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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100225

Dossier : IMM-1819-09

Référence : 2010 CF 222

Ottawa (Ontario), le 25 février 2010

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

 

ENTRE :

ONG JIANG

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction et conclusions du tribunal

[1]               Dong Jiang est un citoyen de la Chine, originaire du Fujian. Il conteste la décision du 13 mars 2009 par laquelle la commissaire de la Section de la protection des réfugiés (le tribunal) a rejeté sa demande fondée sur sa qualité de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger.

 

[2]               Sa demande a deux fondements :

 

1)    Une demande d’asile sur place, reposant sur la prétention qu’il est devenu chrétien au Canada après y être arrivé le 10 novembre 2007. Il fait valoir que, s’il devait retourner en Chine, il devrait pratiquer le christianisme en fréquentant une église protestante clandestine. Il assiste au culte du dimanche et suit les samedis soirs un cours sur la Bible dans une église pentecôtiste.

 

2)    Une deuxième demande fondée sur ses opinions politiques, basée sur son refus d’obtempérer avec des fonctionnaires du Bureau de l’industrie et du commerce (BIC) qui auraient tenté de lui extorquer de l’argent après qu’il eut ouvert, en juin 2006, à l’âge dix-huit ans, une quincaillerie avec un ami, son associé. Les fonctionnaires du BIC se seraient présentés au magasin en avril 2007 et auraient exigé le paiement de droits pour le contrôle de la qualité, à défaut de quoi ils feraient fermer le magasin. Le paiement a été effectué. Vers la mi-mai 2007, les fonctionnaires du BIC sont revenus et ont exigé davantage d’argent; le lendemain, les deux associés ont refusé de payer. Le 30 mai 2007, les mêmes fonctionnaires se sont à nouveau présentés. M. Jiang était absent, mais son associé a été gravement battu. M. Jiang a rapporté l’incident au Bureau de la sécurité publique (BSP), qui lui a répondu que rien ne pouvait être fait parce qu’il s’agissait d’une affaire visant le BIC. En juin 2007, les fonctionnaires sont encore revenus au magasin. Un employé, M. Wang, s’y trouvait, mais M. Jiang et son associé étaient absents. Le BIC a accusé les associés de détenir un faux permis de place d’affaires. Après avoir fouillé le magasin et l’entrepôt, ils ont prétendu y avoir trouvé des produits de mauvaise qualité et ont appelé la police pour faire arrêter les associés. Ceux-ci se sont cachés; M. Jiang s’est enfui au Canada.

 

[3]               La crédibilité du demandeur a été un facteur majeur de la décision du tribunal quant à ses deux demandes, mais particulièrement celle touchant ses opinions politiques. Comme on le verra, pour ce qui est de la demande d’asile sur place, la conclusion du tribunal reposait principalement sur l’examen de la preuve documentaire, mais aussi sur la crédibilité du demandeur eu égard à son manque de connaissances relativement à la foi chrétienne.

 

[4]               L’avocat du demandeur soulève trois points dans la présente demande de contrôle judiciaire :

 

1)        La mauvaise compréhension de la notion de persécution religieuse.

 

2)        Les conclusions de fait déraisonnables quant à la crédibilité fondées sur une présentation des faits erronée ou faite de façon abusive ou arbitraire.

 

3)        La partialité dont a fait preuve le tribunal.

 

La décision du tribunal

1) La demande d’asile sur place

a) La preuve documentaire

[5]               Le tribunal a statué qu’« advenant son retour dans la province de Fujian, d’où il vient, [le demandeur] ne sera pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution », concluant ce qui suit :

 

[15]    […] Selon la preuve documentaire, le traitement réservé aux protestants par le gouvernement de la Chine varie d’une région à l’autre de ce pays. Il y a également des différences entre les régions urbaines et rurales. Comme il est mentionné dans la section 12.9 du cartable national de documentation, l’application du règlement sur la religion est plus sévère dans les régions urbaines comme Beijing et Shanghai que dans les régions rurales et le sud de la Chine, comme au Fujian, où les autorités surveillent moins attentivement les activités non officielles des églises et s’ingèrent moins dans celles-ci. [Non souligné dans l’original.]

 

[6]               Il a ajouté que :

 

[16]     Les provinces du Fujian et du Guangdong appliquent la politique la plus libérale de la Chine en matière de religion, particulièrement en ce qui concerne le christianisme. Les autorités locales en général tolèrent les activités des groupes chrétiens non enregistrés. Il y un certain nombre d’églises non enregistrées ainsi que des écoles bibliques, des associations et même des missionnaires qui exercent leurs activités dans la province de Fujian depuis des années avec la permission des autorités.

 

[17]     Des sources ont signalé que des chefs de maisons-églises avaient fait l’objet de persécutions fondées sur des croyances religieuses, mais qu’il n’y avait rien eu contre les membres ordinaires. Même si des membres de maisons-églises peuvent à l’occasion être arrêtés, ils sont libérés peu de temps après avoir été interrogés.

 

[18]     En ce qui concerne les arrestations dans d’autres régions de la Chine, la preuve documentaire révèle que ceux qui ont été arrêtés étaient tous des chefs, des professeurs et des pasteurs. La plupart de ces arrestations ont eu lieu dans les provinces de Hubei, Henan, Xingjian, et Jilin. Il n’est pas fait mention de la province du Fujian comme d’un lieu où les protestants sont arrêtés parce qu’ils fréquentent des maisons-églises. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[7]               Selon ce qu’il a indiqué, le tribunal, après avoir examiné la preuve documentaire du demandeur afin de vérifier si elle comportait des éléments de preuve incompatibles avec ceux contenus dans le cartable national de documentation, a conclu n’y avoir trouvé « aucun document qui indiquait que les membres ordinaires de maisons-églises aient été arrêtés ou détenus dans la province du Fujian » ni aucun document indiquant « que des ministres du culte chrétiens aient été arrêtés, déclarés coupables ou torturés au Fujian » et a ajouté :

 

[20]     C’est significatif. Tous les documents du demandeur d’asile proviennent de sources chrétiennes qui font le suivi de la répression des chrétiens en Chine. Ces sources relèvent des incidents où des chrétiens sont arrêtés, incarcérés, rééduqués dans des camps de travail et torturés par les autorités chinoises parce qu’ils ont pratiqué des formes non autorisées de christianisme. Les éléments de preuve documentaire du demandeur d’asile proviennent de sources comme le Center for Religious Freedom, Voice of the Martyrs Canada, persecution.net/news/china83, ReligionNewsBlog.com, Friends of Falun Gong USA, Christianity Today et ChristiansUnite.com ».

 

[21]     Les éléments de preuve documentaire du demandeur d’asile corroborent ceux figurant dans le cartable national de documentation. Il y a moins qu’une simple possibilité qu’un membre ordinaire d’une maison-église protestante clandestine au Fujian soit exposé à une possibilité sérieuse de persécution. Si le demandeur d’asile habitait dans une autre province chinoise comme le Jiangsu, le Hubei, le Henan, le Zhejiang, le Sichuan, le Xinjiang, le Jilin et l’Anhui ou dans la région autonome de la Chine appelée la Mongolie intérieure, une conclusion différente aurait pu être tirée. Le demandeur d’asile a trouvé des éléments de preuve documentaire sur ces provinces qui indiquent que des chrétiens ordinaires et leurs chefs ont souffert parce qu’ils pratiquaient le christianisme de la façon dont ils le voulaient. [Non souligné dans l’original.] 

 

[8]               Il a fait remarquer que seulement deux articles présentés par le demandeur « font mention du Fujian », dont l’un publié par Voice of the Martyrs qui « affirme qu’une église nouvellement construite au Fujian a été détruite en juillet 2007 », mais ne donne aucune raison, autre que des motifs de sécurité, pour expliquer cette destruction. Le tribunal a fait observer qu’« [à] partir de cet article, il est impossible de savoir en quoi consistaient les raisons de sécurité » et qu’« [en] outre, il n’y est pas indiqué qu’un membre de l’église a été arrêté ou blessé lors de la destruction de celle-ci ». Quant à l’autre article, la SPR a dit qu’il rapportait qu’un activiste chrétien bien connu vivant en Australie avait fait parvenir par la poste à sa sœur, une chrétienne également, des documents et des livres à distribuer en Chine. La sœur de l’activiste a été arrêtée et accusée de subversion du pouvoir de l’État [juste avant les Jeux olympiques de 2008]. Le tribunal a dit : « Le demandeur d’asile n’a présenté aucune autre information indiquant si [cette personne] est toujours incarcérée ».

 

[9]               Il a conclu : « Ne disposant de rien de plus, je peux seulement constater que le demandeur d’asile n’a mis dans la preuve documentaire que l’exemple d’une personne qui a été arrêtée et accusée d’un crime lié au christianisme au Fujian de 1995 à 2008 ». Il a souligné que la personne qui avait été arrêtée juste avant les Jeux olympiques n’était « …pas un simple membre ordinaire d’une église clandestine… » et que les membres de sa famille sont des activistes chrétiens bien connus. Il a ajouté : « Si Mlle Songping, une activiste bien connue qui a reçu par courrier des documents chrétiens peu de temps avant les Jeux olympiques de la Chine, est la seule personne dont il est question dans les documents qui ait été arrêtée au Fujian pour un acte lié à sa pratique du christianisme, j’estime que le demandeur d’asile ne sera pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution en raison de la fréquentation d’une maison-église protestante lorsqu’il retournera en Chine. »

 

[10]           Le tribunal est alors parvenu à la conclusion suivante relativement à l’article 97 de la LIPR :

 

[26]      Le demandeur d’asile n’a pas allégué être exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités relativement à sa foi chrétienne en Chine. Pour cette raison, selon la prépondérance des probabilités, je conclus qu’il n’est pas exposé à ce genre de risque en Chine.

 

b) La crédibilité du demandeur

[11]           La conclusion du tribunal sur la crédibilité est formulée dans le court paragraphe suivant :

 

[27]      Outre ce qui a déjà été mentionné, j’estime également que le demandeur d’asile n’était pas crédible. Je ne crois pas que le demandeur d’asile soit un chrétien qui fréquentera une église en Chine. L’élément central du témoignage du demandeur d’asile est qu’il veut pratiquer une forme particulière de christianisme sans entrave en Chine. Toutefois, après avoir apparemment suivi hebdomadairement des cours et assisté à des services de prières dans une église pentecôtiste pendant 14 mois, le demandeur d’asile ne maîtrise toujours pas les concepts les plus fondamentaux de sa forme de christianisme. Le demandeur d’asile ne pouvait pas répondre avec certitude à la question suivante : qu’arrive-t-il à une personne après sa mort si elle n’a pas, au cours de cette vie, accepté Jésus Christ comme son Sauveur? Si le demandeur d’asile ne connaît pas la réponse, et croit vraiment ce qu’il a répondu, à cette question des plus fondamentales pour les chrétiens pentecôtistes, je conclus qu’il n’est pas chrétien selon la prépondérance des probabilités. Je ne crois pas que le demandeur d’asile fréquentera une église en Chine; il n’a pas assimilé la théologie pentecôtiste. Soit il n’a pas fréquenté l’église et assisté aux séances d’études hebdomadaires, soit il ne s’est pas ouvert aux leçons qu’il aurait dû apprendre et accepter. D’une manière ou d’une autre, je ne juge pas crédible que le demandeur d’asile soit chrétien. [Non souligné dans l’original.]

 

2) La prétention relative aux opinions politiques

[12]           Il ne sera pas nécessaire que je résume les conclusions du tribunal sur la prétention relative aux opinions politiques puisque, dans sa plaidoirie, l’avocat du demandeur n’a pas traité de cette question.

 

3) L’affirmation de partialité

[13]           Dans ses motifs, le tribunal a mentionné la « demande de récusation » selon laquelle les questions qu’il a posées et sa conduite donneraient lieu à une crainte de partialité. Le tribunal a rappelé que le critère bien connu qui permet d’établir une crainte raisonnable de partialité, énoncé dans Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, « consiste à se demander si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, arriverait à la conclusion que le décideur rendrait une décision juste ». Il a ajouté : « Par conséquent, le critère consiste à se demander si ce genre de personne bien renseignée conclurait que le tribunal rendrait une décision injuste à l’égard du demandeur compte tenu de ses questions et de sa conduite à l’égard du demandeur d’asile. »

 

[14]           Le tribunal a relevé les trois objections soulevées par le conseil :

 

[45]      Le conseil a affirmé que je répétais des questions, portant sur la religion, auxquelles le demandeur d’asile avait déjà répondu. Il a affirmé que je n’aurais pas dû questionner le demandeur d’asile au sujet de l’ampleur de la corruption en Chine. Enfin, au cours de l’audience elle-même, le conseil s’est opposé au fait que je l’ai empêché de répondre à une question que j’avais posée au demandeur d’asile.

 

[15]           Le tribunal a traité des trois points. Premièrement, il a indiqué ce qui suit : « Pour évaluer la crédibilité quant à savoir si une personne s’est convertie au christianisme, un commissaire du tribunal doit poser des questions d’approfondissement pour déterminer si le demandeur d’asile est chrétien ou s’il utilise la religion comme prétexte. Ici, le demandeur d’asile a affirmé dans son formulaire de renseignements personnels et son témoignage qu’il ne pouvait fréquenter qu’un type d’église en Chine en raison de ses croyances théologiques. Comprendre les croyances du demandeur d’asile était donc une partie essentielle de l’audience. »

 

[16]           Le tribunal a souligné l’observation de l’avocat du demandeur selon laquelle il avait posé à plusieurs reprises les mêmes questions au demandeur d’asile sur ses croyances au sujet du paradis et de l’enfer. Le tribunal a déclaré qu’au contraire, le « dossier tend à démontrer ce que le conseil a lui‑même admis […] : le demandeur d’asile répondait aux questions [traduction] « avec réticence » et sans [traduction] « certitude ». Il a conclu qu’étant donné que le demandeur d’asile répondait avec réticence et ne donnait pas de réponse définitive, il avait dû poser des questions supplémentaires afin de déterminer s’il existait une réponse définitive et comprendre ainsi ce qu’il disait réellement sur la question.

 

[17]           Le tribunal a souligné encore une fois que c’était pour des raisons théologiques dogmatiques « que le demandeur d’asile ne veut pas changer d’église en Chine » et a ajouté ceci : « Je devais vérifier si la théologie avait une véritable signification pour le demandeur d’asile ou si c’était un prétexte. »

 

[18]           En ce qui concerne les questions qu’il a posées relativement à la corruption, le tribunal a déclaré ce qui suit : « Bien sûr que le tribunal peut poser ce genre de questions. Ce genre de questions invite le demandeur d’asile à décrire ce qu’il sait et ce qu’il croit au sujet de son pays. C’est essentiel pour pouvoir comprendre en quoi consiste la crainte subjective d’un demandeur d’asile. »

 

[19]           Le tribunal a traité d’une dernière objection sur la question de savoir s’il convenait de demander au demandeur si l’argent qu’il avait remis au BIC lui avait été extorqué ou s’il s’agissait d’une amende légitime. Sa réponse a été la suivante : « La question de savoir si ce genre de paiement consiste en de l’extorsion ou en une amende est au cœur de la prise d’une décision quant à l’octroi de l’asile. Ce genre d’amende consiste-t-elle en une poursuite légitime ou en une expression inappropriée de persécution? L’orientation de ces questions n’est pas manifeste de partialité ».

 

Les observations du demandeur

1) La demande d’asile sur place

[20]           L’avocat du demandeur fait valoir que le tribunal a commis une erreur fatale en concluant que l’absence de preuve sur l’arrestation signifiait qu’il n’y avait pas eu persécution. Il attire l’attention sur les paragraphes 19, 20 et 21 de la décision du tribunal. Il soutient que cela ne peut être exact parce que la persécution peut exister même s’il n’y a ni arrestation, ni détention, et cite la décision du juge de Montigny Zhou c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1210, [2009] A.C.F. no 1502.

 

[21]           Il soutient en outre que la preuve documentaire n’indique nulle part qu’il n’y a pas de persécution religieuse au Fujian.

 

[22]           Son deuxième argument important concerne l’affirmation du tribunal, au paragraphe 26 des motifs de celui-ci, selon laquelle le demandeur n’a pas allégué de risque au sens de l’article 97 relativement à sa foi chrétienne en Chine. Il attire l’attention sur la page 9 du FRP (page 134 du DCT) où il a coché la case « oui » relativement aux risques mentionnés à l’article 97. Il fait également valoir que le paragraphe 28 de la décision du tribunal illustre que la situation n’était pas claire dans l’esprit du tribunal, car celui-ci, dans son analyse relative aux opinions politiques, mentionne les risques visés à l’article 97. Il n’y a aucune raison, selon ses observations, de supprimer l’élément religieux de la demande fondée sur ses opinions politiques; le FRP était général et couvrait les deux demandes.

 

[23]           Son troisième argument porte sur l’identité chrétienne du demandeur : est-il chrétien? Il attire l’attention sur le paragraphe 27 des motifs du tribunal, où celui-ci formule une conclusion sur la crédibilité en se fondant sur l’incapacité du demandeur de donner une réponse certaine à la question élémentaire suivante : « […] qu’arrive-t-il à une personne après sa mort si elle n’a pas […] accepté Jésus-Christ comme son Sauveur? » L’avocat soutient que le tribunal a mal interprété les éléments de preuve – qu’il les a mal saisis parce qu’il a répondu, comme on peut le constater à la page 108 du DCT, en disant [traduction] : « Ils iraient en enfer ».

 

2) L’affirmation de partialité

[24]           Il soutient qu’il ressort de l’examen de la transcription que le tribunal avait l’esprit fermé. Cela est démontré par les commentaires que le tribunal a faits lorsqu’il a interrogé le demandeur sur ses connaissances en matière de christianisme et lorsque l’avocat a soulevé une objection. Le tribunal a donné l’impression que l’intervention de l’avocat n’était pas pertinente et qu’elle dérangeait; il s’est également montré irrité du fait qu’il était interrompu. De plus, ses questions insistantes sur ce qui arrive aux non-croyants à leur mort ainsi que celle qu’il a posée au demandeur sur ce qui arriverait à ses parents à leur mort montraient un manque de sensibilité et qu’il était davantage intéressé à attaquer la probité du demandeur qu’à savoir si celui‑ci était véritablement chrétien; cela constituait, selon le demandeur, une manière illicite de s’enquérir de ses connaissances religieuses.

 

[25]           L’avocat fait aussi valoir que certaines questions injustifiées posées au demandeur, qui ont provoqué une altercation inutile entre le tribunal et lui, démontraient manifestement la partialité.

 

Les observations du défendeur

[26]           Il importe de garder à l’esprit que le demandeur devait démontrer de manière objective qu’il encourrait des risques de persécution s’il devait rentrer en Chine – il devait démontrer l’existence d’une crainte découlant d’un risque prospectif véritable.

 

[27]           L’avocate soutient qu’une lecture objective de la décision du tribunal révèle que celui-ci ne considérait pas l’arrestation comme le seul indice de persécution. Elle attire l’attention sur les paragraphes 15 et 16 de la décision, où le tribunal a conclu qu’au Fujian, « les autorités surveillent moins attentivement les activités non officielles des églises et s’ingèrent moins dans celles-ci », preuve documentaire appropriée à l’appui. Oui, le tribunal a tenu compte des arrestations aux paragraphes 17 et 18 pour démontrer qu’il existait une distinction entre les leaders et les membres ordinaires. Le paragraphe 19 fait non seulement état d’arrestations, mais aussi de déclarations de culpabilité, de torture et de détentions, et le paragraphe 20, de répression et de rééducation. D’autres paragraphes mentionnent des gens qui « ont souffert parce qu’ils pratiquaient le christianisme de la façon dont ils le voulaient » et de « blessures ».

 

[28]           Citant le paragraphe 23 des motifs du tribunal, elle soutient qu’il s’agissait d’un exemple de personne connue dont la situation ne se comparait pas à celle du demandeur.

 

[29]           En somme, selon l’avocate du défendeur, la preuve documentaire indique qu’il y a peu de problèmes là où le demandeur vit et que, de façon générale, les gens y pratiquent leur foi librement et que les personnes susceptibles d’être indûment touchées ne correspondent pas à son profil.

 

[30]           Sur la question de l’article 97, elle fait valoir qu’il est établi dans la jurisprudence qu’une analyse distincte n’est pas requise en vertu de l’article 97 lorsqu’aucun élément de preuve ne l’exige. Elle fait en outre valoir que le tribunal a, en l’espèce, procédé à une analyse d’ensemble en vertu de l’article 96 et qu’une analyse distincte des risques visés à l’article 97 n’était par conséquent pas nécessaire.

 

[31]           Quant à la question de savoir si le demandeur est chrétien, elle attire l’attention de la Cour sur la page 107 de la transcription du DCT et fait valoir que la lecture de la transcription de cette page à la page 112 révèle qu’il fallait poser de nombreuses questions pour obtenir une réponse. Les réponses étaient vagues. Il pourrait s’agir d’une conclusion erronée, mais cette conclusion n’était pas déterminante. En substance, elle fait valoir qu’il ressort de la plupart des motifs que le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté advenant son retour en Chine.

 

[32]           En ce qui concerne la question de la partialité, l’avocate souscrit aux motifs donnés par le tribunal pour justifier sa conclusion qu’il n’était pas obligé de se récuser.

 

Analyse

Norme de contrôle

[33]           La norme de contrôle applicable aux décisions fondées sur des conclusions de fait du tribunal est celle de la décision raisonnable selon l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, et la cour de révision doit faire preuve, en raison de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, d’un haut degré de retenue à l’égard de telles décisions (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, aux paragraphes 3 et 46, et Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 38).

 

[34]           La question de la partialité doit être analysée selon la norme de la décision correcte puisqu’il s’agit d’une question d’équité et de justice naturelle (voir Dunsmuir, au paragraphe 50).

 

Conclusions

[35]           La présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée essentiellement pour les raisons exposées par l’avocate du défendeur. La question de savoir si le demandeur risquerait de subir de la persécution ou de la torture ou encore des peines cruelles et inusitées s’il rentrait en Chine reposait essentiellement sur l’analyse de la preuve documentaire exposée dans les motifs du tribunal, qu’il ne faut pas examiner à la loupe (voir Boulis c. Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration, [1974] R.C.S. 875, à la page 885).

 

 

[36]           Une lecture objective de ces motifs à la lumière de l’examen de la transcription et de la preuve documentaire m’amène à conclure que le tribunal n’a pas confondu la persécution avec l’arrestation, mais qu’il a considéré un éventail d’autres facteurs pertinents.

 

[37]           En ce qui concerne les risques mentionnés à l’article 97, la jurisprudence citée par l’avocate du défendeur (voir Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, [2004] A.C.F. no. 77, au paragraphe 18; Soleimanian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1660, [2004] A.C.F. no 2013, aux paragraphes 21 à 25; Kugaperumal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 881, [2004] A.C.F. no 1085, au paragraphe 17; Kulendrarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 79, 245 F.T.R. 145, au paragraphe13) appuie les affirmations selon lesquelles il n’était pas nécessaire d’effectuer une analyse distincte en vertu de l’article 97 et que, de toute façon, une telle analyse était confondue avec son analyse relative à l’article 96, de sorte qu’une analyse distincte de la preuve présentée en vertu de l’article 97 n’était pas requise. Je comprends que les risques mentionnés à l’article 96 sont évalués sur un fondement différent que les risques mentionnés à l’article 97, mais, en l’espèce, dans les deux cas, la preuve était la même, se confondait, et pouvait raisonnablement étayer les deux conclusions.

 

[38]           La conclusion que selon laquelle le demandeur n’était pas chrétien était erronée parce qu’elle ne tenait pas compte de tous les éléments de preuve au dossier. Cependant, cette conclusion n’est pas déterminante parce que la preuve documentaire établit d’une façon raisonnable que les chrétiens de son profil qui retournent au Fujian ne sont pas exposés à un risque.

 

[39]           Enfin, je rejette la contestation fondée sur la partialité. J’ai lu l’intégralité de la transcription. Je suis d’accord avec l’affirmation contenue dans les motifs du tribunal selon laquelle aucune personne bien renseignée examinant l’affaire dans un esprit pratique estimerait que le tribunal n’a pas traité de la question équitablement. Il est vrai que des conflits ont eu lieu, mais ils ont été finalement résolus dans le respect mutuel. Une discussion se produisant au milieu d’une procédure n’indique pas la partialité si, comme c’est le cas en l’espèce, le tribunal a accepté la plus grande partie de l’objection soulevée par l’avocat du demandeur.

 

[40]           Pour ces motifs, la contestation du demandeur doit être rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question de portée générale n’a été présentée.

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1819-09

 

INTITULÉ :                                       DONG JIANG c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

PLACE DE L’AUDIENCE :             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Shelley Levine

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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