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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100218

Dossier : IMM-3053-09

Référence : 2010 CF 169

Ottawa (Ontario), le 18 février 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

LING LAN

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 8 mai 2009 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande sera rejetée.

 

I.          Le contexte

 

[3]               La demanderesse est une citoyenne de la Chine âgée de 41 ans. Sa demande d’asile était fondée sur son allégation selon laquelle elle était exposée à de la persécution en Chine parce qu’elle était chrétienne et membre d’une maison‑église illégale.

 

[4]               La Commission a rejeté sa demande pour des motifs liés à la crédibilité. La commissaire a tiré une inférence défavorable de même qu’une conclusion défavorable relativement à la crédibilité de la demanderesse sur le fondement d’incohérences entre son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), son témoignage et la preuve ainsi que sur la non‑vraisemblance de son témoignage.

 

[5]               La Commission a relevé quatre exemples de conclusions selon lesquelles le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible.

 

A.        Le récit de la demanderesse quant à la façon dont on lui a fait connaître l’église clandestine

 

[6]               La Commission a trouvé des incohérences entre les renseignements dans le FRP de la demanderesse et son témoignage oral : elle n’a pas mentionné que deux personnes, et non seulement une personne, lui avait vanté le christianisme.

 

B.         Les connaissances de la demanderesse sur les dates importantes pour les chrétiens

 

[7]               La Commission a tiré une inférence défavorable de la réponse de la demanderesse à une question posée par un agent d’immigration au sujet des dates importantes pour les chrétiens. La demanderesse a répondu que les dates les plus importantes pour les chrétiens sont d’abord le baptême et le 25 décembre puis l’Action de grâce. La Commission a vu d’un mauvais œil que la demanderesse n’ait pas mentionné Pâques et qu’elle ait donné une description nébuleuse de l’Action de grâce lors de l’audience.

 

C.        Le récit de la demanderesse sur ce qui s’est passé le jour où elle a appris l’arrestation d’autres membres de son église

 

[8]               La Commission a conclu, sur le fondement du cumul des omissions, des non‑vraisemblances et des inférences défavorables, que la demanderesse n’était pas membre d’une église clandestine, que l’église qu’elle fréquentait en Chine n’avait pas été prise d’assaut par le Bureau de la sécurité publique (le BSP) et que le BSP ne cherchait pas la demanderesse.

 

D.        Les connaissances de la demanderesse sur la signification de la communion

 

[9]               Étant donné que la demanderesse a affirmé qu’elle aurait adhéré au christianisme pendant une période de trois ans, qu’elle aurait suivi des cours de préparation au baptême et qu’elle aurait fréquenté l’église de façon régulière, la Commission a tiré une inférence négative quant à l’incapacité alléguée de la demanderesse à préciser les raisons pour lesquelles il faut communier.

 

[10]           La Commission a conclu que la demanderesse n’était pas une véritable chrétienne et ne s’était pas déchargée du fardeau d’établir le bien‑fondé de ses allégations fondées sur les articles 96 et 97 de la Loi.

 

II.         La question en litige et la norme de contrôle

 

[11]           La demanderesse n’a soulevé qu’une seule question en l’espèce : les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission étaient-elles raisonnables?

 

[12]           La norme de contrôle applicable à cette question est la raisonnabilité (voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339; Sun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1255; [2008] A.C.F. no 1570).

 

[13]           Comme les arrêts Dunsmuir et Khosa, précités, l’ont établi, la raisonnabilité tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[14]           La Cour doit faire preuve d’une grande retenue envers les décisions de la Commission portant sur les questions de crédibilité et d’appréciation de la preuve (voir Camara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 362; [2008] A.C.F. no 442, paragraphe 12). La Commission, qui reçoit les témoignages oraux, est la mieux placée pour apprécier la crédibilité et la plausibilité du récit d’un demandeur (voir, par exemple, Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315; [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), et Sun, précitée).

 

[15]           Il importe aussi de souligner que la Cour ne doit pas substituer son pouvoir discrétionnaire à celui de la Commission, et ce, malgré qu’elle aurait peut-être tiré des inférences ou des conclusions différentes. Autrement dit, il ne suffit pas que la demanderesse montre que des conclusions différentes auraient pu être tirées compte tenu de la preuve; la demanderesse doit établir que les conclusions de la Commission sont déraisonnables (voir Sun, précitée, paragraphe 3).

 

III.       Analyse

 

[16]           La demanderesse soutient que la majorité des conclusions défavorables relatives à la crédibilité tirées par la Commission sont déraisonnables. La demanderesse plaide ce qui suit en réponse aux points précis soulevés par la Commission (voir ci-dessus).

 

A.        Connaissance de l’église

 

[17]           Le rejet par la Commission de l’explication de la demanderesse quant aux incohérences entre son témoignage oral et son FRP en ce qui concerne la façon dont on lui a fait connaître l’église, était déraisonnable. La demanderesse soutient que l’explication donnée pour justifier pourquoi elle n’avait pas mentionné un nom dans son FRP – à savoir qu’elle pensait qu’elle pourrait l’ajouter plus tard – était raisonnable.

 

B.         Connaissance des dates importantes pour les chrétiens

 

[18]           La demanderesse admet qu’elle peut difficilement contester cet aspect de la décision de la Commission.

 

C.        Récit de l’arrestation

 

[19]           La demanderesse soutient que la Commission semble lui avoir reproché de ne pas avoir mentionné de façon précise dans son FRP les mesures de sécurité mises en place par les membres de son église. Elle allègue également que la Commission n’avait pas suffisamment de renseignements au sujet des circonstances en cause pour qu’elle puisse tirer une conclusion selon laquelle la demanderesse avait fait état d’un manquement non‑vraisemblable.

 

D.        Explication quant à la communion

 

[20]           Transcription de l’audience à l’appui, la demanderesse soutient que sa connaissance de la communion ne souffrait d’aucune lacune.

 

[21]           Le défendeur allègue que la demanderesse n’a pas été capable d’établir, selon la prépondérance de la preuve, qu’elle était chrétienne. Le défendeur plaide que, même s’il y avait eu quelques petites erreurs, la décision dans son ensemble est raisonnable et que la demande devrait être rejetée.

 

[22]           En l’espèce, la Commission a interprété de façon très stricte les mots qu’il aurait fallu utiliser pour décrire de façon précise la signification de la communion. Par l’utilisation d’une interprétation si stricte, la Commission a commis une erreur en tirant une inférence défavorable de l’explication de la demanderesse. Les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission sur les trois autres points sont raisonnables.

 

[23]           La Cour ne doit pas examiner les sections d’une décision de façon isolées, elle doit plutôt les interpréter dans leur ensemble. Dans la décision Larue c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 484, 40 A.C.W.S. (3d) 952  (C.F. 1re inst.), le juge Marc Noël a conclu que, même si certaines conclusions peuvent être discutables, la Cour ne devrait pas intervenir quant à une décision de la Commission fondée sur des éléments de preuve qui, dans leur ensemble, peuvent appuyer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

[24]           Même si la Cour conclut que la Commission a commis une erreur dans une de ses conclusions relatives à la vraisemblance, tant et aussi longtemps que la décision globale n’a pas été rendue de façon arbitraire ou abusive ou sans tenir compte des éléments de la preuve, la décision n’est pas à ce point viciée qu’aucun degré de déférence ne peut justifier de la maintenir (voir Pan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 515, [2007] A.C.F. no 697).

 

[25]           Je note également que les conclusions relatives à la crédibilité peuvent être fondées sur des invraisemblances, des contradictions, sur l’irrationalité et sur le sens commun (voir Sun, précitée).

 

[26]           La Cour a conclu que des erreurs dans les conclusions quant à l’invraisemblance et à la crédibilité tirées par la Commission peuvent faire en sorte qu’une décision soit déraisonnable. Dans la décision Song c. Canada Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1321; 76 Imm. L.R. (3d) 81, le juge James Russell a conclu que c’est l’effet cumulatif des conclusions erronées relativement à la vraisemblance et à la crédibilité qui importe et qui fait en sorte qu’une décision est déraisonnable.

 

[27]           En l’espèce, je conclus que l’erreur commise par la Commission dans ses conclusions relatives à la crédibilité fondées sur les faits du point D n’a pas un effet cumulatif faisant en sorte que la décision, dans son ensemble, est déraisonnable. La conclusion générale défavorable relative au manque de crédibilité tirée par la Commission n’est pas à ce point viciée que la décision n’appartient pas aux issues acceptables au regard des faits et du droit.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

1.                  que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3053-09

 

INTITULÉ :                                                   LAN c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 1ER FÉVRIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 18 FÉVRIER 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Korman

 

POUR LA DEMANDERESSE

Bradley Bechard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Korman

Otis and Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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