocation ou notification faisant état de cette affaire qui concernait sa mère morte depuis plus de huit ans.

 

Le tribunal trouve invraisemblable que le demandeur puisse être poursuivi pour des faits dont il ignore totalement, qui, indéniablement, ne le concernent pas et qui concerneraient une personne morte depuis plus de huit (8) ans au moment des supposées récriminations qui lui sont faites à lui, le fils. Invité à s’expliquer, le demandeur témoigne que, lui-même, ne comprend cette machination qui aurait pour objet uniquement de créer les conditions de le mettre en prison et de causer sa mort, comme il en a reçu la menace explicite, d’après lui...

…Le tribunal lui demande s’il aurait poursuivi ses études si sa bourse avait été maintenue en l’état. Le demandeur répond qu’il aurait continué à fréquenter la même université si sa bourse avait été reconduite. Aussi, le tribunal lui pose-t-il la question de savoir pour quelles raisons a-t-il décidé de quitter son pays. Le demandeur répond que c’est en raison du non-renouvellement de sa bourse et des menaces qui auraient été proférées à son encontre, menaces qui, de l’avis du tribunal, ne l’ont pas empêchés, si tant est que son histoire est vraie, de continuer ses études dans la même université et de n’en partir qu’au moment où il n’a plus les moyens de continuer ses études et an moment où il a réuni les conditions de se rendre au Canada.

 

Le tribunal juge que le demandeur se fonde sur des suppositions personnelles tout le long de son témoignage. II procède à des déductions tirées de son analyse personnelle de la situation, tant en ce qui concerne la déclaration qui lui aurait été faite concernant l’affaire de sa défunte mère par devant les GACACA, que les raisons pour lesquelles sa bourse aurait été suspendue. Il en est de même des conclusions qu’il tire lui-même de la visite que lui aurait rendue un ami avec qui il jouait au soccer. Pour lui, ce dernier, étant passé demander de ses nouvelles signifierait qu’il y aurait quelque chose de pas très nette.

 

D’autre part, son comportement, tel qu’il en témoigne, est éloquent d’une absence de crainte de persécution. En effet, il reconnaît qu’il a continué de fréquenter son université et qu’il aurait continué de le faire si sa bourse n’avait pas été suspendue. Il n’est parti de son pays de citoyenneté que parce qu’il aurait perdu sa bourse d’études et en se fondant sur ses déductions personnelles sur des faits qui ne résistent pas à l’analyse, en raison de leur invraisemblance.

 

 

[7]               Après l’audience qui a eu lieu le l6 juillet 2009, l’avocat du demandeur a transmis une lettre à la Commission et un affidavit supplémentaire. Les gens avec lesquels le demandeur a habité au Rwanda avaient téléphoné pour l’avertir que, le 3 août 2007, quelqu’un aurait tenté de déposer chez lui un avis de convocation devant le tribunal Gacaca. La Commission a reçu l’affidavit mais a refusé de rouvrir l’audience, parce que l’affidavit concernait « une question qui [n’]est pas parue pertinente ».

 

[8]               Le demandeur soulève deux moyens d’attaque à l’encontre de la décision en cause :

a)         la Commission a erré en ne référant pas à la preuve contenue dans l’affidavit supplémentaire du demandeur; et

b)         la Commission a erré en concluant qu’il était invraisemblable que le demandeur soit ciblé par les autorités du Rwanda pour des actes qui sont reprochés à sa défunte mère.

 

[9]               Aucun de ces moyens ne peut réussir de l’avis de la Cour.

 

[10]           Dans un premier temps, le demandeur soumet que l’affidavit supplémentaire corrobore de fait qu’il a quitté le Rwanda après avoir été avisé que les autorités avaient tenté de lui signifier un avis de convocation le 3 août 2007 précisant qu’il devait comparaître devant un tribunal Gacaca. Selon le demandeur, la Commission devait considérer cet élément de preuve important et expliquer dans sa décision pourquoi cette preuve pertinente était rejetée, ce qui n’a pas été fait en l’instance.

 

[11]           Or, il incombait exclusivement à la Commission d’évaluer la pertinence et la valeur probante de l’affidavit supplémentaire du demandeur. Force est de constater ici que l’affidavit supplémentaire émane du demandeur lui-même et n’est pas soutenu de preuves extrinsèques. D’ailleurs, l’affidavit en question n’ajoute rien de nouveau, sinon une date que la Commission aurait dû considérer. En l’espèce, le demandeur avait déjà témoigné que les autorités rwandaises lui avaient fait officiellement parvenir une convocation mais qu’il n’était pas à la maison pour le recevoir. La Commission n’a pas cru le récit du demandeur à cause de l’invraisemblance notée dans sa décision. À cet égard, le demandeur n’a pas réussi à expliquer pourquoi il serait aujourd’hui personnellement ciblé pour une plainte portée contre sa mère décédée depuis huit ans déjà, ce qui m’amène à examiner le deuxième reproche formulé par le demandeur.  

 

[12]           D’autre part, le demandeur soumet que la Commission a erré en ne considérant pas le contexte rwandais post-génocide et l’ethnie du demandeur (Hutu). L’histoire du demandeur n’est pas invraisemblable. Ainsi, le demandeur rappelle que « [la Commission] ne peut ...conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend » (Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 au paragraphe 7).

 

[13]           Néanmoins, dans le cas sous étude, la Cour ne peut conclure que la conclusion d’invraisemblance est déraisonnable en l’espèce. La Commission est mieux placée que la Cour pour déterminer si les allégations des demandeurs s’appuient sur la preuve ou sont vraisemblances dans les circonstances. Depuis Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable aux questions de fait et de crédibilité (Sukhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l‘Immigration), 2008 CF 427 au paragraphe 15; Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l‘Immigration), 2008 CF 449 au paragraphe 22). Or, la raisonnabilité de la décision « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 47).

 

 

[14]           En l’espèce, la conclusion de la Commission que le demandeur n’est pas crédible sur un élément fondamental de sa revendication équivaut en fait à la conclusion qu’il n’existe aucun élément crédible suffisant pour justifier la revendication du statut de réfugié en cause (Tsafack c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 506 au paragraphe 3 (1re inst.) (QL)). De plus, il est bien établi que la Commission peut tenir compte du comportement du revendicateur d’asile en évaluant sa crédibilité (Sainnéus c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 249 au paragraphe 12; Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 648 au paragraphe 11) et que la Cour « qui n’a pas à sa disposition les éléments dont pouvaient disposer les juges du fait, n’a pas à s’immiscer dans l’appréciation que ceux-ci ont porté sur le comportement ou l’attitude de telle personne » (Wen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] AC.F. no 907 au paragraphe 3 (QL)).

 

[15]           Dans la présente affaire, la Commission a bien noté dans sa décision que le récit était incohérent et que le témoignage du demandeur était marqué par des tergiversations qui ont contribué à la conclusion négative à l’égard de sa crédibilité. Le demandeur n’a pas pu fournir de détails ni de preuves tangibles concernant les accusations portées à l’encontre de sa mère décédée. Selon la Commission, la crainte de persécution soulevée par le demandeur se fonde uniquement sur des suppositions personnelles. De plus, après avoir été interrogé s’il serait resté au Rwanda s’il n’avait pas perdu sa bourse scolaire, le demandeur a répondu par l’affirmative. La Commission remarque donc que le comportement du demandeur est « éloquent d’une absence de crainte de persécution ... [parce qu’]il reconnaît qu’il a continué de fréquenter son université et qu’il aurait continué de le faire si sa bourse n’avait pas été suspendue ».

 

[16]           Tout bien considéré, la décision de la Commission est raisonnable en ce sens que la décision en cause appartient aux différentes issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[17]           La demande de contrôle doit donc être rejetée. Aucune question d’importance générale n’a été soulevée par les parties et aucune ne se soulève en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4250-09

 

INTITULÉ :                                       YVES KAMBALE

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 FÉVRIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT                                LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 5 MARS 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Claude Whalen

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Alain Langlois

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Claude Whalen

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.