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Date : 20100302

Dossier : IMM‑3968‑08

Référence : 2010 CF 242

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2010

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

MOHAMMAD JAHAZI

NARGUES BEHNAZ MORTAZAVI‑IZADI

HAMED JAHAZI

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 14 août 2008 par laquelle l’agente d’immigration Andrée Blouin a refusé la demande de résidence permanente présentée par le demandeur sur constat d’interdiction de territoire pour raison de sécurité au titre de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). M. Jahazi, un citoyen iranien, est un scientifique très réputé qui a travaillé dans le cadre d’une recherche de haut niveau au Conseil national de recherches du Canada (CNRC). Il a quitté le Canada le 16 décembre 2008, à l’expiration de son dernier permis de travail temporaire.

 

[2]               Avant l’audition de la demande de contrôle judiciaire, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) a demandé la non‑divulgation, au titre de l’article 87 de la LIPR, de certains renseignements ayant servi de fondement à la décision de l’agente. L’avocat du demandeur ne s’est pas opposé à la requête du ministre, mais il a demandé la nomination d’un avocat spécial pour représenter les intérêts de M. Jahazi. L’audience ex parte et à huis clos de cette requête a eu lieu le 25 août 2009. Par la suite, les observations des deux parties sur la requête au titre de l’article 87 ainsi que sur la requête en nomination d’un avocat spécial ont été entendues par téléconférence le 19 octobre 2009. Le 26 octobre 2009, j’ai ordonné que la requête du défendeur au titre de l’article 87 soit accueillie et que la requête du demandeur en nomination d’un avocat spécial soit rejetée. À l’époque, j’ai expliqué brièvement mes décisions et j’ai précisé que des motifs plus élaborés seraient fournis en même temps que les motifs sur le fond de la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Jahazi.

 

I.          Le contexte

 

[3]               Le demandeur est né en 1959. En 1977, il a quitté l’Iran pour étudier en France. Il a obtenu un diplôme en génie en 1984 et une maîtrise en génie en 1985. Il a déménagé au Canada pour faire un doctorat à l’Université McGill; il a obtenu son diplôme en 1989 ainsi qu’une mention d’honneur et d’excellence du doyen. Entre‑temps, il a épousé Mme Narges Behnaz Mortazavi Izadi en 1987. Ils ont eu deux fils (un né au Canada en 1989 et l’autre en Iran en 1993).

 

[4]               Après avoir occupé brièvement un poste de chercheur à l’Université McGill, le demandeur est retourné en 1990 en Iran avec sa famille. Il a été d’abord embauché comme professeur adjoint et par la suite comme professeur agrégé (en 1996), à l’université Tarbiat Modarres (UTM), où il a enseigné dans son domaine de spécialisation (les matériaux). Parallèlement, de 1998 à 2001, il a travaillé deux jours par semaine pour l’Organisation de la recherche iranienne pour la science et la technologie (ORIST), au sein de laquelle il a occupé le poste de directeur adjoint pour la recherche et la technologie.

 

[5]               Le demandeur est revenu au Canada en 2001, muni d’un permis de travail, pour occuper un poste de chercheur à l’Université McGill. Peu de temps après, il a demandé et obtenu un poste de rang supérieur (chef d’équipe) à l’Institut de recherche aérospatiale du CNRC. Il est venu au Canada avec sa femme et ses deux enfants.

 

[6]               Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente en septembre 2001 et a eu (avec sa femme) une première entrevue au consulat canadien à Buffalo (New York) le 27 juin 2003. Après un long délai dans le traitement de son dossier et l’intervention du député du demandeur pour faire accélérer le processus, une première décision a été finalement rendue le 25 mai 2005. La demande de résidence permanente du demandeur a été rejetée au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Le demandeur a demandé le contrôle judiciaire de cette décision. Après que l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire eut été accordée, le ministre a accepté de réexaminer la demande de résidence permanente; par conséquent, la demande de contrôle judiciaire a été abandonnée et la demande de résidence permanente de M. Jahazi a été renvoyée pour nouvel examen par un autre agent.

 

[7]               Une deuxième entrevue du demandeur a eu lieu au consulat canadien à Buffalo le 17 avril 2008, d’abord avec deux agents du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), et ensuite avec l’agente d’immigration Blouin. Le demandeur a maintenu tout au long de son entrevue qu’il avait exercé des fonctions subalternes en Iran, que sa présence au Canada était bénéfique au pays, qu’on ne lui a jamais demandé de fournir des renseignements aux autorités iraniennes et qu’il ne connaît aucun diplomate iranien.

 

[8]               Par lettre datée du 3 juillet 2008, Mme Blouin a demandé au demandeur de fournir des détails sur les points suivants : 1) s’il avait eu des rapports avec des diplomates iraniens en poste à l’étranger; 2) si on lui avait déjà demandé de fournir des renseignements sur des citoyens iraniens lorsqu’il vivait à l’extérieur de l’Iran; 3) s’il avait jamais été au courant ou s’il avait autorisé des recherches sur des armes biologiques ou des armes de destruction massive lorsqu’il enseignait à l’UTM ou lors de son mandat auprès de l’ORIST; 4) s’il avait déjà mis en relation des chercheurs et des entreprises intéressées à construire de telles armes. À la fin de sa lettre, Mme Blouin a explicitement informé le demandeur, comme suit, de ses préoccupations à son égard :

J’aimerais vous rappeler la raison pour laquelle nous vous avons revu en entrevue : compte tenu de votre cheminement et de vos activités professionnelles en Iran et au Canada, nous croyons que vous avez entretenu des rapports particuliers avec le gouvernement iranien, que ce soit en lui transmettant de l’information sur des concitoyens ou en favorisant des recherches sur les armes de destruction massive, nucléaires ou biologiques.

 

Par conséquent, vous pourriez être interdit de territoire pour le Canada selon l’article 34(1)(a) et/ou 34(1)(f).

 

 

[9]               Le demandeur a répondu à l’agente Blouin par lettre datée du 8 juillet 2008 et a nié encore une fois tout lien particulier avec le gouvernement iranien ou avec tout projet de recherche militaire, ainsi que l’appartenance à quelque organisation que ce soit.

 

[10]           La demande de résidence permanente du demandeur a été rejetée par une lettre datée du 14 août 2008. M. Jahazi a été déclaré interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f). C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

II.         La décision contestée

[11]           L’agente a conclu que le demandeur était interdit de territoire parce qu’elle avait des raisons de croire que celui‑ci avait pris part à différents types d’activités subversives et qu’il avait eu des liens avec des groupes se livrant à des activités terroristes. L’agente a également affirmé disposer de renseignements confidentiels qui étayaient sa conviction que le demandeur avait fourni au gouvernement iranien des renseignements sur des citoyens dissidents lors de ses études en Europe et au Canada et qu’il avait participé aux efforts d’armement et à des activités subversives reliées au régime militaire en Iran.

 

[12]           Le fondement de la conclusion de l’agente, formulé dans la lettre de décision, était que le demandeur a essayé de réduire l’importance de ses responsabilités à l’UTM et à l’ORIST. Elle a souligné que celui‑ci a été nommé professeur à l’UTM alors qu’il était très jeune et que les professeurs et les étudiants de cette université nouvellement créée étaient minutieusement choisis par le gouvernement. L’agente a ajouté que le régime avait de bonnes raisons de croire que le demandeur appuyait l’idéologie du gouvernement iranien malgré le fait qu’il avait vécu à l’étranger pendant 12 ans, et qu’elle était donc convaincue qu’il avait servi les intérêts du gouvernement iranien en recueillant pendant ses études des renseignements sur des dissidents.

 

[13]           L’agente a indiqué qu’il est bien connu que l’UTM est contrôlée par le Corps des gardiens de la révolution (CGR). Bien que le demandeur ait passé de nombreuses années en Occident, il a joui d’un traitement de faveur à l’UTM et ses responsabilités ont augmenté constamment jusqu’en 2000. Elle a ensuite souligné que le demandeur avait participé à la sélection de projets, avait encadré des étudiants, jumelé de jeunes chercheurs avec des entreprises, et qu’il avait été détaché pour travailler à l’ORIST. Au cours des années en question, le CGR a armé des groupes terroristes au Moyen‑Orient, et l’ORIST a été accusée d’avoir participé au développement d’armes de destruction massive.

 

[14]           Dans les notes qu’elle a consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), l’agente souligne que ces renseignements ont été obtenus au moyen d’une recherche Internet effectuée sur l’ORIST. Elle cite Iran Watch comme suit :

 

 

[traduction] Relève du ministère iranien de la Culture et de l’Éducation supérieure; fondée en 1980 pour soutenir et pour former des chercheurs en fournissant des équipements scientifiques et administratifs ainsi que la possibilité de recherches collectives; présentée par le gouvernement japonais comme une entité intéressée par la prolifération des armes biologiques, chimiques et nucléaires; identifiée par le gouvernement britannique en février 1998 comme ayant fourni des matières et des technologie pour les programmes de développement d’armes de destruction massive, en plus d’avoir des activités liées à la non‑prolifération; l’organisation aurait agi comme couverture pour l’achat de champignons au Canada et aux Pays‑Bas en vue de produire des toxines.

 

 

[15]           Plus loin dans ses notes du STIDI, l’agente écrit ce qui suit :

Les sites internets, tels que JANE, Iranwatch, Wisconsin project on nuclear arms control lient l’Université et le Régime Iranien, et les IRGC [le CGR] et la recherche universitaire, et mentionnent que les IRGC [le CGR] sont impliques dans la vente d’armes a des organisations terroristes, qu’ils entrainent des membres d’organisation terroristes, et financent ces organisations. Il semble que le candidat soit tombe en disgrace vers la fin des années 90. Il ne veut plus retourner en Iran. (sic)

 

 

[16]           Enfin, l’agente a souligné dans sa lettre de refus que la crédibilité du demandeur a été mise en cause lors des entrevues avec les agents du SCRS. Dans le dossier certifié du tribunal, un mémoire du SCRS daté du 28 mai 2008 explique les préoccupations touchant la crédibilité mentionnées par l’agente Blouin. Outre ces préoccupations, le mémoire indique une contradiction entre la déclaration du demandeur selon laquelle il n’a voyagé qu’une fois à Toronto et la déclaration de sa femme, en 2003, selon laquelle il s’y est rendu à plusieurs reprises. On a également constaté une divergence entre le fait que le demandeur a nié être allé en Chine, et le fait qu’il a admis plus tard y avoir séjourné pendant dix jours pour une conférence scientifique, lorsqu’il a été interrogé sur la présence dans son passeport d’un timbre d’entrée en Chine et d’un timbre de sortie de la Chine.

 

[17]           Pour tous ces motifs, l’agente d’immigration a conclu que M. Jahazi était interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR et a rejeté sa demande de résidence permanente.

 

III.       Les questions en litige

[18]           Dans ses observations judicieuses présentées au nom de M. Jahazi, M. Waldman a soulevé les quatre questions suivantes :

A.     L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans son application de l’al. 34(1)f) du fait qu’elle n’a pas divulgué le nom de l’organisation terroriste dont le demandeur était membre et qu’elle n’a pas précisé la nature de l’activité subversive à laquelle celui‑ci avait pris part?

B.     L’agente a‑t‑elle violé les principes de justice naturelle en se fondant sur des renseignements obtenus sur Internet, peu fiables de par leur nature même, et sans donner au demandeur la possibilité d’y répondre?

C.     L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit en se fondant sur des renseignements confidentiels qui étaient également peu fiables de par leur nature même et sans donner au demandeur la possibilité de les examiner?

D.     L’agente a‑t‑elle tiré des inférences et des conclusions de fait déraisonnables?

 

[19]           Avant d’examiner ces questions, toutefois, je me pencherai toutefois sur la requête du défendeur en interdiction de divulgation au titre de l’article 87 de la LIPR et sur la requête du demandeur en nomination d’un avocat spécial. Je me pencherai aussi sur certaines questions préliminaires de preuve soulevées par les deux parties ainsi que sur la norme de contrôle applicable aux quatre questions énoncées dans le paragraphe précédent.

 

III.       Analyse

            A. La demande fondée sur l’article 87 et la requête en nomination d’un avocat spécial

[20]           L’article 87, qui figure à la Section 9 (articles 76 à 87.1) de la LIPR, prévoit un moyen de garantir la confidentialité des éléments touchant à la sécurité nationale dans les dossiers d’immigration. L’article 87 incorpore les dispositions de l’article 83 avec les adaptations nécessaires. L’alinéa 83(1)c) prévoit que le juge doit, à la demande du ministre, tenir une audience à huis clos et en l’absence de l’intéressé et de son conseil si la divulgation des renseignements ou autres éléments de preuve en cause pourrait porter atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

 

[21]           L’État a grandement intérêt à protéger la sécurité nationale et la sécurité de ses services de renseignement. La divulgation de renseignements confidentiels est susceptible d’avoir une incidence négative sur la capacité des organismes d’enquête de s’acquitter de leur mandat relatif à la sécurité nationale du Canada. Les intérêts opposés du droit du public à un système transparent et du besoin de l’État de protéger des renseignements et ses sources ont été examinés par la Cour suprême du Canada dans Ruby c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3. Dans cet arrêt, la Cour suprême a reconnu que l’État a un intérêt légitime à maintenir ses sources étrangères de renseignements et a souligné que la divulgation accidentelle de renseignements porterait sensiblement atteinte à la sécurité nationale : voir notamment les par. 42 et 43 de cet arrêt.

 

[22]           La Cour suprême et d’autres cours de justice ont à de nombreuses reprises reconnu l’importance de l’intérêt de l’État à mener des enquêtes en matière de sécurité nationale et admis que l’intérêt de la société relatif à la sécurité nationale peut limiter l’étendue de la divulgation de renseignements aux intéressés : voir par ex. Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] A.C.S. no 9, au par. 58; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, [1992] A.C.S. no 27, à la p. 744; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, au par. 122; Ruby c. Canada (Procureur général), précité.

 

[23]           Cela dit, la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles a récemment réaffirmé que dans un État de droit doté d’un pouvoir judiciaire autonome, il appartient aux cours de justice de déterminer si le principe de confidentialité essentiel aux accords de collaboration entre les services connexes de renseignement doit passer devant les intérêts de la justice et à partir de quel moment : voir Mohamed, R (on the application of) c. Secretary of State for Foreign & Commonwealth Affairs [2010] EWCA Civ 65 (10 février 2010).

 

[24]           Dans la présente instance, 27 des 200 pages du dossier certifié du tribunal ont été partiellement expurgées au motif que la divulgation de leur contenu porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. La procédure suivie relativement à la demande du ministre a été la même que celle adoptée par mes collègues dans des demandes semblables. Une première audition ex parte a eu lieu à huis clos, lors de laquelle la Cour a pu interroger le souscripteur de l’affidavit confidentiel à l’appui de la demande de non‑divulgation. Les avocats ont été invités par la suite à formuler des observations en audience publique (par téléconférence). Au cours de l’audience, M. Waldman a reconnu que le ministre était en droit de présenter la requête fondée sur l’article 87 et a affirmé qu’il comptait sur la Cour pour interdire, s’il y avait lieu, la divulgation.

 

[25]           Pour déterminer si la divulgation des renseignements retranchés porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui, je me suis fondé sur ce l’énoncé qui fait maintenant autorité en jurisprudence canadienne sur cette question, ainsi formulé par le juge Addy dans Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229, [1988] A.C.F. no 965, aux par. 29 et 30 :

[…] en matière de sécurité, existe la nécessité non seulement de protéger l’identité des sources humaines de renseignement mais encore de reconnaître que les types suivants de renseignements pourraient avoir à être protégés, compte tenu évidemment de l’administration de la justice et plus particulièrement de la transparence de ses procédures : les renseignements relatifs à l’identité des personnes faisant l’objet d’une surveillance, qu’il s’agisse de particuliers ou de groupes, les moyens techniques et les sources de la surveillance, le mode opérationnel du service concerné, l’identité de certains membres du service lui‑même, les systèmes de télécommunications et de cryptographie et, parfois, le fait même qu’il y a ou non surveillance. Cela signifie par exemple que des éléments de preuve qui, en eux‑mêmes, peuvent ne pas être particulièrement utiles à reconnaître une menace, pourraient néanmoins devoir être protégés si la simple révélation que le SCRS en a possession rendrait l’organisme visé conscient du fait qu’il est placé sous surveillance ou écoute électronique, ou encore qu’un de ses membres a fait des révélations.

 

Il importe de se rendre compte qu’un [traduction] « observateur bien informé », c’est‑à‑dire une personne qui s’y connaît en matière de sécurité et qui est membre d’un groupe constituant une menace, présente ou éventuelle, envers la sécurité du Canada, ou une personne associée à un tel groupe, connaîtra les rouages de celui‑ci dans leurs moindres détails ainsi que les ramifications de ses opérations dont notre service de sécurité pourrait être relativement peu informé. En conséquence de quoi l’observateur bien informé pourra parfois, en interprétant un renseignement apparemment anodin en fonction des données qu’il possède déjà, être en mesure d’en arriver à des déductions préjudiciables à l’enquête visant une menace particulière ou plusieurs autres menaces envers la sécurité nationale. Il pourrait, par exemple, être en mesure de déterminer, en tout ou en partie, les éléments suivants: (1) la durée, l’envergure et le succès ou le peu de succès d’une enquête; (2) les techniques investigatrices du service; (3) les systèmes typographiques et de téléimpression utilisés par le SCRS; (4) les méthodes internes de sécurité; (5) la nature et le contenu d’autres documents classifiés; (6) l’identité des membres du service ou d’autres personnes participant à une enquête.

 

 

[26]           Après avoir dûment examiné les observations formulées de l’avocat du défendeur, le témoignage du souscripteur de l’affidavit secret et les documents versés au dossier public ainsi qu’au dossier confidentiel, j’estime que la divulgation des renseignements retranchés porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. J’ai conclu également que le ministre peut s’appuyer sur les renseignements non divulgués et que la Cour peut le faire aussi pour statuer sur la demande de contrôle judiciaire.

 

[27]           Comme il a déjà été mentionné, l’avocat du demandeur a soutenu énergiquement la nécessité de nommer un avocat spécial. Dans ses observations écrites, il a fait valoir en grande partie les mêmes arguments que ceux avancés dans Kanyamibwa c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 66, [2010] A.C.F. no 59. Il n’est donc pas nécessaire de les examiner en l’espèce; dans la mesure où ces arguments sont de nature générique, ils ont été examinés au par. 46 et suivants de mes motifs dans cette décision.

 

[28]           À l’audience, M. Waldman a souligné toutefois deux facteurs dont il faut tenir compte. Premièrement, il a fait valoir que la décision de rejeter la demande de résidence permanente du demandeur aurait de répercussions importantes sur celui‑ci et sur sa famille. Même si M. Jahazi a maintenant quitté le Canada avec sa famille, il a vécu au pays pendant huit ans et ses enfants ont grandi au Canada; de fait, son fils aîné est né ici lors d’un séjour antérieur au Canada. De plus, le demandeur soutient qu’il est spécialiste dans son domaine et qu’il pourrait apporter une contribution importante à l’industrie canadienne; sa demande de résidence permanente n’est donc pas principalement motivée par le désir d’améliorer sa situation économique.

 

[29]           Deuxièmement, M. Jahazi a fait valoir que les renseignements retranchés présentaient un intérêt considérable puisqu’ils révèlent très probablement le nom de l’organisation à laquelle il est censé appartenir. À son avis, on ne peut pas s’attendre à ce qu’il réfute ces allégations, même si elles étaient tout à fait erronées, sans connaître le nom de l’organisation en question.

 

[30]           Suivant l’arrêt de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39, aux par. 22 à 27, il est incontestable que la nature de l’obligation d’équité est tributaire du contexte particulier de chaque cas. Dans Segasayo c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 585, [2007] A.C.F. n792, le juge Pierre Blais (maintenant juge en chef) a exposé les facteurs pertinents pour décider si l’interdiction de divulgation porte atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale. Ces facteurs, instructifs en l’espèce, comprennent l’étendue de l’interdiction de divulgation, la nature des droits en jeu et le caractère substantiel ou probant des renseignements faisant l’objet de l’interdiction de divulgation.

 

[31]           Appliquant des considérations semblables en l’espèce, la Cour est d’avis que l’équité et la justice naturelle ne commandent pas la nomination d’un avocat spécial afin de protéger adéquatement les intérêts du demandeur. Bien que le demandeur et sa famille prétendent avoir résidé au Canada pendant huit ans, il n’en demeure pas moins que la demande principale de résidence permanente a été déposée à l’étranger. La Cour d’appel fédérale a jugé que l’obligation d’équité procédurale envers les demandeurs dans une telle situation est minimale : Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, [2001] A.C.F. no 1699, au par. 31.

 

[32]           De plus, le demandeur et sa famille ne font pas l’objet d’une mise en détention ou d’une mesure de renvoi; ils contestent la décision défavorable rendue à l’égard de leur demande de résidence permanente présentée à l’étranger. Par conséquent, leurs droits garantis par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés n’entrent pas en jeu. Je n’oublie pas les répercussions graves que la décision de l’agente entraîne pour le demandeur et sa famille; toutefois, celui‑ci ne m’a pas convaincu que la présente affaire relève du droit fondamental de chacun à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. La Cour suprême du Canada a établi clairement que les non‑citoyens n’ont pas le droit d’entrer ou de demeurer au Canada. Le demandeur qui ne répond pas aux exigences n’a pas le droit individuel d’entrer au Canada. La nature hautement discrétionnaire des décisions en matière de visa milite contre l’extension de l’équité procédurale que réclament les demandeurs : Chiarelli, précité, à la p. 733; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539, au par. 46.

 

[33]           Deuxièmement, contrairement aux affaires relatives aux certificats de sécurité, la portée de la non‑divulgation est limitée en l’espèce. Relativement peu de renseignements ont été retranchés du dossier certifié du tribunal. De plus, vu les affidavits que le demandeur a déposés à diverses étapes de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, on peut affirmer qu’il a eu accès à la grande majorité des renseignements figurant au dossier et qu’il connaît la substance des renseignements sur lesquels s’est fondée l’agente des visas.

 

[34]           Il ressort de l’examen du dossier certifié du tribunal que la quantité de renseignements retranchés est très limitée. Plus particulièrement, moins d’une ligne a été supprimée aux pages 11, 26, 30, 44, 82, 84 et 97. La plupart de ces renseignements ne seraient pas de grand secours au demandeur. Comme le faisait remarquer le juge Noël dans Dhahbi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 347, [2009] A.C.F. no 400, au par. 24, il est très courant dans les dossiers semblables de retrancher du dossier certifié du tribunal les renseignements concernant les techniques d’enquête, les méthodes administratives et d’opération, les noms et les numéros de téléphone du personnel du SCRC, ou encore les relations que le SCRC maintient avec d’autres agences au Canada ou à l’étranger. La plupart des renseignements retranchés aux pages susmentionnées entreraient dans cette catégorie. De plus, les renseignements figurant à la page 85 et au premier paragraphe de la page 86 ont été retranchés uniquement pour des raisons de pertinence. Seules 19 des 201 pages que compte au total le dossier certifié du tribunal contiennent une ou plusieurs lignes retranchées. Enfin, il ressort des renseignements publics au dossier que les passages retranchés contenaient, du moins en partie, de l’information répétée.

 

[35]           Évidemment, évaluer la portée de la non‑divulgation n’est pas seulement un exercice quantitatif : il faut aussi tenir compte de l’importance des renseignements retranchés. Bien qu’il soit compréhensible que M. Jahazi veuille connaître le nom de l’organisation à laquelle on le soupçonne d’appartenir, je suis convaincu que sa capacité de faire sa preuve devant l’agente des visas ne repose pas sur le renseignement en question. Après avoir lu attentivement le dossier certifié du tribunal et les renseignements retranchés, je suis convaincu que le demandeur a été parfaitement informé des préoccupations de l’agente des visas et qu’il a eu pleinement l’occasion d’y répondre. Non seulement a‑t‑il été interrogé deux fois, mais encore il a été informé par lettre, avant qu’une décision finale soit rendue, des questions particulières dont agente des visas était toujours préoccupée. Eût‑il répondu à ces questions de façon satisfaisante, M. Jahazi aurait dissipé du même coup les doutes de l’agente des visas quant à son appartenance à toute organisation interdite. Dans ces circonstances, je suis donc d’accord avec le défendeur pour dire que l’équité et la justice naturelle n’exigent pas la nomination d’un avocat spécial.

 

B.         Questions préliminaires de preuve

[36]           Le demandeur soutient que les notes du STIDI ne peuvent pas servir à prouver les faits sur lesquels est fondée la décision de l’agente. Puisque cette dernière n’a pas déposé d’affidavit attestant la véracité des notes du STIDI, celles‑ci peuvent faire partie du dossier, mais les faits contestés doivent être prouvés indépendamment des notes en question. Par conséquent, le demandeur fait valoir que la Cour doit accepter les faits non contestés exposés dans les affidavits que lui‑même et sa femme ont souscrits. Je suis d’accord avec le demandeur que faute d’un affidavit de l’agente attestant la véracité de ce qu’elle a, dans ses notes, inscrit comme ce qui a été dit à l’entrevue, les notes ne peuvent pas servir en preuve : Chou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 190 F.T.R. 78, [2000] A.C.F. n314, au par. 13; conf. par 2001 CAF 299. La situation est toutefois différente pour ce qui est des divers mémoires et lettres figurant au dossier certifié du tribunal; ces documents ne sont pas censés consigner une entrevue ou une conversation. La Cour doit donc apprécier la preuve qui ressort du dossier documentaire par rapport aux affidavits non contestés souscrits par le demandeur et sa femme.

 

[37]           Le défendeur soutient pour sa part que certains paragraphes de l’affidavit du demandeur, souscrit le 14 novembre 2009, portent sur des événements postérieurs à la décision concernant sa demande de résidence permanente. Par conséquent, ces paragraphes ne peuvent pas faire partie des éléments à considérer par la Cour. Il est en effet bien établi en droit que le demandeur ne peut pas présenter de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire, sauf dans des circonstances très précises, comme par exemple dans les cas où l’équité procédurale est en cause; or de telles circonstances ne sont pas présentes en l’espèce. Voir : M.R.A. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 207, [2006] A.C.F. no 252, aux par. 13 et 14; Sarder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 153 F.T.R. 140, [1998] A.C.F. n1230, aux par. 2 et 4.

 

[38]           Par conséquent, les paragraphes 2, 3, et 5 à 12 de l’affidavit souscrit par le demandeur le 14 novembre 2009 ne sont pas recevables dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Quoi qu’il en soit, les paragraphes en question ne sont pas pertinents quant aux questions de droit qui sont en jeu en l’espèce; ils portent sur les conséquences de la décision défavorable sur le demandeur et sa famille. Cela dit, la situation du demandeur, telle que décrite dans les paragraphes en question, peut être prise en considération pour établir une réparation adéquate et efficace, si la Cour fait droit à la présente demande.

 

C.        Quelle est la norme de contrôle applicable?

[39]           La première question posée dans la présente demande soulève des questions mixtes de droit et de fait. Aussi, la norme de contrôle applicable est‑elle celle de la raisonnabilité : Dunsmuir c ouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9, au par. 53. L’interprétation de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR relève du champ d’expertise des agents des visas, dont le rôle est d’examiner l’admissibilité des demandeurs. Il y a donc lieu de faire preuve d’une certaine retenue à l’égard de la manière dont les agents appliquent la loi aux faits particuliers d’une affaire : voir Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] A.C.F. n381; Jalil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 246, [2006] A.C.F. n320.

 

[40]           En ce qui concerne la troisième et la quatrième questions, elles supposent clairement une appréciation de la preuve et sont donc, à ce titre, des questions de fait susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Par conséquent, la Cour doit déterminer si la décision en question appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et elle doit se pencher sur la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel : Dunsmuir, précité, aux par. 47 et 48.

 

[41]           Enfin, les deux parties s’entendent pour dire que la deuxième question porte sur une atteinte à la justice naturelle et doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. no 2056; Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, au par. 100.

 

D.        L’agente des visas a‑t‑elle commis une erreur en appliquant l’al. 34(1)f)?

[42]           L’avocat du demandeur soutient que l’agente des visas a mal interprété la loi et qu’elle n’a pas appliqué le critère juridique approprié aux faits de l’espèce. L’agente a conclu que le demandeur était interdit de territoire au titre de l’al. 34(1)f) parce qu’il avait pris part à des activités subversives et qu’il avait été associé à des groupes qui se livraient au terrorisme. Selon le demandeur, cette conclusion comporte trois lacunes importantes.

 

[43]           Premièrement, il est allégué que l’agente n’a pas conclu de façon claire que le demandeur était membre d’une organisation interdite. Elle a conclu plutôt qu’il était « associé » à une organisation non précisée. Cette conclusion constituerait une erreur, puisque l’appartenance exige plus qu’une simple association avec une organisation. L’avocat a admis que la notion d’appartenance a été interprétée de façon large et il a fait valoir que pour cette raison même il n’est pas nécessaire de l’élargir davantage en lui rattachant la notion d’association.

 

[44]           Deuxièmement, l’avocat du demandeur a fait valoir que les motifs énoncés sont insuffisants parce qu’ils n’indiquent pas le nom du groupe auquel appartiendrait le demandeur et qui aurait commis des actes de terrorisme. De plus, dans la mesure où l’on y dit que le demandeur se livrait à des actes de terrorisme, les motifs seraient insuffisants parce qu’ils ne révèlent pas les actes allégués.

 

[45]           Troisièmement, le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en interprétant les conditions nécessaires pour qu’un acte constitue une « activité subversive » selon l’al. 34(1)f) de la LIPR. L’agente estime que le demandeur a transmis des renseignements au gouvernement iranien au sujet de dissidents iraniens lors de ses études en Europe et au Canada. Même si ces allégations étaient vraies, ce que le demandeur nie, il ne s’agirait toujours pas d’activités subversives. Se fondant sur Qu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 FCA 399, [2001] A.C.F. n1945, l’avocat du demandeur soutient que le fait de fournir des renseignements à titre individuel au sujet d’étudiants ne constitue pas une activité subversive parce qu’il n’implique pas l’introduction d’un changement par des moyens illicites ou à des fins détournées se rapportant à une organisation. De plus, l’agente n’a indiqué aucune institution démocratique compromise par la présumée communication de renseignements, ni aucune action comportant un recours à la force ou encore des conséquences négatives découlant de la transmission de renseignements.

 

[46]           Après avoir lu attentivement la lettre de l’agente des visas ainsi que le dossier certifié du tribunal, j’ai conclu que l’agente n’a pas commis d’erreur en appliquant le critère de l’appartenance dans le cas du demandeur. Il est vrai qu’elle n’a pas affirmé explicitement que celui‑ci est membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas 34(1)a), b) ou c). Toutefois, c’est ce qui ressort clairement de sa conclusion selon laquelle le demandeur a été « associé » à de tels groupes. Après tout, l’agente a cité effectivement les alinéas 34(1)a), b), c) et f) juste avant de formuler cette conclusion, et elle connaissait bien les exigences de la loi. Le fait qu’elle a reformulé ses préoccupations en utilisant le mot « associé » plutôt que « membre » n’a pas beaucoup d’importance dans le présent contexte.

 

[47]           De plus, comme l’a fait remarquer le défendeur, la jurisprudence a donné de la notion d’« appartenance » une interprétation large et libérale. Dans l’arrêt Poshteh, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit :

[27] La Loi ne définit pas le mot « membre ». Les tribunaux n’ont pas établi une définition précise et complète de ce terme. Lorsqu’elle a interprété le mot « membre » employé dans l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, la Section de première instance (sa désignation à l’époque) a dit que ce mot devait recevoir une interprétation large et libérale. La raison d’être d’une telle approche est exposée dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh (1998), 151 F.T.R. 101 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 52 :

 

[52] Les dispositions en cause traitent de la subversion et du terrorisme. Le contexte, en ce qui concerne la législation en matière d’immigration, est la sécurité publique et la sécurité nationale, soit les principales préoccupations du gouvernement. Il va sans dire que les organisations terroristes ne donnent pas de cartes de membres. Il n’existe aucun critère formel pour avoir qualité de membre et les membres ne sont donc pas facilement identifiables. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration peut, si cela n’est pas préjudiciable à l’intérêt national, exclure un individu de l’application de la division 19(1)f)(iii)(B). Je crois qu’il est évident que le législateur voulait que le mot « membre » soit interprété d’une façon libérale, sans restriction aucune.

 

[28] Les mêmes considérations valent pour l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Comme c’était le cas dans la Loi sur l’immigration, l’appartenance à une organisation terroriste n’emporte pas interdiction de territoire, selon le paragraphe 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, si l’intéressé convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. […]

 

[29] Eu égard au raisonnement suivi dans la décision Singh et, plus particulièrement, à l’existence, dans les cas qui le justifient, d’une dispense d’application de l’alinéa 34(1)f), je suis d’avis que le mot « membre », employé dans la Loi, devrait continuer d’être interprété d’une manière libérale.

 

Voir également : Almrei (Re), 2009 C F1263, [2009] A.C.F. no 1579; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 642, [1998] A.C.S. no 131, conf. dans [2001] 2 C.F. 297; Qureshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 7, [2009] A.C.F. no 3, aux par. 22‑23; Denton‑James c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1548, [2004] A.C.F. no 1881, aux par. 12 à 15.

 

 

[48]           Le demandeur soutient qu’il n’y a aucun élément de preuve à l’appui de l’exigence de l’article 34 de la LIPR, à savoir qu’il soit membre d’une organisation se livrant au terrorisme ou à la subversion, et qu’aucune organisation de ce genre n’a été clairement désignée. Je ne suis pas d’accord. La preuve dont disposait l’agente comprenait des rapports confidentiels qui montraient que le demandeur était membre d’une organisation particulière. Il ressort des pages 43, 44, 52 et 55 du dossier certifié du tribunal que l’agente disposait du nom de l’organisation dont le demandeur serait membre. La preuve appuyait également une telle conclusion. Le fait que des extraits de ces renseignements ont été retranchés pour des raisons de sécurité nationale n’a pas empêché l’agente d’en tenir compte. Comme il a déjà été mentionné, le demandeur n’a pas subi de préjudice du fait que le nom de l’organisation n’a pas été communiqué. Il a eu amplement l’occasion de dissiper les doutes de l’agente, particulièrement en ce qui concerne sa collaboration avec les autorités iraniennes. Selon un mémoire du SCRS en date du 28 mai 2008, on lui a expressément demandé à l’entrevue du 17 avril 2008 si le Service de renseignement iranien l’avait déjà contacté, s’il était en contact avec le personnel de l’ambassade d’Iran au Canada, s’il avait des liens avec diverses associations d’étudiants islamiques, et quel était son rôle auprès de l’UTM et de l’ORIST. La divulgation du nom de l’organisation particulière dont on a finalement considéré qu’il était membre n’était pas de nature à changer le contenu de ses réponses, étant donné qu’il a nié toute appartenance à une organisation subversive ou terroriste.

 

[49]           Enfin, la prétention du demandeur voulant que l’agente ait mal interprété le terme « activités subversives » doit également être rejetée. L’argument du demandeur postule que l’agente a assimilé la transmission de renseignements sur des dissidents au gouvernement iranien à des activités subversives. Je ne suis pas d’accord. Le fondement de la décision négative concernant la demande de résidence permanente de M. Jahazi était tout à fait différent. Il est important de souligner que l’agente n’a pas conclu à l’interdiction de territoire sur le fondement des alinéas 34(1)a), b) ou c) mais uniquement sur le fondement de l’alinéa 34(1)f). En d’autres termes, elle n’a pas conclu que M. Jahazi est, a été ou sera lui‑même l’auteur d’actes de subversion ou de terrorisme, mais qu’il était membre d’une organisation qui est, a été ou sera l’auteur de tels actes. Je dois avouer que les motifs de l’agente ne sont pas dépourvus d’ambiguïtés à cet égard. Toutefois, je crois qu’il est juste de présumer que dans l’évaluation de l’agente, le fait que M. Jahazi a transmis au gouvernement iranien des renseignements au sujet de dissidents iraniens de l’étranger, ainsi que le fait qu’il a enseigné à l’UTM et qu’il a collaboré avec l’ORIST, justifient la conclusion selon laquelle celui‑ci était membre d’une organisation subversive ou terroriste.

 

[50]           Je suis donc d’avis que ces premiers arguments soulevés par l’avocat du demandeur doivent être rejetés. L’agente n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de l’alinéa 34(1)f).

 

E.         L’agente a‑t‑elle violé les principes de justice naturelle en se fondant sur des renseignements obtenus sur Internet, peu fiables de par leur nature même, et sans donner au demandeur la possibilité d’y répondre?

[51]           L’avocat du demandeur soutient également que l’agente a manqué à l’équité procédurale en se fondant sur des renseignements obtenus sur Internet pour mettre en doute la crédibilité de M. Jahazi sans lui communiquer ces renseignements ou lui accorder la possibilité d’y répondre.

 

[52]           La nature de l’obligation d’équité procédurale peut varier selon le contexte. Le respect par un agent des visas de son obligation d’équité doit s’apprécier au cas par cas. La jurisprudence établit clairement que l’obligation d’équité n’est pas violée si le demandeur a la possibilité de répondre aux préoccupations soulevées dans l’esprit de l’agent des visas. Comme le juge Nadon (maintenant juge de la Cour d’appel fédérale) l’a dit dans Au c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 243, [2001] A.C.F. no 435, au par. 33 :

[…] la jurisprudence a établi que l’obligation d’équité n’est pas violée si le demandeur a la possibilité de répondre aux préoccupations que les documents soulèvent dans l’esprit de l’agent. Dans la décision Zheng c. Canada (MCI), [1999] A.C.F. no 1297 (1re inst.), le demandeur avait allégué que l’agent des visas s’était fondé sur des éléments de preuve extrinsèques, à savoir des renseignements concernant les différentes classifications de cuisiniers qui étaient utilisées dans la République populaire de Chine depuis 1993. La Cour a dit ce qui suit, au paragraphe :

 

[10] La caractéristique essentielle de ces arrêts est que des préoccupations existaient dans l’esprit du décideur par suite de l’obtention du nouveau renseignement, préoccupations dont il n’avait pas été fait part au demandeur; or, ces préoccupations avaient eu un rôle important lorsqu’il s’était agi pour le décideur de prendre une décision défavorable au demandeur. Ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce. Le demandeur n’a peut‑être pas reçu une copie du document d’information provenant de la Chine, mais les préoccupations de l’agente des visas, résultant de la communication des renseignements figurant dans le document, avaient été communiquées au demandeur et celui‑ci avait eu la possibilité de faire des remarques à cet égard.

 

[…]

 

Voir également : Moiseev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 88, [2008] A.C.F. no 113, aux par. 27‑28.

 

 

[53]           Le demandeur a eu une entrevue au consulat du Canada à Buffalo (New York), le 17 avril 2008. L’agente a indiqué clairement au début de l’entrevue que l’admissibilité au Canada constituait une question litigieuse dans sa demande et a expliqué l’objectif de l’entrevue. Le demandeur a été avisé des préoccupations de l’agente et il a été invité à répondre à des questions au sujet de ses liens avec le Corps des gardiens de la révolution, en raison de ses engagements professionnels, dont les postes qu’il a détenus à l’UTM et à l’ORIST. Les notes de l’entrevue consignées par l’agente dans le STDI et les propres affidavits du demandeur du 23 octobre 2008 et du 14 novembre 2009 confirment toute cette série de questions.

 

[54]           À la suite de l’entrevue, l’agente a également envoyé au demandeur une lettre en date du 3 juillet 2008 pour lui demander des précisions au sujet de ses engagements professionnels, de tous contacts avec des diplomates iraniens, et de toute participation à des projets sur des armes biologiques de destruction massive. L’agente a accordé au demandeur un délai supplémentaire de 30 jours pour fournir les documents demandés. Le demandeur a été spécifiquement avisé qu’il pourrait être interdit de territoire au Canada au titre des al. 34(1)a) ou f). Le demandeur a fourni une longue réponse.

 

[55]           Le demandeur conteste le fait que l’agente a consulté des sources Internet sans révéler les sources en question et qu’elle ne lui a pas accordé la possibilité de répondre spécifiquement aux renseignements ainsi obtenus. Encore une fois, il convient de répéter que le principe qui sous‑tend l’obligation d’équité est de veiller à ce que le demandeur ne soit pas « pris au dépourvu ». En l’espèce, le demandeur avait été amplement avisé, au cours de l’entrevue et par la suite, des allégations pesant contre lui, et il a bénéficié de délais tout à fait raisonnables pour répondre aux interrrogations de l’agente. De plus, les renseignements ne constituaient pas une preuve extrinsèque, vu qu’ils se rapportaient directement aux anciens employeurs du demandeur, sujet dont le demandeur savait qu’il préoccupait l’agente. La divulgation de cette preuve provenant des sources accessibles au public n’était pas nécessaire pour permettre au demandeur de participer utilement au processus décisionnel. Cela ne veut pas dire que lesdites sources étaient fiables et suffisantes pour justifier la décision de l’agente des visas. Toutefois, la fiabilité et le caractère suffisant ne relèvent pas de l’équité. Ces points seront abordés lors de l’examen de la question de savoir si l’agente a tiré des inférences et des conclusions de fait déraisonnables.

 

F.         L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit en se fondant sur des renseignements confidentiels qui étaient également peu fiables de par leur nature même et sans donner au demandeur la possibilité de les examiner?

[56]           Le demandeur fait valoir que, vu la nature des renseignements confidentiels, leurs sources et l’absence de toute réelle contestation de leur fiabilité, la Cour devrait leur accorder peu de poids. Selon lui, il est probable que les éléments de preuve secrets comprennent des affirmations non corroborées, des affirmations fondées sur des sources non fiables et des affirmations qui ne peuvent pas être liées les unes avec les autres pour appuyer les conclusions du rapport. Dans le même ordre d’idées, l’avocat du demandeur remet aussi en question la fiabilité des renseignements obtenus sur Internet et fait valoir que cette preuve doit être crédible et digne de foi pour être recevable.

 

[57]           Il est incontestable que les éléments d’information recueillis aux fins du renseignement ne subissent pas le même test de fiabilité et de crédibilité que ceux recueillis par la police pour étayer des accusations criminelles. En l’espèce, les renseignements en cause ne visent pas la même fin, ne répondent pas à la même norme de preuve et ne sont pas soumis à la rigueur du contre‑interrogatoire. Dans cette mesure, l’avocat du demandeur a raison d’affirmer que les agents d’immigration doivent tenir compte de ces facteurs lorsqu’ils rendent une décision, et que la Cour doit également en tenir compte lorsqu’elle révise cette décision.

 

[58]           Cela dit, il appartient à l’agente d’immigration d’apprécier et de soupeser les éléments de preuve en cause ainsi que tout autre élément au dossier. À moins qu’on puisse démontrer qu’un élément de preuve particulier aurait dû être écarté complètement, argument qui n’a pas été avancé en l’espèce, il n’appartient pas à notre Cour de déterminer le poids qu’il convient de donner à la preuve. Notre Cour a pour rôle de déterminer si la décision de l’agente d’immigration était raisonnable, compte tenu de la preuve dont elle était saisie. C’est ce que je ferai dans la dernière partie des présents motifs.

 

[59]           En ce qui concerne les documents obtenus sur Internet, je ferais les remarques suivantes. Dans sa lettre adressée au demandeur, l’agente des visas n’a pas fait explicitement référence à ces sources. Or, les notes du STIDI indiquent clairement que son point de vue au sujet des liens entre l’UTM et le CGR était fondé sur divers sites Web, dont Wikipedia, Jane et Iran Watch (publiés sous l’égide du Wisconsin Project on Nuclear Arms).

 

[60]           Notre Cour a mis en doute plus d’une fois la fiabilité du site Wikipedia. Il s’agit d’une référence de source ouverte; son contenu ne fait l’objet d’aucun contrôle éditorial quant à son exactitude et peut être modifié par n’importe qui : voir, notamment, Khanna c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 335, [2008] A.C.F. no 419, au par. 11; Fi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1125, [2006] A.C.F. no 1401, au par. 9; Sinan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 714, [2008] A.C.F. n22; Karakachian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 948, [2009] A.C.F. no 1463. D’ailleurs, l’avocat du défendeur s’est abstenu de présenter à l’audience des observations concernant la source en question.

 

[61]           En ce qui concerne les sites Jane et Iran Watch, il est plus difficile d’évaluer la fiabilité de l’information qui y est publiée. L’agente n’a pas précisé quels renseignements provenaient du site Jane, et il est donc impossible d’évaluer raisonnablement cette source. Il suffit de dire que des réserves ont été exprimées dans le passé à l’égard de cette publication parce que les sources n’y sont pas identifiées : voir Jalil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 568, [2007] A.C.F. n763, au par. 24. Il reste le site Iran Watch, que nous connaissons très peu termes d’expertise, financement, mandat ou appartenance idéologique. Encore là, ces préoccupations ne devraient pas nous faire conclure que l’information provenant de ces sites n’aurait pas dû être prise en compte – et je n’ai pas compris pourquoi l’avocat du demandeur demande une telle conclusion; les préoccupations évoquées devraient néanmoins être prises en compte dans l’appréciation de la raisonnabilité des conclusions de l’agente des visas.

 

G.        L’agente a‑t‑elle tiré des inférences et des conclusions de fait déraisonnables?

[62]           Ayant pris connaissance à la fois du dossier public et des renseignements confidentiels retranchés du dossier certifié du tribunal, je conclus que les inférences que l’agente a tirées de ces éléments de preuve sont déraisonnables. Ses conclusions sont fondées, dans une grande mesure, sur des hypothèses, des spéculations et la culpabilité par association, éléments très peu étayés par le dossier. De plus, dans le processus décisionnel, l’agente n’a pas accordé le poids approprié aux renseignements fournis par le demandeur.

 

[63]           Avant d’aller plus loin, il convient de souligner la norme de preuve à respecter pour pouvoir conclure à l’interdiction de territoire. L’article 33 de la LIPR prévoit que « [l]es faits – actes ou omissions – mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir ».

 

[64]           La Cour suprême du Canada a conclu que la norme des « motifs raisonnables de croire » exige davantage qu’un simple soupçon, mais reste moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile : voir Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, 2005 CSC 40. En d’autres termes, la norme exige la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi : Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.F.), [2000] A.C.F. no 2043; Au c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 243, [2001] A.C.F. no 435; Moiseev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 88, [2008] A.C.F. no 113.

 

[65]           L’agente a d’abord indiqué dans ses motifs qu’elle avait des raisons de croire que le demandeur avait pris part à divers types d’activités subversives et qu’il avait été associé à des groupes qui se livraient à des activités terroristes. Selon l’agente, des renseignements confidentiels appuyaient sa conviction que le demandeur avait transmis au gouvernement iranien des renseignements sur des dissidents au cours de ses études en Europe et au Canada. Le demandeur, quant à lui, a nié avoir participé à des activités politiques ou avoir transmis quelque renseignement que ce soit au gouvernement iranien par l’intermédiaire de son ambassade au Canada ou en France.

 

[66]           Une lecture attentive de l’ensemble du dossier ne permet pas de justifier une croyance légitime à une possibilité sérieuse, fondée sur des preuves dignes de foi, que M. Jahazi ait participé activement aux activités d’organisations islamiques ou étudiantes qui collaboraient avec le régime iranien. Le fait qu’il puisse avoir connu certaines personnes affiliées à ces groupes et avoir eu avec elles des relations sociales ne permet aucunement de conclure qu’il a pris part à des activités subversives. Son explication sur la façon dont il a rencontré ces gens – par l’entremise de sa femme qui avait de l’expérience comme sage‑femme et avait travaillé comme bénévole pour un médecin de sa localité dont la clientèle comprenait des femmes musulmanes – était également tout à fait raisonnable. Quant à ses liens avec des employés d’ambassades, le demandeur a expliqué qu’il s’agissait de fins consulaires (un certificat de naissance pour son enfant, le renouvellement du passeport, etc.), explication qui ne semble pas avoir été prise en considération.

 

[67]           La préoccupation fondamentale de l’agente des visas, toutefois, concernait le fait que le demandeur avait obtenu rapidement un poste important dans une université qui se trouvait sous le contrôle des gardiens de la révolution. Selon l’agente, cela prouvait que le gouvernement iranien considérait le demandeur comme sympathisant de son idéologie malgré le fait qu’il avait vécu à l’étranger les 12 années précédentes. Encore une fois, l’agente a écarté sommairement les explications du demandeur à cet égard.

 

[68]           Le demandeur a expliqué à maintes reprises qu’à son retour en Iran il n’avait pas effectué son service militaire et qu’il ne voulait pas le faire. Pour travailler comme professeur au niveau universitaire sans avoir à faire son service militaire, il a dû présenter une demande au service de placement pour les chercheurs universitaires auprès du ministère de l’Éducation supérieure. Il avait la liberté de choisir une université à l’extérieur de Téhéran, mais pour la capitale c’était le ministère qui décidait, et il a été nommé comme professeur à l’UTM À l’époque, la Faculté de génie de l’UTM était très récente et ne comptait que 15 professeurs pour 6 départements. Le Département des matériaux, où le demandeur a été envoyé, comptait un seul membre. Bien que le demandeur ait déployé pendant plusieurs mois beaucoup d’efforts pour faire changer cette décision parce que la faculté n’avait ni édifice ni laboratoires, le ministère n’a pas voulu l’autoriser à aller à l’Université de Téhéran. Le ministère avait comme politique d’envoyer tous les nouveaux diplômés à l’UTM pour y mettre sur pied un département d’études techniques.

 

[69]           Le demandeur a été embauché à l’UTM à titre de professeur adjoint. Dans les notes du STIDI, l’agente a souligné que ce titre l’étonnait, vu que ce poste n’était pas justifié dans une université comptant si peu de professeurs. Cette remarque dénote un manque manifeste de compréhension du processus d’embauche et du fonctionnement d’un département universitaire. Le poste de professeur adjoint constitue le niveau de recrutement pour les nouveaux diplômés qui souhaitent enseigner au niveau universitaire partout dans le monde, y compris au Canada.

 

[70]           Le demandeur a également expliqué que le programme de génie des matériaux à l’UTM comprenait trois sections approuvées par le ministère. Comme le département comptait en tout et pour tout deux employés, le demandeur a été automatiquement chargé de la section de la sélection des matériaux. Cela explique l’évolution rapide du demandeur au sein de l’administration de l’UTM. Il a expliqué également qu’il est devenu chef de son département quelques années plus tard, avec un mandat de deux ans, puisque ces postes sont habituellement alloués par rotation. Bien qu’il ait exprimé le désir d’être transféré à l’Université de Téhéran, on ne lui a jamais confié un poste au niveau de la faculté ou de l’université. Sa promotion au poste de professeur agrégé a été aussi retardée, même s’il avait publié dans des revues à l’étranger beaucoup plus d’articles qu’il n’était requis. Compte tenu de ces faits, il est difficile de comprendre comment l’agente des visas a conclu que le demandeur s’est élevé dans la hiérarchie à l’aide du système de l’UTM.

 

[71]           Lorsque le demandeur a quitté l’Iran en 2001, il est venu à l’Université McGill comme professeur invité. Selon les explications du demandeur, l’UTM n’a pas voulu considérer cette période comme une année sabbatique et lui a demandé d’utiliser plutôt ses crédits de vacances. Dès qu’il a épuisé ses crédits de vacances, et sans l’aviser, l’administration de l’université a publié dans des journaux iraniens une annonce indiquant que le demandeur s’était absenté du travail sans justification et qu’il serait congédié s’il ne se présentait pas à son poste. Les collègues du demandeur sont intervenus et celui‑ci a finalement obtenu un congé sans solde auquel a droit tout professeur. Le dossier du demandeur a été examiné à trois reprises par le comité de discipline de l’UTM, ce qui constitue selon le demandeur une tentative de congédiement. L’université n’a pas encore accepté sa démission parce qu’un congédiement lui ferait plus de tort. Ces éléments de preuve non contredits ne montrent, c’est le moins qu’on puisse dire, aucun traitement de faveur de la part de l’administration de l’UTM; bien au contraire, le demandeur n’a jamais obtenu une promotion inhabituelle et son cheminement professionnel a été plutôt sinueux, voire pénible, en raison de son désir d’être transféré à l’Université de Téhéran.

 

[72]           Dans sa lettre de refus, l’agente indique qu’il est connu que le CGR exerce un certain contrôle sur l’UTM, et affirme que c’est le CGR qui a muté le demandeur à l’ORIST. L’agente dit qu’au cours des mêmes années où le CGR aurait contrôlé l’UTM, il a armé des groupes terroristes et l’ORIST participait au développement d’armes de destruction massive. Tous ces renseignements sont fondés sur les sites Web déjà mentionnés dans les présents motifs.

 

[73]           Ces conclusions soulèvent plusieurs problèmes. Premièrement, la fiabilité des sites Web que l’agente a consultés n’a pas été établie. Dans ses affidavits, le demandeur a relevé plusieurs incohérences dans les renseignements trouvés sur les sites en question. Par exemple, il semble que l’UTM ne figure pas sur la liste de plus de 212 institutions mentionnées par Iran Watch, alors que l’école de médecine de l’Université de Téhéran y est inscrite. De plus, le document d’Iran Watch consulté par l’agente date de 2004, quatre ans après le départ du demandeur de l’ORIST et trois ans après son arrivée au Canada, et ne porte pas sur la section de l’ORIST au sein de laquelle le demandeur a travaillé, mais sur une section différente.

 

[74]           De plus, le contenu des pages imprimées à partir du site Iran Watch et versées au dossier certifié du tribunal ne justifie pas les inférences tirées par l’agente au sujet des activités du demandeur. Dans le premier document provenant d’IranWatch intitulé [traduction] « Le Corps des gardiens de la révolution se sert des universités pour ses recherches sur les bombes; l’Université Imam Hossein du CGR impliquée dans un programme d’armes nucléaires clandestin », on ne trouve rien sur l’UTM ou sur l’ORIST. Dans cet article, il est simplement question de la participation de l’Université Imam Hossein aux activités du CGR et de la participation du CGR dans la recherche et le développement nucléaires. Dans le deuxième document d’Iran Watch intitulé [traduction] « L’Iran fait la contrebande du composite à matrice céramique, produit‑clé dans la fabrication d’une bombe atomique », la seule mention de l’UTM est le fait que l’un des professeurs participant au projet travaille là‑bas.

 

[75]           Dans sa lettre de refus, l’agente a également accusé le demandeur d’avoir diminué l’importance de son poste à l’ORIST. Il est difficile de comprendre comment elle est arrivée à cette conclusion, vu que le demandeur a toujours été fier du travail accompli à l’ORIST et qu’il le mentionne expressément dans le curriculum vitae présenté au Conseil national de recherches en 2001.

 

[76]           Dans ses notes, l’agente se sert du paragraphe d’introduction du site Web Iran Watch sur l’ORIST pour conclure qu’il s’agit d’une organisation dangereuse impliquée dans l’achat d’équipements destinés au développement d’armes nucléaires. Elle en déduit qu’en raison de son emploi auprès de l’ORIST, le demandeur a joué un rôle‑clé dans l’achat d’équipements interdits. Le demandeur déclare qu’il n’a jamais acheté ou approuvé un équipement au cours de son emploi à l’ORIST, et que cela ne faisait pas partie de ses attributions. De plus, le demandeur a affirmé qu’il n’a visité ni n’a évalué aucun projet lié aux armes de destruction massive ou à toute autre application militaire. Pourtant l’agente n’a présenté aucune preuve qu’il avait agi ainsi ou qu’il avait connaissance d’un tel projet. Rien au dossier ne permettait d’étayer une telle conclusion.

 

[77]           En résumé, les conclusions de l’agente ne sont pas étayées par la preuve dont elle disposait et elle n’a pas accordé aux renseignements fournis par le demandeur un poids suffisant dans son processus de décision. Au lien d’analyser les explications du demandeur, elle a préféré se fonder sur des renseignements douteux trouvés sur Internet et sur des rapports peu probants provenant d’autres agences gouvernementales pour porter de graves accusations contre le demandeur. Ces erreurs rendent la décision de l’agente déraisonnable.

 

[78]           L’avocat du demandeur a demandé au nom de son client une réparation efficace et l’autorisation de retourner au Canada jusqu’à ce qu’une nouvelle décision soit rendue sur l’affaire. Je reconnais que le demandeur et sa famille ont vécu des moments terribles au cours des dernières années vu la longueur du traitement de sa demande de résidence permanente et le fait qu’elle a été finalement rejetée. Toutefois, la Cour n’a pas compétence pour rendre une telle ordonnance à l’encontre du ministre. Le fait que le demandeur conteste la décision de l’agente d’immigration, peu importe son statut antérieur au Canada, ne lui accorde pas le droit d’entrer au Canada. Par contre, si l’agent chargé de réexaminer la demande de résidence permanente du demandeur le juge nécessaire, une autre entrevue devrait avoir lieu au bureau des visas le plus proche possible du domicile du demandeur. Si le ministre ne jugeait pas nécessaire la tenue d’une autre entrevue, il faut donner au demandeur la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agente des visas Blouin en présentant un nouvel affidavit et de nouvelles observations.

 

[79]           L’avocat du demandeur a demandé à la Cour de donner des directives interdisant d’accorder un poids quelconque aux renseignements confidentiels. Ici encore, la Cour n’a pas compétence pour limiter le pouvoir discrétionnaire d’un agent qui examinerait ultérieurement la demande. Tout au plus la Cour peut‑elle indiquer à l’agent chargé de réexaminer la demande de résidence permanente de tenir compte des présents motifs, notamment des paragraphes 57 à 59 qui portent sur la fragilité inhérente des éléments d’information recueillis aux fins du renseignement.

 

[80]           Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier et aucune ordonnance n’est rendue à cet égard.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de l’agente des visas rendue le 14 août 2008 soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour nouvel examen, conformément aux présents motifs. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3968‑08

 

INTITULÉ :                                                   Mohammad Jahazi et al.

                                                                        c.

                                                                        MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 29 janvier 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                          Le juge de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :                         Le 2 mars 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

Jacqueline Swaisland

 

POUR LE(S) DEMANDEUR(S)

Deborah Drukarsh

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

281, Avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)  M4P 1L3

 

POUR LE(S) DEMANDEUR(S)

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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