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Date : 20100212

Dossier : T-1161-07

Référence : 2010 CF 150

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 Toronto (Ontario), le 12 février 2010

En présence de madame la protonotaire Milczynski

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS CANADA INC.,

SCHERING CORPORATION et

SANOFI-AVENTIS ALLEMAGNE GmbH

demanderesses

et

 

NOVOPHARM LIMITED

défenderesse

 

ET ENTRE :

 

NOVOPHARM LIMITED

 

demanderesse reconventionnelle

 

et

 

 

SANOFI-AVENTIS CANADA INC.,

SCHERING CORPORATION et

SANOFI-AVENTIS ALLEMAGNE GmbH

 

défenderesses reconventionnelles

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

  • [1] Les demanderesses, Sanofi-Aventis Canada Inc. (« Sanofi Canada ») et Sanofi-Aventis Allemagne GmbH (« Sanofi Allemagne »), ont déposé la présente requête d’ordonnance visant à :

  • a) Faire radier les paragraphes suivants, ou des parties de ceux-ci, de la troisième défense modifiée et de la demande reconventionnelle de Novopharm Limited (« Novopharm ») :

    • (i) l’alinéa 76(h) et les paragraphes 138 à 140 (demande de restitution des profits);

    • (ii) le paragraphe 143A et les passages [traduction] « et par Sanofi Allemagne » et « et Sanofi Allemagne » au paragraphe 143B (déclaration de Sanofi Allemagne);

    • (iii) le passage [traduction] « et une perte permanence de parts de marché » au paragraphe 135, ainsi que les paragraphes 136 et 143 (réclamation pour perte permanente de parts de marché);

  • b) Obliger Novopharm à modifier son acte de procédure de façon à supprimer la demande concernant le recouvrement des frais engagés au cours des procédures enclenchées en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) ou, subsidiairement, à obtenir une ordonnance pour faire radier le passage [traduction] « et les frais qu’elle a engagés pour se défendre dans les dossiers de la Cour nos T-1965-05 et T-1979-05 et les appels à cet égard, et qu’elle n’a pas récupérés dans le contexte de ces procédures » à l’alinéa 76(g) (« dépens »);

  • c) Obliger Novopharm à modifier son acte de procédure de façon à supprimer la déclaration relative à la capsule de 1,25 mg ou, subsidiairement, à obtenir une ordonnance pour faire radier le passage [traduction] « et le 2 août 2006 dans le cas des capsules de 1,25 mg de Novo-Ramipril » à l’alinéa 76(g), et le paragraphe 133 (« déclaration relative à la capsule de 1,25 mg »);

  • d) Rejeter l’action intentée contre Sanofi Allemagne.

 

  • [2] La défenderesse reconventionnelle, Schering Corporation (« Schering »), a également présenté une requête pour obtenir une ordonnance visant à :

  • (a) Faire radier les paragraphes 76 à 144 de la troisième demande reconventionnelle modifiée de Novopharm visant Schering et, plus précisément, une ordonnance visant à supprimer « Schering Corporation » de l’intitulé de la cause et les références à Schering aux alinéas 76(g) et 76(h) et aux paragraphes 138 à 143B;

  • (b) Rejeter la demande reconventionnelle visant Schering.

 

Résumé des faits

  • [3] La présente procédure est une action en contrefaçon de brevet déposée par Sanofi Canada, Sanofi Allemagne et Schering à l’encontre de Novopharm Limited relativement à la contrefaçon alléguée du brevet canadien 1 341 206 (le « brevet 206 ») par Novopharm et la vente de son produit Novo-Ramipril. Le brevet 206, qui appartient à Schering, revendique le composé appelé ramipril. Sanofi Canada vend le ramipril au Canada, sous licence, et sous le nom de marque ALTACE.

 

  • [4] En réponse à la déclaration, Novopharm a déposé une demande reconventionnelle pour, entre autres choses, obtenir une ordonnance en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le « Règlement »), enjoignant aux défenderesses reconventionnelles d’indemniser Novopharm pour les pertes subies, et une ordonnance de restitution des profits générés par la vente de ramipril au cours de la période où Novopharm n’était pas titulaire d’un avis de conformité (« AC ») en raison des procédures qui ont été déposées en vertu de l’article 6 du Règlement.

 

  • [5] Le procès portant sur la demande reconventionnelle de Novopharm présentée en vertu de l’article 8 a été mis en suspens en attendant l’issue de l’action principale et une décision sur la contrefaçon et la validité du brevet 206. Le 29 juin 2009, la juge Snider a rejeté les revendications des demanderesses et a déclaré invalides les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206. Par conséquent, la demande reconventionnelle de Novopharm est maintenant déposée.

 

  • [6] Lors de l’audience de la présente requête, le 19 octobre 2009, Novopharm a indiqué avoir abandonné sa demande de restitution des profits, comme il est énoncé à l’alinéa 76(h) et aux paragraphes 138 à 140 de sa demande reconventionnelle; elle cherche également à modifier la demande reconventionnelle de façon à supprimer les dépens, comme il est énoncé à l’alinéa 76(h) dans l’acte de procédure actuel, ainsi qu’à supprimer les demandes reconventionnelles qui se rapportent aux capsules de 1,25 mg de Novo-Ramipril, comme il est décrit à l’alinéa 76(g) et au paragraphe 133 dans l’acte de procédure actuel. Novopharm cherche encore à recouvrer des dommages-intérêts, en vertu de l’article 8 du Règlement, auprès de Sanofi Canada, de Sanofi Allemagne et de Schering.

 

  • [7] La demande de Novopharm visée par l’article 8 est déposée relativement à plusieurs brevets inscrits au registre des brevets conformément au Règlement et aux procédures connexes liées aux ordonnances d’interdiction présentées par Sanofi Canada. Novopharm soutient que la réception de son avis de conformité pour son produit Novo-Ramipril a été retardée du fait qu’elle a dû tenir compte de la liste de brevets et répondre à deux procédures d’interdiction, T-1965-05 et T-1979-05, qui ont été déposées par Sanofi-Canada en réponse aux avis d’allégation délivrés par Novopharm, comme l’exige le Règlement.

 

  • [8] Schering n’était pas une partie dans le dossier de la Cour T-1979-05; les brevets en cause, les brevets canadiens nos 2 023 089, 2 055 948, 2 382 387 et 2 382 549, ont été inscrits au registre de brevets par Sanofi Canada. Dans le dossier de la Cour T-1965-05, le brevet 206 était le brevet en cause. Sanofi Allemagne n’était pas une partie; à titre de propriétaire du brevet 206, Schering était une partie indispensable en vertu du paragraphe 6(4) du Règlement.

 

  • [9] La demande dans le dossier de la Cour T-1965-05 a été déposée le 31 octobre 2005 et a été rejetée par la Cour fédérale le 26 septembre 2006 (confirmée par la Cour d’appel fédérale). La demande dans le dossier de la Cour T-1979-05 a été déposée le 2 novembre 2005 et a été rejetée par la Cour fédérale le 27 avril 2007. Novopharm a reçu l’avis de conformité du produit Novo-Ramipril le 2 mai 2007.

Sanofi Allemagne et Schering sont-elles des parties en bonne et due forme à la demande en vertu de l’article 8?

  • [10] L’article 8 du Règlement crée une cause d’action fondée sur la loi dans laquelle des dommages-intérêts peuvent découler de circonstances où une demande d’ordonnance visant à empêcher le ministre de la Santé de délivrer un AC est retirée, fait l’objet d’un désistement ou est rejetée. L’article 8 dispose que ces dommages-intérêts sont ceux d’une « première personne » et décrit cette perspective dans les termes suivants :

8 (1)  Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

 

  • (c) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut :

  • (i) soit que la date attestée est devancée en raison de l’application de la Loi modifiant la Loi sur les brevets et la Loi sur les aliments et drogues (engagement de Jean Chrétien envers l’Afrique), chapitre 23 des Lois du Canada (2004), et qu’en conséquence une date postérieure à celle-ci est plus appropriée,

  • (ii) soit qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée;

 

  • (d) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

 

  • (2) La seconde personne peut, par voie d’action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

 

  • (3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action en contrefaçon du brevet visé par la demande.

 

  • (4) Lorsque le tribunal enjoint à la première personne de verser à la seconde personne une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1), il peut rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts à l’égard de cette perte.

 

  • (5) Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

 

  • (6) Le ministre ne peut être tenu pour responsable des dommages-intérêts au titre du présent article.

 

  • [11] Par conséquent, comme il est indiqué au paragraphe 8(2), le droit d’action de la « deuxième personne » pour dommages ne peut s’exercer que contre la « première personne ». L’article 2 du Règlement définit la « première personne » comme la personne visée au paragraphe 4(1). Le paragraphe 4(1) du Règlement dispose que la première personne est la personne qui a déposé la présentation de drogue nouvelle (PDN) :

4 (1)  La première personne qui dépose ou a déposé la présentation de drogue nouvelle ou le supplément à une présentation de drogue nouvelle peut présenter au ministre, pour adjonction au registre, une liste de brevets qui se rattache à la présentation ou au supplément.

  • [12] Lorsqu’une « deuxième personne », généralement un fabricant de médicaments génériques, cherche à faire référence à une présentation de drogue nouvelle afin d’obtenir une approbation réglementaire accélérée (un AC pour son produit), la « deuxième personne » doit, aux termes de l’article 5 du Règlement, traiter tout brevet inscrit au moyen d’un avis d’allégation (« AA ») délivré à la « première personne ». La deuxième personne peut, dans l’AA, alléguer la non-contrefaçon ou l’invalidité du brevet. La « première personne » a ensuite le droit, en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement, en ce qui concerne l’AA, de présenter une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, afin d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer l’AC à la deuxième personne au motif que les allégations de non-contrefaçon et d’invalidité de l’AA ne sont pas justifiées.

 

  • [13] C’est le délai résultant de la période requise pour trancher les demandes déposées par la première personne, dans l’éventualité où la deuxième personne parvient à obtenir l’AC, qui donne lieu à une action en dommages-intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement. Conformément au paragraphe 6(1) du Règlement, le droit d’entreprendre une demande d’ordonnance d’interdiction revient exclusivement à la « première personne ». Si cette demande est entreprise et que la « première personne » n’est pas propriétaire du brevet, le propriétaire du brevet doit être constitué partie à la demande, en application du paragraphe 6(4) du Règlement.

 

  • [14] Par conséquent, ce n’est que par l’application ou que sous le régime du Règlement que découle (a) le droit de réclamer des dommages-intérêts d’une deuxième personne; et (b) qu’une telle réclamation ne peut être invoquée par la deuxième personne qu’à l’encontre de la première personne.

 

  • [15] Dans la présente instance, Novopharm réclame, par demande reconventionnelle, des dommages-intérêts auprès des trois défenderesses nommément désignées, en alléguant que chacune, conjointement et solidairement, est responsable en tant que « première personne » aux fins des dommages-intérêts prévus à l’article 8 du Règlement. Chacune des défenderesses soutient que la question à savoir qui est la « première personne » est un exercice simple d’interprétation de la loi et qu’il ne peut y avoir plusieurs premières personnes en vertu du Règlement, comme il est indiqué actuellement. Les défenderesses soutiennent que la première personne est et ne peut être que Sanofi Canada, et que seule Sanofi Canada peut être tenue responsable, en vertu du Règlement, de verser des dommages-intérêts en vertu de l’article 8 à la deuxième personne, soit Novopharm en l’espèce.

 

  • [16] Novopharm soutient que la définition de « première personne » en vertu de l’article 8 des Règlements devrait être interprétée de manière téléologique et n’empêche pas la revendication de Novopharm à l’égard de Schering ou de Sanofi Allemagne. En ce qui concerne Schering, Novopharm soutient ce qui suit :

  • (i) Schering connaissait, a autorisé et a dirigé les mesures prises par Sanofi Canada dans le litige visé par le Règlement;

  • (ii) Schering a participé pleinement et activement à toutes les procédures visées par le Règlement, cherchant « activement » à empêcher Novopharm d’obtenir un AC pour le produit Novo-Ramipril par le dépôt d’affidavits et par des observations écrites et orales;

  • (iii) Schering a participé à l’inscription du brevet 206 au registre des brevets;

  • (iv) La participation de Schering a eu des répercussions importantes sur Novopharm, lui causant ainsi des dommages, des pertes et des préjudices.

 

  • [17] En ce qui concerne Sanofi Allemagne, Novopharm soutient ce qui suit :

    1. Sanofi Allemagne exerce un contrôle total complet sur les activités de Sanofi Canada et ajoute que ces activités étaient toutes gérées, sollicitées ou autrement contrôlées par Sanofi Allemagne qui utilisait Sanofi Canada comme « instrument »;

    2. Sanofi Allemagne a participé pleinement et activement à titre de co-demanderesse dans toutes les procédures en vertu du Règlement, cherchant « activement » à empêcher Novopharm d’obtenir un AC pour le produit Novo-Ramipril;

    3. Sanofi Allemagne a bénéficié du délai avant l’entrée de Novopharm sur le marché.

 

  • [18] Dans la troisième défense modifiée, les allégations de Novopharm sont plaidées comme suit :

[traduction]
143A  Novopharm indique que Sanofi Allemagne exerce un contrôle total complet sur les activités de Sanofi Canada et ajoute que ces activités étaient toutes gérées, sollicitées ou autrement contrôlées par Sanofi Allemagne qui utilisait Sanofi Canada comme instrument. Les activités de Sanofi Canada et de Sanofi Allemagne faisaient toutes partie d’une entreprise commune exploitée par Sanofi Canada, sous la direction et pour le compte de Sanofi Allemagne. En conséquence, les activités de Sanofi Canada doivent en droit et en equity être traitées comme les activités de Sanofi Allemagne qui, par conséquent, est également responsable envers Novopharm.

 

 

  • [19] Tel n’est pas le cas pour Schering :

[traduction]
143B  Novopharm soutient en outre que toutes les mesures prises par Sanofi Canada et par Sanofi Allemagne ont été exécutées à la connaissance, sous l’autorité et sous la direction de Schering, ce qui rend Schering responsable de tout acte illégal commis par Sanofi Canada et Sanofi Allemagne.

 

  • [20] Concernant la présente requête, la Cour doit déterminer s’il est « évident et manifeste » que l’interprétation de la « première personne » présentée par Novopharm n’est pas disponible et qu’il est certain que la responsabilité des dommages-intérêts en vertu de l’article 8 ne peut être attribuée qu’à la personne qui a déposé la PDN et la liste de brevets.

 

  • [21] Novopharm soutient que l’interprétation plus large de la « première personne », de façon à inclure des personnes autres que celles ayant déposé la PDN et la liste de brevets, est en phase avec les motifs du juge Evans, dans l’arrêt Apotex Inc. c. Eli Lilly and Co., 2004 C.A.F. 358, qui, au paragraphe 14, a formulé les commentaires suivants :

Il me paraît donc, soit dit en toute déférence, que la juge des requêtes a commis une erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en concluant que le point de savoir si Lilly U.S. contrôlait Lilly Canada aussi étroitement qu’Apotex l’affirme dans ses conclusions écrites n’était pas pertinent aux fins d’établir si Lilly U.S. était la « première personne », au motif du fondement législatif de la cause d’action d’Apotex. Le point de savoir si, pour l’application de l’article 8, peut être considérée comme la « première personne » la société qui a ordonné la présentation au ministre de la liste de brevets soumise nominalement par sa filiale est une question de droit assez difficile pour exiger un procès.

 

 

  • [22] Les parties qui présentent la requête soutiennent que cette décision doit être mise en contexte, c’est-à-dire qu’elle était applicable lorsque la possibilité de recouvrement des profits de la première personne, par opposition aux dommages-intérêts de la deuxième personne, n’était pas encore été établie. C’est ce scénario qui pourrait mener à une interprétation plus large du terme « première personne » ou à une nécessité d’inclure les entreprises liées à la première personne afin de « suivre la trace de l’argent ». Puisqu’il est maintenant bien établi, toutefois, que le recouvrement des profits d’une première personne n’est pas une action possible en vertu de l’article 8 du Règlement, (l’arrêt Merck Frosst Canada Ltd. c. Apotex Inc., 2009 C.A.F. 187, autorisation de pourvoi devant la CSC rejetée le 28 janvier 2010), les parties qui présentent la requête soutiennent que Sanofi Allemagne et Schering ne sont plus des parties appropriées ou nécessaires et qu’il n’y a pas de cause d’action fondée contre elles.

  • [23] Les observations du juge Evans, toutefois, ne sont pas clairement et indubitablement restreintes à la pertinence possible des conclusions relatives aux concepts de mandat et de contrôle, aux seules fins de suivre la trace de l’argent pour déterminer les profits. Aux paragraphes 11 à 13, le juge Evans a noté ceci :

L’idée que les concepts de la common law, par exemple celui du mandat, ne sont jamais pertinents pour l’interprétation de la législation est une proposition très générale, que la juge n’a étayée d’aucune jurisprudence. En fait, il ressort à l’évidence de la jurisprudence invoquée par Apotex que, dans certains cas du moins, le point de savoir si une filiale en propriété exclusive a agi dans les faits comme mandataire de sa société mère peut se révéler pertinent aux fins d’établir la responsabilité de cette dernière sous le régime d’une loi fiscale [...].

 

À mon avis, les faits qu’invoque Apotex dans ses conclusions écrites pour illustrer le contrôle intégral qu’exerce Lilly U.S. sur Lilly Canada témoignent d’une relation plus étroite que celle qui existe inévitablement entre une société et son actionnaire unique. La communication préalable pourrait révéler que Lilly U.S. contrôlait Lilly Canada dans une mesure suffisante pour faire de Lilly U.S. la « première personne ».

 

  • [24] Au paragraphe 15 de ses motifs, le juge Evans fait référence à la pertinence de cette mission d’enquête et d’établissement des faits, par exemple, dans la mesure où les profits pourraient être recouvrés. À l’article 16 des motifs, il mentionne que si les concepts de mandat ou de contrôle sont pertinents aux fins d’établir si une personne autre que la personne qui a soumis la PDN et la liste de brevets était la « première personne », il faudra des conclusions de fait qui ne peuvent être correctement établies que dans le contexte d’un procès visant à déterminer le niveau de contrôle exercé par la prétendue première personne nominale.

 

  • [25] Novopharm expose des motifs autres que le fait de suivre la trace des profits afin d’expliquer pourquoi ces conclusions pourraient être pertinentes et nécessaires pour appliquer l’interprétation téléologique qu’elle préconise, de façon à inclure les entreprises mères, connexes et autres dans la définition de « première personne ». Par exemple, il pourrait y avoir des questions liées au recouvrement et à la capacité de faire droit à une réclamation en dommages-intérêts. Les activités de l’entreprise peuvent être organisées de façon que les « premières personnes » soient des entités nominales détenant des actifs insuffisants.

 

  • [26] La question en litige dans la présente requête ne consiste pas à savoir si, en l’espèce, la personne nominale ou la première personne est incapable de faire entièrement droit à une réclamation en dommages-intérêts; il s’agit plutôt de déterminer s’il y a résolution de l’interprétation appropriée du Règlement. À cet égard, et compte tenu du jugement rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lilly, il est bien établi que les questions de l’interprétation législative ou de l’argument de droit ne doivent pas être tranchées dans le cadre d’une requête en radiation d’un acte de procédure, mais doit plutôt dans le cadre d’un procès.

 

  • [27] La question à savoir si une « première personne » en vertu du Règlement peut comprendre des personnes autres que la personne qui a soumis la PDN et la liste de brevets (ou ne peut les inclure sans modifier le Règlement) n’a pas encore été examinée en détail et une décision finale doit être rendue. Ainsi, il est clair que cette question ne doit pas être tranchée dans le contexte d’une requête en radiation, alors que des faits substantiels ont été autrement invoqués pour soutenir la revendication. C’est ce que Novopharm a fait par rapport à Sanofi Allemagne. Toutefois, même si l’interprétation plus large de « première personne » établie par Novopharm est acceptée, les allégations formulées contre Schering ne satisfont pas au critère de présentation de faits suffisamment substantiels qui, si la preuve en était faite, permettrait à la Cour de conclure que Sanofi Canada est un mandataire, agissant à titre de première personne nominale, dirigée et contrôlée par Schering. Schering et Sanofi Canada sont des parties indépendantes. Novopharm n’a pas plaidé que Schering est une « première personne » qui exerce un « contrôle total » sur Sanofi Canada. Quoi qu’il en soit, je conclus que peu importe le règlement de la question sur la première personne, il est évident et manifeste que la réclamation pour dommages-intérêts de Novopharm en vertu de l’article 8 est clairement irrecevable.

 

Perte permanente de parts du marché

  • [28] Novopharm concède, au paragraphe 50 de ses observations écrites, que les allégations énoncées aux paragraphes 135, 136 et 143 de la troisième demande reconventionnelle modifiée se rapportent à la perte de parts de marché future et permanente et pourrait ne pas donner lieu directement à des dommages-intérêts. Pourtant, Novopharm résiste à la requête de radier ces paragraphes au motif qu’ils démontrent clairement la nature et la portée du préjudice qui a été causé à Novopharm et qu’ils sont pertinents pour permettre à la Cour d’évaluer les dommages subis par Novopharm. Toutefois, les dommages-intérêts auxquels Novopharm a droit seront déterminés en fonction de la fenêtre de recouvrement en vertu de l’article 8 du Règlement – ces dommages-intérêts sont restreints à l’indemnisation pour la perte subie au cours de la période de mise en application du sursis automatique.

 

  • [29] La référence à une perte permanente de parts de marché et au déni allégué d’une possibilité d’améliorer la réputation de Novopharm, ce qui touche le lancement sur le marché de nouveaux produits avant les concurrents et les ventes de produits autres que le ramipril, n’est pas pertinente en ce qui concerne le calcul des dommages-intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement dans la présente instance. Comme il est indiqué par la Cour d’appel dans l’arrêt Merck Frosst Canada Ltd. c. Apotex Inc., (2009), 76 CPR (4th) 1 (C.A.F), aux paragraphes 101 à 102 :

101 [...] le gouverneur en conseil s’est penché sur la question et [...] a choisi de limiter l’évaluation des pertes faisant l’objet d’une indemnisation par voie de dommages-intérêts aux pertes subies au cours de la période. Cela ne pose aucune question de principe. Le gouverneur en conseil aurait pu étendre l’évaluation des pertes aux pertes qui ont été causées au cours de la période, sans égard au moment où elles sont subies. Cependant, il ne l’a pas fait.

102 Il faut donner effet à l’intention clairement exprimée du gouverneur en conseil. L’indemnisation des pertes pour les années futures est donc exclue puisqu’on ne peut pas dire que ces pertes ont été subies au cours de la période. Il s’ensuit, par exemple, que le droit d’Apotex à des dommages‑intérêts pour la perte de ventes résultant de la baisse alléguée de sa part de marché doit être limité aux ventes dont on peut établir qu’elles ont été perdues au cours de la période. Pour que les pertes fassent l’objet d’une indemnité, il faut établir qu’elles sont survenues au cours de la période.

 

 

  • [30] Il convient donc de radier les paragraphes contestés puisqu’ils ne sont pas pertinents et ne révèlent pas une cause d’action raisonnable.


ORDONNANCE

 

  LA COUR ORDONNE QUE :

 

  1. La troisième défense modifiée à l’encontre de Schering est radiée et par les présentes rejetée.

  2. Le passage [traduction] « et une perte permanente de parts de marché » au paragraphe 135, l’ensemble du paragraphe 136 et le passage « En outre, Novopharm ne pourra pas s’approprier un plus grand pourcentage des parts de marché en raison de son entrée tardive. Par conséquent, Novopharm demande également des dommages‑intérêts pour la part de marché perdue » au paragraphe 143 soient radiés.

  3. Novopharm doit, dans les vingt jours suivant la date de la présente ordonnance, signifier et déposer une quatrième défense modifiée cohérente avec les motifs et la présente ordonnance, y compris les modifications apportées à l’intitulé de la cause, pour supprimer les références à Schering Corporation.

  4. Le reste de la requête déposée par Sanofi-Aventis Canada Inc., et Sanofi-Aventis Allemagne GmbH est rejetée.

  5. Si les parties sont incapables de s’entendre sur les dépens, elles pourront déposer des observations écrites d’au plus trois (3) pages dans les vingt (20) jours suivant la date de la présente ordonnance.

 

« Martha Milczynski »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

 

  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :  T-1161-07

 

 

INTITULÉ :  SANOFI-AVENTIS CANADA INC., SCHERING CORPORATION et SANOFI-AVENTIS ALLEMAGNE GmbH c. NOVOPHARM LIMITED

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 19 OCTOBRE 2009

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :   LA PROTONOTAIRE MILCZYNSKI

 

 

DATE DES MOTIFS :  LE 12 FÉVRIER 2010

 

 

COMPARUTIONS : 

 

Gunars A. Gaikis  POUR LES DEMANDERESSES

J. Sheldon Hamilton  /DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES,

  SANOFI-AVENTIS CANADA INC. ET

  SANOFI-AVENTIS ALLEMAGNE GmbH

 

Anthony Creber  POUR LA DEMANDERESSE/DÉFENDERESSE

Marc Richard  RECONVENTIONNELLE, SCHERING CORPORATION

 

Jonathan Stainsby  POUR LA DÉFENDERESSE/DEMANDERESSE

Lesley Caswell  RECONVENTIONNELLE, NOVOPHARM LIMITED

 

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar  POUR  LES EMANDERESSES/DÉFENDERESSES

Avocats  RECONVENTIONNELLES SANOFI-AVENTIS

Toronto (Ontario)   CANADA INC. ET SANOFI-AVENTIS ALLEMAGNE GmbH

Toronto (Ontario) 

 

Gowling Lafleur Henderson   POUR LA DEMANDERESSE/DÉFENDERESSE

S.E.N.C.R.L., s.r.l.  RECONVENTIONNELLE SCHERING

Avocats  CORPORATION

Ottawa (Ontario)

 

Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L.  POUR LA DÉFENDERESSE/DEMANDERESSE

Avocats  RECONVENTIONNELLE POUR NOVOPHARM

Toronto (Ontario)  LIMITED

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