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Cour fédérale

 

Federal Court


Date :  20100210

Dossier :  IMM-3762-09

Référence :  2010 CF 136

Ottawa (Ontario), le 10 février 2010

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

MIRNA GUADALUPE GOMEZ RAMIREZ

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse prétend avoir été persécutée par un certain Ernesto Salazar Romero qui l’aurait violée et harcelée. Après avoir hésité durant quelque temps, la demanderesse, accompagnée de sa sœur, l’aurait finalement dénoncé à la police, mais on ne les aurait tout simplement pas écoutées. Par la suite, son agresseur aurait appris qu’elle avait tenté de le dénoncer et l’aurait également menacée, d’où la décision de la demanderesse de quitter son pays, le Mexique, et de présenter une demande d’asile au Canada.


 

[2]               La demanderesse conteste aujourd’hui la légalité d’une décision rendue le 22 juin 2009 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) concluant que la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. En l’espèce, le tribunal n’a pas cru la demanderesse, concluant au contraire à l’absence d’un minimum de fondement de sa demande d’asile, en plus de statuer que la présomption de protection de l’État mexicain n’a pas été renversée et que la demanderesse dispose d’un refuge intérieur dans diverses villes du Mexique.

 

[3]               Au niveau de la crédibilité de la demanderesse, le tribunal a relevé diverses invraisemblances, incohérences ou contradictions dans son récit écrit ou son témoignage oral à l’audition. Ainsi, la demanderesse a d’abord témoigné avoir porté deux plaintes écrites contre son agresseur, puis a dit que la seconde plainte avait été orale, alors que subsistait également des éléments non résolus concernant les circonstances de sa première entrevue avec les policiers. Au chapitre des invraisemblances, le tribunal a considéré que la référence par la demanderesse aux autorités de l’état de Cancun, alors qu’elle habitait dans l’état de Quintana Roo (Cancun étant une ville située dans cet état), entachait sa crédibilité, mais plus important, le tribunal a rejeté les explications données par la demanderesse concernant le fait qu’elle n’avait jamais consulté un médecin, ni après son présumé viol ni même après avoir porté plainte à la police. Le tribunal a, de plus, souligné l’absence totale de preuve corroborant le fait qu’elle avait porté une plainte écrite à la police, et ce, bien qu’il soit possible d’obtenir une telle plainte tant au Mexique qu’au Canada par le biais d’une demande à l’ambassade mexicaine. La demanderesse n’avait pas non plus soumis des preuves confirmant l’existence même de son persécuteur, autre que deux photos non identifiées.

 

[4]               À titre subsidiaire, même si son récit était crédible, le tribunal a souligné que la demanderesse n’avait pas démontré que les autorités mexicaines seraient incapables de la protéger de son prétendu agresseur. À preuve, la demanderesse n’a pas demandé de parler au superviseur du policier qui aurait ignoré sa plainte, ne s’est pas adressée aux autorités fédérales et n’a pas cherché l’aide de groupes de femmes. Enfin, le tribunal a également conclu qu’il existait une possibilité de refuge interne dans d’autres villes du Mexique. Étant jeune et possédant tant un bon niveau de scolarité qu’une expérience de travail, elle aurait pu s’établir dans une autre ville que Cancun. Son persécuteur n’aurait probablement pas pu la retrouver, et cette alternative était raisonnable dans les circonstances ; la demanderesse n’a même pas envisagé cette possibilité avant de venir au Canada.

 

[5]               La demanderesse attaque la validité de toutes et chacune des conclusions du tribunal, mais en premier lieu, dans son mémoire écrit, celle-ci s’en prend au comportement général du commissaire à l’audience qui ne lui aurait pas laissé la chance de s’exprimer sur des aspects essentiels de sa revendication. Bien que ce premier motif d’annulation n’a pas été vraiment élaboré à l’audience devant la Cour, n’empêche, après avoir considéré l’ensemble de la preuve au dossier, ce reproche général m’apparaît injustifié dans les circonstances. Le fait que la demanderesse ait allégué avoir été victime d’un viol ne dispensait pas le tribunal de son devoir de vérifier la crédibilité de ses allégations. Or, pour ce faire, le commissaire pouvait la confronter aux incohérences, invraisemblances ou contradictions qu’il percevait dans son récit ou certains aspects de son témoignage. Quant au désir du tribunal d’obtenir de la demanderesse des réponses brèves et précises, je n’y vois là qu’une tentative de faciliter le travail de l’interprète et le sien, mais pas la démonstration, dans ce cas particulier, d’un refus d’écouter la demanderesse. En l’espèce, une révision des notes sténographiques ne me permet pas de déceler une crainte raisonnable de partialité ou un déni des principes d’équité procédurale. Il est manifeste ici que la demanderesse, qui était représentée par procureur, a eu l’opportunité de fournir des explications à l’audience. D’ailleurs, aucune objection n’a été soulevée par la demanderesse ou son procureur vis-à-vis toute interruption du commissaire.

 

[6]               À l’audience devant la Cour, le savant procureur de la demanderesse a contesté la raisonnabilité de la conclusion générale de non-crédibilité du tribunal en attaquant d’abord  l’inférence négative découlant de l’absence de preuves corroborant l’allégation qu’une plainte a été portée à la police. Ainsi, au paragraphe 17 de ses motifs, le tribunal s’est déclaré insatisfait « des efforts ou du manque d’efforts en vue d’obtenir une copie de la plainte » du 13 août 2006, et n’a pas trouvé raisonnable l’explication donnée par la demanderesse à ce sujet. En l’espèce, la demanderesse prétend qu’elle n’a pas été informée de la possibilité d’obtenir ce document via l’ambassade mexicaine et que son avocat à l’époque, « dont nous ne savons pas s’il était au courant de cette pièce documentaire, n’avait sûrement pas à effectuer une telle procédure qui de toute manière n’aurait pas eu de résultat avant l’audience ».

 

[7]               Le reproche formulé par la demanderesse est injustifié. Il appartenait à la demanderesse de faire la preuve du bien-fondé de sa demande d’asile. En l’espèce, elle ne s’est pas déchargée du fardeau de prouver qu’une plainte avait été enregistrée à la police, son témoignage oral n’étant pas concluant à cet égard. Or, la Règle 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, dispose que « [l]e demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande [et que s’]il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer ». La méconnaissance des procédures par l’ancien avocat de la demanderesse n’est que pure spéculation dans le cas présent.

 

[8]               En l’espèce, il existait nombre de contradictions ou d’invraisemblances dans le récit de la demanderesse. Or, comme l’a rappelé récemment mon collègue le juge Pinard dans Mejia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1091, [2009] A.C.F. no 1313 (QL), le tribunal « peut soulever l’absence de preuves documentaires pertinentes s’il trouve des contradictions ou des inconsistances » dans le témoignage d’un demandeur d’asile et conclure que celui-ci n’est pas crédible. C’est ce que le tribunal a fait en l’espèce, et il n’y a rien là qui justifierait l’intervention de la Cour.

 

[9]               La demanderesse soutient également que le tribunal aurait erré en accordant trop d’importance au fait qu’elle n’avait pas visité un médecin après son viol, alors que ce qu’elle craint, ce sont les menaces de son persécuteur qui a continué à la harceler. Selon la preuve au dossier, la demanderesse a affirmé ne pas avoir consulté un médecin parce qu’elle avait honte de parler de ce qui lui était arrivé. Pourtant, elle ne l’a pas fait même après avoir parlé à la police. Je ne crois pas que le tribunal ait agi déraisonnablement en voyant là une invraisemblance et en en tirant une inférence négative quant à la crédibilité de la demanderesse.

 

[10]           La demanderesse reproche également au tribunal d’avoir erronément présumé qu’elle aurait été l’objet de menaces de la part des policiers. À la décharge du tribunal, la Cour ayant elle-même lu les allégations contenues au Formulaire de renseignements personnels, force est de constater que les allégations de la demanderesse sont traduites et rédigées dans un langage vague et approximatif faisant appel à l’interprétation, d’où le passage suivant invoqué par la demanderesse : « [ma sœur] m’a amené devant les autorités pour lui dénoncer, mais cela a été en vain, car ils ne m’ont pas écouté, car son frère était quelqu’un dans la municipalité et donc il n’a pas été même molesté ; nous avons réussi seulement à nous faire menacer par lui » (Dossier du tribunal, page 35, lignes 46-49).

 

[11]           La demanderesse fait aussi valoir que l’erreur du tribunal concernant la date d’émission de son passeport a eu des répercussions négatives. En effet, le tribunal a cru à tort que le passeport avait été émis le 14 août 2006, de sorte que la demanderesse devait en avoir fait la demande avant même d’être allée porter plainte à la police. Or, le passeport a, en réalité, été émis le 14 août 2007 mais, comme le note le défendeur, la demanderesse a elle-même contribué à l’erreur du tribunal en répondant par l’affirmative à la question si elle avait fait une demande de passeport avant d’avoir porté plainte contre son prétendu agresseur.

 

[12]           Les reproches formulés par la demanderesse à l’encontre de la conclusion générale de non-crédibilité du tribunal sont rejetés par la Cour. Faut-il rappeler, le tribunal est mieux placé que la Cour pour évaluer la crédibilité d’un demandeur d’asile et déterminer s’il y a, dans les faits, absence de minimum de fondement. Il ne suffit pas d’être en désaccord avec les conclusions du tribunal. Les déterminations de fait du tribunal commandent la plus grande déférence. La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à cette question est celle de la décision raisonnable (Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 775, [2008] A.C.F. no 979 (QL)).  En l’espèce, la conclusion générale de non-crédibilité m’apparait raisonnable dans les circonstances. Dans son ensemble, cette conclusion est appuyée par la preuve au dossier et les erreurs matérielles invoquées par la demanderesse sont insuffisantes dans le cas sous étude pour affirmer que la conclusion du tribunal n’est pas justifiée, transparente et intelligible ou qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au paragraphe 47).

 

[13]           Bref, au risque de me répéter, bien que certaines conclusions de fait tirées par le tribunal puissent être contestables, voir carrément erronées, la décision du tribunal doit être lue et comprise dans son ensemble. Même si le tribunal ne s’était pas trompé quant à la date d’émission du passeport et quant au fait qu’elle n’avait pas été menacée par les policiers, de l’avis de la Cour, les problèmes dans la preuve de la demanderesse n’auraient pas disparu. Au passage, malgré la modification des normes de contrôle judiciaire dans l’arrêt Dunsmuir, les observations de la Cour suprême concernant le contrôle selon la norme de raisonnabilité qu’elle a formulées dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247 au paragraphe 56, demeurent pertinentes :

[Le caractère raisonnable d’une décision] ne signifie pas que chaque élément du raisonnement présenté doive passer individuellement le test du caractère raisonnable. La question est plutôt de savoir si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision.  Une cour qui applique la norme de la décision raisonnable doit toujours évaluer si la décision motivée a une base adéquate, sans oublier que la question examinée n’exige pas un résultat unique précis.  De plus, la cour ne devrait pas s’arrêter à une ou plusieurs erreurs ou composantes de la décision qui n’affectent pas la décision dans son ensemble.

[Je souligne]

 

 

[14]           En somme, le tribunal n’a tout simplement pas cru la demanderesse à cause de l’incohérence de son témoignage, des contradictions entre celui-ci et son FRP, et du manque de preuve concernant tant ses plaintes à la police que l’identité de son prétendu agresseur.

 

[15]           De façon subsidiaire, la demanderesse conteste également la conclusion du tribunal que sa demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement. Selon son procureur, le tribunal aurait dû considérer la preuve documentaire, particulièrement celle relative à la situation des femmes victimes de viol au Mexique. Pourtant, comme le souligne le défendeur, l’existence de cette preuve documentaire, en soi, ne saurait être considérée comme un fondement à la revendication d’asile de la demanderesse. Encore faut-il que cette preuve soit reliée à la situation personnelle du demandeur d’asile. Or, comme l’explique la Cour d’appel fédérale dans Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 89, [2002] 3 C.F. 537 au paragraphe 51, le tribunal « doit […] examiner tous les éléments de preuve qui lui sont présentés et conclure à l’absence de minimum de fondement seulement s’il n’y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel [il] aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur » (je souligne). C’est, la situation en l’espèce. En effet, la seule preuve présentée au tribunal par la demanderesse consistait en un témoignage que celui-ci a trouvé incohérent et non crédible et en deux photographies non identifiées. Aussi, il ne me semble pas déraisonnable de conclure, dans ces circonstances, qu’il n’y avait aucun élément crédible ou digne de foi sur lequel le tribunal aurait pu se fonder pour reconnaître à la demanderesse le statut de réfugiée au sens de la Convention.

 

[16]           Enfin, bien qu’il ne soit pas nécessaire d’examiner les conclusions du tribunal quant à la protection de l’État et à la possibilité de refuge interne, j’ajouterais que leur caractère déraisonnable n’a pas été démontré par la demanderesse.

 

[17]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée. Aucune question d’importance générale n’a été soulevée par les parties et ne se soulève en l’espèce.


JUGEMENT

 

LA COUR ADJUGE ET ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                          IMM‑3762-09

 

INTITULÉ :                                         MIRNA GUADALUPE

GOMEZ RAMIREZ

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 LE 27 JANVIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                        LE 10 FÉVRIER 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel LeBrun

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Mireille-Anne Rainville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Michel LeBrun

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa (Ontario)

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