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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100223

Dossier : IMM-2760-09

Référence : 2010 CF 210

Ottawa (Ontario), le 23 février 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

ZAVIN BOUGHUS

demandeur

et

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l'immigration

défendeur

 

 

Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Il s'agit d'une demande en application du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire de la décision défavorable d’un agent des visas (l’agent), datée du 10 mai 2009 (la décision), laquelle a refusé la demande de visa de résident temporaire au Canada du demandeur.

 

LE Contexte

 

[2]               À l'origine, le demandeur est arrivé au Canada à titre de personne à charge dans le cadre de la demande de sa mère et il est devenu résident permanent en juin 1992. Malgré son statut de résident permanent, le demandeur a maintenu son emploi à l'étranger.

 

[3]               En septembre 1996, une enquête a eu lieu pour établir si le demandeur était toujours résident permanent, en raison de la quantité de temps qu'il passait à l'extérieur du Canada. L'enquête a conclu qu'il était toujours un résident permanent parce qu'il maintenait son intention de résider au Canada, comme le montrait sa demande de permis de retour pour résident permanent.

 

[4]               Cependant, le demandeur a été déclaré interdit de territoire au Canada lors de sa tentative de retour en juillet 1996. À ce moment-là, un agent a rédigé un rapport défavorable pour le demandeur affirmant qu'il n'avait pas respecté les modalités de ses obligations de résidence. Le demandeur est retourné en Syrie avant la tenue d'une enquête concernant son statut au Canada.

 

[5]               La mère du demandeur est tombée malade en 2004. Le demandeur a sollicité un visa de résident temporaire (VRT) pour lui rendre visite au Canada.

 

[6]               Entre mai 2004 et avril 2009, le demandeur a présenté une demande de VRT à cinq reprises. Chaque demande a été refusée. Alors qu'il présentait ces demandes, le demandeur ne savait pas qu’il avait toujours le statut de résident permanent et que, par conséquent, il n'était pas admissible à un VRT.

 

[7]               En février 2009, le demandeur a été averti du statut douteux de sa résidence permanente. Le demandeur a alors signé un abandon volontaire du statut de résident permanent.

 

[8]               Le demandeur a été averti qu'il pouvait présenter une nouvelle demande de visa de visiteur après avoir signé une renonciation au droit d'appel concernant l'abandon de son statut de résident permanent.

 

LA Décision faisant l'objet du contrôle

 

[9]               La demande du demandeur a été rejetée parce que l'agent n'était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour. Les motifs de cette conclusion étaient les suivants :

a)      ses antécédents de voyage;

b)      son statut d'immigrant;

c)      ses liens familiaux au Canada en comparaison de ceux dans son pays de résidence;

d)      l'objet de sa visite.

 

[10]           Selon les notes du STIDI (les notes) de l’agent, l'objet du voyage du demandeur était de [traduction] « aller au Canada pour une visite de trois semaines pour voir son frère et je présume sa mère qui réside également au Canada ». L’agent a mentionné que ni le demandeur ni ses répondants n'avaient une insuffisance de fonds. Les notes relevaient toutefois que les déplacements antérieurs du demandeur avaient été limités et qu'il n'avait aucune attache avec son pays d'origine.

 

[11]           À l'appui de sa demande, le demandeur a fourni des preuves de sa situation financière, des lettres d'appui concernant la maladie de sa mère et une lettre de congé de son employeur.

 

[12]           L’agent a néanmoins conclu qu'il existait des [traduction] « raisons limitées » pour le retour du demandeur en Syrie puisqu'il est célibataire, non marié et sans enfant. Les notes précisent que [traduction] « la question ici est une question relative à la bonne foi et à l'intention du demandeur de retourner dans son pays d'origine ou pays de citoyenneté ».

 

[13]           Selon l’agent, [traduction] « il y a peu de motifs pour cet ancien immigrant (qui a perdu son statut) de retourner soit en Syrie, soit au Koweït ». L’agent a donc conclu que le demandeur n'avait pas montré qu'il quitterait le Canada à la fin de son séjour et il a rejeté sa demande.

 

LES Questions en litige

 

[14]           Dans la présente demande, le demandeur soulève les questions suivantes :

1.                  L'agent a-t-il commis une erreur en omettant de prendre en compte tous les éléments de preuve présentés par le demandeur?

2.                  L'agent a-t-il commis une erreur en refusant de recevoir le demandeur en entrevue concernant sa demande de VRT?

3.                  L'agent a-t-il commis une erreur en omettant de tenir compte de la réunification des familles comme objet de la Loi?

4.                  L'agent a-t-il exercé son pouvoir discrétionnaire de façon limitée relativement à la preuve de l'intention du demandeur de retourner en Syrie?

 

LES Dispositions légALES ET RÉGLEMENTAIRES

 

[15]           La disposition suivante de la Loi s'applique dans la présente instance :

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

Cas de la demande parrainée

 

 

(2) Ils ne peuvent être délivrés à l’étranger dont le répondant ne se conforme pas aux exigences applicables au parrainage.

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

If sponsor does not meet requirements

 

(2) The officer may not issue a visa or other document to a foreign national whose sponsor does not meet the sponsorship requirements of this Act.

 

 

[16]           La disposition suivante du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), s'applique également dans la présente l'instance :

179. L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

 

a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre de la catégorie des visiteurs, des travailleurs ou des étudiants;

 

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

 

c) il est titulaire d’un passeport ou autre document qui lui permet d’entrer dans le pays qui l’a délivré ou dans un autre pays;

 

d) il se conforme aux exigences applicables à cette catégorie;

 

e) il n’est pas interdit de territoire;

 

f) il satisfait aux exigences prévues à l’article 30.

 

179. An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

 

(a) has applied in accordance with these Regulations for a temporary resident visa as a member of the visitor, worker or student class;

 

 

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

 

 

(c) holds a passport or other document that they may use to enter the country that issued it or another country;

 

 

(d) meets the requirements applicable to that class;

 

 

(e) is not inadmissible; and

 

 

(f) meets the requirements of section 30.

 

 

 

LA Norme de contrôle

 

[17]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, a décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[18]           La question de savoir si l'agent a commis une erreur en omettant de prendre en compte tous les éléments de preuve présentés par le demandeur est une question de fait. À ce titre, elle commande la raisonnabilité comme norme de contrôle. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 51.

 

[19]           De même, la raisonnabilité est la norme applicable quant à la question de savoir si l'agent a commis une erreur en omettant de tenir compte de la question de la réunification des familles, puisqu'il s'agit d’une question de fait, de pouvoir discrétionnaire et (ou) de politique, selon l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 51.

 

[20]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[21]           La question de savoir si l'agent était tenu de recevoir le demandeur en entrevue est une question d'équité procédurale. Les questions d'équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la décision correcte. Voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, et Dunsmuir, précité, au paragraphe 60.

 

[22]           De même, la question de savoir si l'agent a limité l'exercice de son pouvoir discrétionnaire est également une question d'équité procédurale, qui doit être examinée à la lumière des circonstances de l'affaire. Si la Cour conclut qu'il y a eu manquement à la justice naturelle ou à l'équité procédurale, elle n'est pas tenue de faire montre de déférence envers l'agent. Voir Kathiravelu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1287, 302 F.T.R. 107, au paragraphe 12.

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

                        L'omission de prendre en compte tous les éléments de preuve

 

[23]           Le demandeur soutient que l'agent est arrivé à sa décision sans prendre sa situation en compte. Alors que l'agent avait accès aux antécédents du demandeur en matière d'immigration, il aurait dû en être de même pour la correspondance entre le demandeur et le premier secrétaire en ce qui a trait à l'état du statut du demandeur.

 

[24]           De plus, dans ses motifs, l'agent omet de tenir compte du [traduction] « formulaire d'abandon volontaire » du demandeur qui était inclus dans le cartable. Selon le chapitre 11 du Guide du traitement des demandes à l'étranger de Citoyenneté et Immigration Canada (le Guide), les agents des visas doivent prendre en compte les éléments de preuve fournis par le demandeur à l'appui de sa demande. De même, selon la section 9, les agents doivent déterminer si le demandeur a l'intention de demeurer au Canada illégalement, de présenter une demande d'asile ou de ne pas se conformer d'une façon ou d'une autre aux règles de son admission au Canada.

 

[25]           Ce n'est qu'au début de 2009 que le demandeur a appris qu'il avait conservé son statut de résident. Il a par la suite abandonné ce statut. L'abandon du statut de résident permanent par le demandeur et sa renonciation au droit d'appel de la perte de ce statut sont pertinents quant à sa demande. L'abandon du statut de résident par le demandeur était mentionné dans sa demande.

 

[26]           Cependant, l'agent a omis de tenir compte de cet important facteur et a conclu que le demandeur avait [traduction] « perdu » son statut de résident permanent. Le demandeur fait valoir que l'omission de l'agent de tenir compte de ce renseignement factuel pertinent et la mauvaise caractérisation des faits par l'agent prouvent clairement qu'il a omis de prendre en compte la totalité des éléments de preuve en l'espèce. Le demandeur soutient que l'obligation de l'agent de prendre en compte son abandon de statut était d'autant plus importante que cette question visait directement les doutes de l'agent concernant les attaches du demandeur avec son pays d'origine.

 

[27]           De plus, le fait que le demandeur a abandonné son statut de résident est suffisant pour réfuter la présomption légale selon laquelle le demandeur est un candidat à l'immigration.

 

[28]           L’agent a aussi commis une erreur en omettant de tenir compte des antécédents de voyage du demandeur. Cette prise en compte est importante quant à la question de savoir si le demandeur demeurerait au Canada illégalement. Bien que le dossier montre que le demandeur a fréquemment voyagé au Koweït, l’agent a omis de prendre en compte cet élément dans ses conclusions sur les faits. Une situation semblable s'est produite dans Khatoon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 276, 71 Imm. L.R. (3d) 102, dans laquelle la juge Tremblay‑Lamer a conclu que, contrairement à ce qu’avait décidé l'agent, « un voyage du Pakistan en Arabie saoudite est un voyage international ».

 

[29]           De plus, l’agent a limité d'une façon inappropriée son appréciation aux antécédents du demandeur en matière d'immigration et à la composition de sa famille. Cela constituait aussi une erreur susceptible de contrôle. Voir par exemple Stanislavsky c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 835, 237 F.T.R. 27, au paragraphe 17.

 

L'entrevue

 

[30]           Bien que la Loi n’accorde aucun droit à une entrevue concernant une demande de résidence temporaire, le demandeur prétend qu'il existe des cas dans lesquels l'équité procédurale exige qu’un demandeur se voie accorder l'occasion de répondre aux doutes d'un agent. Voir par exemple les facteurs examinés dans Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 151 F.T.R. 1, [1998] A.C.F. n468, au paragraphe 28. De plus, il y a eu des situations dans lesquelles la Cour a reconnu l'obligation d'un agent des visas de fournir à un demandeur l'occasion de répondre à un doute important. Voir par exemple Ogunfowora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 471, 63 Imm. L.R. (3d) 157, au paragraphe 53.

 

[31]           L’agent a commis une erreur en omettant de recevoir le demandeur en entrevue, pour plusieurs raisons : (1) le premier secrétaire lui avait dit qu'une entrevue aurait lieu; (2) la nature complexe de son statut; (3) le demandeur avait été appelé à l'ambassade pour ce qui [traduction] « semblait être » une entrevue.

 

[32]           La preuve présentée par le demandeur montrait son intention de retourner : il avait continué à travailler à l'étranger après avoir obtenu son statut de résident au Canada. En outre, le demandeur n'a pas poursuivi de recours lorsqu'il a appris que son statut de résident était en péril. Il est plutôt retourné à l'étranger et a continué d'y travailler pendant presque dix ans. Lorsque le demandeur a appris qu'il avait toujours le statut de résident permanent, il a pris les mesures nécessaires pour abandonner son statut.

 

[33]           Si l'agent avait bien saisi le fondement de la demande du demandeur et s'il continuait à mettre en doute les intentions de celui-ci, le demandeur aurait dû être autorisé à répondre aux doutes de l'agent. Le premier secrétaire a informé l'avocat du demandeur que ce dernier pouvait s'attendre à être reçu en entrevue ou, à tout le moins, à être vu en personne, pour la renonciation à ses droits d'appel. Cette occasion n'a toutefois jamais été offerte. En conséquence, le demandeur n'a pas été en mesure de répondre aux doutes de l'agent sur les faits ou de corriger l'erreur factuelle sur laquelle reposait la décision de l'agent.

 

La réunification des familles

 

[34]           Il ressort clairement de la lettre de demande du demandeur que celui-ci voulait entrer au Canada pour rendre visite à sa mère. En fait, il n’était pas nécessaire que l’agent [traduction] « présume » que cela était une raison pour sa visite. Il s'agissait plutôt de l'objectif déclaré et de la principale raison de la tentative de visite du demandeur, ce qui était étayé par une lettre du frère du demandeur contenant des précisions relatives à l'état de santé de sa mère.

 

[35]           La seule mention de la mère du demandeur dans la décision est ce que le demandeur décrit comme le [traduction] « commentaire négatif » de l'agent à l'égard de sa mère. De plus, la décision ne tient pas compte du désir du demandeur de rendre visite à sa mère pendant qu'elle est encore en vie.

 

[36]           Par ailleurs, l’agent a clairement omis de tenir compte de l'article 3 de la Loi, qui concerne la réunification des familles. Dans la décision Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 427, 44 Imm. L.R. (3d) 272, la Cour a jugé que l'agente avait commis une erreur en omettant de tenir compte de l'alinéa 3(1)d) de la Loi. La Cour a conclu que « [l]e demandeur a affirmé que sa demande avait clairement pour but de faciliter sa réunion avec son épouse et sa famille au Canada. À mon avis, ce but est compatible avec l'alinéa 3(1)d) de la Loi et l'agente aurait dû en tenir compte. » De plus, dans la décision Gupta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 186 F.T.R. 232, 6 Imm. L.R. (3d) 127, la Cour a conclu que l'objectif de la Loi concernant la réunification des familles a une portée suffisamment vaste pour englober la réunion au Canada de citoyens canadiens avec leurs proches parents de l'étranger.

 

[37]           Le motif du demandeur pour demander un VRT était clair : la réunification avec sa famille. Le demandeur souhaite voir sa mère âgée qui n'est pas en bonne santé et qui ne peut voyager pour lui rendre visite. Le demandeur et sa famille sont séparés depuis longtemps. L’agent a commis une erreur en omettant de prendre en compte l'incidence de cette séparation et la véritable intention du demandeur lors de sa visite au Canada.

 

Le pouvoir discrétionnaire limité

 

[38]           L’agent s'est concentré de façon excessive sur les attaches du demandeur avec son pays d'origine à l'exclusion des autres éléments de preuve et des renseignements dont il était saisi. Cette appréciation inégale équivaut à un exercice limité du pouvoir discrétionnaire de l'agent. Dans Kenig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 158 F.T.R. 249, [1998] A.C.F. no 1748, au paragraphe 13, la Cour a statué comme suit :

Le fait qu'il s'est concentré sur les liens de la demanderesse avec le Kazakhstan et n'a même pas pris en considération tous les éléments de preuve à cet égard, essentiellement du fait qu'il excluait les autres preuves produites, vaut entrave au pouvoir discrétionnaire et, partant, erreur susceptible de contrôle judiciaire.

 

[39]           De même, dans la présente affaire, la décision a omis de tenir compte de tous les éléments de preuve du demandeur qui montrent une véritable intention en ce qui a trait à la question de demeurer au Canada et un urgent besoin de visiter sa famille. L'agent a plutôt indûment insisté sur un facteur, à l'exclusion de tous les autres éléments de preuve convaincants, ce qui a donné lieu à une limitation de son pouvoir discrétionnaire.

 

Le défendeur

La présomption

 

[40]           Il existe une présomption légale selon laquelle l'étranger qui sollicite l'entrée au Canada désire immigrer. Il incombe au demandeur de réfuter cette présomption. Ainsi, quiconque présente une demande de VRT pour entrer au pays doit prouver qu'il n'est pas un immigrant et qu'il quittera le Canada à la fin de son séjour autorisé. Voir Danioko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 479, 292 F.T.R. 1; Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 791, 208 F.T.R. 294.

 

La preuve

 

[41]           Il y a présomption que les agents prennent en compte l'ensemble des éléments de preuve dont ils sont saisis. De plus, ils ne sont pas tenus d'expliquer, pour chaque élément, les raisons pour lesquelles ils ne l'ont pas accepté. Voir Florea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598, et Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 331, 282 N.R. 394, au paragraphe 9.

 

[42]           À l'occasion de l'examen d’un VRT, il est important de pondérer l'exigence relative à l'équité et les exigences du processus administratif d'immigration. Le défendeur soutient qu'à ce processus s'applique [traduction] « un critère moins strict en matière d'équité » qui comporte [traduction] « une obligation minimale, le cas échéant, de fournir des motifs ». Comme l’a déclaré la Cour dans Li, précité, au paragraphe 50 :

Si l'on pondère les facteurs énoncés dans l'arrêt Baker, les protections procédurales exigées par l'obligation d'équité devraient être assouplies pour le traitement des demandes de permis de séjour pour étudiant par les agents des visas à l'étranger. Par conséquent, il n'y a pas de raison de prétendre qu'il y a eu manquement à l'équité dans ce processus parce qu'une agente des visas n'a pas communiqué tous ses doutes à la demanderesse, ou qu'elle ne lui a pas accordé la possibilité de dissiper ces doutes.

 

[43]           Dans la présente affaire, l'agent savait que le demandeur avait auparavant été résident permanent du Canada, mais qu'il n'avait plus ce statut. Bien que le demandeur ait soutenu que l'agent a commis une erreur en se concentrant sur la [traduction] « perte » de son statut plutôt que sur l'abandon de celui-ci, le défendeur affirme qu'il s'agit simplement d'une question de sémantique. En outre, le demandeur se concentre maintenant uniquement sur l’abandon de son statut et ses ramifications et n’a pas fait de telles observations au cours de son audience. Le fait que l’agent n’a pas interprété la perte du statut du demandeur de la manière la plus favorable pour ce dernier ne signifie pas que l’agent a commis une erreur.

 

[44]           Le dossier du demandeur montre que celui-ci a tenté de conserver son statut lorsqu'il y a eu menace de révocation en 1996.

 

[45]           Selon les motifs de l'agent, les antécédents de voyage du demandeur sont limités. Ainsi, l'argument du demandeur selon lequel ses antécédents de voyage n'ont pas été pris en considération est indéfendable, tout autant que son argument selon lequel ses antécédents de voyage sont importants. L'examen du dossier et de la demande de VRT montre le contraire : le demandeur a fait de nombreux voyages au Koweït. Les notes reconnaissent les voyages du demandeur au Koweït.

 

[46]           Le demandeur n'a pas prouvé que l'agent avait omis d'examiner quelque élément de preuve que ce soit. Le demandeur a plutôt donné à entendre que l'agent n'avait pas interprété les éléments de preuve d'une manière qui lui était assez favorable.

 

[47]           Le demandeur n'a pas été en mesure de prouver qu'il quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé comme l'exige la Loi. Par conséquent, la conclusion de l'agent était raisonnable.

 

L'entrevue

 

[48]           Le demandeur a admis qu'un agent n'est pas tenu de mener une entrevue dans le contexte d'une demande de VRT.

 

[49]           Bien que le demandeur ait affirmé qu'on avait refusé de le recevoir en entrevue, à aucun moment il n'en a sollicité une. Il est impossible que l'agent ait refusé une entrevue qui n'avait jamais été demandée.

 

[50]           Le défendeur fait valoir que la décision Ogunfowora se distingue de la présente affaire. Dans Ogunfowora, précité, au paragraphe 56, la Cour a conclu que « les demandeurs n’avaient aucun moyen de savoir que l’agent se fonderait sur divers facteurs ». Toutefois en l'espèce, le demandeur s'était vu refuser un VRT à plusieurs reprises auparavant fondamentalement pour les mêmes motifs. Ainsi, il n'est pas possible de dire que le demandeur ne connaissait pas les réserves qu'avaient eues les décideurs précédents. En raison de sa grande expérience en matière de demandes de VRT, le demandeur aurait dû savoir qu'il lui incombait de convaincre l'agent de son intention de ne pas demeurer au Canada. Le défendeur prétend que [traduction] « il ne peut y avoir d'erreur dans le fait qu'une personne à qui un VRT est refusé pour la cinquième fois n'est pas reçue en entrevue » .

 

La réunification des familles

 

[51]           Le défendeur soutient que l’agent connaissait clairement le désir du demandeur de voir sa famille. Cependant, peu importe la motivation du demandeur, l'agent est tenu de respecter la présomption légale qui est prévue dans la Loi. Voir Danioko, au paragraphe 15, et Li, au paragraphe 37.

 

[52]           Même si la réunification des familles est un objectif de la Loi, il faut respecter la Loi et son Règlement. La motivation du demandeur pour sa visite au Canada est un facteur dont il faut tenir compte, mais n'exempte pas le demandeur du fardeau de prouver à l'agent son intention de quitter le Canada à l'expiration de son visa. Dans la présente affaire, contrairement à Zhang, l'agent avait des motifs de croire que le demandeur ne quitterait pas le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée.

 

Le pouvoir discrétionnaire non limité

 

[53]           L’agent n'est pas tenu de délivrer un visa à moins d'être convaincu que le demandeur répond aux exigences de la Loi. Dans la présente affaire, il est clair que l'agent n'était pas convaincu que les conditions prévues par la loi étaient remplies.

 

[54]           Le Guide donne instruction aux agents de ne pas délivrer un visa à moins d'être convaincus que le demandeur quittera le pays à son expiration. L’agent croyait que le facteur le plus important en l’espèce étaient les attaches du demandeur avec le Canada par opposition à celles avec la Syrie. Ceci a amené l'agent à croire que le demandeur pourrait ne pas quitter le pays à l'expiration de son visa.

 

[55]           La décision rendue par l'agent est hautement discrétionnaire et le rôle de la Cour n'est pas de soupeser la preuve à nouveau.

 

 

ANALYSE

            L'omission de prendre en compte tous les éléments de preuve

 

[56]           Dans ces motifs, l'agent indique les éléments qu'il trouve déterminants. Cela ne signifie pas que d'autres éléments de preuve ont été écartés. L’agent n'est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve et, à la lumière des faits, il a clairement montré qu'il était au courant des antécédents d'immigration du demandeur et de sa situation familiale. À mon avis, l'utilisation du mot [traduction] « perte » de statut par opposition à [traduction] « abandon » de statut ne constitue pas la preuve d'une erreur de fait importante. L’agent affirme simplement que le demandeur a déjà eu un statut qu'il n'a plus maintenant. Il n'y a pas non plus de preuve montrant que l'agent a ignoré les voyages du demandeur au Koweït.

 

[57]           En bout de ligne, le demandeur n'a pas montré que l'agent a écarté des éléments de preuve. Le demandeur est tout simplement en désaccord avec l'agent sur les éléments qu'il a trouvés déterminants et il dit que l'agent aurait dû accorder plus de poids à d'autres facteurs. La Cour ne peut intervenir dans la décision pour ce motif. Voir Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 125, 212 D.L.R. (4th) 139, au paragraphe 11.

 

Le refus de recevoir le demandeur en entrevue

 

[58]           Dans la présente affaire, l'équité procédurale n'exigeait pas une entrevue. Dans les faits, le demandeur dit que l'agent aurait dû discuter de ses conclusions avec lui et lui donner l'occasion d'étayer ses arguments pour les rendre plus persuasifs.

 

[59]           L’agent n'avait pas de doutes à propos de l'affaire dont il était saisi. Des éléments de preuve allaient dans les deux sens et ils devaient être soupesés. Rien ne donne à penser que des éléments de preuve importants n’ont pas été pris en compte.

 

[60]           Le demandeur n'a pas sollicité d'entrevue et il n'en était pas à sa première demande de VRT. Il savait quelles preuves il devait présenter pour convaincre l'agent. Le fait que l'agent ne s'est pas prononcé sur la demande de la manière qu'aurait souhaitée le demandeur ne signifie pas que des éléments de preuve importants n'ont pas été pris en compte ou qu'il y a eu manquement à l'équité procédurale. Dans le cadre de sa demande, le demandeur a eu toutes les occasions de présenter des éléments de preuve persuasifs selon lesquels il quitterait le Canada à la fin de son séjour et il a fourni la preuve qu'il souhaitait présenter sur ce point. Le fait que l'agent n'était pas d'accord avec la position du demandeur ne signifie pas qu'il existait des doutes qui exigeaient la tenue d'une entrevue.

 

[61]           Selon le demandeur, une entrevue lui aurait donné l'occasion de clarifier la question de l'abandon et de signer la renonciation qui aurait montré qu'il n'avait aucune intention de demeurer au Canada. À mon avis, aucun de ces facteurs n'aurait été d'une grande utilité au demandeur. Le libellé de la décision établit clairement quels étaient les facteurs déterminants, et je ne crois pas que l'agent, en utilisant le mot [traduction] « perte », a omis de prendre en compte les antécédents d'immigration du demandeur ou qu'il ne les a pas compris de manière significative. Le demandeur insiste indûment sur un mot qui, dans le contexte de la décision dans son ensemble, n’a pas l'importance qu'il dit avoir.

 

L'omission de tenir compte de la réunification des familles comme objectif

 

[62]           L'agent avait pour tâche de se prononcer sur la question de savoir si le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour temporaire. L’agent mentionne clairement et prend en compte les raisons liées à la réunification de la famille présentées par le demandeur dans sa demande de visa. Rien n'indique que l'agent ait omis de prendre en compte l'objectif relatif à la réunification des familles en rendant sa décision. Il s'agit encore une fois et simplement d'un point de désaccord avec l'agent.

 

L'exercice limité du pouvoir discrétionnaire

 

[63]           Il s'agit simplement d'un désaccord du demandeur concernant le poids que l'agent a accordé à certains facteurs. Le travail de l'agent consiste à soupeser des facteurs opposés et à tirer des conclusions en fonction de ce qu'il estime être le plus déterminant à l'égard de la question dont il est saisi. Ce processus ne restreint pas l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

 

[64]           Rien ne donne à penser qu'un facteur ou un autre n'ait pas été pris en compte dans le présent processus. Le demandeur est simplement en désaccord avec l'agent quant à ses conclusions.

 

 

Conclusions

 

[65]           De toute évidence, le demandeur est très déçu de la décision et je peux très bien en comprendre la raison. À mon avis, il est clair qu'une décision en sa faveur aurait été raisonnable, mais cela ne rend pas la décision de l'agent déraisonnable. Voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47.

 

[66]           Je soupçonne que si j'avais moi-même rendu la décision, j'aurais accordé le VRT, mais le législateur a conféré ce pouvoir aux agents des visas, et non à la magistrature. Je ne peux intervenir à moins que la décision se situe à l'extérieur des issues possibles acceptables, selon ce qu'établit l'arrêt Dunsmuir. Je ne crois pas qu'elle le soit et je ne crois pas qu'il y a preuve de manquement à l'équité procédurale.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n'y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


 cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2760-09

 

Intitulé :                                       ZAVIN BOUGHUS

 

                                                            - et -

 

                                                            Le ministre de la citoyenneté et de l'immigration

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               le 16 février 2010

 

 

Motifs du jugement

ET JUGEMENT :                              le juge RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      le 23 février 2010

 

 

Comparutions :   

 

Hilete Stein                                                                               pour le demandeur

 

Stephen Jarvis                                                                          pour le défendeur

                              

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :   

 

Green & Spiegel LLP

Avocats

Toronto (Ontario)                                                                     pour le demandeur

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           pour le défendeur

 

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