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Date : 20100212

Dossier : T‑831‑09

Référence: 2010 CF 145

Ottawa (Ontario), le 12 février 2010

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

M. W. (MAX) TOMASZEWSKI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DES FINANCES,

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               [33]      […] Puisque l’appréciation du poids à accorder à un fait en particulier est au cœur de ce qui constitue l’exercice du pouvoir discrétionnaire, il sera généralement difficile de persuader un tribunal qu’une décision administrative a été exercée de façon déraisonnable à cet égard.

 

(Telfer c. Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23, 386 N.R. 212).

 

II.  Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, introduite conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, visant la décision par laquelle l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a rejeté la demande de renonciation aux intérêts présentée au deuxième palier par le demandeur relativement aux années d’imposition 1992 à 1995, sur le fondement de motifs d’ordre financier, ainsi que sa demande de renonciation aux intérêts présentée au premier palier, fondée sur des motifs d’ordre médical.

 

III.  Contexte

[3]               Le demandeur, M. M.W. (Max) Tomaszewski, a des dettes fiscales pour les années d’imposition 1992, 1993, 1994 et 1995. En 2002, il a présenté une demande afin que le ministre du Revenu national exerce son pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (LIR) pour renoncer aux intérêts accumulés sur ces dettes. Selon le demandeur, cette évaluation initiale n’a pas été effectuée correctement. La décision rejetant sa demande a été rendue le 29 août 2007. Le 17 décembre 2008 ou vers cette date, le demandeur a envoyé une lettre dans laquelle il indiquait qu’il désirait un deuxième examen de sa demande d’allègement.

 

IV. Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[4]               Le 29 avril 2009, le bureau des services fiscaux de l’ARC à Victoria, en Colombie‑Britannique, a rejeté la demande d’allègement fiscal présentée par le demandeur.

 

[5]               L’ARC a rejeté la demande du demandeur au motif qu’il n’est pas dans une situation d’incapacité à payer ses impôts en raison de difficultés financières. En rendant cette décision, l’ARC a fait remarquer ce qui suit : le demandeur avait fourni des états financiers signés montrant que sa valeur nette a oscillé entre 5,5 et 14,2 millions de dollars entre 1989 et 2007, des relevés de diverses institutions financières faisant état de revenus s’échelonnant entre 100 000 $ et 250 000 $ par année au cours des dix dernières années, une entente de divorce conclue en 2007 indiquant que le demandeur a versé un montant de 1 250 000 $ à son ancienne conjointe, des copies de relevés bancaires pour l’année 2007 selon lesquels le demandeur a transféré 100 000 $ dans son compte bancaire en Pologne et qu’il a payé les études de ses filles, qui ont décroché un total de cinq diplômes universitaires, ainsi que des relevés indiquant qu’il subvenait aux besoins de sa mère et de son frère en Pologne.

 

[6]               Compte tenu des éléments de preuve susmentionnés, l’ARC est parvenue à la conclusion que le demandeur a omis de payer ses créances fiscales parce qu’il a choisi de s’engager dans d’autres dépenses discrétionnaires.

 

[7]               Le demandeur a également présenté une demande d’allègement des intérêts en raison de son état de santé étant donné qu’il souffre d’une intoxication aux métaux lourds. Le 6 avril 2009, l’ARC a rendu une décision au premier palier dans laquelle la demande du demandeur a été rejetée au motif que bien que l’intoxication aux métaux lourds puisse avoir des incidences sur le plan psychologique, il n’existait aucune corrélation apparente entre son état de santé et sa santé financière durant la période en question ou ses capacités mentales de façon plus générale (pièce « B » jointe à l’affidavit de Leslie Green).

 

V.  Questions

[8]               1) La décision du ministre de rejeter la demande de renonciation aux intérêts pour des motifs financiers était‑elle déraisonnable?

a.    La Cour devrait‑elle entreprendre le contrôle judiciaire de la décision du ministre rendue au premier palier de ne pas renoncer aux intérêts pour des raisons médicales?

 

VI.  Positions des parties

[9]               D’emblée, le demandeur a parlé des prix qu’il a mérités relativement à quatorze propriétés qu’il a rénovées à ses frais et pour lesquelles un statut patrimonial a été octroyé, ajoutant au prestige historique du Canada. Il prétend ensuite que l’ARC a commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve démontrant qu’il a eu des difficultés personnelles et financières au cours des dix dernières années. Le demandeur soutient qu’il a fourni à l’ARC des éléments de preuve au sujet de ses problèmes de liquidités, de sa cote de solvabilité peu élevée, de son divorce en 2007, de ses problèmes de santé liés à l’intoxication aux métaux lourds et du fait qu’il subvenait aux besoins de sa mère et de son frère, éléments de preuve qui font en sorte que la décision de l’ARC est déraisonnable.

 

Décision relative aux motifs financiers

[10]           Les défendeurs soutiennent que, conformément aux lignes directrices contenues dans la Circulaire d’information 07‑1 (IC 07‑1), l’ARC examine généralement les antécédents du contribuable à savoir s’il a par le passé respecté ses obligations fiscales, s’il a, en connaissance de cause, laissé s’accumuler une dette fiscale, s’il a fait des efforts raisonnables et n’a pas été négligent dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d’autocotisation et s’il a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

 

[11]            Les défendeurs soutiennent qu’il était raisonnable de la part de l’ARC de décider que les circonstances du demandeur ne justifient pas une renonciation aux intérêts, vu que ce dernier n’a pas démontré l’existence de difficultés financières causant une incapacité à subvenir aux besoins essentiels.

 

[12]           Les défendeurs précisent que le demandeur a été négligent dans la conduite de ses affaires selon le régime d’autocotisation et qu’il a, en connaissance de cause, laissé s’accumuler sa dette fiscale. À l’appui à cet argument, ils font remarquer que le demandeur a cotisé chaque année à son régime enregistré d’épargne‑retraite (REER) de 1992 à 2000, sauf en 1998, au lieu de réduire sa dette fiscale.

 

[13]           Les défendeurs font valoir que les éléments matériels dont dispose l’ARC démontrent que le demandeur a bénéficié d’une valeur nette et d’une rentabilité élevées depuis 1992. Ils désignent le relevé de la valeur nette du demandeur en date du 1er mars 2007 montrant des actifs de plus de 14 000 000 $, en plus des états des résultats de 1989 à 2000 indiquant des revenus annuels variant entre 100 000 $ et 200 000 $.

 

Décision relative aux motifs médicaux

[14]           Quoi qu’il en soit, les défendeurs affirment que le demandeur a droit à un examen de deuxième palier de sa demande d’allègement des intérêts en raison de son état de santé, et que l’affaire devrait être renvoyée au ministre à des fins de réexamen.

 

VII.  Dispositions législatives pertinentes

[15]           Aux termes du paragraphe 220(3.1) de la LIR, le ministre du Revenu national a le pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts ou de les annuler :

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

 

(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour‑là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

Waiver of penalty or interest

 

 

(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

 

VIII.  Norme de contrôle judiciaire

 

[16]           La Cour fait remarquer que la renonciation aux intérêts aux termes du paragraphe 220(3.1) de la LIR est discrétionnaire. Dans l’arrêt Telfer, précité, la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de la décision déraisonnable est la norme de contrôle qui s’applique normalement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, comme dans le cas des demandes d’allègement présentées par les contribuables (Telfer au paragraphe 24).

 

[17]           Au moment d’appliquer la norme de la décision raisonnable, une cour doit faire preuve de déférence à l’égard du raisonnement de l’organisme examiné et doit être consciente du fait que certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise. Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué, le caractère raisonnable tient principalement à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 47).

 

IX.  Analyse

            Décision relative aux motifs financiers

[18]           Les agents de l’ARC exercent leur pouvoir discrétionnaire de renoncer à des intérêts en se référant aux lignes directrices non exécutoires publiées dans la Circulaire d’information IC 07‑1, lesquelles énoncent qu’un allègement fiscal peut être accordé si le paiement des intérêts accumulés causait une « incapacité prolongée à subvenir aux besoins essentiels » tels que la nourriture, les soins médicaux, le transport, ou le logement (dossier des défendeurs à la page 10).

 

[19]           Les lignes directrices de la Circulaire d’information IC 07‑1 conseillent aux agents de l’ARC, au moment d’établir si un allègement est approprié, de faire renvoi à des facteurs tels que les antécédents du contribuable en matière de respect de ses obligations fiscales, si le contribuable a, en connaissance de cause, laissé s’accumuler une dette fiscale, et s’il a agi avec diligence pour remédier à tout retard (dossier des défendeurs à la page 11).

 

[20]           Dans le cas présent, il est clair que le demandeur a eu du mal par le passé à respecter ses obligations fiscales et qu’il a, en connaissance de cause, laissé s’accumuler sa dette fiscale. Les éléments de preuve indiquent qu’il s’est engagé dans des dépenses assez importantes au cours des dernières années, y compris un paiement de 1 250 000 $ versé à son ancienne conjointe dans le cadre d’un divorce. Les éléments de preuve indiquent clairement que le demandeur a conduit ses affaires et sa vie personnelle familiale sans payer l’importante dette fiscale qu’il doit. La Cour conclut que l’ARC a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable en rejetant la demande de renonciation présentée par le demandeur. La Cour prend toutefois dûment note que le demandeur a déclaré, avec exemples à l’appui, qu’il a fait tout ce qu’il a pu pour empêcher la faillite en tentant de payer ses créanciers de façon continue, même si cela devait se faire sous forme de petits montants, plutôt que de déclarer faillite.

 

            Décision relative aux motifs médicaux

[21]           La Cour convient avec les défendeurs que la demande de contrôle judiciaire de la décision de premier palier rendue par l’ARC relativement à l’annulation des intérêts en raison de l’état de santé du demandeur est prématurée. Le demandeur estime avoir pris, avant de commencer son traitement pour ses problèmes de santé, certaines décisions financières de manière hâtive et sans réfléchir de manière appropriée en raison de la confusion causée par son état. Si le demandeur pense que la demande de premier palier n’a pas été traitée de manière juste et raisonnable, il doit présenter une demande à l’ARC à des fins de réexamen.

 

X.  Conclusion

[22]           La Cour conclut que la décision de l’ARC de rejeter la demande d’allègement fiscal du demandeur fondée sur des difficultés financières est raisonnable.

 

[23]           Souscrivant à l’avis des défendeurs, la Cour conclut également que l’affaire concernant la demande du demandeur pour motifs médicaux devrait être renvoyée à l’ARC pour nouvel examen et nouvelle décision.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1)                  la demande de contrôle judiciaire concernant la demande d’allègement fondée sur des difficultés financières soit rejetée;

2)                  la demande de contrôle judiciaire concernant la demande d’allègement fondée sur des motifs médicaux soit renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle décision;

3)                  aucune ordonnance relative aux dépens ne soit prononcée étant donné que l’affaire doit être renvoyée à l’ARC pour qu’elle effectue un nouvel examen et rende une nouvelle décision relativement aux motifs médicaux.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑831‑09

 

 

INTITULÉ :                                                   M. W. (MAX) TOMASZEWSKI

                                                                        c. MINISTRE DES FINANCES,

                                                                        AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 3 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                                LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 12 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. M. W. (Max) Tomaszewski

 

POUR LE DEMANDEUR

Mme Sara Fairbridge

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. W. (MAX) TOMASZEWSKI

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

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