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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100217

Dossier : 09-T-60

Référence : 2010 CF 163

Montréal, (Québec), le 17 février 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

ENTRE :

MICHEL BILODEAU

requérant

et

 

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

DU CANADA

intimé

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Par la présente requête, Michel Bilodeau (le requérant) vise à obtenir une ordonnance de prorogation de délai afin de lui permettre de déposer une demande de contrôle judiciaire pour faire annuler la décision prise par le ministre de la Justice le 28 novembre 2007.

 

Faits et historique des procédures

[2]               Le 23 décembre 1971, le requérant, est déclaré coupable de meurtre non qualifié et condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité. Le 21 février 2001, il dépose une demande de révision auprès du ministre de la Justice en vertu de la partie XXI.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 (le Code) afin de faire réviser sa condamnation criminelle. Le Code confère au Ministre le pouvoir de réviser une condamnation afin de déterminer si une erreur judiciaire a été commise. Le Groupe responsable de la révision des condamnations criminelles (le GRCC) est chargé de réviser les demandes, mener des enquêtes et faire des recommandations au Ministre. La demande de révision est reçue par le GRCC le 2 mai 2001.       

 

[3]               Le 17 novembre 2005, suite à la communication de rapports d’enquête produits par le GRCC, le requérant présente des observations au soutien de sa demande. Deux ans plus tard, soit le 28 novembre 2007, le Ministre conclut qu’il n’y a pas de motifs raisonnables permettant de conclure qu’une erreur judiciaire a été commise et rejette la demande de révision.

 

[4]               Le 27 décembre 2007, le requérant dépose une requête pour un bref de certiorari à la Cour supérieure du Québec afin de casser la décision du Ministre. L’intimé dépose alors une requête en irrecevabilité le 4 janvier 2008. Le 18 mars 2008, la Cour supérieure accueille la requête en irrecevabilité et décline juridiction (Bilodeau c. Canada (Ministère de la Justice), 2008 QCCS 1036, EYB 2008-131204). Le requérant interjette appel de la décision. Le 21 avril 2009, la Cour d’appel du Québec confirme que seule la Cour fédérale possède juridiction pour entendre des litiges relatifs aux décisions prises par le Ministre des demandes de révision des condamnations (Bilodeau c. Canada (Ministre de la Justice), 2009 QCCA 746, J.E. 2009-827). Le 8 octobre 2009, la Cour suprême du Canada rejette la demande d’autorisation ([2009] C.S.C.R. no 254). Le 9 novembre 2009, le requérant dépose la présente requête.      

 

Législation pertinente

[5]               Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

 

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

 

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

 

 

(2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

 

Analyse

[6]               Compte tenu de l’importance de la question, de l’ampleur des documents et de la jurisprudence à produire, le juge de Montigny de notre Cour a ordonné que la requête soit entendue en présence des parties. J’ai donc eu le bénéfice d’entendre les plaidoiries orales avant de rendre la présente décision.

 

[7]               La jurisprudence nous enseigne que quatre éléments sont à considérer lorsqu'il s'agit de décider si une requête en prorogation de délai doit être accordée ou refusée: il doit y avoir eu une intention constante de la part du requérant de présenter sa demande; la cause doit être défendable; il doit y avoir une explication raisonnable pour le retard et la prorogation de délai ne doit causer aucun préjudice à l’autre partie (Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.)). Ce critère est souple et doit être appliqué de manière à ce que justice soit rendue. Il s’ensuit qu’une prorogation peut être accordée même si l’un des éléments n’est pas rencontré (Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, [2007] A.C.F. no 37 (QL) au para. 33).

 

L’intention constante de contester la décision

[8]               Le requérant soutient qu’il est clair, de par les démarches qu’il a entreprises auprès de la Cour supérieure, la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada, qu’il a toujours eu l’intention de contester la décision du Ministre en demandant le contrôle judiciaire de la décision. Je suis d’accord que les faits en l’espèce, particulièrement les procédures intentées devant les tribunaux du Québec et le fait que le requérant s’est toujours conformé aux délais dans ces affaires, démontrent qu’il y a toujours eu une intention constante de déposer la demande. 

 

La cause doit être défendable

[9]               Le requérant plaide que tout le processus décisionnel menant au refus par le Ministre a été entaché d’irrégularités qui violent les règles de justice naturelle et ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c.11. Il allègue aussi qu’il y a eu des erreurs de droit dans la norme appliquée et des erreurs quant à l’évaluation de la preuve.

 

[10]           Sans me prononcer sur le bien-fondé ou non de la décision, je considère que le requérant peut soulever des arguments de Charte et un manquement à l'équité procédurale. Sa cause n’est certainement pas « si peu fondée qu'il faille la rejeter à cette étape-ci » (Marshall c. Canada, 2002 CAF 172, [2002] A.C.F. no 669 (QL) au para. 24).        

 

Une explication raisonnable du retard

[11]           Le requérant soutient que la question juridictionnelle de la Cour supérieure du Québec avait une importance réelle et n’était pas sans fondement. Il souligne qu’il était à l’intérieur du délai lorsqu’il a déposé sa requête devant la Cour supérieure et qu’il a agi rapidement à la suite de la décision de la Cour suprême. 

 

[12]           L’intimé, de son côté fait remarquer que le requérant a, en tout temps, été représenté par avocat. Il soutient que, malgré la juridiction non équivoque indiquée dans la Loi sur les Cours fédérales, le requérant a choisi de déposer une demande devant la Cour supérieure du Québec ignorant si cette dernière avait juridiction pour se saisir de sa demande. Il n'a pas non plus déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale pour préserver ses droits. Cette omission ou négligence ne saurait en soi constituer un motif de prorogation.

 

[13]           Il faut noter premièrement qu’aucun litige semblable n’avait été tranché avant la décision dans Bilodeau. Deuxièmement, la décision de la Cour d’appel du Québec dans cette cause comporte une dissidence importante. Il est vrai qu’il aurait été préférable que le requérant protège ses droits devant la Cour fédérale, mais, je ne crois pas que l'on puisse dire qu’il n’a pas agi avec diligence.

 

[14]           L’intimé soulève avec raison qu’un certain courant jurisprudentiel établit que le client doit supporter les erreurs de son avocat (voir la synthèse des courants jurisprudentiels dans l’affaire Muhammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 828, 237 F.T.R. 8). Cependant, le paragraphe 21 dans Muhammed, énonce qu'il est important de conserver l'objectif de Grewal, c'est-à-dire que justice soit rendue.

 

[15]            La Cour suprême, dans Construction Gilles Paquette Ltée c. Entreprises Végo Ltée, [1997] 2 R.C.S. 299  au para. 21, s'est prononcée ainsi : « [la] partie ne doit pas être privée de son droit par l'erreur de ses procureurs, lorsqu'il est possible de remédier aux conséquences de cette erreur sans injustice à l'égard de la partie adverse ». Donc, même si on accepte que les procédures devant la Cour supérieure et la Cour d’appel résultent d’une erreur du procureur du requérant, je ne crois pas qu'il s'agit d'un élément déterminant ici.

 

[16]           Je crois plutôt que l'intérêt de la justice prédomine ici.

 

Le préjudice

[17]           Le fait que la prorogation n'inflige aucun préjudice à l'intimé sert le requérant ou, à tout le moins, ne joue pas contre lui (Grewal, page 279). Ici, les arguments de l'intimé ne m'ont pas convaincu qu'il subira un préjudice si la requête est accordée.

 

 

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête en prorogation soit accordée. Le requérant devra signifier et déposer sa demande de contrôle judiciaire dans les 30 jours de la date de cette ordonnance. Le tout sans frais.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        09-T-60

 

INTITULÉ :                                      MICHEL BILODEAU c. LE MINISTRE DE LA JUSTICE DU CANADA

 

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 16 février 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 17 février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gaétan Bourassa                                                          POUR LE REQUÉRANT

 

Jacques Savary

Laurent Brisebois                                                          POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Centre communautaire juridique de Montréal                 POUR LE REQUÉRANT

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR L’INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada                              

Montréal (Québec)

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