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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100211

Dossier : IMM-4154-09

Référence : 2010 CF 144

Ottawa (Ontario), le 11 février 2010

En présence de monsieur le juge Harrington

 

Entre :

FAHAMIDA BHUIYAN

demanderesse

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Mme Fahamida Bhuiyan est une jeune montréalaise originaire du Bangladesh. En 2006, elle s’est mariée au Bangladesh avec M. Nazim Uddin Mir, un citoyen du Bangladesh.

 

[2]               Mme Bhuiyan a présenté une demande de parrainage afin que son époux obtienne la résidence permanente. L’agent des visas a rejeté la demande au motif que le mariage [traduction] « n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi ». L’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), prévoit qu’une personne ayant contracté un tel mariage n’est pas considérée comme un époux.

 

[3]               Mme Bhuiyan a interjeté appel de cette décision à la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal). L’appel a été rejeté. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

LE CONTEXTE

[4]               Le mariage a été arrangé par les deux familles, qui se connaissent depuis très, très longtemps. En effet, la sœur de Mme Bhuiyan est mariée au frère de M. Mir.

 

[5]               Mme Bhuiyan a un trouble d’apprentissage. Cependant, sur le fondement d’un rapport rédigé par un psychologue, le tribunal a accepté que Mme Bhuiyan était capable d’aimer et de se marier et qu’elle s’était mariée de bonne foi.

 

[6]               Cependant, le tribunal a conclu que le mariage n’était pas authentique parce que les parents de Mme Bhuiyan voulaient un homme qui allait s’occuper de leur fille pour le reste de sa vie et parce que M. Mir avait été choisi comme étant celui qui allait s’occuper d’elle dans le cadre d’un arrangement mutuellement avantageux et auquel les deux familles ont souscrit. Un tel arrangement ne constitue pas le fondement d’un mariage authentique. En outre, les motivations de M. Mir étaient suspectes et il semble qu’il y aurait eu des problèmes de crédibilité. Le tribunal a interviewé M. Mir à deux reprises au téléphone. Malheureusement, l’enregistrement de la première audience a été perdu.

 

[7]               Les deux parties étaient d’avis que la Cour pouvait néanmoins rendre une décision sur le bien-fondé du contrôle judiciaire; le demandeur alléguait que la décision n’était pas raisonnable, et le ministre soutenait que la décision appartenait bien aux issues raisonnables suivant le critère établi dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

 

[8]               Lors d’une audience, j’ai exprimé de grandes réserves quant à savoir si j’allais être capable d’examiner de façon équitable la raisonnabilité de la décision étant donné qu’une transcription de la première audience n’était pas accessible et que le tribunal avait conclu que M. Mir n’était pas crédible.

 

[9]               M. Mir a également été interrogé lors de la seconde audition, et la transcription de cette entrevue est accessible. Cependant, les questions ne portaient que sur la signification d’une carte de la Saint­Valentin que M. Mir, dans un anglais qui laissait grandement à désirer, avait envoyée à Mme Bhuiyan et qu’il avait signée [traduction] « ton amoureux ».

 

[10]           Le tribunal avait certaines réserves quant au fait que le mariage n’avait pas été consommé immédiatement et il semble laisser entendre qu’une carte signée [traduction] « ton amoureux » constituait une tentative de faire devancer la date de consommation du mariage. L’explication de Nazim était parfaitement logique. [traduction] « Je suis son époux, elle est mon épouse et je suis son amoureux. » Il ne s’ensuit pas nécessairement que leur mariage avait été consommé ou que les retards dans la consommation du mariage révélaient qu’il s’agissait d’une relation dans laquelle M. Mir allait s’occuper de Mme Bhuiyan. On ne peut certainement pas raisonnablement inférer de cette carte, prise isolément, que M. Mir n’était pas crédible.

 

[11]           Il se peut très bien que la raison pour laquelle le tribunal avait estimé que M. Mir n’était pas crédible ressorte clairement de la transcription de la première audience, mais cela soulève au cœur de l’affaire une question de justice naturelle.

 

[12]           Comme l’a mentionné la juge L’Heureux­Dubé, au nom de la Cour suprême, dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, paragraphe 81 :

En l’absence d’un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d’appel ou de révision. Si c’est le cas, l’absence d’une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle. Cependant, lorsque la loi exige un enregistrement, la justice naturelle peut nécessiter la production d’une transcription. Étant donné que cet enregistrement n’a pas à être parfait pour garantir l’équité des délibérations, il faut, pour obtenir une nouvelle audience, montrer que certains défauts ou certaines omissions dans la transcription font surgir une « possibilité sérieuse » de négation d’un moyen d’appel ou de révision. Ces principes garantissent l’équité du processus administratif de prise de décision et s’accommodent d’une application souple dans le contexte administratif.

 

[13]           Ni la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ni le Règlement n’exigent que l’audience devant la Section d’appel de l’immigration soit enregistrée ou qu’une transcription soit préparée. Le juge Mainville a très récemment effectué un examen exhaustif de la jurisprudence dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liang, 2009 CF 955.

 

[14]           En l’espèce, en l’absence d’une transcription, je n’ai pas suffisamment de renseignements pour rendre une décision et, par conséquent, il est nécessaire de tenir une nouvelle audience.

 

[15]           En fait, le dossier donne à penser que le tribunal a examiné le dossier avec un zèle excessif et une conception moderne du mariage qui pourrait ne pas bien concorder avec les conceptions plus traditionnelles du mariage, lesquelles étaient la norme au Canada il n’y a pas très longtemps.

 

[16]           Il n’y a rien de mal avec un mariage arrangé, tant que les époux l’acceptent. Avant les années 60 environ, dans les centres urbains au Canada, on estimait que, dans le mariage idéal, le mari était le soutien principal de la famille et l’épouse était femme au foyer. Peut­être que les époux en l’espèce prônent cette école de pensée. Quel parent ne voudrait pas en effet que leur fille marie quelqu’un qui pourra s’occuper d’elle? Il convient d’examiner les dispositions suivantes portant sur les devoirs des époux tirés du Code civil du Québec : « [les époux] se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance » (article 392); ils « contribuent aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives. Chaque époux peut s’acquitter de sa contribution par son activité au foyer » (article 369). Quoi qu’il en soit, Mme Bhuiyan travaille actuellement, ce qui donne à penser qu’elle serait capable de participer financièrement aux dépenses de la famille.

 

[17]           Le tribunal a beaucoup insisté sur le fait que la cérémonie de mariage au Bangladesh, n’avait pas été une cérémonie musulmane à part entière comme cela aurait pu être le cas. Je ne comprends pas pourquoi une cérémonie de mariage extravagante aurait révélé que M. Mir était de bonne foi, alors qu’une simple cérémonie n’aurait pas pu en faire autant, surtout étant donné que le beau­père de Mme Bhuiyan est hindouiste.

 

[18]           J’ai également des réserves quant à l’accent mis par le tribunal sur la consommation du mariage, alors que les époux ont grandi de chaque côté du globe. Il ne s’ensuit pas qu’il s’agit d’une relation où l’un des époux s’occupera de l’autre, surtout étant donné que les époux ont laissé entendre que le mariage avait été consommé, ce qui a peut-être initialement surpris les parents de Mme Bhuiyan. Ce qui s’est passé dans leur intimité ne concerne aucunement les parents de Mme Bhuiyan, et on ne peut pas privilégier ce que ces derniers avaient cru comprendre aux témoignages des époux. Cependant, encore une fois, nous n’avons pas la transcription de ce que M. Mir a affirmé sur le sujet.

 

[19]           Pour les présents motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 


ORDONNANCE

POUR LES MOTIFS ÉNONCÉS CI-DESSUS;

LA COUR ORDONNE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      La décision rendue par le tribunal de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est annulée.

3.      L’affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour nouvelle audition.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4154-09

 

INTITULÉ :                                                  BHUIYAN c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         LE 3 FÉVRIER 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 11 FÉVRIER 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mitchell Goldberg

 

POUR LA DEMANDERESSE

Michel Pépin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mitchell Goldberg

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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