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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20100217

Dossier : IMM-1311-09

Référence : 2010 CF 161

Toronto (Ontario), le 17 février 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

DHARMINDER KUMAR

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur n’était ni réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27.

 

[2]               L’affaire est inhabituelle, car le commissaire qui a présidé l’audience n’a pas rendu la décision. La décision contestée a été rendue, du consentement des parties, par un autre commissaire sur le fondement de la transcription et de la preuve documentaire. Les questions déterminantes étaient la crédibilité, la vraisemblance et la possibilité de refuge intérieur (la PRI).

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

LE CONTEXTE

[4]               M. Kumar est citoyen de l’Inde et pratique la religion sikhe. Il était fermier dans la province du Penjab. Il allègue que, la nuit du 15 janvier 2005, cinq membres du parti séparatiste, l’Akali Dali, sont entrés dans sa maison et l’ont obligé à leur faire un repas. M. Kumar a obtempéré.

 

[5]               M. Kumar affirme que le jour suivant, un certain nombre de policiers du Penjab sont allés chez lui, l’ont agressé et arrêté puis emmené au commissariat de police. Il a été interrogé au sujet de son engagement avec les séparatistes et il affirme avoir été torturé. Son père a été capable d’obtenir sa libération trois jours plus tard, après avoir payé un pot-de-vin.

 

[6]               Le 13 avril 2005, à sa sortie d’un temple sikh près de son village, M. Kumar a de nouveau été arrêté par la police et questionné au sujet de son engagement avec les séparatistes. Il affirme avoir été encore agressé et torturé, cette fois-ci pendant une période de sept jours. Après que son père eut de nouveau obtenu sa libération, M. Kumar a fui à New Delhi, qui se trouve environ de 8 à 9 heures de son village en voiture. M. Kumar affirme que son père l’a rejoint deux à trois jours plus tard.

 

[7]               M. Kumar allègue que des policiers du Penjab l’ont suivi à New Delhi et que, avec des policiers de New Delhi, ils sont allés voir s’il se trouvait chez sa sœur où il demeurait. Il soutient qu’il était au marché avec sa sœur lorsque les policiers sont arrivés et que son père, qui était à la maison, a menti quant à ses allées et venues. Il avance que son père a été battu et que les policiers ont menacé de tuer M. Kumar s’ils le trouvaient.

 

[8]               Avec l’aide d’un agent, M. Kumar a obtenu un faux passeport canadien et a quitté l’Inde le 7 juin 2005. Le 15 juin 2005, il a revendiqué la qualité de réfugié. Il a dit craindre que la police du Penjab continue de tenir pour acquis qu’il appuie les séparatistes et qu’il soit persécuté du fait de cette opinion politique qui lui soit imputée.

 

[9]               Le 12 février 2009, près de deux ans après son audience, un tribunal différemment constitué de la Commission a rendu une décision défavorable. La Commission a tiré une conclusion défavorable relativement à la crédibilité sur le fondement d’une contradiction apparente entre le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) et le témoignage de M. Kumar. Dans son FRP, le demandeur a mentionné ceci : [traduction] « Lorsque j’étais chez ma sœur, des policiers du Penjab sont venus chez moi. Mon père a menti et leur a déclaré que Dharminder Kumar n’habitait pas là. » [Non souligné dans l’original.] La Commission a estimé que l’emploi des mots « chez moi » donnait à penser que la police s’était rendue à la maison du demandeur dans la province du Penjab, et non à la maison de sa sœur à New Delhi. La Commission n’a pas cru l’explication du demandeur, selon laquelle son père avait été les rejoindre à New Delhi. La Commission a également conclu qu’il était suspect que le demandeur se rende au marché avec sa sœur alors qu’apparemment il se cachait. La Commission a estimé « que le demandeur d’asile ne disait pas la vérité à propos de la visite des policiers, que son père ne l’a pas rejoint à New Delhi et que les policiers ne sont pas rendus non plus à la maison de sa sœur, à New Delhi. »

 

[10]           La Commission a également conclu qu’il était invraisemblable qu’un groupe de policiers du Penjab eût conduit pendant environ huit heures pour suivre un individu qui « était simplement soupçonné d’appuyer la faction séparatiste ». La Commission a noté qu’« [i]l n’existe aucun système de communication intégré dans le système de police en Inde » qui pourrait faciliter le déploiement d’efforts communs de la police du Penjab et de New Delhi.

 

[11]           La Commission a estimé que le demandeur n’a « pour ainsi dire pas de profil politique en Inde » et que cette absence de profil, de concert avec le fait qu’il n’était pas visé par un mandat d’arrestation, appuie la conclusion selon laquelle le demandeur n’attirerait pas l’attention des autorités s’il retournait en Inde.

 

[12]           Enfin, la Commission a estimé que le demandeur avait une PRI. Elle a conclu que l’absence d’un « système d’enregistrement central permettant à la police de trouver une personne » en Inde, le « profil politique discret » du demandeur, la liberté de mouvement des sikhs et la capacité de travailler du demandeur faisaient en sorte qu’il serait raisonnable pour le demandeur de déménager. La Commission a estimé « qu’il n’y a guère plus qu’une simple possibilité que la police le recherche dans tout le pays s’il y retournait ». La Commission a cité l’exemple du séjour du demandeur à New Delhi et a affirmé ce qui suit : « Je conclus qu’ils ne sont pas partis là-bas à sa recherche, même s’ils se sont rendus à sa maison, à Kular. »

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]           Le demandeur a soulevé un certain nombre de questions en litige :

1.      Les conclusions relatives à la crédibilité et à la vraisemblance étaient-elles raisonnables et ont-elles été tirées en violation de l’équité procédurale?

2.      La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte du fondement objectif de la demande du demandeur malgré les conclusions relatives à la crédibilité qu’elle a tirées?

3.      La Commission a-t-elle commis une erreur en ne fournissant pas une analyse séparée à l’égard de l’article 97?

4.      La conclusion de la Commission concernant le profil politique du demandeur était-elle déraisonnable?

5.      La conclusion relative à la PRI tirée par la Commission était-elle raisonnable?

 

ANALYSE

[14]           À mon avis, il n’est pas nécessaire d’examiner chacune des cinq questions en litige soulevées par le demandeur parce qu’il est clair selon moi que le demandeur a gain de cause à l’égard de la première question.

 

[15]           Je conclus que la décision de la Commission, selon laquelle il était invraisemblable que M. Kumar ait été suivi et persécuté à New Delhi, n’était pas raisonnable. Cela ne veut cependant pas dire que la Commission avait tort. Il se peut que M. Kumar ait menti et que la police ne l’ait pas suivi à New Delhi; cependant, sur le fondement des faits acceptés par la Commission, cette décision était déraisonnable pour les motifs qui suivent.

 

[16]           La Commission n’a tiré aucune conclusion au sujet des allégations du demandeur, selon lesquelles il a été arrêté, détenu, battu et torturé deux fois dans sa province d’origine du fait de son lien apparent avec les séparatistes. Il est de jurisprudence constante que, « [q]uand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter » : Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.F.), page 305. Le silence de la Commission sur les deux premières allégations d’abus par la police doit être considéré comme une acceptation de cet aspect du témoignage de M. Kumar.

 

[17]           Étant donné que la Commission a accepté que la police de la province du Penjab avait eu cette conduite scandaleuse, on doit se demander sur quel fondement la Commission a tiré sa conclusion selon laquelle il est invraisemblable que la police ait suivi M. Kumar à New Delhi. La Commission a affirmé qu’elle avait fondé sa conclusion sur le fait que le demandeur « était simplement soupçonné d’appuyer la faction séparatiste ». En fait, il semble que la Commission n’a pas tenu compte de nombreux autres éléments de preuve. Il y a en particulier les deux incidents précédents lors desquels, selon le demandeur, il aurait été torturé aux mains de policier pendant de nombreux jours.

 

[18]           Le défendeur soutient avec raison que les conclusions relatives à la vraisemblance doivent être tirées en tenant compte de ce qu’un tiers objectif considérerait être « raisonnable à cet endroit et dans ces conditions » : Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 805 (C.F. 1re inst.) (QL), paragraphe 27. Étant donné que la Commission a accepté le témoignage du demandeur portant sur la persécution policière dans sa province d’origine, il m’est impossible de comprendre comment la Commission a pu tirer sa conclusion relative au caractère vraisemblable de l’allégation de persécution policière à New Delhi sans tenir compte des cas de torture précédent cette persécution.

 

[19]           Que le demandeur ait été détenu et torturé deux fois en raison du lien qui lui a été imputé avec les séparatistes constituent de sérieuses allégations et de graves violations des droits de la personne. Un tel traitement donne à penser que, peu importe le profil du demandeur et les soupçons de la police, le demandeur revêtait une importance particulière pour les autorités locales.

 

[20]           Ce n’est pas le rôle de la Cour de déterminer ce que la personne raisonnable, au courant du traitement subi par le demandeur aux mains de la police du Penjab, considérerait comme étant vraisemblable quant au fait que la police l’aurait suivi à New Delhi. Cependant, la conclusion relative à la vraisemblance tirée par la Commission doit être raisonnable. L’omission par la Commission d’examiner les allégations de persécution à New Delhi dans le contexte des incidents précédents d’arrestation et de torture fait en sorte que sa décision n’est pas suffisamment justifiée et qu’elle est donc déraisonnable. La Commission n’a pas expliqué pourquoi, alors que le profil politique discret du demandeur l’exposerait au risque d’être arrêté et torturé dans sa province d’origine, il ne subirait pas le même traitement dans une province voisine située à seulement huit heures de route.

 

[21]           Outre la conclusion d’invraisemblance tirée par la Commission quant au fait que la police aurait suivi le demandeur à New Delhi, la Commission a également mis en doute le récit du demandeur à ce sujet. Cependant, la conclusion de la Commission quant à ce récit est également discutable à mon avis.

 

[22]           L’accent mis sur les mots « chez moi » dans le FRP du demandeur semble constituer une analyse microscopique. Une appréciation de la crédibilité effectuée sur le fondement d’un seul mot par un commissaire qui n’a pas entendu le témoignage du demandeur ou qui ne l’a pas interrogé doit être considérée avec une certaine suspicion. En outre, l’accent mis par la Commission sur l’allégation du demandeur selon laquelle, malgré qu’il se « cachait », le demandeur était sorti avec sa sœur lorsque la police est arrivée, pourrait être qualifié tant de conclusion d’incohérence que de conclusion d’invraisemblance. S’il s’agit d’une conclusion d’invraisemblance, alors la Commission n’a pas l’obligation d’interroger le demandeur à ce sujet : Appau c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 91 F.T.R. 225, pages 228 et 229. Cependant, s’il s’agit d’une conclusion d’incohérence, alors la Commission a l’obligation d’interroger le demandeur à ce sujet afin qu’il puisse expliquer l’incohérence : Danquah c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] A.C.F. no 1704, paragraphe 6 (C.F. 1re inst.) (QL). La Commission a considéré qu’il s’agissait d’une incohérence plutôt que d’une invraisemblance comme il ressort clairement de la déclaration suivante tirée de sa décision : « Il s’agit là d’une autre incohérence. » La Commission avait donc l’obligation d’interroger le demandeur au sujet de son doute et, puisqu’elle ne l’a pas interrogé, elle a violé l’équité procédurale.

 

[23]           Par conséquent, la décision de la Commission portant sur les faits qui seraient survenus à New Delhi n’est pas fondée. Pour cette raison, la décision doit être infirmée, et la demande du demandeur doit être examinée par un autre commissaire.

 

[24]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et, à mon avis, le dossier n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la demande du demandeur est renvoyée pour audition à un commissaire qui n’a pas déjà examiné la demande;

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B. M.A.Trad.jur.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1311-09

 

INTITULÉ :                                                   DHARMINDER KUMAR c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 15 FÉVRIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 17 FÉVRIER 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

POUR LE DEMANDEUR

 

Ned Djordjevic

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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