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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20100304

Dossier : IMM-2318-09

Référence : 2010 CF 253

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2010

En présence de Monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

CAMILO ALBERTO HURTADO PRIETO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision du 21 janvier 2009 par laquelle l’agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent) a statué que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[2]               Le demandeur demande que la décision de l’agent soit annulée, et l’affaire renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

Le contexte

 

[3]               En 2006, le demandeur, un citoyen de la Colombie, est allé étudier à une université à Moscou, en Russie. Le 9 décembre 2007, selon ses dires, des concitoyens de Colombie l’ont abordé et ont insisté pour obtenir sa collaboration et pour qu’il joigne les rangs des FARC, un groupe de guérilleros colombiens. Comme le demandeur a refusé de coopérer, ces hommes ont commencé à lui asséner des coups de pied et des coups de poing jusqu’à ce qu’arrivent des agents de sécurité de l’université. Le demandeur soutient que ces hommes l’ont approché parce qu’il parlait russe et qu’il avait obtenu de bonnes notes.

 

[4]               Le demandeur soutient s’être présenté aux services aux étudiants de l’université, mais qu’on ne l’avait pas aidé. Le 7 janvier 2008, le demandeur a découvert que sa chambre sur le campus avait été saccagée de fond en comble. Le 29 janvier 2008, la veille de son retour en Colombie, les mêmes hommes l’ont abordé, puis ils l’ont battu jusqu’à ce que des passants l’aident à prendre la fuite.

 

[5]               Le demandeur soutient qu’à son retour en Colombie, les membres de sa famille étaient bouleversés et l’ont conduit à l’hôpital pour qu’il y obtienne des soins. Les membres de sa famille l’ont ensuite aidé à demander un visa d’étudiant de l’Australie et, le 14 avril 2008, le demandeur s’est rendu dans ce pays, où il a résidé pendant sept mois avant que sa famille, ne pouvant plus continuer de payer ses études, lui demande de revenir à la maison.

 

[6]               Le demandeur soutient que le 15 décembre 2008, alors qu’il était de retour en Colombie, deux hommes l’ont abordé, l’un d’eux lui ayant placé un pistolet dans le dos et rappelé son engagement pris plus tôt en Russie. Les deux hommes ont tenté d’enlever le demandeur, qui a toutefois réussi à s’enfuir.

 

[7]               Le 17 décembre 2008, le demandeur s’est enfui à destination des États-Unis. Le lendemain, il a été arrêté alors qu’il tentait d’entrer au Canada par le point d’entrée de Stanstead (Québec) sans se présenter pour un interrogatoire. Une mesure d’exclusion a été rendue contre le demandeur, qui a ensuite soumis une demande d’examen des risques avant renvoi.

 

La décision de l’agent d’ERAR

 

[8]               Le motif déterminant du rejet par l’agent de la demande d’asile du demandeur avait trait au bien-fondé de la crainte de ce dernier.

 

[9]               Le défaut de présenter une demande d’asile en Australie laissait voir l’absence de crainte subjective du demandeur. Le fait que le demandeur se soit à nouveau réclamé de la protection de la Colombie en y retournant après les incidents survenus avec les recruteurs des FARC, et une fois encore après le séjour en Australie, dénotait lui aussi l’absence d’une crainte subjective.

 

[10]           L’agent a conclu que la demande du demandeur n’avait pas non plus de fondement objectif. La preuve était insuffisante quant à savoir si le demandeur avait bien cherché à obtenir des soins médicaux ou porté plainte auprès de la police en Russie au sujet de l’agression subie. Le demandeur a soumis un document sur ses antécédents cliniques daté du 1er février 2008 et provenant du Centre Riar de médecine esthétique et parallèle de Colombie. La partie du document concernant le diagnostic et le traitement recommandé était illisible pour l’agent. Le demandeur a également soumis en preuve une lettre adressée au procureur général à Bogota, en Colombie, pour que les incidents survenus fassent l’objet d’une enquête. L’agent a souligné que les autorités avaient bien reçu la plainte. Il a toutefois accordé peu d’importance à ces divers éléments de preuve, parce que la source d’information était le demandeur lui-même et qu’il n’y avait guère de preuve montrant qu’on avait procédé plus sérieusement à enquête.

 

[11]           L’agent a reconnu que les FARC commettaient des actes de violence et qu’elles s’étaient rendues coupables de graves violations des droits de la personne. Il a également reconnu que les personnes ciblées par les FARC ne pouvaient bénéficier d’une protection de l’État adéquate. La documentation produite par le demandeur révélait que les FARC proféraient des menaces de mort par téléphone ou par courrier, pour faire quitter une région ou même le pays par leur destinataire. La preuve était toutefois insuffisante quant au fait que le demandeur ou des membres de sa famille en Colombie auraient reçu des menaces par téléphone ou par courrier, ou auraient été soumis à la torture par les FARC. Elle était également insuffisante quant au fait que les FARC auraient en la moindre occasion harcelé ou ciblé les membres de la famille du demandeur pendant qu’il se trouvait à l’étranger.

 

[12]           L’agent s’est ensuite penché sur la situation régnant en Colombie, et il a fait remarquer que les articles produits par le demandeur ne visaient pas celui-ci et ne démontraient pas l’existence d’un risque personnalisé pour l’avenir. L’agent a également examiné divers documents traitant de la Colombie en tant que démocratie constitutionnelle et a conclu que, malgré les problèmes attestés qui y sévissaient, il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur y cherche assistance auprès d’organismes d’État avant de demander l’asile au Canada.

 

Les questions en litige

 

[13]           Les questions en litige sont les suivantes :

            1.           Quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable?

            2.           L’agent a-t-il commis une erreur en n’accordant pas d’audience au demandeur?

            3.           L’agent a-t-il commis une erreur du fait que, pour la demande d’asile du demandeur, il n’a pas procédé à une analyse fondée sur l’article 97 de la Loi distincte d’une analyse fondée sur l’article 96?

            4.           L’agent a-t-il pris en compte des facteurs non pertinents?

            5.           L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que la crainte du demandeur n’était pas fondée?

 

Les observations écrites du demandeur

 

[14]           Le demandeur soutient premièrement que, comme une question de crédibilité était en cause, la justice naturelle exigeait qu’elle soit tranchée par voie d’audience. Or en déclarant nombre de fois dans la décision qu’il y avait peu ou trop peu d’éléments de preuve favorables au demandeur, l’agent reconnaissait implicitement une faible valeur probante à l’affidavit du demandeur, et mettait ainsi en cause la crédibilité de ce dernier.

 

[15]           Le demandeur a déclaré sous serment qu’un pistolet avait été pointé vers lui le 15 décembre 2008 et, malgré cela, l’agent a conclu qu’il y avait [traduction] « une preuve insuffisante démontrant la volonté des guérilleros des FARC de causer du mal au demandeur ». C’était là une conclusion de manque de crédibilité.

 

[16]           Le demandeur soutient deuxièmement que l’agent a commis une erreur en ne procédant pas à des analyses distinctes, en fonction de l’article 96 et de l’article 97. L’élément de la crainte subjective, auquel on recourt pour l’analyse fondée sur l’article 96, est sans pertinence aucune lorsqu’il s’agit de l’article 97.

 

[17]           Le demandeur soutient troisièmement que l’agent a commis une erreur en tenant compte des facteurs non pertinents suivants : le fait que le demandeur n’avait eu aucun mal à quitter la Colombie en deux occasions et l’impunité des formations paramilitaires en Colombie.

 

[18]           Le demandeur soutient quatrièmement, enfin, que la conclusion de l’agent sur le bien-fondé de sa crainte était déraisonnable. Pour en arriver à cette conclusion, l’agent a déterminé que le demandeur n’avait pas été ciblé par les FARC; cela est toutefois contredit par la déposition sous serment du demandeur où celui-ci relate l’incident du 15 décembre 2008 au cours duquel un pistolet a été pointé dans son dos.

 

Les observations écrites des défendeurs

 

[19]           Les défendeurs font d’abord valoir que la tenue d’une audience n’était pas requise, une telle obligation n’existant qu’en des cas exceptionnels dans le cadre d’examens des risques avant renvoi, lorsque sont satisfaits tous les critères énoncés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002/227 (le Règlement). Le demandeur n’a pas démontré qu’il satisfaisait à tous les critères de l’article 167.

 

[20]           En outre, la crédibilité devait être l’élément clé sur lequel se fondait la décision de l’agent et il fallait qu’en l’absence de cet élément essentiel la décision eut été déraisonnable. En l’espèce, la décision de l’agent n’était pas fondée sur la crédibilité, mais plutôt sur l’insuffisance de la preuve présentée par le demandeur pour étayer ses allégations. Il incombait au demandeur d’établir que sa crainte était fondée et de fournir toute la preuve pertinente par écrit, des entrevues n’étant tenues qu’en des cas exceptionnels. Il était loisible pour l’agent de conclure en l’insuffisance de la preuve.

 

[21]           Les défendeurs soutiennent qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une analyse distincte fondée sur l’article 97 parce que les faits donnaient ouverture à une analyse combinée. L’analyse quant au fondement objectif de la crainte suffisait pour établir que le demandeur n’était pas une personne à protéger. Nulle analyse distincte en fonction de l’article 97 n’était donc requise.

 

[22]           Les défendeurs contestent l’allégation de prise en compte de facteurs non pertinents. Ainsi, la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’avait pas eu de mal à quitter son pays était pertinente pour établir s’il existait bien un risque, selon ce qu’avait allégué le demandeur, parce que les FARC avaient atteint un degré de sophistication élevé. La preuve documentaire sur les formations paramilitaires était semblablement pertinente en raison de l’interconnexion de cette preuve et de la preuve documentaire sur les FARC.

 

[23]           En dernier lieu, les défendeurs soutiennent que la conclusion finale de l’agent était raisonnable parce qu’elle s’appuyait sur les facteurs valables suivants :

-         il n’y avait aucune preuve du fait que le demandeur aurait sollicité la protection de l’État en Russie ou demandé l’asile en Australie;

-         le demandeur s’est en deux occasions réclamé à nouveau de la protection de la Colombie;

-         une preuve importante attestait que la Colombie consent de grands efforts pour protéger ses citoyens;

-         aucune preuve ne démontrait que les membres de la famille du demandeur avaient été agressés ou harcelés;

-         l’agent a bien pris en compte la preuve selon laquelle le demandeur avait été personnellement ciblé en Colombie, mais il appert que celui-ci n’a eu besoin d’aucun soin médical après les rencontres qu’il aurait faites en Russie et en Colombie.

 

Analyse et décision

 

[24]           Question no 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Les questions 2, 3 et 4 ont trait à l’équité de la procédure dans le cadre de la décision contestée et appellent la norme de la décision correcte. Il est bien établi que la retenue face au décideur n’est pas de mise à cet égard et qu’il revient à la Cour de se faire sa propre opinion quant au caractère équitable de l’audience (Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 983, paragraphe 16).

 

[25]           La question 5, par contre, a trait à une conclusion fondée sur les faits tirée par l’agent. Le législateur a confié une telle décision à des agents ayant des compétences spécialisées, et la retenue s’impose donc. La Cour n’interviendra par conséquent que si elle juge la décision déraisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, [2008] A.C.S. n° 9 (QL), paragraphe 53; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. n° 12 (QL), paragraphe 58).

 

[26]           Question no 2

            L’agent a-t-il commis une erreur en n’accordant pas d’audience au demandeur?

            En ce qui concerne l’obligation de tenue d’une audience en matière générale d’immigration, la Cour suprême du Canada a statué dans l’arrêt Singh et al. c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177, qu’une audience n’était nécessaire que lorsque la décision mettait en cause la crédibilité ou des conclusions de fait. Dans la décision Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. n° 1377 (1re inst.) (QL), paragraphe 11, toutefois, le juge Gibson de la Cour a interprété la déclaration de la Cour suprême comme imposant la tenue d’une audience uniquement dans le cas d’une question de crédibilité « qui soit au cœur de la décision ».

 

[27]           On codifie désormais à l’article 113 de la Loi certaines des règles procédurales s’appliquant aux demandes d’ERAR. L’alinéa 113b) prévoit ainsi qu’une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires.

 

[28]           Ces facteurs réglementaires sont énoncés à l’article 167 du Règlement, reproduit à l’annexe des présentes.

 

[29]           Dans la décision Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27, 50 Imm. L.R. (3d) 306, le juge Phelan a statué au paragraphe 16 que l’article 167 devenait opérant lorsque la crédibilité était remise en question d’une façon pouvant donner lieu à une décision défavorable à l’issue de l’ERAR, et que son objet était de permettre à un demandeur de répondre aux réserves formulées au sujet de sa crédibilité. J’ai statué dans la décision Ortega c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 601, [2007] A.C.F. n° 816, paragraphe 29, après avoir passé en revue la décision Tekie, précitée, qu’une audience était requise dans cette affaire puisque l’agent avait conclu « que, en dehors du manque de crédibilité du demandeur principal selon la Commission, les circonstances [étaient] effectivement telles que l’État n’était pas en mesure de protéger les demandeurs ».

 

[30]           À mon avis, l’article 167 décrit deux types de situations où des questions de crédibilité nécessiteront la tenue d’une audience. L’alinéa a) vise la situation où des éléments de preuve dont l’agent est saisi contredisent directement le récit du demandeur. Les alinéas b) et c), par ailleurs, énoncent un critère consistant essentiellement à se demander si une décision favorable aurait été rendue n’eut été la question de la crédibilité du demandeur. En d’autres mots, il faut se demander si l’acceptation pleine et entière de la version des faits du demandeur donnerait nécessairement lieu à une décision favorable. S’il est satisfait à l’un ou l’autre critère, la tenue d’une audience sera requise.

 

[31]           Je rejette par conséquent la prétention des défendeurs selon laquelle un demandeur doit satisfaire à tous les critères de l’article 167 pour que la tenue d’une audience soit requise.

 

[32]           En l’espèce, l’agent n’a tiré aucune conclusion expresse mettant en cause la véracité du récit du demandeur, ni n’a mentionné le moindre élément de preuve contredisant la déposition du demandeur. Par conséquent, la tenue d’une audience n’était pas requise en application de l’alinéa 167a) du Règlement.

 

[33]           Toutefois, l’agent a-t-il mis en cause implicitement la crédibilité du demandeur en déclarant fréquemment tout au long de la décision que celui-ci n’avait pas produit une [traduction] « preuve suffisante » à l’appui de sa demande? Dans le même ordre d’idées, l’agent a-t-il mis implicitement en question la crédibilité du demandeur en déclarant qu’il reconnaissait [traduction] « peu de valeur probante » aux documents fournis par le demandeur [traduction] « la source en étant le demandeur lui-même »?

 

[34]           Les défendeurs soutiennent que le demandeur ne mettait pas nécessairement en cause la crédibilité du demandeur. C’est à ce dernier qu’il incombait de démontrer le bien-fondé, tant aux plans objectif que subjectif, de sa crainte. Bien que le demandeur ait fait état de sa crainte dans un affidavit, il était loisible à l’agent de conclure que cet élément de preuve, même si on lui prêtait entièrement foi, se révélait être insuffisant.

 

[35]           L’agent a estimé que la preuve quant aux retours répétés du demandeur en Colombie laissait voir que ce dernier ne nourrissait pas une crainte subjective. Je conclus qu’il s’agissait là manifestement d’une question de crédibilité. Seul le demandeur lui-même pouvait savoir dans quelle mesure il craignait les présumés agents de persécution. Mettre en cause la crainte subjective du demandeur, cela revenait essentiellement à conclure qu’il n’était pas crédible.

 

[36]           En fonction du critère prévu aux alinéas 167b) et c) du Règlement pour que la tenue d’une audience soit requise, il doit être probable qu’une décision favorable aurait été rendue « n’eut été » la question de la crédibilité. Le demandeur doit donc démontrer qu’il aurait probablement pu établir de même l’élément objectif.

 

[37]           L’agent a statué que la preuve du demandeur ne permettait pas d’établir l’élément objectif du critère.

 

[38]           Selon moi, il n’est pas toujours possible de pleinement établir l’élément objectif en relatant simplement son récit dans un affidavit. Parfois, selon les circonstances, une preuve additionnelle sera requise. La question de la crédibilité ne sera pas nécessairement déterminante si la preuve produite, qu’elle soit ou non crédible, n’a tout simplement pas une valeur probante suffisante (Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, paragraphe 30).

 

[39]           En déclarant que la preuve était « insuffisante » pour établir l’élément objectif, l’agent ne mettait pas nécessairement en cause la véracité des dires du demandeur. Il était loisible pour un agent d’estimer qu’une personne raisonnable ayant vécu ce que le demandeur prétendait avoir subi n’aurait pas une crainte justifiée.

 

[40]            L’essentiel de la présente affaire repose sur la reconnaissance par l’agent de ce qui suit :

[traduction]

Je reconnais que les FARC sont toujours actives en Colombie et qu’elles commettent des actes de violence et de graves violations des droits de la personne. Je reconnais également que les personnes ciblées par les FARC ne disposent ni d’une protection de l’État adéquate ni d’une possibilité de refuge intérieur […]

 

[41]           La seule conclusion raisonnable à tirer au vu de cette reconnaissance est que, du point de vue de l’agent, le fait d’être ciblé par les FARC aurait permis à quiconque d’établir l’élément objectif de la crainte fondée requise aux fins des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[42]           Lorsqu’on compare cette déclaration de l’agent à la déposition sous serment du demandeur, où celui-ci décrit plusieurs fois bien clairement comment il a été la cible des FARC, il devient manifeste que l’agent n’aurait pu tirer sa conclusion selon laquelle [traduction] « […] [l]a preuve n’établit pas le fondement objectif de la crainte des FARC du demandeur » en l’absence d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

[43]           Je suis ainsi d’avis, puisque le rejet par l’agent des éléments subjectif et objectif de la crainte du demandeur venait de ce qu’il ne prêtait pas foi à la déposition sous serment du demandeur, que la tenue d’une audience était requise en application de l’alinéa 113b) de la Loi et de l’article 167 du Règlement.

 

[44]           L’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en n’accordant pas d’audience au demandeur. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et l’affaire renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[45]           Je n’ai pas à traiter des autres questions en litige, en raison de ma conclusion sur cette question.

 

[46]           Ni l’une ni l’autre partie n’a souhaité soumettre à mon attention une question grave de portée générale en vue de sa certification.

 

JUGEMENT

 

[47]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de l’agent soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice
ANNEXE

 

Les dispositions légales applicables

 

Les dispositions légales applicables sont reproduites ci-après.

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 :

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2318-09

 

INTITULÉ :                                       CAMILO ALBERTO HURTADO PRIETO

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L’IMMIGRATION

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE                   TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 OCTOBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT:                       

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack Davis

 

POUR LE DEMANDEUR

Margherita Braccio

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis & Grice

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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