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Federal Court

Cour fédérale


 


Date : 20100222

Dossier : T-459-09

Référence : 2010 CF 189

ENTRE :

RASLAN, Nasoh

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

            défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEMIEUX

 

Introduction et historique

[1]               Les présents motifs étayent la décision que j’ai rendue à l’audience à la suite d’une audience tenue à Montréal le 21 janvier 2010.

 

[2]               La question sous‑jacente est une demande de contrôle judiciaire, déposée par Nasoh Raslan, un résident permanent du Canada et un citoyen de la Syrie, contestant la décision rendue le 26 janvier 2009 par la juge de la Citoyenneté, Renata Brum Bozzi (la juge), qui a rejeté la demande de citoyenneté canadienne qu’il a déposée le 24 octobre 2006. Selon la juge, il ne satisfaisait pas à l’exigence de la résidence énoncée à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté (la Loi). Elle a écrit ce qui suit :

 

[traduction]

 

Ma conclusion est fondée sur l’absence de preuve indiquant que M. Raslan a établi et maintenu une résidence au cours de la période pertinente pendant le nombre de jours exigé dans la Loi et sur le manque de crédibilité du demandeur. [Non souligné dans l’original.]

 

[3]               La principale question en litige dans le cadre de la présente demande consiste à savoir si la Cour, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devrait rejeter la présente demande de contrôle judiciaire sans la trancher sur le fond parce que M. Raslan n’était pas sans reproche lorsqu’il s’est présenté devant la Cour car il avait sciemment fourni de faux renseignements, dans le cadre de sa demande de citoyenneté canadienne, dans son questionnaire sur la résidence et à la juge lors de son audience devant elle. Le demandeur, dans son affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, a reconnu avoir faussement prétendu être résident de l’Ontario lorsqu’il a déposé sa troisième demande de citoyenneté auprès de Citoyenneté et Immigration Canada le 6 novembre 2006.

 

[4]               Dans son affidavit, M. Raslan déclare ce qui suit : (1) Il est arrivé au Canada avec sa famille le 16 août 1999; (2) Il a présenté sa première demande de citoyenneté canadienne en la déposant auprès de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à Montréal, mais il l’a retirée volontairement après qu’il eut réalisé qu’il n’avait pas le nombre suffisant de jours de présence au Canada; (3) Il a présenté sa deuxième demande de citoyenneté le 25 janvier 2005 en la déposant également auprès de CIC à Montréal. On lui a demandé de remplir un questionnaire sur la résidence, ce qui, selon lui, signifiait un [traduction] « retard de plusieurs années » à Montréal parce qu’il devrait comparaître devant un juge de la citoyenneté. Un consultant en immigration lui a conseillé de retirer, ce qui, selon lui, était une demande complète qui satisfait à toutes les exigences en matière de résidence, afin de présenter une demande à CIC à Mississauga où les [traduction] « dossiers sont traités plus rapidement » car il s’y trouve une école spéciale de formation en citoyenneté. Le consultant en immigration lui a conseillé de dire qu’il avait vécu à Mississauga et de se procurer des cartes d’identité. Il lui a dit qu’il avait une adresse de résidence pour lui.

 

[5]               À titre préliminaire, les parties ont convenu que le présent contrôle judiciaire devrait être fondé sur les documents figurant dans le dossier certifié du Tribunal (DCT) et non pas sur les renseignements annexés à l’affidavit de M. Raslan, et ce, en raison de la règle bien établie selon laquelle un contrôle judiciaire doit, sauf circonstances extraordinaires, être fondé sur le dossier soumis au décideur et ne peut pas être complété par de nouveaux éléments de preuve (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mahmoud, 2009 CF 57 et Abderrahim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1486).

 

Le mensonge

[6]               Le mensonge de M. Raslan portait sur son lieu de résidence au Canada.

 

[7]               Dans sa troisième demande de citoyenneté, il a mentionné qu’il était domicilié au 305 – 30 Elm Drive East, Mississauga (Ontario), et ce, depuis juillet 2006. Dans son formulaire de demande, il a signé la déclaration écrite suivante : [traduction] « Les renseignements fournis sont complets et exacts ». Il a compris que s’il faisait une fausse déclaration ou que s’il omettait de divulguer tous les renseignements importants dans sa déclaration, il pourrait perdre sa citoyenneté canadienne et être poursuivi en vertu de la Loi sur la citoyenneté.

 

[8]               On a demandé à M. Raslan de remplir un questionnaire sur la résidence, ce qu’il a fait le 1er août 2008. Il a déclaré dans ce questionnaire que les renseignements qu’il y avait fournis étaient complets et exacts. La déclaration qui figurait dans son questionnaire sur la résidence contenait un avertissement similaire à propos des fausses déclarations. Dans ce questionnaire, il avait déclaré que, entre le 7 juillet 2006 et octobre 2006, il avait vécu au 811 – 30 Elm Street à Mississauga (DCT, page 29).

 

[9]               Une agente de la citoyenneté au bureau de CIC à Mississauga s’est rendue compte de la différence dans les renseignements sur la résidence et, dans une note au juge de la citoyenneté, elle a recommandé que les renseignements sur la résidence soient vérifiés. L’agente a souligné que cette adresse avait été utilisée par neuf autres personnes, que le numéro de téléphone que le demandeur avait donné avait été utilisé par 62 personnes à dix autres adresses et que l’adresse postale qu’il a fournie avait été utilisée par 127 personnes. Elle a souligné que l’adresse différente que le demandeur avait inscrite dans son questionnaire sur la résidence avait été utilisée par 33 personnes. L’agente d’immigration a souligné que M. Raslan avait soumis une copie d’un bail relativement à l’unité 2003 – 30 Elm Street, Mississauga (DCT, page 25).

 

[10]            M. Raslan a été convoqué à une audience devant une juge de la citoyenneté le 21 octobre 2008 : [traduction] « parce que la juge de la citoyenneté [avait besoin] de plus de renseignements pour pouvoir rendre une décision concernant [la] demande de citoyenneté » (DCT, page 84). Il a comparu devant la juge. Les notes d’audience de cette dernière figurent aux pages 13 à 17 du DCT.

 

[11]           À mon sens, les notes d’audience de la juge révèlent que M. Raslan a continué de faire des fausses déclarations à celle‑ci. On lui a demandé pourquoi il était venu en Ontario – il a soumis une réponse relativement à lui‑même et également relativement à sa famille. Il a fourni de faux renseignements à la juge quant à la manière selon laquelle il a obtenu l’adresse mentionnée dans sa demande de citoyenneté.

 

[12]           En toute justice, M. Raslan a avoué à la juge qu’il n’avait jamais vécu au 305-30 Elm Street ou au 811 – 30 Elm Street. On lui a parlé de l’unité 2003 – 30 Elm Street. Dans les motifs de sa décision (DCT, page 20), la juge souligne qu’il lui a mentionné que son adresse actuelle était cette dernière. En raison de ce renseignement contradictoire concernant sa résidence, la juge a conclu qu’elle n’avait pas été convaincue que le demandeur satisfaisait au critère de la résidence et que [traduction] « [son] manque de crédibilité [...] [fut] un facteur déterminant qui a été pris en considération pour parvenir à cette décision ».

 

Reconnaissance par le demandeur de sa fausse déclaration

[13]           Je reproduis les paragraphes suivants, tirés de l’affidavit de M. Raslan, portant sur ce point :

[traduction]

 

64.    Je n’étais pas à l’aise avec l’idée, mais il m’a assuré que le processus était simple et que je ne serais pas le premier à présenter une demande à Mississauga même si ma résidence et mon domicile étaient situés à Montréal.

 

65.    J’avoue à cette honorable Cour que je n’ai pas dit la vérité lorsque j’ai déclaré que je résidais en Ontario. J’ai toutefois dit la vérité à tout autre égard. Si j’ai fourni d’autres renseignements erronés, il s’agit d’une erreur de bonne foi.

 

66.    Je sais maintenant que j’ai vraiment mal agi, mais à ce moment‑là, je croyais que le fait de présenter ma demande à Mississauga ne constituait une entorse mineure aux règles et j’étais épuisé par toutes ces demandes et toutes ces complications.

 

[…]

 

76.  C’est alors que j’ai rencontré la juge de la citoyenneté Renata BRUM BOZZI. Plus l’audience avançait, plus je devenais nerveux car je réalisais que je n’aurais pas dû présenter une demande à Mississauga et que j’aurais dû tout simplement poursuivre les démarches entreprises à Montréal. J’étais très mal à l’aise et je ne savais pas vraiment quoi faire.

 

77.  J’avais peur d’avoir des problèmes avec la question du lieu de résidence et j’avais peur de l’admettre. J’ai réalisé l’importance de mon erreur, je me sentais coincé et placé dans cette mauvaise situation par un conseiller en immigration en qui j’avais confiance. Si j’avais pleinement réalisé les conséquences plus tôt, je n’aurais présenté aucune demande à Mississauga et j’aurais présenté ma demande à Montréal.

 

78.  Après mon audience avec la juge Renata BRUM BOZZI, je me disais que tout ceci aurait pu et aurait dû être évité et j’étais en colère. Je me sentais trompé et coincé dans une situation dans laquelle je ne voulais pas me retrouver et dans laquelle je m’étais placé suite à de fausses promesses et surtout en raison de fausses déclarations qui ont minimisé l’importance du respect des compétences des différents bureaux de citoyenneté.

 

       [Non souligné dans l’original.]

 

Le droit

 

[14]           Il est clair en droit que l’octroi d’un contrôle judiciaire est un recours discrétionnaire qui peut être refusé pour des motifs d’équité – l’absence de mains nettes.

 

[15]           La Cour d’appel fédérale a récemment discuté de cette question dans Thanabalasingham c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CAF 14 (Thanabalasingham), une décision dans laquelle l’intimé a admis dans une instance devant la Section d’appel de l’immigration qu’il avait fait de fausses déclarations dans une procédure antérieure d’examen de sa détention.

 

[16]           Je renvois aux 8, 9, 10 et 11 de la décision du juge Evans :

 

8     Le juge a certifié la question suivante, en vue d’un appel :

 

[TRADUCTION] Quand un demandeur présente à la Cour une demande de contrôle judiciaire, sans avoir les mains nettes, la Cour devrait-elle, lorsqu’elle s’interroge sur l’opportunité ou non d’examiner la demande au fond, tenir compte des conséquences que risque de subir le demandeur si sa demande n’est pas examinée au fond?

 

   À mon avis, la jurisprudence invoquée par le ministre n’appuie pas l’affirmation qui se trouve dans le paragraphe 23 de l’exposé des faits et du droit présenté par son avocat, et selon laquelle [TRADUCTION] « lorsqu’il semble qu’un demandeur ne s’est pas présenté devant la Cour les mains nettes, la Cour doit d’abord s’interroger quant à savoir si le demandeur a effectivement les mains nettes et, en cas de conclusion négative, la Cour doit refuser de juger la demande au fond ou de l’accorder ». La jurisprudence donne plutôt à entendre que, si la juridiction de contrôle est d’avis qu’un demandeur a menti, ou qu’il est d’une autre manière coupable d’inconduite, elle peut rejeter la demande sans la juger au fond ou, même ayant conclu à l’existence d’une erreur sujette à révision, elle peut refuser d’accorder la réparation sollicitée.

 

10     Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit s’efforcer de mettre en balance d’une part l’impératif de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’empêcher les abus de procédure, et d’autre part l’intérêt public dans la légalité des actes de l’administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne. Les facteurs à prendre en compte dans cet exercice sont les suivants : la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable, la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier, l’importance des droits individuels concernés, enfin les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée.

 

11     Ces facteurs ne prétendent pas être limitatifs, et tous ne sont pas nécessairement applicables dans chaque cas. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec discernement, mais une juridiction d’appel ne devrait pas intervenir à la légère dans la manière dont le juge de première instance a exercé le large pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré dans les procédures et recours de droit public. Néanmoins, je suis arrivé à la conclusion ici que le juge a erré dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, parce qu’il n’a pas tenu compte du recours offert à M. Thanabalasingham de par son droit d’interjeter appel à la SAI de la mesure de renvoi le concernant, ni n’a tenu compte de l’à-propos de cet appel pour une évaluation des conséquences en cas de maintien de l’avis ministériel de dangerosité. [Non souligné dans l’original.]

 

Analyse et conclusions

[17]           Dans les observations qu’il a formulées afin de me persuader d’entendre l’appel de son client sur le fond, l’avocat de M. Raslan a souligné que la fausse déclaration n’était pas importante parce que l’exigence de la résidence au Canada n’est pas limitée à une province en particulier. Il affirme que, selon Canada (Ministre du Multiculturalisme et de la Citoyenneté) c. Minhas, 66 F.T.R. 155, les fausses déclarations de M. Raslan constituaient une transgression technique de la loi. En outre, il prétend que M. Raslan n’a trompé personne quant à sa présence physique au Canada au cours de la période pertinente – les renseignements qu’il a donnés sur ce point étaient exacts et véridique. Il a prétendu que la Loi sur la citoyenneté comprenait des dispositions relatives au transfert de dossiers entre les bureaux de la citoyenneté. Je souligne toutefois que, à l’époque où M. Raslan a déposé sa demande de citoyenneté au bureau de CIC à Mississauga, le Règlement sur la citoyenneté prévoyait à l’article 3 que la demande devait être déposée « auprès de l’agent de la citoyenneté du bureau de la citoyenneté le plus proche du lieu de résidence du demandeur ». Enfin, il a prétendu que son client avait assez souffert – il avait été trompé et mal conseillé. Il serait injuste de lui demander de présenter une nouvelle demande, il a attendu assez longtemps pour devenir citoyen canadien.

 

[18]           Selon la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Thanabalasingham, la Cour doit mettre en balance les facteurs pertinents. Il ne s’agit pas d’un cas de transgression mineure; M. Raslan a sciemment et délibérément tenté de tromper le bureau de la citoyenneté quant à sa véritable résidence au Canada, et ce, dans le but de passer devant les autres. Il a falsifié sa demande de citoyenneté afin d’obtenir un avantage auquel il n’avait pas droit afin d’obtenir un droit fondamental – la citoyenneté canadienne. Comme il a été souligné dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Wysocki, 2003 CF 1172, [2003] A.C.F. no 1505, une fausse déclaration d’un fait essentiel comprend une déclaration contraire à la vérité, la non-révélation de renseignements véridiques ou la réponse trompeuse. Je suis d’avis qu’il convient et qu’il est nécessaire de sanctionner un tel comportement et que cela reflète l’intention du législateur; voilà pourquoi il est possible de révoquer la citoyenneté canadienne obtenue grâce à de fausses déclarations. Il est évident que l’on doit empêcher quiconque de faire cela. Ne pas sanctionner un tel agissement encouragerait les autres. La sanction – le rejet de la citoyenneté canadienne – n’est pas disproportionné – le demandeur conserve sa résidence permanente ainsi que les droits et les avantages importants qu’elle confère.

 

 

 

[19]           Selon moi, la conclusion est la suivante : on ne peut obtenir la citoyenneté canadienne par la ruse. Pour ces motifs, je rejette le présent appel.

 

« François Lemieux »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 22 février 2010

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-459-09

 

INTITULÉ :                                       RASLAN, Nasoh

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE LEMIEUX

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 22 février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Hrair Djihanian

Rosalie Brunel

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sylviane Roy

Mireille-Anne Rainville

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Brunel & Associés – Avocats

Montréal (Québec)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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