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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100218

Dossier : IMM-429-08

Référence : 2010 CF 174

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 18 février 2010

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

BALROOP SOOKDEO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en application de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à l’égard d’une décision rendue par un agent d'exécution de la loi de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), par laquelle celui-ci refusait de reporter le renvoi du demandeur à Trinité-et-Tobago, pays dont il est citoyen. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

[2]               Tout d'abord, l'affidavit supplémentaire du demandeur, qui a été déposé la veille de l'audience, a été radié du dossier, puisqu'il contenait des informations dont l'agent d'exécution n'était pas saisi lorsqu'il a rendu sa décision. Dans tous les cas, ces informations ne se rapportaient pas au contrôle judiciaire de la décision de l'agent. De plus, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a été mis en cause à tort : l'intitulé de l'affaire a donc été modifié en conséquence. 


Contexte

[3]               Le demandeur, M. Balroop Sookdeo, est arrivé au Canada en 2005 avec son épouse et ses deux enfants. Un troisième enfant est né au Canada en 2006. 

 

[4]               Le demandeur a présenté une demande d'asile le 7 mars 2006, et on a conclu le 21 juillet 2006 qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur n'a pas demandé l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire relativement à cette décision. Une demande fondée sur des motifs CH a été déposée en juin 2007 et celle-ci est toujours pendante. Une mesure de renvoi a été prononcée.

 

[5]               Il a été conclu, à la suite d’un examen des risques avant renvoi (ERAR) établi en août 2007, que le demandeur n'était pas exposé à un risque s'il devait retourner à Trinité-et-Tobago. La mesure de renvoi devenait alors exécutoire.  

 

[6]                Le 12 octobre 2007, le demandeur ne s'est pas présenté à une entrevue préalable au renvoi. Un mandat d'arrêt a par la suite été délivré contre lui. Le demandeur a été arrêté le 5 décembre 2007 lors d'une vérification de routine par un agent de la circulation, et mis en liberté sous cautionnement le 8 décembre 2007. On a fourni au demandeur une directive lui ordonnant de se présenter pour son renvoi le 15 janvier 2008 pour un renvoi prévu le 5 février 2008. Son épouse et ses enfants n'ont pas reçu signification de la directive, car ils persistaient à se soustraire aux autorités d'immigration et le demandeur refusait de divulguer l'endroit où ils étaient. Un mandat d'arrêt à l'encontre de Mme Sookdeo est toujours en attente d'exécution.

 

[7]               Le 24 janvier 2008, le demandeur, par la voie d'une courte lettre de son avocat, a demandé que son renvoi soit reporté. Les motifs invoqués à l'appui de la demande, sans davantage de précisions, étaient la demande CH en cours, le préjudice causé à la famille si le demandeur devait être renvoyé sans eux, et l'intérêt supérieur de leur fils né au Canada. Le 31 janvier 2008, le demandeur a informé le centre de détention que son fils ferait le voyage avec lui.  

 

La décision faisait l'objet du contrôle judiciaire

 

[8]               Les notes au dossier de l'agent d'exécution de la loi datées du 1er février 2008 renvoient à chacun des motifs invoqués dans la demande de report. L'agent a mentionné que la demande ne contenait pas d'observations ou de preuve à l'égard de la présence d'un risque nouveau qui soit prévisible dans le cas d'un retour à Trinité-et-Tobago. Bien que la demande CH soit pendante, elle n’a été renvoyée au bureau local que depuis 5 mois, et le délai moyen de traitement d'une demande est de 30 mois. Par conséquent, une décision n'était pas imminente. La seule information présentée relativement au préjudice à la famille était que le demandeur en était le principal soutien financier. L'agent a relevé que le demandeur n'avait plus l'autorisation de travailler. En ce qui concerne l'intérêt supérieur de l’enfant né au Canada, l'agent a mentionné que, même si l'enfant avait le droit de rester au Canada, le père de celui-ci préférait qu'il effectue le voyage avec lui. En conséquence, l'agent était convaincu qu'un report n'était pas approprié compte tenu des circonstances de l'affaire.

 

Questions en litige

 

 

[9]               Lors de l'audience, les parties ont convenu que puisque la mesure de renvoi était toujours en attente d’exécution et que la décision relative à la demande CH n’avait toujours pas été rendue, un litige subsiste entre les parties et que, par conséquent, la demande n'est pas caduque : Baron c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2009 CAF 81, [2009] A.C.F. no 314, aux paragraphes 43 à 45.

 

[10]           Il reste à trancher les questions de savoir si l'examen de l'intérêt supérieur de l'enfant né au Canada conduit par l'agent d'exécution de la loi était raisonnable, et s'il était déraisonnable de refuser de reporter le renvoi du demandeur du Canada en attendant que soit tranchée sa demande CH.

 

Analyse

 

[11]           Je fais miens les propos du juge Yvon Pinard sur la norme de contrôle applicable à la décision d'un agent d'exécution de la loi de refuser de reporter le renvoi d'un demandeur du Canada. Aux paragraphes 15 et 16 de ses motifs dans Turay c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 1090, [2009] A.C.F. no 1369, le juge Pinard dit :

15     La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution de la loi refusant de reporter le renvoi d’un demandeur du Canada est la norme de la décision raisonnable (Baron c. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2009 CAF 81). La cour devrait intervenir si la décision de l’agent de renvoi était déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47). Si la cour conclut qu’il y a eu une analyse déficiente de l’intérêt supérieur des enfants, la décision de l’agent d’exécution de la loi sera jugée déraisonnable (Kolosovs c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 165).

 

16     L’agent de renvoi tire son pouvoir du paragraphe 48(2) de la Loi, qui impose au ministre l’obligation positive d’exécuter une mesure de renvoi valide. Cependant, même selon l’interprétation la plus restrictive du paragraphe 48(2), plusieurs variables peuvent influer sur le moment de l’exécution de la mesure de renvoi, qui, aux termes du paragraphe 48(2), est exécutée « dès que les circonstances le permettent », comme l’a confirmé le juge Denis Pelletier dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 682 (1ere inst.). Il y a seulement deux catégories de facteurs qui peuvent influer sur la décision de l’agent : factuel (« dès que les circonstances le permettent ») et juridique (raisonnable). Ceci a été affirmé dans Vidaurre Cortes c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, (2007), 308 F.T.R. 69, au paragraphe 10 :

[…] le renvoi doit avoir lieu le plus tôt possible, mais uniquement dès que les circonstances le permettent […]

 

Il est bien établi que « le pouvoir discrétionnaire dont disposent les agents d’exécution en matière de report d’une mesure de renvoi est limité » (Baron, précité, par. 49).

 

[12]           Le demandeur prétend qu'il n'était pas raisonnable de refuser le report de son renvoi, alors que celui-ci aurait eu pour effet de laisser l'épouse et les enfants dans l’indigence, puisqu'ils perdraient le principal soutien financier de la famille. Dans ces circonstances, on prétend que le renvoi aurait dû être reporté jusqu'à ce qu’une décision soit rendue relativement à la demande CH de la famille.

 

[13]           Le demandeur se fonde sur Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39, pour prétendre que l'agent d'exécution de la loi n'était pas « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l'enfant né au Canada. L'agent d'exécution de la loi n'a pas reconnu que l'enfant n'avait que 16 mois au moment de la décision. Le demandeur prétend que s'il avait amené l'enfant avec lui, il lui aurait été difficile de s'occuper d'un enfant si jeune tout en cherchant un emploi. Il fait observer que le renvoi, dans de telles circonstances, irait à l’encontre des obligations du Canada prévues à la Convention relative aux droits de l'enfant.  

 

[14]           Il est bien établi en droit que le pouvoir discrétionnaire d'un agent d’expulsion est très limité : Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] A.C.F. no 295, aux paragraphes 45 et 48; John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 420, [2003] A.C.F. no 583, au paragraphe 17. Comme l'a prétendu le défendeur dans la présente affaire, le renvoi est la règle, le report est l'exception.  

 

[15]           L’agent doit estimer qu'une demande CH en attente de décision est un facteur pertinent, mais cela ne constitue pas un obstacle au renvoi. L'agent peut tenir compte des circonstances touchant directement les préparatifs de voyage ainsi que d'autres circonstances impérieuses propres à la personne visée, telles que la sécurité et la santé de celle-ci : Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 614, [2003] A.C.F. no 805, au paragraphe 32; Padda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CF 1081, [2003] A.C.F. no 1353, aux paragraphes 8 et 9. Un agent de renvoi n'a pas à agir en tant que tribunal d’examen de dernière minute d'une demande CH : Davis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 100 A.C.W.S. (3d) 463, [2000] A.C.F. no 1628, au paragraphe 4.

 

[16]           L'intérêt supérieur d'un enfant né au Canada ne constitue que l'un des facteurs devant être pris en considération lorsqu'il s'agit de déterminer si une mesure de renvoi peut être prise dans les circonstances. Comme l'a déclaré le juge Pinard dans Turay, précitée, au paragraphe 21, cet examen ne porte que sur les besoins à court terme de l'enfant, et n'a pas à être très approfondi. Dans Varga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CAF 394, [2006] A.C.F. no 1828, au paragraphe 16, la Cour d'appel fédérale a déclaré ce qui suit :

16        [...] Compte tenu du peu de latitude dont jouit l'agent de renvoi pour l'accomplissement de ses tâches, son obligation, le cas échéant, de prendre en considération l'intérêt des enfants touchés est minime, contrairement à l'examen complet qui doit être mené dans le cadre d'une demande CH présentée en vertu du paragraphe 25(1). [Non souligné dans l’original.]

 

[17]           L'agent d'exécution de la loi doit être convaincu que le renvoi ne menacerait pas la vie de l'enfant : John, précitée, au paragraphe 13. En l'espèce, l'agent a porté son attention sur la question de savoir si l'enfant pouvait voyager à Trinité-et-Tobago avec son père, ou s'il pouvait rester au Canada avec les autres membres de sa famille. Il n’était saisi d’aucune preuve ou observation portant que l’enfant manquerait d’attention s’il devait rester au Canada, pas plus qu’il n’y avait d’indices que l’enfant était exposé à un risque imminent de préjudice s’il devait retourner à Trinité-et-Tobago, là où le demandeur a une grande famille élargie.

 

[18]           Le demandeur cite Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, [2008] A.C.F. no 211, au paragraphe 14, pour soutenir que l’agent d’exécution de la loi doit fournir une véritable analyse critique de l’intérêt supérieur de ces enfants dans leur quotidien. Dans Kolosovs, l’un des enfants souffrait du diabète et avait besoin de soins particuliers, qui lui étaient prodigués par le demandeur. Il n’y a pas de preuve de circonstances analogues dans la présente affaire. Bien que l’enfant était très jeune, la situation présentée à l’agent lui laissait deux possibilités : soit l’enfant demeurait au Canada avec la mère, soit il accompagnait le père, ce qui était d’ailleurs la préférence du demandeur. Étant donné l’information qu’on lui avait fournie, l’agent n’avait aucun motif de se pencher sur la question de savoir si les besoins de l’enfant pourraient constituer un obstacle concret à son renvoi.

 

[19]           L’argument voulant qu’il soit contraire aux obligations du Canada prévues à la Convention sur les droits de l’enfant que l’un des parents d’un enfant né au Canada soit renvoyé a été considéré « sans fondement » dans l’arrêt Baron, précité, au paragraphe 57. De plus, la Cour a formulé les commentaires suivants :

57        […] La jurisprudence de la Cour indique clairement que les immigrants illégaux ne peuvent se soustraire à l’exécution d’une mesure de renvoi valide simplement parce qu’ils sont les parents d’enfants nés au Canada (voir Legault c. M.C.I, 2002 CAF 125, au paragraphe 12; voir aussi, en ce qui concerne le droit international : Baker, précité, et Langner c. M.E.I., [1995] A.C.F. no 469 (C.A.) (QL)). Je pourrais ajouter qu’en l’espèce, l’agente est allée plus loin que ce qui était nécessaire dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants. Comme je l’ai dit dans la décision Simoes, précitée, l’agent chargé du renvoi n’est pas tenu d’effectuer un examen approfondi de l’intérêt supérieur des enfants avant d’exécuter la mesure de renvoi. J’estime que les motifs exposés par le juge Pelletier dans la décision Wang, précitée, vont dans le même sens.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[20]           En l’espèce, la décision de l’agent relative à l’exécution de la mesure de renvoi, après avoir tenu compte de tous les facteurs pertinents, y compris l’intérêt de l’enfant né au Canada, était raisonnable.

 

[21]           Par conséquent, la présente demande est rejetée. Aucune question grave de portée générale n'a été proposée par les parties et aucune ne sera certifiée.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      L'intitulé est modifié afin d'effacer la mention du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, de sorte que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est le seul défendeur;

3.      Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-429-08

 

INTITULÉ :                                       BALROOP SOOKDEO

c.

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE  

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 février 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mosley

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 18 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Munyonzwe Hamalengwa                     POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

 

John Loncar                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Munyonzwe Hamalengwa                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario) 

                       

 

John H. Sims, c.r.                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada      

 

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