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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100218

Référence : 2010CF182

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le jeudi 18 février 2010

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA PROTONOTAIRE MIREILLE TABIB

 

                                                                                                                             Dossier : T‑644‑09

 

ENTRE :

 

APOTEX INC.

 

demanderesse

et

 

 

SANOFI‑AVENTIS

 

défenderesse

 

 

 

                                                                                                                             Dossier : T‑933‑09

 

ENTRE :

 

SANOFI‑AVENTIS et

BRISTOL‑MYERS SQUIBB SANOFI

PHARMACEUTICALS HOLDINGS PARTNERSHIP

 

demanderesses

et

 

 

APOTEX INC.,

APOTEX PHARMACHEM INC. et

SIGNA SA de CV

 

défenderesses

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Apotex Inc. a introduit en mai 2009 l’action T‑644‑09, tendant à obtenir une déclaration comme quoi le produit à base de bisulfate et/ou de bésylate de clopidogrel qu’elle projette de fabriquer et de vendre au Canada ne contrefera pas le brevet canadien 777 de Sanofi‑Aventis et comme quoi ce brevet est invalide. Un mois plus tard, Sanofi‑Aventis et Bristol‑Myers Squibb Sanofi Pharmaceutical Holdings Partnership (ci‑après dénommées collectivement « Sanofi ») ont intenté contre Apotex Inc. et Apotex Pharmachem Inc. (ci‑après dénommées collectivement « Apotex ») une poursuite où ils alléguaient qu’Apotex fabrique et exporte déjà pour la vente dans divers pays un produit à base de bisulfate de clopidogrel qui contrefait le brevet 777. Les deux parties ont demandé que les dates de l’instruction soient fixées selon la procédure rationalisée. Les actions ont été réunies, et le début de l’instruction a été prévu au rôle pour avril 2011.

 

La présente requête

 

[2]               Par la présente requête, Apotex demande la [TRADUCTION] « fusion » de sa déclaration au dossier T‑644‑09 et de sa défense au dossier T‑933‑09 en une défense et demande reconventionnelle à l’action T‑933‑09, ainsi que l’autorisation de prendre les mesures suivantes :

a)           Apporter quelques modifications de détail et de définition visant à clarifier les conclusions écrites sans en changer le fond.

b)           Ajouter certains aveux de fait sur ses activités relatives à la fabrication et à la vente de produits contenant du clopidogrel.

c)           Ajouter des antériorités à l’annexe de son acte de procédure.

d)           Invoquer explicitement les dérogations prévues par la Loi sur les brevets et les exceptions reconnues par la common law pour l’utilisation expérimentale et des motifs connexes.

e)           Inclure dans sa demande reconventionnelle à l’action T‑933‑09 sa demande en déclaration de non-contrefaçon touchant trois formes salines du clopidogrel, y compris une nouvelle, à savoir le sel bromhydrate.

f)            Ajouter un moyen de défense fondé sur la prescription, invoquant l’application de la Loi de 2002 sur la prescription des actions (Ontario), L.O. 2002, ch. 24.

g)           Ajouter un moyen de défense fondé sur la compensation, invoquant [TRADUCTION] « l’indemnité de rupture » que prévoit [TRADUCTION] « l’accord de mars 2006 ».

h)           Ajouter un moyen de défense fondé sur la compensation, invoquant le délit civil de dol.

i)            Ajouter un moyen de défense fondé sur la compensation, invoquant l’abus de procédure.

j)            Ajouter des précisions sur les circonstances de la conclusion des [TRADUCTION] « accords de 2006 » déjà invoqués dans les actes de procédure et les effets juridiques de certaines de leurs clauses pour ce qui concerne l’action.

k)           Ajouter des précisions au moyen de défense fondé sur la perte du droit à réparation pécuniaire.

 

[3]               Sanofi s’oppose en principe à ce que soient « fusionnées » en une demande reconventionnelle à l’action T‑933‑09 l’action en invalidation et déclaration de non-contrefaçon à l’origine intentée par Apotex (dossier T‑644‑09). Pour ce qui concerne les modifications et ajouts eux-mêmes, Sanofi :

·                     n’a rien contre ceux des alinéas a), b) et c) ci‑dessus;

·                     consent à l’addition de détails concernant l’utilisation expérimentale et les dérogations connexes [alinéa d)], à condition que la Cour ordonne à Apotex de donner des précisions sur les quantités en question et les dérogations particulières applicables;

·                     s’oppose à l’addition, en tant que prétention reconventionnelle, d’une demande en déclaration de non-contrefaçon à l’égard de sels autres que le bésylate [alinéa e)], au motif qu’elle est fondée sur une simple intention, et donc prématurée et sans effet pratique;

·                     s’oppose à l’addition d’un moyen de défense fondé sur la prescription [alinéa f)], aux motifs qu’il ne révèle pas de cause de défense valable et de ce qu’Apotex omet d’y alléguer tous les faits pertinents pour son application;

·                     s’oppose à l’addition des moyens de défense fondés sur la compensation [alinéas g), h) et i)], aux motifs qu’ils outrepassent la compétence de la Cour, ne sont pas valablement allégués, ne révèlent aucune cause d’action ou de défense valable, et sont scandaleux, frivoles et vexatoires;

·                     s’oppose à l’addition des circonstances de la conclusion des accords de 2006 [alinéa j)], aux motifs qu’Apotex essaie ainsi de contourner la règle de l’exclusion de la preuve extrinsèque et d’étendre de manière irrégulière le champ de la communication préalable, au détriment et au désagrément de Sanofi;

·                     s’oppose à l’alinéa k) dans la mesure où il se rapporte aux nouvelles allégations relatives à la compensation (aux mêmes motifs que ceux exposés ci‑dessus) et où il prétend s’appliquer à la réclamation en dommages-intérêts formée par Sanofi sous le régime de la Loi sur les brevets.

 

Observations préliminaires

 

[4]               Il n’est aucune des nouvelles allégations proposées par Apotex qu’elle n’aurait pu faire valoir au moment du dépôt de ses actes de procédure dans leur forme première. Qu’on me permette de reproduire à ce sujet les observations que j’ai formulées dans les motifs de l’ordonnance prononcée dans le cadre de la présente action fusionnée le 22 janvier 2010 (Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis, 2010 CF 77) :

 

[7]        La Cour a pris son initiative de rapprochement de l’instruction en réponse au mécontentement exprimé par un grand nombre de plaideurs et d’avocats, notamment dans le domaine de la propriété intellectuelle, comme quoi les affaires mettaient trop longtemps à parvenir au stade de l’instruction. Après que la Cour eut commencé à mettre cette initiative à l’épreuve au cas par cas il y a quelques années, il est vite devenu évident qu’il n’était ni réaliste, ni pratique, ni raisonnable de simplement abréger la durée séparant le dépôt de la déclaration du commencement de l’instruction si les parties et leurs avocats n’adaptaient pas aussi leurs pratiques et leurs stratégies de contestation à ces délais plus courts. Les litiges qui traînaient cinq ans ou plus comportaient généralement au moins trois « cycles » de communication préalable et de nombreuses modifications des actes de procédure, lesquelles donnaient souvent lieu à une nouvelle phase de communication préalable et à la production de nouveaux affidavits de documents. Il n’est tout simplement pas possible à la plupart des plaideurs et des avocats, à supposer même que les ressources limitées de la Cour y suffisent, de comprimer en deux ans l’interminable processus de la communication préalable et des modifications qui prenait naguère de cinq à dix ans.

 

[9]        Je formule ces longues observations parce qu’elles éclairent et font ressortir les conséquences de l’intention exprimée par les deux parties de bénéficier de l’initiative de rationalisation de la procédure et de rapprochement de l’instruction prise par notre Cour. En demandant instamment que l’instruction, d’une durée prévue de cinq semaines, se tînt au printemps de 2011, les parties et leurs avocats se sont engagés à respecter un calendrier qui ne prévoit pas un temps illimité pour la communication préalable et où la durée de l’instruction est fixe. Les parties elles-mêmes sont des plaideurs avertis au plus haut point, qui peuvent faire état d’une expérience considérable de contestation devant notre Cour. Elles sont toutes deux représentées par des avocats plaidants aussi informés qu’expérimentés. Il y a lieu d’attendre et d’exiger de telles parties que, l’instruction devant commencer dans moins de 15 mois, la procédure écrite étant close et la drogue en litige ayant déjà fait l’objet de contestations devant les tribunaux canadiens aussi bien qu’étrangers, elles aient élaboré et formulé une idée claire de la base juridique qu’elles entendent donner à leurs prétentions respectives, des moyens nécessaires pour les prouver à l’instruction et de la manière dont elles prévoient de mettre ces moyens en œuvre. Il n’y a pas de place dans ce calendrier pour s’engager dans des interrogatoires à l’aveuglette, pour bricoler une stratégie selon l’inspiration du moment, ou pour attendre l’achèvement complet de la communication préalable ou la veille de l’instruction – où le temps est bien chichement compté aussi – avant de formuler une conception cohérente de la base juridique du procès.

 

[10]      J’ai décidé les présentes requêtes en supposant ce niveau de professionnalisme chez les parties et j’ai l’intention, dans la gestion de la présente instance jusqu’à l’instruction, d’exiger systématiquement d’elles qu’elles se conforment à cette norme élevée. Chacune des parties devrait quant à elle pouvoir compter sur le même sérieux de la part de son adversaire. On verra mieux l’effet à prévoir de cette supposition sur la gestion de la présente instance à mesure que j’examinerai les divers aspects des requêtes qui nous occupent.

[Non souligné dans l’original.]

 

[5]               Soit Apotex prend ces observations tardivement à cœur et les modifications proposées témoignent d’une conception de la base juridique de l’instance maintenant clairement élaborée et formulée, soit l’acte de procédure proposé constitue justement un exemple des recherches à l’aveuglette, de l’improvisation stratégique et de l’incapacité à établir de manière cohérente la base juridique de l’instance que la Cour a précédemment critiquées.  

 

Le préjudice

 

[6]               Apotex estime qu’elle propose ses modifications [TRADUCTION] « aux premiers stades de l’instance » et que celles‑ci ne peuvent porter préjudice à Sanofi ni nuire à la conduite de ladite instance. Apotex est de cet avis, semble‑t‑il, parce que la phase de la communication préalable n’est pas encore achevée (elle a déjà terminé les interrogatoires préalables des inventeurs et de Sanofi touchant les questions scientifiques, mais elle prévoit encore environ trois jours d’interrogatoire d’un représentant de Sanofi sur des questions non scientifiques, et les interrogatoires préalables d’Apotex par cette dernière n’ont pas encore commencé). Apotex affirme également que ses modifications, si elles sont autorisées, n’exigeraient pas plus que les trois jours déjà prévus pour achever les interrogatoires préalables de Sanofi ni ne nécessiteraient la prolongation de la durée de l’instruction au‑delà des cinq semaines déjà réservées à cette fin.

 

[7]               Je ne puis souscrire à ces affirmations d’Apotex. La présente instance étant rationalisée, on avait fixé un calendrier selon lequel le « premier cycle » de communication préalable de toutes les parties devait être achevé pour le 1er février 2010. Deux requêtes en production d’affidavits de documents plus exacts et plus complets ont déjà été examinées et décidées. Par suite de l’issue de l’une de ces requêtes, les interrogatoires préalables d’Apotex par Sanofi auraient été légèrement retardés, mais pas l’achèvement de ceux de Sanofi par Apotex. Le dépôt même de la requête en modification d’Apotex, effectué le 25 janvier 2010, a provoqué un nouveau retard dans la phase de communication préalable. Si les modifications proposées sont autorisées, la communication préalable sera retardée encore plus, par la nécessité pour Sanofi d’établir et de déposer des conclusions modifiées en réponse à celles d’Apotex, et la nécessité pour les deux parties de signifier des affidavits de documents supplémentaires relatifs à ces modifications. Certaines de celles‑ci exigeraient notamment que soit réexaminée la pertinence des documents demandés par Apotex dans sa requête en production d’un affidavit de documents plus exact et plus complet, déclarés non pertinents sur la base de ses écritures antérieures. Même dans le meilleur des cas de figure, le « premier cycle » de la communication préalable prendrait fin au plus tôt en mars 2010, ce qui représente un retard de deux mois par rapport au calendrier d’abord fixé et laisse à peine douze mois avant l’instruction, dans un contexte où il faut s’attendre au dépôt de requêtes découlant des interrogatoires préalables, à de nouvelles comparutions et à de nouvelles requêtes à cet égard, et où les rapports d’expert restent à établir.

 

[8]               Si la présente instance en est encore [TRADUCTION] « aux premiers stades », elle ne devrait pas l’être. L’autorisation des considérables modifications aujourd’hui proposées aurait pour conséquence que l’instance en reste à ces « premiers stades » bien après le moment où la communication préalable devrait tirer à sa fin.

 

[9]               Ce retard aura en outre inévitablement pour effet de comprimer le calendrier fixé pour les mois qui restent avant l’instruction, ce qui rétrécira encore la marge de manœuvre en cas d’imprévus. Il obligera les parties, notamment Sanofi, à achever plus vite les travaux de communication préalable et de préparation à l’instruction, tout comme la Cour à se dépêcher de mettre au rôle et de décider les requêtes interlocutoires.

[10]           Pour ce qui concerne le temps que prendra l’instruction, à moins qu’on ne veuille donner à entendre que les deux parties ont sciemment exagéré la durée qu’elles estimaient nécessaire pour celle‑ci quand les dates en ont été fixées, il est évident que les nombreux faits nouveaux allégués par Apotex y commanderont la production d’une preuve plus abondante qu’il n’avait été envisagé à l’origine et devraient donc exiger la prolongation de la durée déjà prévue pour cette phase. L’affirmation d’Apotex comme quoi une telle prolongation ne sera pas nécessaire implique qu’elle est prête à faire des compromis sur l’emploi de sa part de la durée prévue pour l’instruction, soit en comprimant la présentation de la totalité de sa preuve avec les imperfections que cela suppose, soit en sacrifiant une partie de la preuve qu’elle avait d’abord prévu de produire quand les questions étaient plus étroitement définies. Libre à elle assurément, mais ajouter toutes ces nouvelles questions sans prolonger la durée de l’instruction, ou au moins la part qui en revient à Sanofi, obligerait cette dernière à faire des compromis semblables sur l’emploi du temps d’instruction à elle réservé. Apotex ne peut donc soutenir que Sanofi ne serait pas lésée par l’addition de tous ces nouveaux faits si le temps d’instruction reste le même. Elle ne peut non plus proposer de résoudre le problème simplement en ajournant l’instruction ou en prévoyant pour celle‑ci des semaines supplémentaires. Les dates de l’instruction ont été fixées il y a plus de six mois; on a depuis prévu l’instruction d’autres affaires avant et après la présente. On ne peut prolonger la durée de l’instruction sans décaler d’autres audiences au rôle ou gêner sérieusement l’administration de notre Cour. Quant à la solution de l’ajournement, les deux parties avaient expressément demandé des dates d’audience rapprochées et accepté l’obligation qui en découle pour elles de faire en sorte d’être prêtes pour ces dates et de s’y tenir. La Cour a satisfait à leur demande. Si, par leur conduite, les parties rendent impossible de tenir l’instruction aux dates prévues, elles ne peuvent s’attendre à ce que la Cour se conforme encore une fois à leur souhait sans sourciller en réservant, avant une conférence officielle préparatoire à l’instruction, des dates qui pourraient servir à l’instruction d’affaires qui, elles, sont prêtes. Dans la mesure où Sanofi partageait le désir d’Apotex de voir fixer des dates rapprochées pour l’instruction, l’ajournement aussi la léserait, étant donné que l’instruction serait ainsi retardée d’une durée pouvant aller jusqu’à un an.

[11]           Bien que Sanofi n’ait pas versé au dossier d’éléments de preuve directe touchant la manière dont les modifications proposées par Apotex pourraient lui porter préjudice, j’estime, sur le fondement des observations ci‑dessus, que si la Cour autorisait toutes ces modifications, il est plus probable qu’improbable que Sanofi serait lésée, soit du fait de l’abrégement du calendrier et de l’obligation de présenter plus d’éléments de preuve dans le même délai à l’instruction, soit du fait que celle‑ci serait retardée.

 

[12]           Mais cela ne veut pas dire que la Cour devrait refuser pour cette raison d’autoriser les modifications proposées. Ces modifications se répartissent en plusieurs catégories : certaines sont isolables et mettent peu de faits en jeu, d’autres sont en relation réciproque et s’inscrivent dans un contexte factuel étendu. La probabilité de préjudice dépend du nombre et de la nature des modifications qui sont par ailleurs acceptables, c’est‑à‑dire que la Cour ne devrait pas par ailleurs rejeter, au motif qu’elles ne révèlent aucune cause de défense raisonnable, ou qu’elles sont frivoles ou vexatoires.

 

[13]           En outre, même si la Cour concluait que la plupart ou la totalité des modifications proposées sont acceptables, elle pourrait éviter ou atténuer le préjudice défini plus haut en imposant d’autres conditions, par exemple en réduisant les possibilités d’interrogatoire préalable pour Apotex ou en opérant une nouvelle disjonction des questions, de telle sorte que l’examen de l’objet des nouvelles modifications serait renvoyé à l’étape des « dommages », après le règlement des questions concernant strictement la contrefaçon et l’invalidité.

 

[14]           Il convient donc d’examiner une à une chaque catégorie de modifications proposées afin d’établir si, mis à part le préjudice qu’elle pourrait causer à Apotex, elle est acceptable.

 

L’utilisation expérimentale et les dérogations connexes

 

[15]           Voici les paragraphes qu’Apotex propose d’ajouter :

[traduction]

« 83.    De plus, les défenderesses Apotex citent et font valoir l’exception en matière de contrefaçon reconnue en common law pour « l’utilisation expérimentale ». Les défenderesses d’Apotex citent et font valoir également les paragraphes 55.2(1) et (6) de la Loi sur les brevets, dans leur version applicable à toutes les époques pertinentes, qui ont trait à la fabrication, à la construction, à l’utilisation ou à la vente (combinées, pour les besoins des paragraphes 83 à 84, sous le terme « utilisation ») d’une invention brevetée concernant l’élaboration de demandes réglementaires, l’utilisation à des fins privées et expérimentales.

 

84.       À cet égard, les défenderesses Apotex déclarent qu’une ou plusieurs des exceptions susmentionnées soustrairaient à la poursuite pour contrefaçon les utilisations suivantes du clopidogrel :

 

(a)                l’utilisation du clopidogrel à des fins de recherche et de développement;

(b)               l’utilisation du clopidogrel aux fins du contrôle de qualité interne et externe;

(c)                l’utilisation du clopidogrel conformément aux exigences réglementaires figurant dans le Règlement sur les aliments et drogues (Canada), les exigences réglementaires provinciales (article 6 du Règlement 935, Loi sur l’interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation (Ontario) et les exigences réglementaires d’autres pays. »

 

[16]           Comme je le disais plus haut, Sanofi ne s’oppose pas à une modification qui alléguerait expressément ces dérogations, et en fait, les conclusions prises par les parties dans des requêtes antérieures semblaient fondées sur le postulat qu’elles seraient invoquées. Sanofi soutient cependant que la modification proposée [TRADUCTION] « est défectueuse en ce qu’elle manque de précision, ne spécifiant pas les quantités en question ni les dérogations particulières à appliquer ». Je le pense aussi. L’allégation telle qu’elle est proposée ne fait qu’invoquer, sans autres précisions, [TRADUCTION] « une ou plusieurs » des exceptions reconnues en common law ou prévues par la Loi sur les brevets qui [TRADUCTION] « soustrairaient » à la poursuite pour contrefaçon certaines utilisations du clopidogrel. Cette allégation ne porte pas que les dérogations soient en fait applicables, étant donné qu’elle ne dit pas qu’Apotex ait en fait soumis le clopidogrel à une quelconque utilisation bénéficiant de l’une ou l’autre de ces dérogations. Elle ne cite aucun fait substantiel concernant un objet particulier de recherche-développement ou une opération déterminée de contrôle de qualité interne ou externe, pas plus qu’elle ne précise sous le régime de quelles dispositions réglementaires étrangères le clopidogrel aurait été utilisé. Apotex ne précise pas non plus les quantités pour lesquelles elle demande chaque dérogation.

 

[17]           Ces questions ne relèvent pas de la communication préalable, en particulier s’agissant d’une instance rationalisée. Les actes de procédure ont pour fonction de définir les faits que les parties ont l’intention de prouver à l’instruction. Ils ont aussi pour fonction de définir le champ et de délimiter la portée de la communication préalable. Dans la forme proposée, l’allégation considérée ne permet pas du tout de savoir si les dérogations sont demandées pour un kilogramme ou une tonne de clopidogrel, ou pour un ou quatre‑vingt‑dix pour cent de la production d’Apotex, ni s’il existe des faits substantiels qui étaieraient son affirmation qu’elle a effectivement utilisé une quantité de ce produit, quelle qu’elle soit, à l’une ou l’autre des fins évoquées. La modification proposée fait de l’utilisation de chaque gramme de clopidogrel produit par Apotex un sujet potentiel d’interrogatoire préalable. Elle écarte la possibilité que Sanofi, ayant examiné les quantités et les objets spécifiés et les estimant raisonnables, rétrécisse la portée de la procédure écrite et de la communication préalable en reconnaissant à Apotex le bénéfice de tout ou partie des dérogations invoquées. En conséquence, la Cour autorise la modification proposée, mais à la condition qu’Apotex précise les quantités respectivement visées par les dérogations et les faits substantiels qu’elle invoque au soutien de chacune de celles‑ci.

 

La déclaration de non-contrefaçon relative aux autres sels

 

[18]           Apotex avait déjà demandé une déclaration de non-contrefaçon à l’égard du sel de bésylate sur le fondement des mêmes allégations d’[TRADUCTION]« intention » dans son action T‑644‑09. Sanofi n’avait pas alors sollicité la radiation de l’acte de procédure, et il ne lui est pas permis de profiter ici de la volonté d’Apotex de transporter les mêmes allégations de sa déclaration afférente à l’action T‑644‑09 à sa demande reconventionnelle à l’action T‑933‑09 pour contester tardivement le caractère suffisant de ces allégations. De même, la Cour a examiné la requête de Sanofi en production d’un affidavit de documents plus  exact et plus complet en se fondant sur le principe que les parties avaient convenu qu’Apotex pourrait modifier, et modifierait en fait, ses conclusions du dossier T‑644‑09 de manière à y ajouter une demande en déclaration de non-contrefaçon à l’égard du sel bromhydrate, qui serait fondée selon toute probabilité sur les mêmes allégations d’intention que celles formulées à propos du sel de bésylate. L’objection de Sanofi est donc hors délai et irrecevable.

 

[19]           Bien que Sanofi n’ait pas soulevé la question dans la présente requête, je note qu’en déplaçant sa demande en déclaration de non-contrefaçon de l’action T‑644‑09 (où seule Apotex Inc. était demanderesse) pour l’inscrire dans une demande reconventionnelle à l’action T‑933‑09 (où Apotex Inc. et Apotex Pharmachem Inc. sont défenderesses), Apotex a inclus Apotex Pharmachem Inc. dans le champ de la déclaration de non-contrefaçon qu’elle sollicite : 

[TRADUCTION]

 

121.     Les défenderesses (demanderesses reconventionnelles) Apotex sollicitent :

 

[...]

b)         une ordonnance disposant que leur clopidogrel [...] ne contrefera pas [...]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[20]           Or les allégations de fait formulées à l’appui de cette demande, importées de l’action T‑644‑09, ne concernent que le produit d’Apotex Inc. et la fabrication prévue par elle. On ne trouve aucune allégation relative aux opérations de fabrication ou de vente prévues par Apotex Pharmachem. La demande en déclaration de non-contrefaçon du produit d’Apotex Pharmachem est donc à l’évidence insoutenable, puisqu’il n’est pas allégué de faits substantiels relativement à cette société. La modification proposée à l’alinéa 121b) devrait donc être reformulée de manière à ne s’appliquer qu’à Apotex Inc.

 

Le moyen de défense fondé sur la prescription

 

[21]           Bien que l’article 55.01 de la Loi sur les brevets prévoie une prescription de six ans, les parties s’accordent à reconnaître qu’on pourrait interpréter les dispositions transitoires relatives à cet article comme excluant de son champ d’application les actions en contrefaçon de brevets délivrés sous le régime de l’« ancienne Loi ». Sanofi soutient bien sûr que, si on les interprète correctement, les dispositions transitoires commandent l’application de l’article 55.01 à la présente espèce, mais elle a admis avec raison à l’audience que la thèse contraire d’Apotex est au moins défendable.

[22]           Apotex souhaite plaider que, si l’article 55.01 n’est pas d’application, la prescription de deux ans prévue par la Loi sur la prescription des actions de l’Ontario est applicable, étant donné que le « fait générateur » est survenu entièrement en Ontario. À cette fin, elle désire ajouter les allégations de fait qui suivent :

 

[traduction]

« 59.    La fabrication, la vente ou l’utilisation du clopidogrel ou d’un produit contenant du clopidogrel par Apotex Inc. ou Apotex Pharmachem ont été effectuées en Ontario exclusivement. Toute fabrication, toute vente ou toute utilisation du clopidogrel ou d’un produit contenant du clopidogrel par Apotex Inc. ou Apotex Pharmachem à l’extérieur de l’Ontario, ce qui est nié, ne constituent pas une contrefaçon du brevet 777.

 

60.       Plus précisément en ce qui concerne les É.‑U., les défenderesses Apotex déclarent qu’en tout temps avant le 9 juin 2007, les demanderesses savaient que le produit américain Apo‑clopidogrel :

 

(a)                N’avait rien à voir avec Apotex Pharmachem;

(b)               Était fabriqué, vendu et utilisé (le cas échéant) par Apotex Inc. seulement en Ontario, Canada. »

 

[23]           Sanofi soutient que l’application d’un délai de prescription provincial est subordonnée à la condition que tous les éléments constitutifs du fait générateur soient survenus dans la province en question, notamment le dommage subi et l’acte qui l’a causé : Canada c. Maritime Group (Canada) Inc., [1995] 3 C.F. 124. Elle fait valoir que les conclusions proposées par Apotex sont incomplètes et insuffisantes, au motif qu’elles ne précisent pas où l’exportation (acte contrefaisant expressément allégué) a été faite ni où le dommage a été subi.

 

[24]           Pour ce qui concerne le lieu où le dommage a été subi, Sanofi affirme, mais sans citer à cet égard de jurisprudence ni de doctrine, que le lieu du dommage est nécessairement celui où l’entreprise demanderesse est sise. En supposant – mais sans décider la question – que cette thèse soit évidente en droit, ce qui n’est pas évident est que l’existence d’un dommage soit un élément nécessaire ou essentiel du « fait générateur » d’une action en contrefaçon de brevet. La décision Canada c. Maritime Group portait sur un délit civil, et la Cour y a expressément conclu que le dommage (en l’occurrence, la perte d’un navire en haute mer) constituait effectivement un élément essentiel du délit, sans lequel il n’y aurait pas eu de fait générateur. Cependant, il n’est pas évident pour moi qu’une perte pécuniaire soit un élément essentiel du fait générateur d’une action en contrefaçon de brevet ou une condition essentielle à l’introduction d’une telle action. En effet, l’injonction est l’une des mesures de redressement que permet une action de cette nature, qu’une perte ait ou non été subie. Il est vrai que Sanofi réclame également des dommages-intérêts en l’occurrence, mais je ne puis souscrire à l’idée que le simple fait que l’octroi de dommages-intérêts soit une mesure de redressement possible signifie à l’évidence que, pour l’application du paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales, le préjudice ainsi indemnisable puisse être défini comme un élément constitutif du fait générateur, de telle sorte que le lieu où il a été subi déterminerait le délai de prescription applicable.

 

[25]           Les conclusions proposées par Apotex ne sont donc pas manifestement insuffisantes en droit au motif qu’elles n’allèguent pas que le dommage a été subi en Ontario.

 

[26]           J’examinerai maintenant le fait que les conclusions proposées par Apotex ne précisent pas le lieu où l’exportation, en tant qu’acte contrefaisant allégué, a été faite. Lesdites conclusions contiennent une déclaration claire comme quoi c’est en Ontario, et en Ontario seulement, qu’Apotex a effectué toutes ventes de clopidogrel qu’on pourrait lui attribuer. Par conséquent, la position adoptée par Apotex dans son acte de procédure nie et conteste qu’elle ait exporté tant soit peu de clopidogrel, de sorte que son moyen de défense fondé sur la prescription serait complet dans la forme où il ne précise pas le lieu où elle aurait effectué des exportations, qu’elle nie fondamentalement avoir faites.

 

[27]           L’acte de procédure proposé contient de nouvelles admissions à l’effet qu’Apotex Pharmachem a fabriqué le produit en vrac en Ontario et a vendu et livré ce produit à Apotex Inc. en Ontario (paragraphe 6), qu’Apotex Inc. a transformé un produit en vrac à base de clopidogrel en comprimés en Ontario, que ni Apotex Inc. ni Apotex Pharmachem n’ont mis en marché ou vendu le clopidogrel aux É.‑U. (paragraphe 7) et que les ventes aux É.‑U. ont été faites plutôt par Apotex Corp. (pas partie à la présente instance) qui a utilisé le produit d’Apotex Inc. (paragraphes 7, 15 et 19). Il s’ensuit inévitablement, selon l’acte de procédure proposé, comme l’admet Apotex Inc., que toute vente qu’elle a effectuée a été faite en Ontario, que toutes les ventes par Apotex Inc. de produits vendus en bout de ligne aux É.‑U. ont été effectuées en Ontario, soit directement par Apotex Corp. ou par un intermédiaire, et que toute exportation a par conséquent été faite par Apotex Corp. ou cet intermédiaire.

 

[28]           La conclusion proposée au paragraphe 59 ne se limite pas aux produits en fin de compte vendus aux États-Unis, mais est générale et absolue. Elle s’applique aussi aux produits en fin de compte vendus dans d’autres pays. Je suis consciente de l’ambiguïté potentielle des allégations du paragraphe 16, relatif aux autres pays. Ce paragraphe porte ce qui suit : [TRADUCTION] « Les défenderesses Apotex contestent que les demanderesses aient été lésées par la vente à Hong Kong, en Nouvelle-Zélande, en Iran, en Libye, en Malaisie et à Singapour de bisulfate de clopidogrel produit au Canada. Les exportations qu’Apotex Inc. aurait faites dans les pays susénumérés n’ont pas entraîné de ventes au Canada. » Si on le lit hors de son contexte, on pourrait penser que ce passage implique qu’Apotex Inc. reconnaît avoir peut-être exporté le produit vers ces autres pays et l’y avoir peut-être vendu, mais en affirmant que ces ventes n’ont pas été effectuées au Canada. Cependant, les modifications les plus récentes, claires et dénuées d’ambiguïté – [TRADUCTION] « la vente [...] par Apotex Inc. [...] (a été effectuée) en Ontario exclusivement » et « toute vente [...] par Apotex Inc. [...] à l’extérieur de l’Ontario, ce qui est nié [...] » –, l’emportent sur les phrases ambiguës qui précèdent et en dissipent l’ambiguïté. Il faut donc interpréter le paragraphe 16 comme disant simplement que si la Cour concluait qu’Apotex a exporté le produit, les ventes qui en auraient découlé à l’étranger (ventes nécessairement effectuées par un tiers puisque Apotex nie avoir jamais vendu en dehors de l’Ontario) ne peuvent être assimilées à des ventes effectuées au Canada. Cette interprétation s’harmonise tout à fait avec le contexte puisque, selon le paragraphe 59, la vente du produit par Apotex et sa perte de la propriété de celui‑ci auraient eu lieu en Ontario, avant l’exportation.

[29]           J’estime donc que, même pour ce qui concerne l’exportation supposée de clopidogrel pour vente dans d’autres pays que les États-Unis, le fait qu’Apotex n’ait pas spécifié dans ses conclusions le lieu de ladite exportation n’invalide pas son moyen fondé sur la prescription.

 

[30]           Je note en passant que les nouvelles conclusions écrites et l’aveu selon lequel toutes les ventes de clopidogrel effectuées par Apotex l’ont été au Canada présentent la possibilité de réduire sensiblement le nombre des questions en litige et la portée de la communication préalable, en tout cas si Sanofi accepte l’aveu d’Apotex comme quoi toutes ses ventes ont eu lieu en Ontario. En effet, je crois comprendre qu’une grande partie de la communication préalable de documents a porté sur la question du lieu précis où les ventes ont été faites, les conclusions antérieures d’Apotex paraissant nier qu’elle eût vendu tant soit peu au Canada.

 

La compensation : compétence et principes généraux

 

[31]           Les modifications proposées par Apotex font valoir trois nouveaux moyens de défense relevant de la compensation : l’un fondé sur l’[TRADUCTION]« indemnité de rupture » de l’accord de règlement amiable de mars 2006 que Sanofi lui devrait, un autre fondé sur le délit civil de dol et le troisième alléguant le délit civil d’abus de procédure.

 

[32]           L’avocat représentant Apotex à l’audience a admis que la prétention de dol et la réclamation en « indemnité de rupture » ne relèveraient pas de la compétence de notre Cour si elles s’inscrivaient dans le cadre d’actions indépendantes ou de demandes reconventionnelles. Cependant, a fait valoir Apotex, la Cour peut valablement prononcer sur ces deux prétentions, malgré son incompétence sur leur objet, au motif qu’elles sont ici présentées dans le cadre d’un moyen de défense relevant de la compensation plutôt que comme demandes reconventionnelles indépendantes.

 

[33]           Je considère aussi comme soutenable l’idée qu’on pourrait peut-être avancer devant notre Cour comme moyens de défense fondés sur la compensation des prétentions réciproques découlant d’objets qui outrepasseraient sa compétence, mais seulement à la condition, et à la condition absolue, que ces prétentions remplissent les critères nécessaires selon la jurisprudence pour constituer des moyens de défense fondés sur la compensation en equity.

 

[34]           La compensation peut être définie en général comme le processus par lequel deux réclamations pécuniaires réciproques sont portées en déduction l’une de l’autre de manière à produire un solde avant que l’une ou l’autre des parties soit tenue d’exécuter son obligation envers la partie adverse. L’essence de la compensation est l’existence de prétentions réciproques, c’est‑à‑dire l’existence – ou l’affirmation de l’existence – de réclamations pécuniaires réciproques.

 

[35]           Le droit canadien reconnaît deux formes générales de compensation : la compensation légale et la compensation en equity. S’il semble que la compensation en equity puisse constituer un moyen de défense de fond, il est évident que la compensation légale est un moyen de défense procédural et non un moyen de défense de fond contre une action.

 

[36]           L’évolution du droit de la compensation, en particulier de la compensation légale, telle qu’elle est récapitulée dans l’arrêt de la Cour suprême Holt c. Telford, [1987] 2 R.C.S. 193, et analysée par Kelly R. Palmer aux pages 5 à 9 de The Law of Set-Off in Canada (Aurora, Canada Law Books Inc., 1993), montre à l’évidence que cet instrument a été créé et développé comme moyen procédural pour permettre le règlement en une seule audience et par un seul jugement de réclamations pécuniaires réciproques, de manière à prévenir la multiplication des instances, ressemblant beaucoup en cela au droit procédural de faire valoir une prétention réciproque sous forme de demande reconventionnelle. La nature procédurale de la compensation est confirmée par le fait que, établie à l’origine par une loi anglaise déterminée, elle se retrouve maintenant en général, au Canada aussi bien qu’en Angleterre, dans les lois sur l’organisation judiciaire ou les règles des tribunaux judiciaires, par exemple à l’article 186 des Règles des Cours fédérales. Un fait tout aussi révélateur à cet égard est que les lois établissant le droit de faire valoir une réclamation pécuniaire réciproque comme « moyen de défense » fondé sur la compensation donnent en général le choix de présenter cette réclamation sous la forme d’un moyen de défense ou d’une demande reconventionnelle, la principale différence pratique étant que la demande reconventionnelle donnera lieu à un jugement distinct et à une décision distincte d’attribution des dépens, tandis que le moyen de défense fondé sur la compensation fera l’objet du jugement d’ensemble et de l’adjudication globale des dépens.

 

[37]           Le fait qu’on ait élaboré un instrument procédural en vue d’établir l’existence ou l’inexistence d’un droit déterminé ne fait pas de cet instrument un droit de fond ou un moyen de défense de fond. Le droit de poursuivre une réclamation pécuniaire en tant que demande de compensation n’enlève rien au fait que la créance qu’on revendique ainsi doit encore être examinée et jugée par la Cour, et que, si sa validité est établie, elle sera exécutée par la réduction du montant que la Cour aurait dans le cas contraire attribué au demandeur. L’établissement d’un instrument procédural en vue de faire valoir un droit n’investit pas la Cour de la compétence, dont elle serait dépourvue s’il n’existait pas, pour connaître de la question de fond portée devant elle au moyen de cet instrument et faire exécuter sa décision à cet égard. Permettre que soit avancée et décidée une réclamation pécuniaire réciproque comme moyen de défense contre une action intentée devant notre Cour alors qu’elle ne pourrait être avancée devant elle ni décidée par elle en tant que demande reconventionnelle, simplement parce que l’article 186 des Règles des Cours fédérales prévoit cet instrument procédural, reviendrait à permettre à la Cour de faire indirectement ce qu’elle ne peut faire directement et à poser qu’il lui est loisible, par le moyen d’une simple règle de procédure, de se donner une compétence qu’aucune loi ne lui reconnaît par ailleurs.

 

[38]           Comme je le disais plus haut, il est au moins soutenable qu’un moyen de défense fondé sur la compensation qui remplit les critères de la compensation en equity pourrait être considéré comme un moyen de défense de fond, et donc susceptible d’examen et de décision par notre Cour, même dans le cas où, pris isolément, il ne relèverait pas de sa compétence.

 

[39]           Les critères applicables à la compensation en equity, tels qu’ils sont formulés à la page 22 de Coba Industries Limited c. Millie’s Holdings (Canada) Limited and Tsang [1985] 6 W.W.R. 14, et approuvés par la Cour suprême du Canada à la page 213 de Holt c. Telford, sont les suivants :

[TRADUCTION]

 

1. La partie qui invoque la compensation doit établir qu’il existe un motif en equity de la protéger contre les revendications de son adversaire : Rawson v. Samuel, (1841) Cr. & Ph. 161, 41 E.R. 451 (L.C.).

 

2. Le motif d’equity susmentionné doit toucher le fondement même de la réclamation du demandeur pour que la compensation soit recevable : [British Anzani].

 

3. Une demande de compensation doit être reliée si clairement avec la réclamation du demandeur qu’il serait manifestement injuste de permettre au demandeur d’exiger le paiement sans qu’on tienne compte de la demande de compensation : [Federal Commerce & Navigation Ltd.].

 

4. Il n’est pas nécessaire que la réclamation du demandeur et la demande de compensation résultent du même contrat : Bankes v. Jarvis, [1903] 1 K.B. 549 (Div. Ct.); Br. Anzani.

 

5. Les réclamations de sommes non déterminées sont sur un pied d’égalité avec les réclamations de sommes déterminées : [Nfld. v. Nfld. Ry. Co.].

[Non souligné dans l’original.]

[40]           Il apparaît que la condition suivant laquelle le motif en equity doit toucher le fondement même de la réclamation du demandeur est le facteur qui élève la compensation en equity au niveau d’un moyen de défense de fond, permettant qu’on demande une telle compensation même lorsque la réclamation réciproque serait par ailleurs inexécutable au motif de la prescription – contrairement à la compensation légale, sur laquelle l’expiration d’un délai de prescription a une incidence; voir Canada Trustco. Mortgage Co. c. Pierce Estate; Pierce c. Canada Trustco. Mortage Co. (2005) 254 D.L.R. (4th) 79, 197 O.A.C.  69) –, et permettant aussi qu’on y ait recours même contre un cessionnaire, sans que s’applique la condition de la réciprocité à laquelle est subordonnée la compensation légale, comme dans Holt c. Telford. L’idée que la compensation en equity puisse être considérée comme un véritable moyen de défense de fond, développée non sans hésitation au Canada dans The Law of Set-Off in Canada (pages 9 à 12), paraît maintenant généralement admise; voir l’examen le plus récent de cette question aux paragraphes 636 à 639 de la décision Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. 2009 CF 991. On en trouvera aussi une analyse aux pages 93 à 105 de R. Derham, The Law of Set-Off, Oxford, Oxford University Press, 2003. S’il reste à répondre à la question particulière de savoir si le fait que la compensation en equity puisse être considérée comme un moyen de défense de fond l’emporterait sur l’absence de compétence de la Cour touchant l’objet de la réclamation réciproque, j’estime que la réponse par l’affirmative est au moins soutenable, étant donné les analyses qu’on trouve, entre autres, dans les décisions suivantes : Innovation and Development Partners/IDP Inc. c. Canada, [1992] A.C.F. no 203; Castlemore Marketing Inc. c. Intercontinental Trade and Finance Corp., [1996] A.C.F. no 302; et Bristol-Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., 2008 CF 1196.

 

[41]           J’estime en conséquence que, dans la mesure où l’on pourrait soutenir que l’une ou l’autre des demandes de compensation d’Apotex relève de l’equity, il n’est pas évident que notre Cour n’aurait pas compétence pour l’examiner en tant que moyen de défense contre l’action en contrefaçon de Sanofi. Cependant, s’il se révèle évident que la demande de compensation examinée ne remplit pas les critères de l’equity et outrepasse par ailleurs la compétence de notre Cour, celle‑ci devra se déclarer incompétente sur cette demande et la radier.

 

[42]           J’examinerai maintenant une à une les demandes de compensation qu’Apotex souhaite faire valoir.

 

L’« indemnité de rupture » afférente à l’accord de mars 2006

 

[43]           Apotex fait valoir qu’elle a conclu avec Sanofi une série d’accords liés entre eux (les accords de 2006) dans le but de régler à l’amiable le différend qui les opposait devant la justice américaine à propos du clopidogrel, la drogue en litige dans la présente action. Apotex a invoqué les accords de 2006 dans la première version de sa défense, exception faite de l’allégation que l’accord de 2006 interdit à Sanofi de lui réclamer devant notre Cour l’indemnisation des ventes de clopidogrel aux États-Unis, et de la prétention que l’action de Sanofi [TRADUCTION] « fondée sur des torts supposés relevant de ce rapport contractuel » constitue un abus de procédure, Sanofi ayant avec succès excipé de l’incompétence du tribunal ontarien lorsque Apotex avait essayé de faire ordonner le paiement de l’[TRADUCTION]« indemnité de rupture » afférente à l’accord de mars 2006.

 

[44]           C’est cette « indemnité de rupture » même qu’Apotex souhaite maintenant faire porter en déduction de la réclamation de Sanofi en dommages-intérêts pour contrefaçon.

 

[45]            Si l’« indemnité de rupture » fait partie des accords de 2006 par lesquels, selon Apotex, Sanofi s’est engagée à limiter toute réclamation [TRADUCTION] « liée » aux ventes contrefaisantes effectuées aux États-Unis, il est clair que cette « indemnité », qu’Apotex déclare lui être due en vertu de l’accord de mars 2006, n’a absolument rien à voir avec de quelconques ventes aux États-Unis ni donc avec de quelconques actes de contrefaçon supposée ou réelle. Selon l’accord de mai 2006 tel qu’il est interprété dans l’acte de procédure, il suffisait que le procureur général d’État refusât d’entériner le règlement amiable y consigné pour que Sanofi devînt redevable à Apotex de l’« indemnité de rupture », que cette dernière décidât ou non de lancer son produit [TRADUCTION] « à ses risques » aux États-Unis. Il est évident que la réclamation contractuelle de l’« indemnité de rupture » n’a absolument aucun lien avec la réclamation de Sanofi pour contrefaçon. Il est tout aussi évident que cette réclamation contractuelle n’est pas fondée en equity et que le fait que Sanofi devrait l’« indemnité de rupture » à Apotex n’invalide en rien sa propre réclamation pour contrefaçon. Il est par conséquent évident que  le moyen de défense fondé sur la compensation qui allègue le droit à une « indemnité de rupture » ne peut être considéré comme relevant de la compensation en equity.

 

[46]           Ainsi que l’avocat d’Apotex l’a admis à l’audience, la réclamation de l’« indemnité de rupture » est de nature contractuelle, et notre Cour n’aurait pas compétence pour la juger en tant que demande reconventionnelle ni en tant qu’action indépendante. Pour les motifs exposés ci‑dessus, j’estime que la Cour n’a pas compétence non plus pour la juger dans le cadre d’un moyen de défense fondé sur la compensation.

 

[47]           Pour le cas où je me tromperais sur ce point, j’ajouterai qu’il est manifestement abusif et vexatoire de réclamer l’« indemnité de rupture » en tant que compensation dans la présente action. Apotex admet dans ses conclusions écrites qu’elle a essayé de faire valoir cette réclamation devant la justice ontarienne et que la Cour supérieure de l’Ontario, dont la décision a été confirmée en appel, a statué qu’elle n’avait pas compétence pour la juger et que l’Ontario était à cet égard un forum non conveniens. Apotex admet aussi dans les conclusions proposées qu’entre-temps, il y a plus de douze mois, elle a  intenté contre Sanofi devant la Cour supérieure du New Jersey une action en vue de recouvrer cette même créance et qu’elle poursuit actuellement cette action. On ne saurait imaginer aucune raison justifiant de demander à notre Cour de prononcer sur une réclamation qui est déjà activement poursuivie dans un autre for, avec le risque évident de jugements contradictoires que cela comporte. Qu’Apotex porte ce différend devant notre Cour afin d’en obtenir un jugement parallèle est d’autant plus nettement abusif que non seulement la Cour supérieure de l’Ontario, mais aussi la Cour fédérale des États-Unis, ont conclu que la Cour supérieure du New Jersey était le tribunal le mieux placé pour le juger, ainsi qu’Apotex l’admet elle-même dans les conclusions qu’elle propose.

 

[48]           La modification proposée par Apotex en vue de faire examiner la réclamation de l’« indemnité de rupture » comme demande de compensation est à l’évidence abusive et vexatoire.

 

Le délit civil de dol

 

[49]           Apotex soutient dans son moyen de défense principal que les accords de 2006 régissent toutes réclamations liées à la vente aux États-Unis de clopidogrel fabriqué par elle-même au Canada, y compris celles que Sanofi fait valoir dans la présente action. Plus précisément, elle soutient que Sanofi, par la [TRADUCTION] « clause sur le risque de responsabilité » contenue dans l’accord de mai 2006, s’est engagée à limiter à cinquante pour cent du chiffre net des ventes de clopidogrel effectuées aux États-Unis par Apotex son indemnisation relative aux ventes aux États-Unis de clopidogrel contrefaisant  produit par Apotex au Canada. La modification proposée comporte aussi de nombreux éléments à l’appui de l’affirmation d’Apotex comme quoi la clause sur le risque de responsabilité, que ce soit explicitement, par interprétation contextuelle ou implicitement, s’applique à la présente action pour ce qui concerne le clopidogrel en fin de compte vendu aux États-Unis.

 

[50]           La demande de compensation fondée sur le délit civil est un moyen de défense subsidiaire au moyen susdit. Ce moyen subsidiaire est essentiellement que, si la clause sur le risque de responsabilité n’a pas pour effet de limiter l’indemnisation de Sanofi comme Apotex le soutient, cette dernière subira un préjudice équivalent à la différence entre le montant octroyé à Sanofi dans la présente action au titre du clopidogrel en fin de compte vendu aux États-Unis et le montant auquel elle avait droit à l’égard de ces ventes dans l’instance américaine, ladite clause étant appliquée. Selon Apotex, Sanofi a manqué à une obligation de diligence envers elle en l’induisant en erreur touchant la signification et l’application de la clause sur le risque de responsabilité, en ce qu’elle l’a amenée à croire que cette clause s’appliquerait aux actions en contrefaçon intentées à l’extérieur des États-Unis telle que la présente et que, consciente de cette supposition erronée d’Apotex, elle n’avait pris aucune mesure pour l’éclairer. Apotex soutient en outre que si Sanofi ne l’avait pas ainsi induite en erreur, c’est‑à‑dire si elle avait su que la clause sur le risque de responsabilité ne s’appliquerait pas à une action canadienne en contrefaçon, elle n’aurait pas lancé son produit aux États-Unis et ne risquerait pas d’avoir à verser des dommages-intérêts au titre de ces ventes.

 

[51]           Apotex définit ces conclusions comme fondées sur le délit civil de dol. L’avocat d’Apotex, tout en reconnaissant que ce délit ne serait pas du ressort de la Cour s’il était invoqué dans le cadre d’une demande reconventionnelle, a soutenu que ces conclusions équivalent à un moyen de défense de fond basé sur la compensation en equity et que le délit civil peut donc en tout état de cause être invoqué sous le chef de la demande de compensation. Apotex soutient essentiellement que, s’il n’y avait pas eu dol, elle n’aurait tout simplement pas commis d’actes contrefaisants, de sorte que selon elle il existe un lien manifeste entre la réclamation pour contrefaçon de Sanofi et le dol dont elle l’accuse, qui donc toucherait au fondement même de cette réclamation et rendrait injuste de lui accorder une indemnisation à ce titre.

 

[52]           Je doute très sérieusement que cette demande de compensation relève de l’equity, étant donné que, malgré le lien de cause à effet invoqué par Apotex, le délit civil supposé n’invalide pas la réclamation pour contrefaçon de brevet ni ne tend aucunement à infirmer qu’il y ait effectivement eu contrefaçon. Apotex n’allègue pas ainsi que Sanofi l’ait incitée ou poussée à la contrefaçon comme telle ni que celle‑ci en soit justifiée. Par cet argument, Apotex reconnaît plutôt fondamentalement qu’elle a lancé le produit à ses risques de son plein gré et que les deux parties avaient prévu que ce lancement donnerait lieu à au moins une réclamation en dommages-intérêts pour contrefaçon. Le dol allégué ne concerne pas le point de savoir si le brevet était valide ou serait contrefait, mais simplement le montant de l’indemnité qu’Apotex aurait à verser lorsqu’un tribunal statuerait, ou si un tribunal statuait, que le brevet était valide et avait été contrefait. Cependant, je n’ai pas à me prononcer sur le caractère soutenable ou non de l’affirmation d’Apotex comme quoi le dol supposé constituerait un moyen de défense de fond basé sur la compensation en equity, puisque je suis par ailleurs convaincue que sa demande de compensation ne peut être accueillie sur le fondement des faits invoqués, et est en outre scandaleuse et vexatoire.

 

[53]           Le délit civil de dol se distingue du délit civil d’assertion négligente et inexacte en ce qu’il comporte nécessairement un élément de tromperie ou de faute morale. En effet, les tribunaux ont établi que le dol donnait lieu à une responsabilité pour perte économique plus de quatre-vingts ans avant de reconnaître enfin le caractère indemnisable d’une perte économique causée par une assertion négligente et inexacte. Les éléments essentiels du délit civil de dol sont les suivants : une déclaration fausse, la connaissance de sa fausseté, l’intention de tromper, le fait que le demandeur ait agi sur la foi de cette déclaration et le fait qu’il ait subi un préjudice en conséquence de l’action ainsi déterminée : G.H.L. Fridman, The Law of Torts in Canada, 2e éd., Toronto, Carswell, 2002, page 747.

 

[54]           Contrairement à l’assertion négligente et inexacte, dont peuvent dans certains cas relever les conseils ou les promesses, [TRADUCTION] « [l]e dol ne concerne que les déclarations de fait, et non les opinions, les estimations, les conseils ou les promesses » (Fridman, page 748).

 

[55]           Apotex n’allègue absolument nulle part dans les conclusions proposées que Sanofi lui ait à aucun moment adressé une quelconque déclaration de fait, encore moins une fausse déclaration de fait, que ce soit par action ou par omission. Les conclusions proposées manquent donc d’invoquer un élément essentiel du délit civil de dol, de sorte qu’il est absolument impossible qu’elles soient accueillies.

 

[56]           Bien qu’Apotex n’ait pas soutenu devant moi que les conclusions proposées pourraient par ailleurs étayer une demande fondée sur le délit civil d’assertion négligente et inexacte, je les examinerai aussi de ce point de vue.

 

[57]           Les éléments constitutifs du délit civil d’assertion négligente et inexacte sont les suivants : une obligation de diligence fondée sur l’existence de rapports particuliers entre l’auteur de l’assertion et son destinataire, une assertion fausse, inexacte ou susceptible d’induire en erreur, la négligence commise en faisant l’assertion, le fait que le destinataire ait raisonnablement fondé son action sur l’assertion et le fait qu’il en soit résulté pour lui un préjudice (Fridman, page 610).

 

[58]           Les conclusions proposées portent qu’Apotex et Sanofi [TRADUCTION] « avaient des rapports suffisamment étroits pour qu’il fût raisonnablement prévisible que si [Sanofi] induisait Apotex en erreur au sujet de la clause sur le risque de responsabilité [...] cette dernière en subirait un préjudice ». Apotex n’invoque cependant pas, dans les conclusions proposées qui sont censées concerner cette demande de compensation, de faits sur la base desquels on puisse conclure à l’existence de rapports particuliers ou d’une prévisibilité raisonnable. On n’y trouve pas non plus d’allégations, générales ou particulières, comme quoi Apotex aurait effectivement fondé son action sur les assertions de Sanofi touchant l’effet de la clause susdite ou exposant en quoi il eût été raisonnable qu’elle le fît.

 

[59]           Si on lit les conclusions proposées dans leur ensemble et leur donne une interprétation aussi généreuse que possible, les seules allégations de fait qu’on y trouve qui puissent concerner les rapports, la prévisibilité du préjudice, la créance accordée aux fins de l’action ou le caractère raisonnable de cette créance sont celles des paragraphes 23 à 55. Fondamentalement, ces paragraphes portent qu’Apotex et Sanofi s’opposaient devant la justice américaine depuis 2002 au sujet de la validité et de la contrefaçon du brevet américain correspondant au brevet en litige dans la présente espèce, que les parties ont ouvert en janvier 2006 des négociations dans le but de régler leur différend à l’amiable, qu’elles se sont rencontrées quatre fois à cette fin entre le 31 janvier et mars 2006 (les avocats des deux parties étant présents à chacune de ces rencontres), qu’au cours de ces réunions, Apotex a expressément posé comme condition au règlement que Sanofi prévît de limiter sa responsabilité pécuniaire dans le cas où elle commencerait à effectuer aux États-Unis des ventes susceptibles de se révéler contrefaisantes, que Sanofi s’est déclarée disposée à négocier une telle condition, que ces négociations ont donné lieu à l’accord de mars 2006, que les autorités réglementaires américaines ont refusé d’entériner cet accord et que les parties ont en conséquence mené de nouvelles négociations, qui se sont traduites par la conclusion de l’accord de mai 2006.

 

[60]           Il saute aux yeux que les rapports décrits par ces allégations de fait sont ceux de deux sociétés pharmaceutiques qui s’opposent devant les tribunaux et qui, avec l’aide de leurs avocats respectifs, négocient et concluent un accord de règlement amiable.

 

[61]           Comme je le disais plus haut, le dol ou l’assertion inexacte supposés ne concernent aucune déclaration de fait de Sanofi à Apotex, mais l’effet et l’application des clauses de l’accord issu de leurs négociations. Il n’est pas raisonnablement possible qu’un juge conclue des faits susdits à l’existence de rapports dans le cadre desquels Sanofi pût prévoir qu’Apotex fonderait son action sur une quelconque déclaration qu’elle aurait pu lui adresser touchant l’effet de l’une ou l’autre des clauses de l’accord à négocier, ou au caractère raisonnable d’une telle créance. On ne peut attendre d’une partie à un différend qu’elle sache ou prévoie que la partie adverse se fiera aveuglément à ses déclarations, en particulier s’agissant de questions de droit ou d’interprétation d’un contrat : Fridman, page 362; voir aussi par exemple Dorsch c. Weyburn (City) (1985) 23 DLR (4th) 379 (Sask.), paragraphe 35, et Silzinger c. C.K. Alexander Ltd., [1972] 1 O.R. 720.

 

[62]           En outre, Apotex n’allègue aucune déclaration de Sanofi sinon celle comme quoi elle était disposée à négocier la limitation demandée par Apotex de sa responsabilité pécuniaire, déclaration faite avant la conclusion du premier accord.

 

[63]           Même au prix d’un gros effort d’imagination, on ne peut assimiler l’expression de la volonté de négocier une exigence posée par le partenaire de négociations à l’expression d’un acquiescement à cette exigence ou à une déclaration comme quoi toute entente qui sera en fin de compte conclue satisfera à cette exigence. Les conclusions proposées n’allèguent donc aucun fait dont on puisse conclure que Sanofi se serait rendue coupable d’une déclaration fausse, inexacte ou susceptible d’induire en erreur.

 

[64]           Il est en outre à noter qu’Apotex n’allègue pas qu’elle ait été induite sur la foi d’une assertion inexacte à signer ou à conclure les accords de mars ou de mai 2006, ni qu’elle ait subi un préjudice par suite de la conclusion de ces accords. Elle n’allègue pas que, n’eut été l’assertion inexacte de Sanofi, elle n’aurait pas conclu ces accords. Apotex fait plutôt valoir que, si Sanofi ne l’avait pas induite en erreur touchant l’effet de ces accords, elle aurait décidé de ne pas lancer son produit à ses risques ou d’en commencer la vente aux États-Unis et par conséquent n’aurait pas contrefait le brevet. Il est absolument impossible que Sanofi ait induit Apotex en erreur, ou lui ait adressé une assertion, touchant l’interprétation et l’effet d’un contrat avant que ce contrat ne fût consigné par écrit ou signé. Par conséquent, il est absolument impossible que Sanofi ait fait une assertion sur l’effet ou l’application de l’accord de 2006 avant sa conclusion. Comme Apotex n’allègue entre elle-même et Sanofi aucun contact postérieur à la passation de l’accord de mai 2006 et antérieur à ses premières ventes aux États-Unis, il est évident que les conclusions qu’elle propose n’invoquent aucun fait substantiel dont un tribunal pourrait conclure que Sanofi lui ait adressé une quelconque assertion inexacte touchant l’effet du contrat tel qu’il a été signé. En dernière analyse, les conclusions proposées ne font rien de plus qu’affirmer qu’Apotex a mal interprété ou mal compris l’effet ou l’application de la clause sur le risque de responsabilité, sans invoquer aucun fait substantiel dont on puisse conclure que Sanofi soit d’une quelconque manière responsable de cette méprise ou de cette erreur d’interprétation.

 

[65]           Enfin, les conclusions proposées par Apotex portent que celle‑ci [TRADUCTION] « a changé sa stratégie » par suite des manquements supposés de Sanofi à ses obligations et qu’elle [TRADUCTION] « n’aurait pas lancé son produit à ses risques aux États-Unis » si elle avait su que Sanofi ne souscrivait pas à l’interprétation selon laquelle la clause sur le risque de responsabilité s’appliquait aussi aux actions intentées ailleurs qu’aux États-Unis. Ces conclusions contredisent directement l’allégation expresse selon laquelle Apotex a avisé Sanofi en octobre 2005 qu’[TRADUCTION]« elle avait l’intention de lancer son produit dès que possible après l’approbation de la FDA » (paragraphe 28 des conclusions proposées). En admettant l’avoir explicitement avisée de son intention de lancer le produit à ses risques, Apotex dément toute possibilité que Sanofi puisse avoir prévu qu’elle se fonderait sur ses assertions pour décider si elle allait ou non le faire.

 

[66]           En conséquence, j’estime que la demande de compensation d’Apotex fondée sur le délit civil de dol ou celui d’assertion négligente et inexacte n’a pas la moindre chance d’être accueillie, et qu’elle est frivole et vexatoire.

 

L’abus de procédure

 

[67]           Apotex souhaite faire valoir que la présente action de Sanofi constitue un abus de procédure, lequel lui aurait causé un préjudice dont l’indemnisation devrait être portée en déduction de tout montant que la Cour octroierait à son adversaire.

 

[68]           Il n’est pas nécessaire d’examiner le point de savoir si la compensation pour abus de procédure ici demandée est assimilable à une compensation en equity ou si, dans la négative, la décision Tractor Supply Co. of Texas, LP c. TSC Stores LP, 2009 CF 154; [2009] A.C.F. n199 (confirmée en appel par 2009 CAF 352), suffit à autoriser la décision comme quoi il est soutenable que notre Cour pourrait avoir compétence sur une quelconque demande reconventionnelle alléguant l’abus de procédure, étant donné que j’estime que les conclusions proposées n’invoquent pas l’élément nécessaire de but illicite ou illégitime et qu’il est donc impossible qu’elles soient accueillies.

 

[69]           Les faits invoqués au soutien de cette prétention sont essentiellement que Sanofi ne pensait pas avoir le droit d’intenter la présente action, étant donné la clause sur le risque de responsabilité, et n’avait pas l’intention de l’intenter, qu’elle a changé d’avis quand Apotex a demandé une déclaration de non-contrefaçon et d’invalidité dans l’action T‑644‑09, que le but réel de Sanofi en introduisant la présente action était de détourner Apotex de la sienne, et que le but prédominant de la présente action est de léser financièrement Apotex en lui faisant payer plus que l’indemnisation maximale que prévoit la clause susdite. Apotex conclut que, en conséquence, elle a subi un préjudice égal à tout montant qu’elle peut se voir obligée de payer en sus de l’indemnisation qui aurait été envisagée si Sanofi avait appliqué la clause sur le risque de responsabilité.

[70]           De même que les demandes de compensation fondées sur les délits civils supposés de dol ou d’assertion négligente et inexacte, la thèse de l’abus de procédure est invoquée subsidiairement au moyen de défense basé sur l’application de la clause relative au risque de responsabilité. En effet, si la Cour interprète cette clause comme interdisant toute réclamation [TRADUCTION] « liée » aux ventes américaines, il n’y a pas de préjudice, et donc pas de délit civil.

 

[71]           Pour qu’il y ait abus de procédure, il faut que la partie en question plaide non dans le but légitime de voir accueillir ses prétentions explicites, mais en détournant « les voies de droit [...] de leur finalité ». « Ce recours [...] existe lorsqu’il est fait un usage abusif du tribunal dans le but de forcer une personne à agir complètement en dehors du cadre de la demande en justice sur laquelle le tribunal est appelé à statuer » [Levi Strauss & Co. c. Roadrunner Apparel Inc. (1997) 76 C.P.R. (3d) 129 (CAF); non souligné dans l’original].

 

[72]           La Cour d’appel fédérale formule également les observations suivantes dans le même arrêt :                

 

Il ressort d’un examen de la doctrine et de la jurisprudence que l’élément essentiel du délit d’abus de procédure est que son auteur doit avoir exercé le recours dans un but autre que celui pour lequel il était conçu, en d’autres termes, dans un but indirect, étranger, secret, irrégulier ou illicite. L’élément essentiel de ce délit est le recours abusif ou pervers à la procédure du tribunal, et il n’y a pas d’abus lorsqu’un plaideur suit une procédure régulière du tribunal jusqu’à son aboutissement normal, même lorsqu’il est animé de mauvaises intentions.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[73]           Le but irrégulier invoqué dans l’acte de procédure est celui de [TRADUCTION] « dissuader Apotex de contester la validité du brevet 777 », soit le brevet même que Sanofi affirme avoir été contrefait par Apotex, et de [TRADUCTION] « léser financièrement les défenderesses Apotex, plus précisément de les exposer à une obligation pécuniaire dépassant les sommes que prévoit la clause sur le risque de responsabilité », soit le résultat tout à fait régulier et légitime que recherche Sanofi dans la présente action. Il est évident qu’il ne peut y avoir abus de procédure lorsqu’on intente une action, comme dans le cas présent, pour faire valoir un droit en réponse à une autre action attaquant le fondement même de ce droit, ou pour obtenir du défendeur la somme même que l’action tend valablement à recouvrer. Apotex n’a invoqué aucun but indirect, étranger, secret, irrégulier ou illicite, de sorte que son moyen de défense fondé sur la compensation n’a aucune chance d’être accueilli.

 

Les circonstances des négociations ayant mené aux accords de 2006

 

[74]           Les modifications que j’examinerai maintenant se trouvent aux paragraphes 23 à 56 de l’acte de procédure proposé. Comme je le disais dans une décision antérieure sur cette affaire, les conclusions écrites d’Apotex, dans leur première forme, invoquaient exclusivement les termes explicites de l’accord de mai 2006 au soutien de l’effet de la clause sur le risque de responsabilité. Dans cette nouvelle version de ses conclusions, Apotex invoque des faits relatifs aux circonstances de la négociation et de la conclusion des accords de 2006 à l’appui de la thèse que l’accord de mai 2006 limite aussi implicitement la réparation pécuniaire que peut réclamer la demanderesse au titre des ventes liées aux États-Unis, que, en cas d’ambiguïté, les termes de l’accord de mai 2006, lus dans leur contexte, doivent être interprétés comme interdisant à Sanofi de faire valoir hors des États-Unis quelque réclamation que ce soit relative aux ventes effectuées aux États-Unis, ou que, s’ils n’ont pas explicitement cet effet, l’accord de mai 2006 comporte une clause implicite selon laquelle devrait être interdite l’introduction hors des États-Unis de demandes en réparation pécuniaire au titre de telles ventes, y compris de la présente action. Apotex souhaite aussi invoquer ces nouveaux faits à l’appui de la prétention que l’on devrait considérer la préclusion d’action hors des États-Unis comme une clause implicite de l’accord de mai 2006, sur le fondement de l’intention présumée des parties, ou encore au motif que sont subordonnées à cette hypothèse l’efficacité commerciale de l’accord ou sa juste application.

 

[75]           La plupart des modifications proposées étoffent en effet l’exposé des circonstances de la négociation et de la conclusion des accords de 2006. La première objection de Sanofi à ces nouvelles allégations était que l’accord de mai 2006 est clair et dénué d’ambiguïté, et que les circonstances extrinsèques sont à la fois inutiles à son interprétation et inadmissibles à cette fin. J’ai déclaré à l’audience que je n’étais pas disposée à conclure à l’évidence de la thèse que l’accord de mai 2006 serait clair et univoque au point de priver de pertinence les éléments de preuve tendant à éclairer le contexte dans lequel il a été négocié et conclu. Sur ce fondement, l’avocat de Sanofi a admis que les paragraphes 23 à 29 seraient recevables.

 

[76]           Sanofi maintient cependant son objection aux paragraphes 30 à 43, au motif qu’ils ne peuvent servir qu’à la production d’éléments de preuve relatifs à l’état d’esprit des parties au moment où elles ont négocié le règlement amiable. Or, fait-elle valoir, l’arrêt de la Cour suprême Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129, en particulier son paragraphe 58, déclare irrecevable la preuve relative aux intentions subjectives que nourrissaient les parties au moment de la rédaction de l’accord, en vertu de la règle d’exclusion de la preuve extrinsèque.

 

[77]           Je serais d’accord en cela avec Sanofi si l’un ou l’autre des paragraphes qu’elle attaque se rapportait effectivement aux intentions subjectives qui étaient celles des parties au moment où elles ont négocié ou signé les accords. Cependant, exception faite de certaines ambiguïtés possibles dans la formulation des paragraphes 42 et 43 des conclusions proposées – ambiguïtés qui sont expressément examinées et dissipées ci‑dessous –, j’estime que les paragraphes 30 à 43 de l’acte de procédure proposé n’invoquent ni ne mettent en litige les intentions subjectives d’Apotex ou de Sanofi.

 

[78]           Les paragraphes 30 à 38, comme l’a admis l’avocat de Sanofi, sont purement factuels. Le paragraphe 39 est celui où Apotex allègue qu’elle a posé explicitement comme condition au règlement amiable qu’une stipulation limite sa responsabilité pécuniaire éventuelle pour ce qui concerne les ventes liées aux États-Unis. Apotex, cependant, ne déclare pas qu’elle ait en fait eu l’intention de faire de cette exigence une condition du règlement, mais simplement qu’elle a déclaré avoir cette intention. Il y a une grande différence entre les deux, et je ne puis considérer comme évidente l’idée que ce qui a été dit et exprimé au cours de négociations ne puisse en aucune manière se révéler pertinent pour l’interprétation du contrat ou s’agissant d’établir avec certitude les intentions des parties en cas d’ambiguïté.

 

[79]           Quant au paragraphe 40, il porte que Sanofi s’est déclarée disposée à négocier la condition [TRADUCTION] « exigée » par Apotex. Là encore, cette allégation ne fait valoir rien de plus que ce que Sanofi a communiqué à Apotex. Les allégations concernant ce que les parties ont négocié peuvent se révéler pertinentes, ne serait‑ce qu’aux fins d’établir qu’elles ont en fait discuté la question. De telles allégations ne font pas valoir ni ne tendent à établir les intentions subjectives ou l’état d’esprit des parties ou de l’une d’elles. De même, le paragraphe 41 expose les divers mécanismes relatifs à cette question que les parties ont discutés, manifestement sans faire valoir, alléguer ni mettre en litige les intentions subjectives de l’une ou l’autre des parties.

 

[80]           La formulation des paragraphes 42 et 43, comme je le disais plus haut, n’est pas très heureuse. On y trouve notamment des passages tels que [TRADUCTION] «  l’accord des parties limitant la responsabilité pécuniaire d’Apotex » et « il était clair pour tous que la condition sur laquelle se mettre d’accord était conçue pour [...] ». De telles formules pourraient être considérées comme des allégations explicites ou implicites mettant en litige le point de savoir si les parties avaient effectivement « convenu de s’entendre » sur la condition posée par Apotex, si elles avaient convenu de limiter la responsabilité d’Apotex comme celle‑ci l’avait demandé ou si elles étaient d’accord sur la signification d’une telle condition.

 

[81]           Il convient d’examiner avec soin, avant de les autoriser, les modifications proposées aux conclusions écrites afin d’en établir les véritables objet, signification et portée, en particulier dans le contexte d’une instance rationalisée comme la présente, étant donné que les conclusions écrites définiront la portée de la communication préalable.

 

[82]           Ayant interrogé de manière approfondie l’avocat d’Apotex sur ce que ces paragraphes signifient ou ne signifient pas, je suis convaincue que le paragraphe 42 renvoie seulement à l’entente entre les parties telle qu’elle est consignée dans l’accord de mars 2006, et que ni le paragraphe 42 ni le paragraphe 43 n’allèguent, n’impliquent ou n’invoquent une entente verbale indépendante entre les parties, ni ne tendent à mettre en litige leurs intentions subjectives. Pour ce qui concerne le paragraphe 43 en particulier, il doit être interprété comme un paragraphe conclusif, exposant les conclusions qu’Apotex soutiendra devoir être tirées des faits particuliers invoqués ailleurs. Il n’est pas conçu pour contenir ou faire valoir une allégation autonome, ni pour impliquer que Sanofi se soit engagée à inclure l’exigence d’Apotex dans la forme finale de l’accord, ni pour mettre ce point en litige. Je suis parvenue à cette conclusion en me fondant non seulement sur les précisions apportées à l’audience par l’avocat d’Apotex, mais aussi sur le principe que, lorsqu’un acte de procédure contient des allégations de fait précises (comme celles, très détaillées, des paragraphes 19 à 41), elles doivent être considérées comme exhaustives, de sorte que les allégations générales ou vagues qui ne font pas référence à des faits déterminés ni n’en invoquent doivent, elles, être considérées comme particularisées par ces allégations précises invoquant des faits déterminés. Il est également à noter que, si je n’avais pas été convaincue que les paragraphes 42 et 43 ne se rapportent pas aux intentions des parties et n’élargissent pas la portée des faits invoqués ailleurs, je n’aurais pas autorisé la modification, au motif que les nouvelles allégations n’auraient pas été appuyées de précisions suffisantes sur l’état mental, contrairement à ce qu’exige l’alinéa 181(1)b) des Règles, et auraient vraisemblablement gêné le déroulement de l’instance.

 

[83]           Sanofi n’a pas élevé d’objection particulière contre les paragraphes 44 et 45. En effet, le paragraphe 44 expose simplement la position d’Apotex sur la teneur de l’accord de mars 2006, et le paragraphe 45 est purement factuel.

 

[84]           Les paragraphes 46 et 47 se rapportent seulement à l’allégation selon laquelle Sanofi doit une [TRADUCTION] « indemnité de rupture » à Apotex, et sont liés directement et uniquement à la demande de compensation de celle‑ci fondée sur le droit à cette indemnité, que j’ai déjà rejetée. Ces paragraphes sont donc dénués de pertinence et ne peuvent être inclus dans le nouvel acte de procédure proposé.

[85]           Les paragraphes 48 à 51 sont purement factuels; ils se rapportent aux circonstances de la négociation de l’accord de mai 2006 et exposent la position d’Apotex sur sa teneur. Ils sont par conséquent recevables.

 

[86]           Le paragraphe 52 invoque une entente verbale s’ajoutant à l’accord de mai 2006, selon laquelle : a) Sanofi se serait engagée à ne pas lancer de produit générique autorisé pendant la période d’exclusivité d’Apotex (dans le cas où l’accord de mai 2006 serait approuvé), et b) la signature par Apotex de l’accord de mai 2006 ne devait pas être considérée comme une renonciation à son [TRADUCTION] « droit acquis » à l’[TRADUCTION]« indemnité de rupture ». Si je n’arrive pas à comprendre la pertinence de l’engagement supposé de Sanofi de ne pas lancer de produit générique autorisé, il n’est pas évident à la présente étape qu’il ne puisse revêtir une certaine pertinence pour ce qui concerne l’ensemble des circonstances. Cependant, la partie de l’entente verbale supposée par laquelle il aurait été convenu que la signature de l’accord par Apotex n’impliquerait pas une renonciation à son droit à l’« indemnité de rupture » ne peut aucunement être pertinente, puisque j’ai conclu qu’Apotex ne pouvait faire valoir ce droit dans la présente instance. L’alinéa 52b) ne peut donc être inclus dans la modification proposée. 

 

[87]           Le paragraphe 53 expose certains faits qu’Apotex affirme avoir été [TRADUCTION] « compris et convenus » par les parties au cours des négociations ayant mené aux accords de mars et de mai 2006. À l’audience, l’avocat d’Apotex a accepté de retrancher les termes « et convenus » de la phrase d’introduction de ce paragraphe, de manière que celui‑ci se limitât à l’exposition des faits compris par les parties au cours des négociations. L’avocat d’Apotex a également expliqué que le paragraphe 54 constitue une description détaillée des faits sur la base desquels Sanofi doit être supposée avoir compris les faits exposés au paragraphe 53. Ainsi modifié et clarifié, ce passage de l’acte de procédure est valable. Le paragraphe 55, qui énumère certains éléments des accords de 2006 qu’Apotex déclare faciliter son interprétation, est valable aussi.

 

[88]           Enfin, les paragraphes 56 à 56E exposent le raisonnement qui amène Apotex à conclure, sur la base des faits allégués dans les paragraphes précédents, que la clause sur le risque de responsabilité a explicitement ou implicitement pour effet de limiter ou d’interdire la réclamation de Sanofi au titre des ventes effectuées aux États-Unis. Ces allégations sont recevables.

 

Le moyen de défense fondé sur la perte du droit à réparation pécuniaire

 

[89]           Les paragraphes 117 à 119 formulent, en se référant rigoureusement aux faits précis exposés auparavant dans la nouvelle version proposée de l’acte de procédure, les motifs pour lesquels devrait être refusé à Sanofi tout droit à une réparation pécuniaire ou à une comptabilisation des profits relativement aux ventes effectuées aux États-Unis ou dans d’autres pays. Je me suis déjà prononcée sur les objections de Sanofi à ces modifications, dans la mesure où elles se rapportent aux demandes de compensation, ayant conclu à l’irrecevabilité des modifications proposées qui concernent lesdites demandes.

 

[90]           Sanofi s’oppose aussi à l’inclusion de ces paragraphes dans la mesure où ils sont supposés s’appliquer à sa réclamation en dommages-intérêts (par opposition à sa réclamation en comptabilisation des profits, qui relève de l’equity). La plus grande partie de ces paragraphes expose des conclusions de droit fondées sur des faits qui sont par ailleurs valablement invoqués et pertinents pour d’autres moyens de défense admissibles. Il n’est guère utile de se demander et d’établir si les conclusions de droit proposées sont défendables lorsque les faits sur lesquels elles se fondent sont par ailleurs valablement invoqués. Je ne vois aucun mal, ni aucun préjudice pour Sanofi, à permettre à Apotex d’affirmer aussi, du point de vue du droit, que les mêmes faits interdiraient également le recouvrement de dommages-intérêts. La décision de ce point à la présente étape ne changerait pas les questions de fait formulées dans l’acte de procédure ni la portée de la communication préalable ou de l’instruction, de sorte qu’il convient de s’en remettre à cet égard à la décision du juge qui instruira l’affaire au fond.

 

[91]           Je note cependant, pour ne rien oublier, que si les autres paragraphes et alinéas de cette série n’invoquent pas de faits additionnels mais renvoient explicitement à des faits déjà allégués ailleurs dans la défense et demande reconventionnelle, l’alinéa 118c), lui, expose des faits additionnels, à savoir la possibilité qu’aurait eue Apotex de recourir, pour la fabrication et la vente de clopidogrel aux États-Unis, à d’autres solutions qui n’auraient pas contrefait le brevet 777. Mais Sanofi n’a élevé aucune objection particulière contre ces allégations, de sorte que je ne vois aucune raison de ne pas les déclarer recevables.

 

 

La transformation de l’action T‑644‑09 en une défense et demande reconventionnelle à l’action T‑933‑09

 

[92]           Sanofi s’oppose en principe à ce qu’Apotex transporte le contenu de son action T‑644‑09 dans une demande reconventionnelle à l’action T‑933‑09 intentée par elle-même, non seulement parce qu’une telle opération n’est pas nécessaire, mais aussi parce qu’elle aurait pour effet de faire passer Apotex du rôle de demanderesse à celui de défenderesse, la soulageant ainsi du fardeau d’avoir à prendre les initiatives nécessaires pour faire avancer l’instance et déplaçant la charge de la preuve.

 

[93]           Je pense aussi que la fusion proposée n’est pas nécessaire, encore qu’elle me semble présenter un avantage potentiel : celui d’éviter qu’on ait à modifier deux ensembles de conclusions écrites dans le cas où de nouvelles modifications seraient en fin de compte proposées à l’égard de faits invoqués dans les deux actions, telles que la citation de nouvelles antériorités dont Apotex demande l’autorisation. Par conséquent, si elle n’est pas nécessaire, la fusion pourrait se révéler commode du point de vue procédural.

 

[94]           Pour ce qui concerne la principale objection de Sanofi, à savoir que la fusion ferait passer de son adversaire à elle-même le fardeau que représente l’obligation de faire avancer l’instance et, peut-être, la charge de la preuve, je ne puis l’accueillir. Premièrement, l’avocat d’Apotex a bien précisé à l’audience que cette dernière ne cherche pas à faire retrancher du dossier sa déclaration originale ni à se décharger de sa qualité de demanderesse initiale dans l’action de départ. L’intitulé de l’action fusionnée, que je ne vois aucune raison de changer, témoigne par ailleurs de cette qualité. De plus, en tant que juge responsable de la gestion de l’instance, je connais très bien les origines de la présente action, et l’évolution des écritures n’enlève ni ne change rien à ces origines. Enfin, je ne puis souscrire à l’idée que, en transportant dans une demande reconventionnelle à l’action T‑933‑09 les conclusions prises à l’origine dans la déclaration de l’action T‑644‑09, Apotex se libérerait à quelque égard que ce soit de la charge de preuve qui aurait été la sienne dans le cas contraire. Les actes de procédure portent encore clairement que la réclamation pour contrefaçon de Sanofi s’applique aux activités passées de fabrication et de vente de bisulfate de clopidogrel menées par Apotex, et que la demande reconventionnelle de celle‑ci en déclaration de non-contrefaçon s’applique à la production projetée de bisulfate, de bésylate et de bromhydrate de clopidogrel. Apotex a encore à la fois une action indépendante (sous la forme d’une demande reconventionnelle) en invalidation et une défense fondée sur l’invalidité. Le fait qu’Apotex transporte le contenu de son action de départ dans une demande reconventionnelle ne change rien à la charge de la preuve dans les actions, la demande reconventionnelle ou la défense; les Règles établissent en effet sans ambiguïté qu’une demande qu’on fait valoir en tant que demande reconventionnelle reste une cause d’action distincte. Quant à l’ordre dans lequel la preuve sera produite à l’instruction, le juge du fond garde toute liberté pour décider si la preuve relative à la demande reconventionnelle doit être produite avant la preuve se rapportant à l’action, tout comme il aurait eu la faculté de décider si la preuve relative à l’action T‑644‑09 devait être produite après la preuve afférente à l’action T‑933‑09. Étant donné les faits de la présente espèce, je ne vois pas pourquoi la fusion influerait nécessairement sur l’ordre de la production de la preuve à l’instruction.

 

[95]           Bref, si les avantages de la fusion des actes de procédure sont très minces, il ne me paraît pas que la fusion proposée causerait à Sanofi un quelconque préjudice dont elle ne pourrait être indemnisée par les dépens. Pour ce qui concerne ceux‑ci, l’octroi à Apotex de l’autorisation d’effectuer la modification demandée serait subordonné à la condition qu’elle paye à Sanofi les frais afférents à l’établissement, à la signification et au dépôt des écritures en réponse, quelle que soit l’issue de la cause.

 

Conclusion

 

[96]           Comme j’ai conclu à l’irrecevabilité des nouveaux moyens de défense fondés sur la compensation que propose Apotex et comme ces moyens semblent être ceux qui comportent, et de loin, les allégations de fait de la plus grande portée, il n’est pas certain à la présente étape que l’autorisation des autres modifications retarderait sensiblement la poursuite de la présente action ou nuirait à la présentation de ses moyens par Sanofi dans le délai actuellement prévu pour elle à l’instruction. En effet, bien que les allégations de fait relatives aux circonstances de la conclusion des accords de 2006 soient détaillées et complexes, il est trop tôt pour savoir si les faits ainsi invoqués prêteront à contestation. La durée des phases de la communication préalable et de la présentation de la preuve à l’instruction pourrait être considérablement limitée si Sanofi admettait la totalité ou la plupart de ces faits dans sa réponse modifiée. En outre, il est tout à fait possible que la portée de la communication préalable et de l’instruction se trouvent réduites si Sanofi accepte le nouvel aveu d’Apotex concernant le lieu où elle a effectué la totalité de ses ventes.

 

[97]           En dernière analyse, je ne pense pas que le fait d’autoriser les modifications que j’ai déclarées recevables aurait pour effet de causer à Sanofi un préjudice dont les dépens ne pourraient pas l’indemniser. En outre, s’il devenait évident après la clôture de la  procédure écrite, une fois apportées les modifications autorisées, que des faits importants allégués dans ces modifications sont contestés et qu’il ne serait ni pratique ni raisonnable d’attendre des parties qu’elles épuisent les ressources de la communication préalable sur ces faits dans le temps restant avant l’instruction, ou qu’il n’y aurait pas assez de temps pour examiner à fond ces questions à l’instruction, on pourrait envisager de nouveau la possibilité de disjoindre les nouvelles questions de manière à en remettre l’examen à la deuxième phase de l’instruction.

 

[98]           Enfin, il est à noter que Sanofi a aussi fait valoir contre la présente requête qu’Apotex, en proposant les modifications considérées, essayait de manière détournée et irrégulière d’obtenir communication préalable de renseignements relatifs à la négociation et à l’interprétation des accords de 2006, communication qui lui avait été explicitement refusée dans le contexte de l’instance américaine, qu’Apotex avait explicitement déclarée lui être nécessaire lorsqu’elle avait essayé de faire reconnaître son droit à l’[TRADUCTION]« indemnité de rupture » devant les tribunaux ontariens, et que je lui avais à mon tour refusée le mois dernier encore dans le contexte de sa requête en production d’un affidavit de documents plus exact et plus complet. Comme j’ai  réglé les questions soulevées par cette requête sur d’autres fondements, je n’ai pas estimé nécessaire d’examiner cet argument. Je noterai cependant que les circonstances afférentes à la requête en modification d’Apotex, le moment choisi pour la déposer, la nature compliquée des modifications proposées, qui supposent la possibilité d’enquêter sur l’état d’esprit de Sanofi, ainsi que l’absence de fondement raisonnable qui les caractérise en général, sembleraient étayer l’affirmation de Sanofi selon laquelle ladite requête était en grande partie motivée plutôt par le désir d’obtenir sans restrictions une communication préalable de renseignements sur tous les aspects de la négociation des accords de 2006 que par la conviction de l’existence d’une cause raisonnablement défendable.

Les dépens

 

[99]           Le caractère tardif de la requête d’Apotex, la nature déraisonnable d’une grande partie des modifications proposées et le principe généralement admis selon lequel les frais afférents aux modifications doivent être supportés par la partie qui les demande sont autant de facteurs qui militent pour l’octroi à Sanofi des dépens de la présente requête, y compris les frais relatifs aux services d’un second avocat, et pour leur taxation au maximum de la colonne IV.


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

 

1.            Apotex Inc. et Apotex Pharmachem Inc. (ci‑après collectivement dénommées « Apotex ») sont autorisées à signifier et à déposer, au plus tard trois jours à compter de la date de la présente ordonnance, une défense et demande reconventionnelle modifiée sous la forme proposée à l’annexe B de leur avis de requête (l’acte de procédure proposé), sous réserve des ajouts, suppressions et modalités qui suivent.

 

2.             L’acte de procédure proposé sera intitulé : « Défense et demande reconventionnelle modifiée d’Apotex Inc. et d’Apotex Pharmachem Inc. en réponse à la déclaration déposée à l’origine dans le dossier de la Cour no T‑933‑09 ».            

 

3.            L’acte de procédure modifié portera les deux intitulés de cause, conformément à l’ordonnance en date du 2 novembre 2009.

 

4.            Les paragraphes et l’alinéa suivants de l’acte de procédure proposé seront retranchés et n’apparaîtront pas dans l’acte de procédure modifié : 46, 47, 52b), 57, 57A, 57B, 57C, 57D et 57E.

 

5.            Le paragraphe 53 de l’acte de procédure proposé sera modifié par la suppression, à la deuxième ligne, des termes [TRADUCTION] « et convenus ».

 

6.            Apotex modifiera les paragraphes 83 et 84 de l’acte de procédure proposé en précisant les quantités auxquelles elle soutient que s’applique chacune des dérogations demandées  et les faits substantiels qu’elle invoque à l’appui de chacune de ces dérogations. 

 

7.            Le paragraphe 121(b) de l’acte de procédure proposé sera éliminé, et on pourra inclure un paragraphe additionnel mais distinct où Apotex réclame uniquement une ordonnance portant que les comprimés de bisulfate de clopidogrel, de bromhydrate de clopidogrel et de bésylate de clopidogrel d’Apotex Inc. ne contreferont aucune revendication valide du brevet 777.

 

8.            L’autorisation de modification donnée à Apotex est subordonnée à la condition qu’elle paye à Sanofi‑Aventis et à Bristol‑Myers Squibb Sanofi Pharmaceuticals Holding Parnership (ci‑après collectivement dénommées « Sanofi ») les frais afférents à l’établissement, à la signification et au dépôt de la réponse et défense modifiée à la demande reconventionnelle que nécessite son acte de procédure modifié, quelle que soit l’issue de la cause.

 

9.            La Cour adjuge à Sanofi les dépens afférents à la présente requête, y compris les frais relatifs aux services d’un second avocat, dépens à taxer au maximum de la colonne IV du tarif et qu’Apotex devra payer quelle que soit l’issue de la cause.

 

10.        Les parties communiqueront à la Cour, au plus tard le 26 février 2010, leurs dates communes de disponibilité pour participer à une conférence téléphonique de gestion d’instance à tenir aux fins suivantes :

 

a)            fixer un nouveau calendrier pour l’achèvement de la communication préalable et les étapes menant au dépôt des requêtes qui découleront de ladite communication préalable;

b)            fixer aux parties les délais dans lesquels elles devront communiquer les résultats des essais qui pourront avoir déjà été effectués et qu’elles prévoient d’invoquer à l’instruction, ainsi que tous autres documents (tels que les résultats de recherches d’antériorités) à l’égard desquels il pourrait être renoncé au privilège de litige antérieurement revendiqué, par suite de l’intention que les parties exprimeraient de citer des témoins experts à l’instruction;

c)            établir s’il devrait être fixé une date limite après laquelle la signification d’affidavits supplémentaires de documents serait subordonnée au consentement de la partie adverse ou à l’autorisation de la Cour.

 

11.        En vue de la conférence téléphonique de gestion d’instance prévue au paragraphe précédent, Sanofi, dans le cas idéal, établira au moins un premier état de l’acte de procédure modifié qu’elle proposera en réponse à la défense et demande reconventionnelle modifiée d’Apotex ou, à tout le moins, sera prête à indiquer laquelle ou lesquelles des nouvelles allégations de cette dernière pièce, selon elle, prêteront à controverse ou exigeront des opérations importantes de communication préalable.

 

 

« Mireille Tabib »

Protonotaire

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑644‑09

 

INTITULÉ :                                       APOTEX INC. c. SANOFI‑AVENTIS

 

DOSSIER :                                        T‑933‑09

 

INTITULÉ :                                       SANOFI-AVENTIS et BRISTOL-MYERS SQUIBB

SANOFI PHARMACEUTICALS HOLDINGS

PARTNERSHIP c. APOTEX INC., APOTEX            PHARMACHEM INC. et SIGNA SA de CV

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             Les 9 et 11 février 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LA PROTONOTAIRE TABIB

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :                                                                       

 

Nando De Luca

Sandon Shogilev

 

POUR APOTEX INC.

Marc Richard

Cristin Wagner

 

POUR SANOFI-AVENTIS

.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR APOTEX INC.

Gowling Lafleur Henderson, s.r.l. Ottawa (Ontario)

POUR SANOFI-AVENTIS

.

 

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