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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100218

Dossier : IMM-2764-09

Référence : 2010 CF 168

Ottawa (Ontario), le 18 février 2010

En présente de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

LAURA SOKOLA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 1er mai 2009 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a tranché que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R. 2001, ch. 27.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, la demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

[3]               La demanderesse est une citoyenne de la Serbie, célibataire, d’origine ethnique hongroise. Elle a un enfant qui est encore en Serbie et qui n’est pas visé par la présente demande. Le père de la demanderesse réside au Canada depuis vingt ans. La demanderesse est entrée au Canada en juin 2006 munie d’un visa de visiteur et a présenté une demande d’asile en septembre.

 

[4]               La demanderesse soutient qu’elle est victime de persécution en Serbie en raison de son origine ethnique hongroise. Elle a déclaré que cette persécution s’est manifestée sous la forme d’actes de harcèlement et de viols. Elle soutient aussi que le père de son fils est violent envers eux et qu’il a proféré des menaces. La demanderesse a eu recours à la police après un incident de harcèlement où on l’avait fait tomber de sa bicyclette, mais pas après avoir été violée. Selon la demanderesse, elle n’a pas fait appel aux policiers parce qu’ils ne protègent pas les femmes d’origine hongroise et qu’elle avait eu une mauvaise expérience avec eux.

 

[5]               La Commission a conclu que les questions déterminantes dans la présente affaire étaient la crédibilité de la demanderesse et la disponibilité de la protection de l’État. Elle a tranché que la demanderesse n’était pas crédible en raison d’un certain nombre d’erreurs, d’omissions et d’incohérences entre son formulaire de renseignements personnels (FRP), son témoignage et la preuve documentaire. La Commission a également conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

II.         Norme de contrôle judiciaire

 

[6]               Les questions soulevées par la demanderesse commandent l’application de la norme de la décision raisonnable (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339; Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 886; 2008 CF 696). Tel que signalé dans les arrêts Dunsmuir et Khosa, précités, le caractère raisonnable d’une décision tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Il tient aussi à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[7]               Je signale que la Cour doit faire preuve de déférence envers les conclusions de la Commission se rapportant à la crédibilité des témoins et à l’appréciation de la preuve (voir Camara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 362; [2008] A.C.F. no 442, paragraphe 12).

 

III.       Questions à trancher

 

[8]               La demanderesse a soulevé les questions suivantes :

 

a)         La Commission a-t-elle tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité qui était déraisonnable et incompatible avec la preuve à sa disposition?

 

b)         La Commission a-t-elle tiré une conclusion concernant la protection de l’État qui était déraisonnable et incompatible avec la preuve à sa disposition?

 

[9]               Pour les motifs exposés ci-après, les décisions de la Commission concernant la crédibilité de la demanderesse et la protection de l’État étaient raisonnables.

 

[10]           Avant de me pencher sur ces questions, je dois examiner un élément de preuve que la demanderesse a présenté à la Commission. Il s’agit d’une lettre de trois pages rédigée par la directrice administrative d’un centre d’aide aux victimes d’agression sexuelle, le Sexual Assault/Rape Crisis Centre of Peel. La lettre débute par la phrase suivante : [traduction] « Cette lettre vise à appuyer la demande d’asile de Mme Laura Sokola […] ». Dans sa lettre, la directrice administrative décrit comment elle a rencontré la demanderesse, les faits se rapportant à Mme Sokola, ainsi que son évaluation de cette dernière. En conclusion, elle affirme que la lettre repose sur [traduction] « mon évaluation sommaire ». Au paragraphe 12, elle ajoute aussi ce qui suit :

[traduction] Je crois fermement que si Mme Sokola était renvoyée en Serbie, non seulement elle serait exposée à des traitements cruels et inusités, mais encore elle continuerait à vivre de façon indigne et à voir ses droits fondamentaux violés parce qu’elle est une femme d’origine hongroise.

 

[11]           La demanderesse soutient que cet élément de preuve est un rapport psychologique qui explique pourquoi elle a de la difficulté à répondre aux questions et à fournir des précisions. Selon la demanderesse, le rapport décrit divers types de comportement d’évitement, y compris les types de comportements que le commissaire a relevés pour justifier sa conclusion que la demanderesse n’était pas crédible. La demanderesse déclare que le commissaire a omis de tenir compte du rapport ou d’apprécier la preuve à la lumière de ce rapport, ou les deux.

 

[12]           Le défendeur fait valoir que la lettre n’est pas un rapport psychologique, car la directrice administrative n’a pas déclaré qu’elle était une professionnelle agréée, la lettre repose sur les allégations de la demanderesse et la phrase initiale reflète le fait que l’auteure envoie une lettre d’appui.

 

[13]           Si la lettre est un rapport psychologique qui aborde des questions pouvant avoir une incidence sur la conclusion qu’a tirée la Commission concernant la crédibilité, il faut qu’elle soit expressément examinée dans les motifs de la Commission (voir C.A. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1082; 73 A.C.W.S. (3d) 654).

 

[14]           En l’espèce, la lettre n’est pas un rapport psychologique. J’arrive à cette conclusion pour les motifs suivants : elle a été rédigée à titre de [traduction] « lettre d’appui »; elle reposait sur une [traduction] « évaluation sommaire »; elle ne fait pas renvoi aux outils, méthodes ou tests que l’auteure aurait utilisés; la lettre ne se limite pas à l’expertise psychologique de l’auteure puisque cette dernière donne son avis sur des questions autres que psychologiques. En l’espèce, la combinaison de ces facteurs n’appuie pas la position selon laquelle la lettre est un avis psychologique.

 

[15]           Par conséquent, il n’était pas déraisonnable de la part de la Commission de ne pas expressément faire renvoi à la lettre et à son lien avec la conclusion concernant la crédibilité. Dans la présente affaire, la Commission a en fait signalé la lettre et lui a accordé peu de poids. Une telle démarche était raisonnable.

 

A.        La Commission a-t-elle tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité qui était déraisonnable et incompatible avec la preuve à sa disposition?

 

[16]           La demanderesse affirme que la conclusion de la Commission concernant la crédibilité est viciée étant donné que le commissaire n’a pas tenu compte des renseignements sur la Serbie, a relevé des incompatibilités dans le témoignage de la demanderesse alors qu’il n’y en avait pas et a conclu que certains éléments du témoignage de la demanderesse étaient invraisemblables.

 

[17]           Le défendeur soutient que la Commission n’a pas commis d’erreur en tirant une conclusion défavorable concernant la crédibilité de la demanderesse compte tenu des omissions, contradictions et incompatibilités au sein de la preuve qu’elle a présentée.

 

[18]           La Commission a relevé de nombreuses incompatibilités entre le FRP de la demanderesse, le témoignage oral de celle-ci et la preuve documentaire. Par exemple, la Commission a relevé des incohérences dans les raisons pour lesquelles elle a fait appel aux policiers après qu’on l’a renversée de sa bicyclette, mais n’a eu recours aux policiers après aucun des trois prétendus viols. La Commission a aussi fait état d’incohérences dans les raisons données pour expliquer pourquoi elle n’a pas présenté une demande d’asile en Hongrie lors de ses nombreux voyages dans ce pays ou immédiatement après son arrivée au Canada. Tel qu’il est signalé dans la décision Castroman c. Canada (Secrétaire d’État) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 129; 81 F.T.R. 227 (C.F.P.I.), un des principaux moyens dont dispose la Commission pour vérifier la crédibilité d’un demandeur d’asile est de comparer le FRP et le témoignage oral.

 

[19]           La Commission a également conclu que certains éléments du témoignage de la demanderesse étaient invraisemblables. La Commission a compétence pour décider de la vraisemblance d’un témoignage et un tribunal de révision doit faire preuve de déférence envers cette décision (Aguebor c. (Canada) Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732; 160 N.R. 315 (C.A.F.)).

 

[20]           Le commissaire a choisi des formulations maladroites dans sa décision, par exemple en parlant du [Traduction] « bon médecin » et de l’agression « mineure » subie par le fils de la demanderesse. La demanderesse soutient également que la Commission a accepté une traduction inadéquate d’un mot. Toutefois, ces points n’ont pas d’incidence sur le fond de la décision. Je signale que dans la décision Ogiriki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 420; 2006 CF 342, le juge Simon Noël a statué que les décisions de la Commission peuvent être raisonnables même si on y décèle quelques « faiblesses » (voir le paragraphe 13).

 

[21]           Je signale également que la Commission a bel et bien tenu compte de la nature des allégations. Ainsi, la Commission a demandé à l’avocate de la demanderesse de lui poser des questions en premier et a pris en considération les directives de la présidente intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe.

 

B.         La Commission a-t-elle tiré une conclusion concernant la protection de l’État qui était déraisonnable et incompatible avec la preuve à sa disposition?

 

[22]           La demanderesse soutient que la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve contradictoires concernant le refus de l’État de protéger les personnes d’origine hongroise et d’autres groupes minoritaires et qu’elle a commis une erreur en concluant que les organisations locales étaient en mesure de la protéger.

 

[23]           Selon le défendeur, il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que les mesures prises par la demanderesse ne réfutaient pas la présomption de protection de l’État et que la raison donnée par la demanderesse pour expliquer son incapacité à faire appel aux autorités – à savoir que les policiers l’avaient « déçue » – était insuffisante.

 

[24]           Le demandeur d’asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l’État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante (Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94; 69 Imm. L.R. (3d) 309, paragraphe 30).

 

[25]           En l’espèce, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas déployé d’efforts pour obtenir la protection de l’État, que la preuve documentaire n’appuyait pas l’affirmation que la demanderesse ne pouvait pas se prévaloir de la protection de l’État et que les raisons données par la demanderesse pour expliquer pourquoi elle n’a pas fait appel à la police n’étaient pas crédibles ou vraisemblables.

 

[26]           L’asile est censé constituer une forme de protection auxiliaire qui ne doit être invoquée que dans les cas où le demandeur d’asile a tenté en vain d’obtenir la protection de son État d’origine (voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; [1993] A.C.F. no 74; Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 584; 2007 CAF 171). Dans la décision Szucs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1614; 100 A.C.W.S. (3d) 650 (1re inst.), le demandeur a expliqué qu’il n’avait pas signalé les deux incidents de persécution à la police parce qu’il croyait qu’une telle démarche serait inutile. Dans ses motifs, le juge Pierre Blais a conclu que la Commission peut examiner toutes les mesures raisonnables prises par le demandeur en vue d’obtenir la protection de son État.

 

[27]           En l’espèce, la Commission a conclu que la demanderesse aurait dû solliciter la protection de l’État à la suite des graves agressions qu’elle avait subies. Cette conclusion était raisonnable.

 

[28]           La demanderesse soutient que la Commission a omis de tenir compte d’éléments de preuve contradictoires concernant le refus de l’État de protéger les personnes d’origine hongroise et d’autres groupes minoritaires. Toutefois, la Commission n’est pas tenue de faire renvoi à chaque élément de preuve ou de résumer la totalité de la preuve documentaire présentée (voir Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.)), et il ne faut pas lire à la loupe les motifs des organismes administratifs (voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35; 1998 CanLII 8667 (C.F.P.I.)).

 

[29]           En l’espèce, la Commission a fait renvoi à la preuve de la demanderesse à la page 1 de ses motifs et a affirmé à la page 7 que « compte tenu de la preuve », la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Cette façon de faire était raisonnable.

 

[30]           La demanderesse soutient également que la Commission a commis une erreur dans son évaluation du risque auquel est exposée la demanderesse, car la décision concernant la disponibilité de la protection de l’État doit être une décision individualisée. La demanderesse se fonde à cet égard sur la décision Nadarajah c. Canada (Procureur général), 2005 CF 713, [2005] A.C.F. n895.

 

[31]           Dans la décision Nadarajah, précitée, la juge Carolyn Layden-Stevenson a conclu que la Commission n’avait pas évalué de manière appropriée l’aptitude de l’État à protéger le demandeur, qui était un membre important d’un mouvement politique particulier, compte tenu de la preuve selon laquelle les autorités étaient à la recherche des membres importants du mouvement, et non des personnes ayant offert un appui modeste à ce mouvement. Il n’y a pas de liens similaires en l’espèce.

 

[32]           La demanderesse fait également valoir que la Commission a commis une erreur en concluant que les organisations locales étaient en mesure de la protéger. La Commission n’a pas tiré cette conclusion. À la page 10 de ses motifs, elle a affirmé ce qui suit : « …outre la protection directe de l’État offerte par le gouvernement de la Serbie, il existe des organisations locales efficaces qui s’emploient à aider les victimes de violence familiale, dont la majorité sont des femmes et parfois des enfants ». Par conséquent, pour ce qui est du rôle attribué aux organisations locales, la Commission a estimé qu’elles pourraient venir en aide à la demanderesse, et non qu’elles assureraient sa protection à la place de l’État.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2764-09

 

INTITULÉ :                                       SOKOLA c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Asiya Hirji

 

POUR LA DEMANDERESSE

Veronica Cham

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Asiya Hirji

Mamann, Sandaluk

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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