Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100219

Dossier : IMM-3222-09

Référence : 2010 CF 175

Ottawa (Ontario), le 19 février 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

HOA VAN TRAN, HUONG XUAN NGUYEN

ET ANH DUC TRAN

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE,
LE MINISTRE DE
LA CITOYENNETÉ
ET DE
L’IMMIGRATION,
LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) à la suite d’une décision défavorable qu’une agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente) a rendue au sujet de Hoa Van Tran, Huong Xuan Nguyen et Anh Duc Tran (les demandeurs).

 

Le contexte factuel

[2]               Dans la présente espèce, les demandeurs sont tous citoyens du Vietnam. Le demandeur principal, Hoa Van Tran, a demandé l’asile à cause d’événements qui sont survenus à la suite de l’emploi qu’il exerçait en Russie. Sa demande englobe son épouse, Huong Xuan Nguyen, et son fils, Anh Duc Tran, qui ont fondé leurs demandes sur celle de M. Tran.

 

[3]               Le demandeur principal soutient qu’entre 1992 et 1996, il a été au service d’une coentreprise. Durant ce temps, il a vécu en Russie avec sa famille et il allègue qu’il faisait également partie d’un groupe de sécurité soutenu par le gouvernement vietnamien. Dans ce contexte, il avait pour responsabilité d’identifier des criminels au sein de la communauté vietnamienne vivant en Russie. Il prétend par ailleurs avoir signalé de nombreuses personnes, dont neuf ont été expulsées de la Russie vers le Vietnam.

 

[4]               En décembre 1998, pendant qu’il était en vacances au Vietnam, il a été agressé et battu. Il dit aussi avoir reçu au téléphone des menaces de violence physique et que sa fille a été victime d’une tentative d’enlèvement. Ces incidents, croit-il, ont été commis par des individus qu’il avait fait expulser de Russie et qui se vengeaient des mesures qu’il avait prises contre eux.

 

[5]               L’épouse et le fils du demandeur principal sont entrés au Canada le 19 décembre 2003, et le demandeur principal est arrivé le 19 octobre 2004. La demande d’asile a été présentée le 16 novembre 2004.

 

[6]               Le 29 juillet 2005, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile en se fondant sur des motifs liés à la crédibilité et à la protection de l’État. Le 12 février 2006, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (CH), qui a été refusée le 8 mai 2009. Le 5 novembre 2007, les demandeurs ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Cette demande a été rejetée le 7 mai 2009 et c’est elle qui fait maintenant l’objet du présent contrôle judiciaire. L’agente qui a étudié la demande CH et la demande d’ERAR est la même dans les deux cas.

 

Les questions en litige

[7]               Les demandeurs ont soulevé de nombreuses questions dans leur demande de contrôle judiciaire. Je vais les examiner après les avoir reformulées comme suit :

a.       La décision d’ERAR est-elle raisonnable?

b.      L’agente était-elle tenue de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant dans le contexte de l’ERAR?

c.       L’agente a-t-elle manqué à un principe de justice naturelle?

d.      L’alinéa 113a) de la Loi contrevient-il à l’article 7 de la Charte?

 

[8]               La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs suivants.

 

Les dispositions législatives et règlementaires applicables

[9]               Les dispositions législatives et règlementaires applicables sont présentées à l’annexe A jointe aux présentes.

 

Analyse

La norme de contrôle applicable

[10]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 62 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada déclare qu’il convient d’examiner la jurisprudence pour déterminer quelle norme de contrôle appliquer à une catégorie de question particulière. Avant cet arrêt, il était bien établi que la norme de contrôle à appliquer dans le cas d’une question de fait était la décision manifestement déraisonnable, la décision simpliciter dans le cas d’une question mixte de fait et de droit, et la décision correcte dans le cas d’une question de droit (Abdollahzadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1310, 325 F.T.R. 226, au paragraphe 21 (Abdollahzadeh)). Maintenant que les normes de la décision manifestement déraisonnable et de la décision raisonnable simpliciter ont été fondues en une seule, les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont soumises à la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir). J’ajouterais que dans les cas d’un manquement à l’équité procédurale, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique (Soares c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 190, 308 F.T.R. 280).

 

[11]           Cela étant, la première question en litige sera examinée en fonction de la norme de la raisonnabilité. Les deuxième et troisième questions le seront en fonction de la norme de la décision correcte. Quant à la question de nature constitutionnelle, elle sera bien sûr tranchée de la manière habituelle.

 

La décision d’ERAR est-elle raisonnable?

[12]           Tout d’abord, il est important d’énoncer clairement l’objet que vise la demande d’ERAR, ainsi que le pouvoir décisionnel restreint dont dispose l’agent qui l’évalue. La demande d’ERAR n’est pas censée être un appel d’une décision défavorable au sujet d’une demande d’asile. Elle est plutôt conçue pour être un examen de risques, qui est fondé sur des faits ou des éléments de preuve nouveaux. Ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, (2007) 370 N.R. 344 (Raza), l’agent d’ERAR est tenu de respecter les limites imposées à la présentation d’éléments de preuve aux termes de l’alinéa 113a) de la Loi.

 

[13]           Dans l’arrêt Raza, précité, la Cour d’appel fédérale a énuméré les questions qu’un agent d’ERAR peut prendre en considération au moment d’évaluer les éléments de preuve et de décider s’il convient d’exclure ces derniers ou non en vertu de la Loi. Ces questions sont les suivantes :

1.         Crédibilité : Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

2.         Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent-elles la demande d’ERAR, c’est-à-dire sont-elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

3.         Nouveauté : Les preuves sont-elles nouvelles, c’est-à-dire sont-elles aptes :

a)   à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b)   à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c)   à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

4.         Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont‑elles substantielles, c’est‑à‑dire la demande d’asile aurait‑elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

5.         Conditions légales explicites :

a)   Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a‑t‑il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

b)   Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

 

[14]           Dans le cas présent, c’est l’avocat précédent des demandeurs qui a rédigé les observations relatives à la demande d’ERAR. Ces observations contenaient trois documents : des observations écrites à l’appui de la demande d’ERAR, une copie du récit personnel relaté dans la demande d’asile, de même qu’un article, écrit par cet avocat, sur les facteurs d’ordre humanitaire. Les observations écrites réitèrent simplement les événements qui ont amené les demandeurs à venir au Canada pour demander l’asile. Elles comportent aussi des énoncés sur les facteurs d’ordre humanitaire qui, soutiennent-ils, devraient faire partie de la décision d’ERAR – tous ces facteurs sont liés aux difficultés subies et aucun d’eux ne traite de la question des risques.

 

[15]           Je ne puis donc souscrire à la prétention des demandeurs selon laquelle les éléments de preuve à la fois personnels et documentaires sont nouveaux, en ce sens qu’ils établissent que la situation au Vietnam s’est détériorée et que les demandeurs, s’ils y retournaient, s’exposeraient à des risques. En outre, comme l’ont fait remarquer les défendeurs, les demandeurs font cette affirmation péremptoire mais sans se reporter à l’un quelconque des éléments précis qui, disent‑ils, constituent une preuve nouvelle, ainsi qu’à la façon dont ces éléments sont expressément liés à des faits nouveaux dans leur situation personnelle ou dans la situation plus générale du pays.

 

[16]           En outre, l’agente a fait remarquer que la totalité des éléments de preuve, autres que ceux datant d’avant la décision de la SPR, ont été admis comme nouveaux. Le seul élément de preuve qui a été exclu est celui pour lequel aucune explication n’a été donnée au sujet de la raison pour laquelle il n’a pas été - ou n’aurait pas pu être – soumis à la SPR. Cela est parfaitement conforme à ce que la loi exige ainsi qu’à la démarche exposée dans l’arrêt Raza. L’agente n’a pas commis d’erreur dans son application du critère, pas plus que dans la façon d’évaluer quels éléments de preuve étaient nouveaux.

 

[17]           Les demandeurs soutiennent de plus qu’il est dans le plus grand intérêt de la justice que l’on évalue les renseignements les plus récents et les plus pertinents au sujet des risques. Comme ils n’ont fourni aucun renseignement sur un nouveau risque, à part ce qu’ils avaient déjà prétendu devant la SPR, cet argument n’a aucun fondement. Je souligne en outre qu’une distinction s’impose au sujet de la jurisprudence mentionnée dans les observations car elle se rapporte à des affaires dans lesquelles on avait soumis de nouvelles preuves de risque avant que la décision d’ERAR ait été communiquée à un demandeur et dans lesquelles de nouvelles preuves avaient été présentées à la Cour dans le contexte d’une requête en sursis.

 

[18]           L’agente n’a pas commis d’erreur en se fondant sur les conclusions de la SPR quant aux faits et à la crédibilité. Il s’agissait de la bonne décision car les demandeurs ont soulevé le même risque que celui que la SPR avait relevé et apprécié en détail, et il n’appartenait pas à l’agente de réviser les conclusions tirées sur la crédibilité sans disposer de faits ou d’éléments de preuve nouveaux (Cupid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 176, [2007] A.C.F. no 244, aux paragraphes 4 et 21 (Cupid)). Je suis convaincu que l’agente a apprécié correctement le risque dans sa décision.

 

L’agente était-elle tenue de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant dans le contexte de l’ERAR?

[19]           Les demandeurs soutiennent que l’agente a commis une erreur car elle n’a pas pris en considération l’intérêt supérieur de l’enfant mineur au moment de rendre sa décision. Ils se fondent sur la décision El Ouardi c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 42, 332 N.R. 76 où, dans le contexte d’une demande de sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi en attendant l’issue de l’appel, il a été déclaré que « [r]ien n’indique cependant que l’intérêt supérieur de son enfant a été soulevé lors de son examen des risques et je ne suis pas convaincu que, dans les circonstances de l’espèce, l’examen des risques était le bon forum pour le faire » (au paragraphe 10).

 

[20]           Dans l’arrêt Varga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 394, [2007] 4 R.C.F. 3, au paragraphe 13 (Varga), la Cour d’appel fédérale a admis qu’il n’est pas obligatoire que l’on examine les intérêts des enfants touchés dans le cadre de toutes les dispositions de la Loi. Selon cette dernière, l’examen d’une demande d’ERAR doit être fait dans le cadre des articles 96 et 97, ce qui signifie que le risque est le seul facteur pertinent et qu’il n’y a pas lieu de prendre en considération les questions de nature générale qui ont trait aux intérêts des enfants (Varga, précité, aux paragraphes 7 à 9). Pour procéder à une appréciation, la marge de manœuvre dont dispose l’agent d’ERAR est très étroite. La Loi offre une possibilité concrète d’examiner l’intérêt supérieur de l’enfant, et c’est en vertu de l’article 25 dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (une demande CH). La Cour d’appel fédérale a également souligné qu’il ne faudrait pas que les procédures d’ERAR et CH soient confondues ni ne fassent double emploi (Varga, précité, au paragraphe 12).

 

[21]           En l’espèce, les demandeurs ont présenté une demande CH dans laquelle ils ont inclus l’intérêt de leur enfant mineur. Cette demande a été refusée et la demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée au stade de l’autorisation (voir le numéro de dossier IMM‑3223‑09). Ceci n’est pas le forum qui convient pour réviser la décision sur les motifs d’ordre humanitaire.

 

[22]           Je conclus donc que l’agente n’était pas tenue d’examiner l’intérêt supérieur de l’enfant mineur dans la demande d’ERAR et qu’elle n’a pas commis d’erreur pour ce motif.

 

L’agente a-t-elle manqué à un principe de justice naturelle?

Les motifs

[23]           Les demandeurs allèguent qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale car on leur a fourni des motifs insuffisants à propos de la protection de l’État. Je ne suis pas d’accord. Je suis persuadé qu’un examen des motifs dans leur ensemble montre que ces derniers sont suffisants. En outre, je suis d’avis qu’il ne conviendrait pas de s’attendre à ce que, dans le contexte d’une demande d’ERAR, les motifs soient aussi détaillés que ceux auxquels on s’attend de la SPR et qu’il serait certes peu approprié de les assujettir à la norme des motifs judiciaires, comme le laissent entendre les demandeurs (voir Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, [2001] A.C.F. no 1646 (QL), au paragraphe 11). Pour évaluer le caractère suffisant des motifs de l’agente, il faut tenir compte à la fois du rôle de cette dernière et des observations des demandeurs (Cupid, précité, au paragraphe 12).

 

[24]           L’agente était tenue d’apprécier les renseignements soumis par les demandeurs afin de déterminer si ces derniers sont maintenant confrontés à un risque que la SPR n’a pas relevé ou qui est apparu depuis ce temps. Je souligne que les demandeurs n’ont pas présenté d’observations sur de nouveaux risques attribuables à un changement dans leur situation personnelle ou dans les conditions de leur pays.

 

[25]           Dans ses motifs, l’agente explique qu’étant donné que les demandeurs n’ont pas fait d’allégations au sujet d’un risque nouveau depuis l’audition de la SPR, la seule source de risques qu’il reste à évaluer serait celui d’un changement dans les conditions de leur pays. Elle mentionne également que la SPR s’est dite convaincue que les demandeurs bénéficient d’une protection de l’État au Vietnam et qu’ils n’ont présenté aucune preuve du contraire.

 

[26]           La SPR a conclu qu’une protection de l’État était disponible au Vietnam, car la preuve documentaire démontrait qu’il existe des organismes policiers, elle établissait l’existence d’un État ayant la volonté et la capacité de protéger ses citoyens et qu’un contrôle efficace est exercé sur tout le territoire. De plus, la SPR n’a pas trouvé dignes de foi les explications des demandeurs au sujet de la raison pour laquelle ils ne pouvaient pas être protégés (décision de la SPR, dossier du tribunal, aux pages 91 et 92). La preuve documentaire que l’agente a examinée n’indiquait pas que cela n’était plus le cas et, une fois de plus, les demandeurs eux-mêmes n’ont pas allégué qu’il y avait eu un changement, pas plus qu’ils n’ont fourni une preuve quelconque à propos de la raison pour laquelle ils ne peuvent pas être protégés.

 

[27]           L’agente a décrit le processus d’examen, elle a fait référence aux documents que les demandeurs ont soumis et à la façon dont elle les a traités, et elle a déclaré qu’il n’y avait pas eu de changement marquant dans la situation au Vietnam depuis que la SPR avait rendu sa décision.

 

Le droit à une audience

[28]           La Loi indique clairement que le processus d’ERAR est conçu pour être réglé par écrit, et une audience n’est tenue qu’à titre exceptionnel. La Cour a admis qu’il n’est généralement pas nécessaire de tenir une audience quand la SPR a entendu une demande et rendu une décision au sujet de la crédibilité. De plus, la Cour a conclu qu’une audience n’est pas requise lorsque l’agent rejette cette demande en raison d’une preuve objective car cette conclusion n’a rien à voir avec la crédibilité (Al Mansuri c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 22, 60 Admin. L.R. (4th) 228, au paragraphe 43 (Al Mansuri)). Les demandeurs soutiennent qu’une décision a été rendue au sujet de leur crédibilité et qu’ils ont droit à une audience. Ils soutiennent, subsidiairement, qu’ils ont droit à une audience en vertu de l’alinéa 167b) ou de l’alinéa 167c) du Règlement.

 

[29]           Aux termes de l’alinéa 113b) de la Loi, une audience n’est accordée que dans les circonstances prescrites, et ces dernières sont énoncées à l’article 167 du Règlement. Les conditions que comporte cette disposition sont cumulatives et les demandeurs sont tenus de satisfaire à tous les facteurs, contrairement à ce qu’ils avancent. Dans leurs observations, les demandeurs reconnaissent qu’ils ne satisfont pas au facteur mentionné à l’alinéa 167a). Je suis convaincu qu’il n’existe en l’espèce aucune preuve qui soulève un doute sérieux quant à la crédibilité des demandeurs et qui est liée aux facteurs énoncés aux articles 96 et 97 de la Loi, et qu’il n’était pas obligatoire de tenir une audience aux termes de la Loi et du Règlement. En l’espèce, l’agente a rejeté la demande à cause d’une preuve objective, car la question déterminante était la protection de l’État. Comme dans l’arrêt Al Mansuri, précité, cette conclusion n’a rien à voir avec la crédibilité des demandeurs.

 

Le droit à une audition équitable

[30]           Les demandeurs disent qu’ils ont été privés du droit à une audition équitable parce que l’agente n’est pas entrée en contact avec leur avocat et ne lui a pas permis de répondre aux rapports et aux décisions sur lesquels elle s’est fondée. Ils ajoutent qu’il s’agit là d’un manquement à la justice naturelle car ils avaient le droit d’être informés des arguments qu’ils leur fallait réfuter.

 

[31]           Il est bien établi qu’il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale lorsque l’agent n’informe pas le demandeur d’une preuve documentaire, sauf si cette preuve n’est pas disponible publiquement ou n’était pas disponible à l’époque où les observations ont été déposées et si elle comporte des informations nouvelles et importantes sur les conditions ayant cours dans le pays qui pourraient avoir une incidence sur la manière de trancher l’affaire (Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (C.A.); Al Mansuri, précité, au paragraphe 52).

 

[32]           L’agente s’est fiée à une décision unique de la Cour ainsi qu’à trois éléments de preuve documentaires. Il n’est pas contesté que ces documents étaient tous publiquement disponibles et qu’on les utilise couramment dans le processus d’ERAR. Les demandeurs n’ont pas fait valoir que l’un quelconque de ces documents révélait des changements nouveaux ou importants dans les conditions régnant au Vietnam et, après les avoir parcourus, je conclus qu’aucun d’eux ne le fait. Je conclus donc que la preuve documentaire relevait de la connaissance des demandeurs. Les exigences de l’équité procédurale ont été remplies.

 

L’alinéa 113a) de la Loi contrevient-il à l’article 7 de la Charte?

[33]           La Cour n’a aucune obligation judiciaire de répondre aux questions de nature constitutionnelle (Abdollahzadeh, précité, au paragraphe 31). Je crois qu’en l’espèce il est inutile que la Cour réponde à cette question, et ce, pour les motifs suivants.

 

[34]           Une réponse satisfaisante a déjà été donnée à cette question dans la jurisprudence. Dans la décision Doumbouya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1187, 325 F.T.R. 143, la demanderesse soutenait que les restrictions prévues à l’alinéa 113a) ont une incidence directe sur les droits des demandeurs d’un ERAR à la vie, à la liberté et à la sécurité, ce qui est incompatible avec les principes de justice fondamentale garantis à l’article 7 de la Charte. Dans cette affaire, il a été conclu qu’étant donné que l’ERAR n’est pas un appel de la décision de la SPR et qu’il se limite aux faits nouveaux, l’alinéa 113a) ne prive pas un demandeur de la possibilité de présenter tous les éléments de preuve pertinents à l’égard de son ERAR et il est donc compatible avec l’article 7 de la Charte (aux paragraphes 92 à 94). Dans l’arrêt Abdollahzadeh, précité, au paragraphe 35, la Cour déclare ceci :

Il va de soi que la demande de protection vise la vie, la liberté et la sécurité de la demanderesse. Dans son ensemble, la procédure prévue par la LIPR selon les étapes (la demande d’asile et la décision de la SPR, la demande de protection, la demande ultime à l’agent de renvoi) reflète un souci de respect quant aux principes de justice naturelle et d’équité. Tenant compte de l’ensemble de la procédure de la LIPR et de l’étape de la demande de protection, les limites à l’information nouvelle pour les demandes de l’ERAR contenues à l’alinéa 113a) de la LIPR ne violent pas les principes de justice naturelle et d’équité garantis par la Charte.

Les demandeurs n’ont pas établi que ces décisions sont erronées, ni invoqué un argument qui le donnerait à penser.

 

[35]           Les demandeurs ont invoqué un argument qui n’a pas été soulevé dans la jurisprudence, mais je ne suis toujours par convaincu que la Cour se doit de répondre à la question, et ce, pour les raisons suivantes.

 

[36]           Les principes du droit administratif permettent de répondre à la question que soulèvent les demandeurs et il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse dans le contexte de la Charte. Selon la Cour suprême du Canada, s’il est possible de trancher une question en appliquant les principes du droit administratif, il n’est pas nécessaire de prendre en considération les questions relatives à la Charte (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84). J’ai examiné la décision et suis arrivé à la conclusion qu’en l’espèce il n’y a pas eu de manquement à la justice naturelle ou aux principes de l’équité procédurale.

 

[37]           Par ailleurs, je conviens aussi que les arguments des demandeurs sont dénués d’un fondement probant explicite et qu’ils n’ont fourni aucune preuve quant à la différence qu’aurait pu avoir la décision rendue en l’espèce, n’eût été de l’alinéa 113a) de la Loi. Comme l’a dit la Cour suprême du Canada : « [e]n général, toute contestation relative à la Charte fondée sur la prétention que les effets de la loi visée sont inconstitutionnels doit être appuyée par une preuve recevable concernant les effets contestés. En l’absence de telle preuve, les tribunaux auraient à se prononcer "dans le vide" ce qui est tout aussi difficile en matière constitutionnelle que dans la nature. » (Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, à la page 1101).

 

[38]           Les demandeurs soumettent les questions suivantes à certifier :

[traduction

1.       Dans une affaire où la protection de la police a été demandée et refusée ou non assurée, ou dans laquelle le demandeur a refusé de solliciter cette protection, à cause de refus antérieurs de le protéger ou de protéger des personnes se trouvant dans une situation semblable :

a)   la décision rendue dans Villafranca (CAF) est-elle à toutes fins pratiques infirmée par la Cour suprême du Canada dans Ward en rapport avec la protection de l’État, notamment la question de la protection « parfaite » non requise dans Villafranca? Autrement dit :

b)   existe-t-il un entre-deux entre une protection « efficace (adéquate) » et « parfaite »; ou

c)   existe-t-il un entre-deux entre une protection « imparfaite » et « inefficace (inadéquate) »?

Ou alors les deux termes et concepts sont-ils incapables de coexister et de s’appliquer dans n’importe quelle demande d’asile individuelle particulière?

2.       Si les deux termes et concepts peuvent coexister et s’appliquer, quels sont les paramètres de cet entre-deux? Autrement dit :

a)   comment un demandeur à qui l’on a refusé une protection « efficace (adéquate) » selon Ward peut-il voir sa demande refusée au motif que l’on ne peut pas s’attendre à une protection « parfaite » selon Villafranca? ou

b)   comment un demandeur qui a satisfait au critère prévu dans Ward peut-il voir sa demande refusée selon le « critère » énoncé dans Villafranca?

3.   La décision que la Cour fédérale a rendue dans Garcia est-elle juste en rapport avec cette question?

Il est respectueusement allégué que cette question requiert l’attention et des éclaircissements de la Cour d’appel parce que Villafranca a été tranché avant Ward et que Villafranca se fonde en outre sur Zalzali, qui n’a pas été suivi dans Ward.

Il est allégué que l’analyse faite dans Ward (aux pages 20 à 22, notamment au paragraphe 50) indique clairement qu’à défaut d’un effondrement complet de l’appareil étatique, on présume qu’un pays a la volonté de protéger ses ressortissants. Cette présomption est réfutable. Le degré de réfutation requis est énoncé par la Cour, et le niveau fixé est le suivant : quand une protection « inefficace (inadéquate) » n’est pas disponible ou offerte, la protection de l’État n’est donc pas disponible.

Le défendeur soutient que lorsqu’une protection est « inefficace (inadéquate) », soit parce qu’on la refuse soit parce qu’on est incapable de l’assurer, il existe dans ce cas un motif de refus possible qui repose sur la prémisse selon laquelle, même si la protection est inefficace, comme nul ne peut s’attendre à une protection « parfaite », la demande est néanmoins rejetée. Il s’agit là d’un obstacle illogique et impossible, qui écarte Ward en ce sens qu’il soulève la question suivante :

 

Hormis les cas dans lesquels l’appareil étatique s’est complètement effondré (c’est-à-dire que la présomption de la protection de l’État ne s’applique pas et que le demandeur n’a même pas à fournir une preuve qu’il ne dispose pas d’une protection étatique efficace), dans quel scénario possible une personne est-elle, jamais, un réfugié dans les cas où le critère auquel il faut satisfaire est qu’un demandeur ne peut pas s’attendre à une protection « parfaite » même si la protection a été « inefficace »? Est-ce à dire qu’un demandeur peut être torturé ou tué à cause d’une protection « inefficace » parce que nul ne doit s’attendre à une protection « parfaite »?

Il est allégué que Ward rejette également cette prémisse illogique en indiquant qu’il serait illogique de renvoyer quelqu’un vers le risque de torture ou de mort une fois que l’on a établi l’existence d’une protection « inefficace », juste pour vérifier le degré de cette inefficacité;  la Cour, dans Ward, à la page 22, au paragraphe 48, déclare :

« […] En outre, le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d’un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l’encontre de l’objet de la protection internationale. »

Et, par ailleurs, comme il a été décrété dans Garcia :

« D. L’incidence de la jurisprudence Ward sur la jurisprudence Villafranca

[18] Je suis d’avis que la jurisprudence Ward modifie la jurisprudence Villafranca sous un aspect particulièrement important. Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême s’est exprimée clairement sur la quantité et la qualité des preuves que le demandeur d’asile doit produire pour réfuter la présomption que l’État assure la protection des personnes; en d’autres termes, le demandeur d’asile est uniquement tenu de produire une preuve claire et convaincante. Par conséquent, je suis d’avis que l’observation de l’arrêt Villafranca selon laquelle « il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation » n’est plus d’actualité juridiquement. Ainsi, la preuve de l’échec des autorités publiques à réagir efficacement aux appels à l’aide venant de femmes menacées par des prédateurs sexuels violents peut, à elle seule, être considérée comme une preuve claire et convaincante qui réfute la présomption que l’État concerné assure la protection des personnes. Tout dépend de la force probante de la preuve produite aux yeux du décisionnaire.

- De Araujo Garcia c. MCI 2007 CF 79

Enfin, il est allégué que cette question repose à la fois sur les faits, car l’agent d’ERAR se prononce sur cette question très cruciale, que ce ne sont pas tous les États qui sont capables d’assurer une « protection parfaite »,

Décision de l’agente d’ERAR

en se fondant sur Villafranca :

- (Décision de l’agente d’ERAR)

Cette question transcende les faits particuliers de l’espèce, et il s’agit d’une question de portée générale, dans n’importe quelle demande d’asile, car la protection efficace de l’État est toujours une question à considérer.

4.   L’alinéa 113a), tel qu’interprété et appliqué, contrevient-il à l’article 7 de la Charte?

                                                   i.      Une audience/entrevue est-elle requise dans le cas d’un ERAR :

a)   lorsqu’on conteste la crédibilité en rapport avec de nouveaux éléments de preuve? et/ou

b)   lorsqu’un agent d’ERAR adopte des conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité, relativement à de nouveaux éléments de preuve, et qu’il les applique à ces derniers?

 

[39]           J’ai examiné les objections écrites des défendeurs aux questions proposées, ainsi que la réplique des demandeurs.

 

[40]           Je suis d’avis qu’aucune des questions qui précèdent, bien qu’elles soient fort intéressantes, ne doivent être certifiées car elles sont trop hypothétiques. Je conviens également avec les défendeurs que les questions ne soulèvent pas de questions graves de portée générale qui sont déterminantes quant aux questions qui s’appliquent aux faits de l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B

 


Annexe A

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

113. Il est disposé de la demande comme il suit  :

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

113. Consideration of an application for protection shall be as follows :

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS /2002-227 (le Règlement).

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise  :

 

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following :

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3222-09

 

INTITULÉ :                                       HOA VAN TRAN, HUONG XUAN NGUYEN

ET ANH DUC TRAN et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE, LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 19 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rocco Galati                                                                                        POUR LES DEMANDEURS

 

Jamie Todd                                                                                          POUR LES DÉFENDEURS

Nicole Paduraru

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rocco Galati Law Firm                                                                         POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

                                                                                               

John H. Sims, c.r.                                                                                 POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.