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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20100218

Dossier : IMM-3910-09

Référence : 2010 CF 178

Toronto (Ontario), le 18 février 2010

 

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

Entre :

ROBINSON SAINT-HILAIRE

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision rendue le 2 juillet 2009 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le Tribunal), dans laquelle le Tribunal a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

 

Le contexte

 

[2]               M. Robinson Saint‑Hilaire, le demandeur, est citoyen d’Haïti. En tant qu’homme d’affaires prospère considéré comme faisant partie de la diaspora haïtienne, le demandeur allègue craindre d’être persécuté en Haïti par des personnes appartenant au groupe de résistance connu sous le nom de « Lavalas ». Le demandeur a commencé à avoir des problèmes avec ce groupe au début des années 90 lorsqu’il était propriétaire d’une entreprise de services de transport à Port-au-Prince; entre autres, il offrait des services d’autobus et possédait un centre de distribution d’aliments. Il affirme avoir été harcelé, menacé et victime d’extorsion, ce qui l’a forcé à tout d’abord déménager ailleurs à Haïti, puis à quitter ce pays en 1996 vers les États­Unis, abandonnant du coup femme et enfants.

 

[3]               Peu après son arrivée aux États­Unis, le demandeur a rencontré et marié une femme qui était citoyenne des États­Unis; il pensait qu’elle le parrainerait. Le mariage n’a pas réussi et le demandeur et sa femme ont divorcé en mars 2001. Le demandeur affirme qu’à cette époque il croyait qu’il s’était passé trop de temps depuis son arrivée aux États­Unis et qu’il ne pourrait donc pas obtenir le statut de réfugié ou présenter une demande d’asile politique. Il a quitté les États­Unis pour venir au Canada et à son arrivée, le 26 mars 2007, il a présenté une demande d’asile.

 

[4]               Le demandeur croit que, étant donné qu’il a vécu à l’étranger pendant de nombreuses années, il sera reconnu et ciblé par les Lavalas dès qu’il arrivera à l’aéroport. M. Saint-Hilaire craint de retourner à Haïti, car il affirme qu’il sera considéré comme quelqu’un qui a accumulé de la richesse ou qui a accès à beaucoup d’argent, parce qu’il arrivait des États­Unis et du Canada.

 

 

La décision soumise au contrôle

 

L’allégation fondée sur l’article 96

 

[5]               Le Tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il était une personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe particulier ou de ses opinions politiques. Le fait d’être un homme d’affaires prospère considéré comme riche par les membres du groupe Lavalas qui veulent l’extorquer ne constitue pas des opinions politiques ni une appartenance à un groupe social particulier tel que cela a été défini dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74. Par conséquent, aucun motif prévu dans la Convention ne s’appliquait dans la présente affaire.

 

L’allégation fondée sur l’article 97

 

[6]               Le Tribunal a conclu que le demandeur était exposé même risque généralisé que le reste de la population haïtienne, étant donné le haut taux de criminalité dans ce pays et le fait que les gangs criminels ciblent toutes les classes d’Haïtiens et non seulement les riches ou les personnes considérées comme étant riches.

 

[7]               Le Tribunal a fondé sa conclusion relative au risque généralisé sur la décision Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, [2008] A.C.F. no 415, rendue par la juge Danielle Tremblay­Lamer, et il s’est fondé en particulier sur son commentaire formulé au paragraphe 23 :

 

23      […] Le risque d’être visé par quelque forme de criminalité est général et est ressenti par tous les Haïtiens. Bien qu’un nombre précis d’individus puissent être visés plus fréquemment en raison de leur richesse, tous les Haïtiens risquent de devenir des victimes de violence.

 

[8]               Le Tribunal a également fondé sa conclusion sur d’autres décisions rendues par la Cour fédérale, qui avait estimé que les personnes riches en Haïti ne sont pas exposées à un risque plus élevé de persécution que les autres Haïtiens : Étienne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 64, [2007] A.C.F. no 99; Cius c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1, [2008] A.C.F. no 9. Le Tribunal a donc rejeté l’allégation de M. Saint‑Hilaire fondée sur l’alinéa 97(1)b) de la LIPR. Il n’a pas été question de l’alinéa 97(1)a), parce que le demandeur n’a pas allégué avoir été persécuté par l’État ou ses représentants.

 

La question en litige

 

[9]               La seule question en litige est de savoir si le Tribunal a commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas une personne à protéger.

 

[10]           Le demandeur conteste (1) l’appréciation de la preuve effectuée par le Tribunal; (2) les motifs du Tribunal et (3) l’interprétation de la jurisprudence pertinente effectuée par le Tribunal.

 

Analyse

 

[11]           Dans la décision Prophète, précitée, la juge Tremblay­Lamer a conclu que, pour que l’article 97 s’applique, le demandeur doit établir qu’il est exposé à un risque « personnalisé » de

 

persécution, ce qui a été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 31, [2009] A.C.F. no 143.

 

[12]           Le juge Yvon Pinard, au paragraphe 10 de ses motifs de la décision Gabriel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1170, [2009] A.C.F. no 1545, a établi la norme de contrôle applicable à l’analyse relative à l’article 97 de la façon suivante, et je souscris à son approche :

10     Au paragraphe 11 de la décision Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, la Cour a conclu que l’interprétation de l’article 97 de la Loi est une question de droit pur susceptible de contrôle selon la norme de décision correcte. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a refusé de répondre à la question certifiée dans cette décision, au motif que « [p]our décider si un demandeur d’asile a qualité de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi, il faut procéder à un examen personnalisé » (Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 31, au paragraphe 7). Depuis, ma collègue, la juge Johanne Gauthier a « clairement » interprété ce motif comme indiquant que l’examen au sens de l’article 97 n’est pas une question de droit pur (Acosta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213). Par conséquent, la norme de contrôle appropriée est la raisonnabilité, parce que la question en litige est une question mixte de fait et de droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 53). Ainsi, la décision est raisonnable si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).                       [Non souligné dans l’original.]

 

[13]           En l’espèce, la preuve documentaire dont disposait le Tribunal révélait que toute augmentation du risque qu’une personne soit victime de crime est liée non seulement au fait qu’elle soit considérée comme étant riche, mais est également liée ses activités politiques. Le dossier ne révèle pas que M. Saint­Hilaire a participé à des activités politiques. M. Saint­Hilaire fait plutôt

 

 

partie d’un très grand groupe d’Haïtiens riches ou considérés comme étant riches pouvant être la cible de crime comme tout autre Haïtien.

 

[14]           Je ne souscris pas à l’allégation du demandeur selon laquelle le Tribunal n’aurait pas dû se fonder sur la décision Cius c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1, [2008] A.C.F. no 9. Comme dans la décision Cius, aux paragraphes 23 et 25, la preuve dont disposait le Tribunal en l’espèce n’établissait pas que le demandeur serait exposé à un risque particulier à son retour en Haïti, elle établissait plutôt que le risque auquel était exposé le demandeur était généralisé.

 

[15]           J’accepte l’observation du défendeur selon laquelle le demandeur parle couramment le créole, car le demandeur a demandé à ce qu’un interprète parlant créole soit présent lors de l’audience. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que le demandeur a établi qu’il serait davantage ciblé en tant que membre de la diaspora en raison de sa langue, et ce, malgré qu’il ait passé plusieurs années aux États­Unis et au Canada.

 

[16]           Si M. Saint­Hilaire est une personne pouvant être exposée à un risque personnalisé d’être ciblée par les Lavalas, il s’agit d’un risque auquel est exposée une grande partie de la population haïtienne : Prophète, précitée, paragraphe 18.

 

[17]           J’estime que le préjudice craint par le demandeur en l’espèce est de nature criminelle. Le Tribunal a conclu à juste titre que la richesse du demandeur (ou le fait que le demandeur soit considéré comme riche) liée à son passé d’homme d’affaires prospère dans les secteurs du transport

 

et de la distribution d’aliments ne constituent pas une appartenance à un groupe social particulier ou l’expression d’opinions politiques : Étienne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 64, [2007] A.C.F. no 99, paragraphe 15.

 

[18]           À mon avis, le Tribunal a également fourni des motifs suffisants quant à sa conclusion selon laquelle la demande n’établissait aucun lien avec un motif prévu à la Convention et ne faisait qu’établir, en des termes clairs et explicites, que le demandeur était exposé à un risque généralisé plutôt qu’à un risque personnel : VIA Rail Canada Inc. c. Office des transports (C.A.F.), [2001] 2 C.F. 25, [2000] A.C.F. no 1685, paragraphe 21; Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] A.C.S. no 23, paragraphe 46.

 

[19]           Je ne peux pas conclure que le Tribunal a mal interprété la preuve ou n’en a pas tenu compte en l’espèce. Le Tribunal a accepté que M. Saint­Hilaire, en tant que membre de la diaspora, pourrait être considéré comme étant riche par les groupes criminels en Haïti. Le Tribunal n’a pas fait expressément mention de l’ensemble de la preuve documentaire à l’appui de sa conclusion, mais il n’avait pas l’obligation de le faire. Il y a une présomption selon laquelle le Tribunal a tenu compte de l’ensemble de la preuve : Gabriel, précitée, paragraphe 25, où l’on cite la décision Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. n1425.

 

[20]           Les conclusions suivantes tirées par le Tribunal en l’espèce étaient raisonnables et appartenaient aux issues possibles et acceptables : (1) M. Saint­Hilaire craint les criminels qui recherchent l’appât du gain en Haïti; (2) il s’agit d’un risque généralisé et non d’un risque auquel

 

sont exposées les personnes ayant de l’argent ou étant considérées comme étant riches; (3) le principe selon lequel un risque prévu à l’article 97 doit être personnalisé a été établi par la juge Tremblay­Lamer dans la décision Prophète, précitée, et confirmé par la Cour d’appel fédérale; (4) la jurisprudence a confirmé que les personnes riches en Haïti ne sont pas exposées à un risque

plus élevé que les autres Haïtiens : Prophète (2008 CF 331), précitée, paragraphe 23; Prophète (2009 CAF 31), précité, paragraphe 10; Dunsmuir, précité, paragraphe 47.

 

[21]           Je conclus également que le processus adopté par le Tribunal et l’issue de l’affaire cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité. Par conséquent, la Cour ne peut y substituer la solution qu’elle juge elle­même appropriée : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. no 12, paragraphe 59.

 

[22]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé de questions aux fins de certification.

 

 

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

                                                                                                            « Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B.,M.A.Trad.jur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3910-09

 

INTITULÉ :                                                   ROBINSON SAINT‑HILAIRE c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 17 FÉVRIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MOSLEY

                                                           

DATE DES MOTIFS :                                  LE 18 FÉVRIER 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joel Etienne

POUR LE DEMANDEUR

 

Melissa Mathieu

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joel Etienne                                                     Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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