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Date : 20091021

Dossier : T-444-09

Référence : 2009 CF 1066

 

Toronto (Ontario), le 21 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

 

 

et

 

 

ULLA MUELLER

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Mueller a présenté une demande de citoyenneté canadienne au mois d’août 2006. L’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté énonce une des exigences devant être remplie pour obtenir la citoyenneté canadienne, à savoir être un résident permanent et avoir, dans les quatre ans qui ont précédé la date de la demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans, ce qui équivaut à 1 095 jours. De son propre aveu, Mme Mueller a effectivement été présente au Canada seulement 312 jours au cours des quatre années en question.

 

[2]               Notre Cour a malheureusement rendu des décisions contradictoires concernant la signification du terme « résidence ». La juge Tremblay‑Lamer a bien résumé ces opinions divergentes dans Mizani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 698, au paragraphe 10 :

La Cour a interprété le terme « résidence » de trois façons différentes. Premièrement, il peut s’agir de la présence réelle et physique au Canada pendant un total de trois ans, selon un comptage strict des jours (Pourghasemi (Re), [1993] A.C.F. no 232 (QL) (1re inst.)). Selon une interprétation moins rigoureuse, une personne peut résider au Canada même si elle en est temporairement absente, pour autant qu'elle conserve de solides attaches avec le Canada (Antonios E. Papadogiorgakis (Re), [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.). Une troisième interprétation, très semblable à la deuxième, définit la résidence comme l'endroit où l'on « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou l'endroit où l'on a « centralisé son mode d'existence » (Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), au par. 10).

 

 

[3]               Dans Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177, le juge Lutfy, maintenant Juge en chef, a formulé des commentaires concernant ces trois points de vue. Voici ce qu’il dit sur ce sujet au paragraphe 14 :

À mon avis, le juge de la citoyenneté peut adhérer à l’une ou l’autre des écoles contradictoires de la Cour, et, s’il appliquait correctement aux faits de la cause les principes de l’approche qu’il privilégie, sa décision ne serait pas erronée.  

 

[4]               Il espérait que la difficulté que posent les interprétations contradictoires de la Cour concernant les conditions de résidence soit résolue dans un proche avenir étant donné que le législateur envisageait de modifier la Loi, et il n’a toutefois pas jugé bon de les clarifier.

 

[5]               Par conséquent, Mme Mueller ne pouvait qu’espérer que le juge de la citoyenneté adopte une approche fondée sur la présence en pensée plutôt que sur la présence physique. Le premier juge de la citoyenneté, qui a conclu que son absence du Canada n’était que temporaire, a néanmoins statué qu’elle n’avait pas rempli les conditions de résidence. Son appel a été accueilli par le juge Barnes dans Mueller c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 FC 96. Ce dernier a conclu qu’il était impossible de déterminer la norme juridique précise qu’avait appliquée le juge de la citoyenneté, et il a renvoyé l’affaire pour nouvel examen par un autre juge de la citoyenneté. Il a outre fait la remarque suivante : « Sans doute que, avec ses périodes de résidence au Canada, le bureau de la citoyenneté aurait pu ne pas avoir de réserves sur sa connaissance du Canada et des valeurs et traditions canadiennes. »

 

[6]               Le deuxième juge de la citoyenneté appelé à se prononcer dans cette affaire a de toute évidence tenté de suivre la décision de la juge Reed dans Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.).  D'ailleurs, sa décision s’apparente sur le plan de la forme à celle qui a été rendue dans l’affaire Re Koo.

 

[7]               Dans Re Koo, après avoir examiné la jurisprudence, la juge Reed énonce ce qui suit au paragraphe 10 :

La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante : le critère est celui de savoir si l’on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement ». Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d’existence? Il y a plusieurs questions que l’on peut poser pour rendre une telle décision :

 

(1)                    Le requérant était-il physiquement présent au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

 

(2)                    Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

 

(3)                    La forme de présence physique du requérant au Canada dénote-t-elle que ce dernier revient dans son pays ou, alors, qu'il n'est qu'en visite?

(4)                    Quelle est l’étendue des absences physiques (lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

(5)                    L'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

(6)                    Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

 

 

[8]               La décision Re Koo ne doit pas être assimilée à un texte législatif. Ainsi, la question qui se pose est celle de savoir si la demanderesse « vit régulièrement, normalement ou habituellement » au Canada ou si elle y a centralisé son mode d’existence. Les six questions susmentionnées ne sont pas exhaustives : il est possible, mais non obligatoire de les considérer. Le juge Strayer l’a d’ailleurs souligné dans Nulliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1423.

 

La norme de contrôle judiciaire

[9]               Le ministre a fait valoir que les motifs du juge de la citoyenneté manquent de précision, ce qui constitue un manquement à l’équité procédurale ne justifiant aucune déférence, mais je suis pour ma part d’avis qu’ils sont tout à fait adéquats. Il s’agit donc de déterminer si les conclusions du juge de la citoyenneté étaient raisonnables (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

Les faits

[10]           Mme Mueller est née en Allemagne en 1965. Elle est arrivée au Canada avec sa famille à l’âge de 9 ans, et actuellement elle n’a pas de liens avec l’Allemagne. Elle a fréquenté l’école primaire publique et a fait ses études secondaires et collégiales au Canada. Elle est devenue résidente permanente en 1989 à l’âge de 24 ans; depuis lors elle a été copropriétaire avec son mari des résidences dont elle a fait l’acquisition au fil du temps.

 

[11]           Son mari,  Richard Hutton, travaille dans le domaine du transport aérien. Il a occupé un emploi dans les Émirats arabes unis de 1990 à 1993; elle y a séjourné avec son mari pendant les trois années en question. Ils sont par la suite revenus au Canada. En 1999, son mari a trouvé un emploi auprès d’une compagnie aérienne du Sri Lanka. Elle l’a à nouveau accompagné, et elle était au Sri Lanka lorsqu’elle a présenté sa demande de citoyenneté en 2006.

 

[12]           Ils sont revenus régulièrement au Canada où elle a toujours maintenu des liens sociaux et adhéré à des organisations, et où elle a toujours eu une maison (qui n’a jamais été louée et où sa mère habite), une automobile et un bateau. Elle a produit des déclarations de revenus au Canada où au cours de plusieurs hivers elle a travaillé pour un club de ski. 

 

[13]           Pendant qu’elle était au Sri Lanka elle a travaillé comme pigiste pour le Haut‑commissariat du Canada.

 

[14]           Le juge de la citoyenneté, Robert Morrow, disposait d’une somme considérable de renseignements. Mme Mueller a comparu devant lui, comme elle l’avait également fait devant le premier juge. 

 

[15]           Il a estimé que la forme de présence physique de la défenderesse au Canada indiquait de façon constante qu’elle revenait dans son pays et non qu’elle y était en visite. Depuis 1975, le Canada était le seul endroit qu'elle pouvait considérer comme son pays. Il a conclu que ses absences physiques étaient temporaires étant donné qu’elle accompagnait son époux qui avait accepté des emplois temporaires à l’étranger.

 

[16]           Je conclus que le juge de la citoyenneté a suivi Re Koo, qu’il a clairement énoncé ses motifs et que sa conclusion selon laquelle la défenderesse a rempli les conditions de résidence n’était pas déraisonnable. Un autre facteur favorable à Mme Mueller — qui ne favorisait pas M. Koo, et que faisait ressortir la juge Reed au paragraphe 24 de ses motifs — est le fait que contrairement à M. Koo on relève « […] dans la situation dans laquelle se trouve [la défenderesse] une longue période de résidence au Canada avant les périodes d'absence prolongée plus récentes ».

 


JUGEMENT

 

Pour les motifs énoncés ci‑desssus, l’appel est rejeté, et les dépens sont fixés à 1 250 $.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


 

Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    T-444-09

                                                           

 

INTITULÉ :                                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. ULLA MUELLER

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 20 octobre 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le juge Harrington

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 21 octobre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leila Jawando

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Constance Brown

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Constance Brown

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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