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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100224

Dossier : IMM-2996-09

Référence : 2010 CF 219

Ottawa (Ontario), le 24 février 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

et

 

HUNG VAN NGUYEN

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rendue le 21 mai 2009 (la décision) à l’égard de la demande de parrainage du défendeur, qui a accueilli l’appel du défendeur concernant sa demande de parrainage et qui a établi que le refus de la demande de parrainage précédemment opposé n’était pas valide en droit.

 

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le défendeur est un citoyen canadien qui a essayé de parrainer son épouse, avec laquelle il s’est marié en 2004 (la conjointe parrainée) et avec laquelle il a eu un enfant en 2005.

 

[3]               Avant qu’une décision soit rendue à l’égard de la demande du défendeur, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a reçu une lettre affirmant que le défendeur était marié à une autre femme (Mme Nguyen), et qu’il était le père de son enfant. Mme Nguyen soutenait que le défendeur et elle vivaient en union de fait depuis 1996. Elle avait joint à sa lettre une copie de son certificat de mariage avec le défendeur ainsi qu’une déclaration assermentée qu’elle avait signée en janvier 2006. En novembre 2006, Mme Nguyen a fait parvenir à CIC une autre déclaration assermentée. En janvier 2007, Mme Nguyen a envoyé une nouvelle lettre aux agents d’immigration, affirmant que le défendeur était bigame et enfreignait la loi.

 

[4]               La demande du défendeur a été rejetée en application de l’alinéa 117(9)c) de la Loi. En août 2007, le défendeur a déposé un avis d’appel de cette décision.

 

[5]               Le défendeur a présenté des observations dans lesquelles il a nié vivre en union de fait, et être marié, avec Mme Nguyen.

 

[6]               En novembre 2007, Mme Nguyen a présenté une autre déclaration assermentée, dans laquelle elle revenait sur son affirmation voulant qu’elle et le défendeur aient vécu en union de fait. Elle déclarait plutôt qu’ils avaient été colocataires de 2003 à 2007.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[7]               La SAI a conclu que le défendeur était « persuasif lorsqu’il a décrit [sa] relation [avec Mme Nguyen] à titre de colocataires ». Toutefois, la SAI a souligné que « [l]a preuve [était] devenue confuse, l’appelant ayant de la difficulté à témoigner au sujet d’un présumé mariage dont il [avait] fermement nié l’existence ». La SAI a néanmoins estimé que si le défendeur n’avait pas pu fournir plus de précisions, c’était en raison d’une « véritable méconnaissance de sa part, plutôt qu’une tentative en vue d’induire le tribunal en erreur ».

 

[8]               Il a été établi que le mariage du défendeur et de la conjointe parrainée était le second mariage du défendeur. Le défendeur a tenté de parrainer la conjointe parrainée en mai 2006, mais il n’a pu le faire car « les trois années de son engagement financier à l’égard de son ex-épouse n’étaient pas terminées, celle-ci ayant obtenu le droit d’établissement au Canada le 22 mai 2003 ». Le défendeur et son ex-épouse se sont séparés peu de temps après.

 

[9]               La SAI a conclu de la preuve présentée par le défendeur qu’il n’était pas le conjoint de fait de Mme Nguyen. La SAI a accepté le témoignage du défendeur, selon lequel il avait demandé à Mme Nguyen de fournir l’acte de naissance de l’enfant et offert de passer un test de paternité. La SAI s’est également attardée sur le fait que l’avocat de Mme Nguyen avait attendu un mois avant d’acheminer la première plainte, datée de 2006, à CIC, ce qui permettait de douter de la véracité de la documentation. La SAI a conclu que « les menaces d’accusations au criminel pour bigamie et fraude, tel qu’il en est fait état dans la documentation de [Mme] Nguyen, sont sans fondement aux fins de l’appel. Aussi le tribunal accorde-t-il peu d’importance à cette documentation. »

 

[10]           En outre, la SAI a établi que le défendeur avait été crédible « lorsqu’il a décrit son absence de contact avec [Mme] Nguyen après avoir quitté la demeure de celle-ci ».

 

[11]           La SAI a conclu que le défendeur n’était pas marié avec Mme Nguyen, pas plus qu’il n’avait vécu en union de fait avec elle. Le défendeur a aussi dit ignorer comment elle avait obtenu le certificat de mariage, affirmant n’avoir entrepris aucune démarche afin de faire annuler ce certificat parce qu’il croyait que le mariage était faux.

 

[12]           La SAI a conclu que l’ensemble de la preuve était convaincant. En outre, elle a été d’avis que les photos de famille prises au cours de la visite que le défendeur a rendue à son épouse et à leur fille constituaient « un indice d’une relation authentique, surtout celles où il est en compagnie de sa fille ». Ainsi, la SAI a conclu que le défendeur avait « établi qu’il n’était pas l’époux de [Mme] Nguyen lorsqu’il s’est marié avec la demandeure le 5 mai 2004 ».

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[13]           En l’espèce, le demandeur soulève les questions suivantes :

1.                  La SAI a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve dans ses conclusions de fait ou en les interprétant de manière erronée?

2.                  La SAI a-t-elle commis une erreur en fondant ses conclusions de fait sur des motifs inadéquats?

3.                  La SAI a-t-elle outrepassé sa compétence en examinant des éléments qui n’étaient pas pertinents pour le règlement de l’affaire?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[14]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Regroupement familial

 

12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

 

Family reunification

 

12. (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

 

[15]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, s’appliquent également en l’espèce :

117(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

[…]

 

c) l’époux du répondant, si, selon le cas :

 

(i) le répondant ou cet époux étaient, au moment de leur mariage, l’époux d’un tiers,

 

 

(ii) le répondant a vécu séparément de cet époux pendant au moins un an et, selon le cas :

 

(A) le répondant est le conjoint de fait d’une autre personne ou le partenaire conjugal d’un autre étranger,

 

 

(B) cet époux est le conjoint de fait d’une autre personne ou le partenaire conjugal d’un autre répondant;

 

117(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

 

. . .

 

(c) the foreign national is the sponsor’s spouse and

 

(i) the sponsor or the foreign national was, at the time of their marriage, the spouse of another person, or

 

(ii) the sponsor has lived separate and apart from the foreign national for at least one year and

 

(A) the sponsor is the common-law partner of another person or the conjugal partner of another foreign national, or

 

(B) the foreign national is the common-law partner of another person or the conjugal partner of another sponsor;

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[16]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’avait pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[17]           La question de savoir si la SAI a commis une erreur en interprétant la preuve dont elle disposait est une question de fait. Par conséquent, la norme applicable est la raisonnabilité. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 64. Le demandeur a fait valoir que la SAI avait outrepassé sa compétence en tenant compte de considérations non pertinentes. Toutefois, la jurisprudence établit clairement que la raisonnabilité est la norme applicable à la question de savoir si un décideur s’est appuyé sur des considérations non pertinentes pour rendre une décision discrétionnaire. Voir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 53; l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 14.

 

[18]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[19]           La question de savoir si la SAI a fourni des motifs adéquats pour appuyer sa conclusion est une question d’équité procédurale, qui doit être examinée selon la décision correcte. Voir Weekes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 293, 71 Imm. L.R. (3d) 4.

 

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

                        La preuve dont la SAI n’a pas tenu compte

 

[20]           Le demandeur affirme que la SAI a négligé de tenir compte de l’existence du certificat et de la licence de mariage, datés de 2005, le défendeur et Mme Nguyen y apparaissant comme mari et femme.

 

[21]           La SAI a manifestement commis une erreur en ne tenant pas compte du certificat de mariage que Mme Nguyen a présenté. La SAI a conclu que « les menaces d’accusations au criminel pour bigamie et fraude, tel qu’il en est fait état dans la documentation de [Mme] Nguyen, sont sans fondement aux fins de l’appel. Aussi le tribunal accorde-t-il peu d’importance à cette documentation ». La SAI a néanmoins commis une erreur en ne tenant pas compte des documents, la jurisprudence ayant établi que les documents délivrés par un gouvernement étaient présumés valides à moins d’une preuve contraire. Voir, par exemple, Nika c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 656, [2001] A.C.F. n° 977, au paragraphe 12. La SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte de ces documents aux fins de son analyse et en concluant que le défendeur n’avait jamais été marié, ou n’avait jamais vécu en union de fait, avec Mme Nguyen.

 

[22]           Aucune preuve n’a été présentée en ce qui a trait à la validité des documents. Le défendeur s’est en effet contenté de nier avoir été marié à Mme Nguyen et avoir vécu avec elle, et ce, en dépit du fait que la même adresse apparût sur leurs permis de conduire.

 

[23]           Le défendeur a négligé de fournir des éléments de preuve, tels qu’un spécimen d’écriture ou une lettre du célébrant qui avait procédé à la cérémonie, afin de démontrer que le certificat n’était pas valide. Le défendeur a seulement [traduction] « nié avec véhémence et présenté un document dans lequel [Mme Nguyen] se rétractait et qui ne fait même pas mention du certificat de mariage que celle-ci avait fourni plus tôt à CIC ».

 

[24]           La SAI a également commis une erreur en faisant fi des incohérences ainsi que du caractère peu pertinent du témoignage du défendeur. Ce dernier avait oublié des éléments importants concernant sa situation, et il n’est pas parvenu à expliquer pourquoi il ne s’en souvenait pas. En outre, son témoignage présentait des contradictions quant à la question de savoir s’il connaissait Mme Nguyen.

 

Les motifs inadéquats

 

[25]           La SAI n’a pas rendu de motifs adéquats, alors que sa conclusion contredisait des éléments de preuve documentaire valides. La SAI n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas accordé d’importance à ces éléments de preuve documentaire, surtout qu’elle avait plus tôt qualifié ces éléments de convaincants, et qu’ils comprenaient des documents émis par un gouvernement, dont la validité n’avait pas été remise en question. Voir, par exemple, Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1991) 130 N.R. 236, 15 Imm. L.R. (2d) 199.

 

La prise en considération d’éléments non pertinents

 

[26]           La SAI a commis une erreur en prenant en considération des éléments qui n’étaient pas pertinents pour les fins de l’appel. La SAI s’est appuyée sur des photos fournies par le défendeur, concluant qu’il s’agissait d’un élément établissant positivement l’authenticité de sa relation avec la conjointe parrainée. Le demandeur fait valoir qu’en l’espèce, le défendeur ne peut se réclamer de l’article 25 de la Loi pour appuyer sa demande et prétendre que la conjointe parrainée fait partie de la catégorie du regroupement familial. Cette disposition ne s’applique que lorsque la décision a été prise indépendamment des critères énoncés à l’article 25. Voir les articles 25 et 65 de la Loi.

 

Le défendeur

 

[27]           Le défendeur n’a pas déposé de mémoire ou d’avis de comparution aux fins de la présente audience.

 

ANALYSE

 

[28]           Le défendeur n’a pas présenté d’observations relativement à la présente demande et personne n’a comparu en son nom à l’audience.

 

[29]           J’ai examiné les observations écrites du demandeur et ai entendu son avocat.

 

[30]           Ayant examiné le dossier, j’en conclus que les questions soulevées par le demandeur sont justifiées et qu’elles trouvent appui dans le dossier. La décision contestée contient des erreurs susceptibles de contrôle, que le demandeur a relevées dans ses observations, lesquelles tiendront lieu de motifs dans la présente décision.

 

[31]           En outre, immédiatement avant l’audience, le défendeur a déclaré consentir à la présente demande de contrôle judiciaire, au moyen d’une télécopie qu’il a envoyée à la Cour. Il s’est expliqué de la manière suivante : [traduction] « ma relation avec mon épouse a pris fin. Je ne vais pas poursuivre la demande de parrainage ».

 

[32]           Quand elle examinera la question de nouveau, la SAI devrait tenir compte de cet avis du défendeur et agir en conséquence.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Section d’appel pour nouvel examen.

 

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Alya Kaddour-Lord, traductrice

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2996-09

 

INTITULÉ :                                       MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION                                                           

                                                                        c.

                                                            HUNG VAN NGUYEN                                                           

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 février 2010

                                                            

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Alexis Singer                                        POUR LE DEMANDEUR                                                                                                     

   

Le défendeur                                        EN SON PROPRE NOM

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :   

 

 John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada      POUR LE DEMANDEUR                                  

 

Le défendeur                                        EN SON PROPRE NOM      

                                                                                                                 

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