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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100224

Dossier : IMM-3187-09

Référence : 2010 CF 208

Ottawa (Ontario), le 24 février 2010

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

KASONGO MARCEL EMAMGONGO

DJUNGA PAULINE NENDE

 CEDRIC KASONGO

 FABRICE LUMA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 2 juin 2009 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a conclu que les demandeurs, qui sont des citoyens de la République démocratique du Congo (la RDC), ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

FAITS

Contexte

[2]               Les demandeurs sont des citoyens de la République démocratique du Congo. Il s’agit de quatre membres d’une même famille. Kasongo Marcel Emamgongo, quarante-deux (42) ans, est l’époux de Djunga Pauline Nende, quarante-cinq (45) ans. Ils ont deux enfants adultes; Cedric Kasongo, leur fils de dix-huit (18) ans et Fabrice Luma, leur fille de vingt‑deux (22) ans.

 

[3]               La famille de demandeurs est arrivée au Canada le 25 septembre 2006 et a demandé l’asile au point d’entrée. Les demandeurs avaient passé 15 ans aux États-Unis avant de venir au Canada.

 

[4]               Les demandeurs ont soutenu que M. Emamgongo craignait la persécution en raison de ses activités politiques pour le compte de l’Union pour la démocratie et le progrès social (l’UDPS), dont il est membre depuis 1989. M. Emamgongo a étudié à l’Université de Kinshasa jusqu’à sa fermeture, le 17 mai 1990, à la suite d’une manifestation étudiante à laquelle il a participé et où il y a eu des morts. Il a ensuite accepté un emploi à la morgue de l’hôpital. Le 7 janvier 1991, M. Emamgongo aurait trouvé le corps de son oncle parmi les cadavres portant des traces de torture que le régime Mbotu envoyait périodiquement à la morgue. Le demandeur a avisé le dirigeant de l’UDPS de cette découverte, ce qui a mené à son congédiement le 16 janvier 1991, puis à son arrestation et à son incarcération. M. Emamgongo a été battu durant ses six mois d’incarcération, mais il a réussi à s’évader après son transfert à l’hôpital pour y recevoir des soins. Les demandeurs ont fui aux États-Unis le 7 août 1991, il y a 18 ans, et ont présenté une demande d’asile que les autorités américaines ont rejetée. Ils sont venus au Canada en 2006.

 

La décision visée par la demande de contrôle

[5]               La demande d’asile a d’abord été entendue dans le cadre du processus accéléré d’audience. L’agent de protection des réfugiés (l’APR) a recommandé que la demande soit entendue dans le cade d’une audience complète après avoir relevé les contradictions suivantes :

1.      selon le témoignage de M. Emamgongo, son oncle est mort le 7 janvier 1991; toutefois, la date de décès consignée sur le certificat de décès est le 7 juillet 1991;

2.      selon le témoignage de M. Emamgongo, sa détention a duré du 17 janvier 1991 au 22 juillet 1991, après quoi il est allé à l’hôpital pour y recevoir des soins; toutefois, selon le rapport de l’hôpital, M. Emamgongo a été examiné le 7 août 1991, soit après la date de sa fuite supposée de la RDC.

 

[6]               À l’audience complète devant le tribunal de la SPR, M. Emamgongo a présenté de la documentation corrigée qui correspondait à son témoignage oral. Toutefois, il a également présenté un [traduction] « Acte déclaratif d’évasion » dans lequel il fixe la date de son évasion de l’hôpital au 25 mai 1991, ce qui contredisait son témoignage selon lequel il avait été admis à l’hôpital le 22 juillet 1991. La SPR a conclu que les incohérences entre le témoignage de M. Emamgongo et les versions antérieures de la documentation officielle jettent un doute sur la valeur probante des documents corrigés.

 

[7]               La SPR a relevé une contradiction entre le témoignage de M. Emamgongo devant la SPR et ses déclarations au point d’entrée, où il avait affirmé qu’il avait trouvé le corps de son cousin à la morgue, et non celui de son oncle (comme il l’a prétendu par la suite). À la page 4 de sa décision, la SPR a conclu que des éléments centraux de la demande d’asile étaient peu crédibles :

Après avoir tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve, le tribunal conclut que ces incohérences nuisent à la crédibilité du demandeur d’asile, ce qui le mène à douter de la véracité des éléments essentiels de sa demande d’asile, notamment ses présumés problèmes aux mains du gouvernement du fait qu’il a dénoncé les actes répréhensibles commis à l’hôpital.

 

[8]               Le tribunal a signalé le risque auquel sont exposés les membres de l’UDPS à la page 4 de sa décision :

Le demandeur d’asile a affirmé être membre de l’UDPS depuis 1989. Son conseil a déposé une preuve documentaire indiquant que ... « depuis longtemps, de mauvais traitements sont commis à l’endroit des membres de l’UDPS [et qu’un] rapport de presse paru en février 2005 souligne la contestation de plusieurs groupes de l’opposition, dont l’UDPS, concernant la “résurgence de la violence politique de la part des actuelles instances dirigeantes envers les chefs de l’opposition et les militants”. Le rapport cite l’UDPS, qui indique “[qu’]en janvier [2005] plusieurs incidents d’agression envers les militants ont eu lieu” ».

 

[9]               En raison du manque de crédibilité de M. Emamgongo, la SPR a conclu qu’il n’avait pas établi l’élément subjectif de sa crainte découlant de son adhésion à l’UDPS. À la page 5 de sa décision, la SPR a également conclu qu’il n’y avait aucune preuve que M. Emamgongo ou les membres de sa famille étaient des personnes à protéger :

Le tribunal, après avoir jugé que le demandeur d’asile n’était pas crédible et qu’il n’avait pas satisfait au critère subjectif de sa crainte du fait de son appartenance à l’UDPS, conclut que ce dernier n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention et qu’aucun élément de preuve ne permet de conclure qu’il a qualité de personne à protéger.

 

Par conséquent, la SPR a rejeté la demande d’asile présentée par les demandeurs.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[10]           L’article 96 de la LIPR confère une protection aux réfugiés au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au

sens de la Convention — le

réfugié — la personne qui,

craignant avec raison d’être

persécutée du fait de sa race,

de sa religion, de sa

nationalité, de son

appartenance à un groupe

social ou de ses opinions

politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout

pays dont elle a la nationalité

et ne peut ou, du fait de cette

crainte, ne veut se réclamer de

la protection de chacun de ces

pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de

nationalité et se trouve hors du

pays dans lequel elle avait sa

résidence habituelle, ne peut

ni, du fait de cette crainte, ne

veut y retourner.

96. A Convention refugee is a

person who, by reason of a

well-founded fear of

persecution for reasons of race,

religion, nationality,

membership in a particular

social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their

countries of nationality and is

unable or, by reason of that

fear, unwilling to avail

themself of the protection of

each of those countries; or

 

(b) not having a country of

nationality, is outside the

country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[11]           L’article 97 de la LIPR confère une protection à certaines catégories de personnes :

97. (1) A qualité de personne à

protéger la personne qui se

trouve au Canada et serait

personnellement, par son

renvoi vers tout pays dont elle

a la nationalité ou, si elle n’a

pas de nationalité, dans lequel

elle avait sa résidence

habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des

motifs sérieux de le croire,

d’être soumise à la torture au

sens de l’article premier de la

Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie

ou au risque de traitements ou

peines cruels et inusités dans

le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la

protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout

lieu de ce pays alors que

d’autres personnes originaires

de ce pays ou qui s’y trouvent

ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne

résulte pas de sanctions

légitimes — sauf celles

infligées au mépris des normes

internationales — et inhérents

à celles-ci ou occasionnés par

elles,

(iv) la menace ou le risque ne

résulte pas de l’incapacité du

pays de fournir des soins

médicaux ou de santé

adéquats.

97. (1) A person in need of

protection is a person in

Canada whose removal to their

country or countries of

nationality or, if they do not

have a country of nationality,

their country of former

habitual residence, would

subject them personally

 

(a) to a danger, believed on

substantial grounds to exist, of

torture within the meaning

of Article 1 of the Convention

Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a

risk of cruel and unusual

treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or,

because of that risk, unwilling

to avail themself of the

protection of that country,

(ii) the risk would be faced by

the person in every part of that

country and is not faced

generally by other individuals

in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or

incidental to lawful sanctions,

unless imposed in disregard

of accepted international

standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by

the inability of that country to

provide adequate health or

medical care.

 

 

QUESTION À TRANCHER 

[12]           Les demandeurs soulèvent la question suivante :

1.      La SPR a-t-elle commis une erreur en ne présentant pas une analyse de la demande d’asile en vertu de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés distincte de son analyse de la demande d’asile en vertu de l’article 96 de cette même Loi?

 

 

NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[13]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a statué au paragraphe 62 que la première étape d’une analyse visant à établir la norme de contrôle applicable consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : voir également Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, le juge Binnie, paragraphe 53.

 

[14]           La question de savoir si la SPR a omis d’effectuer une analyse distincte en vertu de l’article 97 de la LIPR a trait au caractère adéquat de la décision contestée et, par conséquent, commande l’application de la norme de la décision correcte : voir ma décision dans Jabari c. Canada (MCI), 2008 CF 225, paragraphe 12; Via Rail Canada Inc. c. Canada (Office national des transports), [2001] 2 C.F. 25 (C.A.).

 


ANALYSE

Question :       La SPR a-t-elle commis une erreur en ne présentant pas une analyse de la demande d’asile en vertu de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés distincte de son analyse de la demande d’asile en vertu de l’article 96 de cette même Loi?

 

[15]           Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en omettant d’effectuer une analyse distincte en vertu de l’article 97 de la LIPR. 

 

[16]           Le juge de Montigny s’est penché sur cette même question dans la décision Ayaichia c. Canada (MCI), 2007 CF 239, aux paragraphes 19 et 20 :

¶19      D’autres juges de la Cour fédérale ont appliqué cette décision à maintes reprises par la suite. Même s’il est toujours préférable d’analyser à la fois les articles 96 et 97 lorsqu’un demandeur a invoqué les deux motifs à l’appui de sa demande d’asile, l’omission de le faire n’a pas toujours pour effet de vicier une décision bien fondée par ailleurs. Si la preuve constituant le fondement des deux demandes est la même et que le récit du demandeur n’est pas accepté comme véridique, il ne sera pas nécessaire de procéder à une analyse distincte en application de l’article 97, parce qu’il n’y aura aucun élément de preuve à l’appui de l’allégation du demandeur selon laquelle il a qualité de personne à protéger. Voir, par exemple […]

 

¶20      Bien entendu, si les faits sous-jacents révèlent d’autres motifs permettant de décider que le demandeur a qualité de personne à protéger, le fait d’avoir conclu que cette personne n’est pas crédible pour l’application de l’article 96 ou qu’il n’y a aucun lien avec un motif prévu à la Convention ne dispensera pas la Commission de l’obligation de procéder à une analyse distincte en application de l’article 97. C’est précisément la situation qui a été examinée dans Kilic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 84, que le demandeur invoque. Dans cette affaire, la Commission a décidé que M. Kilic n’était pas crédible à plusieurs égards, mais elle a néanmoins reconnu qu’il avait déserté l’armée parce qu’il avait présenté une preuve documentaire à l’appui de son allégation. La Commission a rejeté la demande du demandeur fondée sur l’article 96, concluant qu’il n’avait établi aucun lien avec un motif prévu à la Convention, et elle n’a pas mené d’analyse en application de l’article 97. Saisi de la demande de contrôle judiciaire relative à cette décision, le juge Richard Mosley a conclu que la Commission aurait dû se demander si le demandeur d’origine turque était exposé à un risque du fait qu’il avait déserté l’armée.

 

[17]           Souvent, il ne sera pas nécessaire d’examiner la question de l’article 97 si une conclusion défavorable concernant la crédibilité est tirée relativement à l’article 96 : Smoudi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1139, le juge O’Reilly, paragraphe 7. La question de savoir si l’omission d’effectuer une analyse distincte en vertu de l’article 97 est susceptible de contrôle dépend de la preuve particulière présentée à la SPR : Kandiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 181, le juge Martineau, paragraphe 16. Dans la décision Jabari, précitée, aux paragraphes 25 et 26, j’ai statué que la SPR avait commis une erreur en omettant de mener une analyse en vertu de l’article 97 dans le cas d’un demandeur qui avait soulevé deux motifs distincts de craindre d’être renvoyé en Iraq dans un contexte où la documentation objective sur la situation dans ce pays faisait état d’une violence interethnique répandue.

 

[18]           La SPR a passé en revue la documentation objective sur la situation dans le pays en cause :

Le demandeur d’asile a affirmé être membre de l’UDPS depuis 1989. Son conseil a déposé une preuve documentaire indiquant que ... « depuis longtemps, de mauvais traitements sont commis à l’endroit des membres de l’UDPS [et qu’un] rapport de presse paru en février 2005 souligne la contestation de plusieurs groupes de l’opposition, dont l’UDPS, concernant la “résurgence de la violence politique de la part des actuelles instances dirigeantes envers les chefs de l’opposition et les militants”. Le rapport cite l’UDPS, qui indique “[qu’] en janvier [2005] plusieurs incidents d’agression envers les militants ont eu lieu” ».

 

Tout en reconnaissant que certains membres de l’UDPS pouvaient subir de mauvais traitements, la SPR a signalé que le demandeur n’avait pas soutenu qu’il serait exposé à la persécution du seul fait de son adhésion à l’UDPS :

Le tribunal ne réfute pas les éléments de preuve objectifs présentés par le demandeur d’asile; néanmoins, ce dernier n’a pas affirmé éprouver une crainte subjective de retourner en RDC en raison de son appartenance à l’UDPS […]

 

[19]           Bien que le demandeur principal ait coché les deux cases dans le FRP signalant qu’il avait besoin de protection, son témoignage n’allait pas dans ce sens. Il n’a pas affirmé que son retour au Congo l’exposerait à un danger à titre de membre de l’UDPS. Si le demandeur d’asile ne fait pas valoir une réclamation à l’audience, il ne peut reprocher à la SPR de ne pas l’avoir traitée de manière plus détaillée que ne l’a fait la SPR en l’espèce.

 

[20]           De plus, le demandeur a quitté le Congo en 1991, soit il y a 18 ans. La preuve documentaire objective établit clairement que seuls les militants de l’UDPS sont exposés au risque de persécution. Le demandeur ne figure pas dans cette catégorie. Pour ces motifs, la Cour ne peut accueillir ce motif de contrôle.

 

 

 

 

QUESTION CERTIFIÉE

[21]           Les deux parties ont indiqué à la Cour que la présente affaire ne soulève pas de question grave de portée générale qu’il conviendrait de certifier en vue d’un appel. La Cour souscrit à cet avis.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3187-09

 

INTITULÉ :                                       KASONGO MARCEL EMAMGONGO ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Jack Davis

 

POUR LES DEMANDEURS

Mme Alison Engel-Yan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jack Davis

Davis & Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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