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Cour fédérale

Federal Court


Date : 20100208

Dossier : IMM-5647-08

Référence : 2010 CF 126

Toronto (Ontario), le 8 février 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

CLAUDIA JACQUELINE GARCIA BAUTISTA

demanderesse

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision de la Section de la protection des réfugiés datée du 28 novembre 2008 dans laquelle la Commission a conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Claudia Jacqueline Garcia Bautista (la demanderesse) est une citoyenne du Mexique qui vivait dans le district fédéral de Mexico. En 2000, elle a entamé une relation avec celui qui est maintenant son ex‑conjoint, Pedro Guerra. Elle avait alors 15 ans, et lui, 23 ans.

 

[3]               Elle a été agressée physiquement par son ex‑conjoint en 2006, 2007 et 2008. Elle a confié ses filles à sa mère, puis elle s’est en allée au Canada où elle a présenté une demande d’asile à son arrivée.

 

[4]               Elle craint que si elle retourne au Mexique, elle sera battue et tuée par Pedro Guerra.

 

[5]               Pendant qu’elle était au Mexique, elle a demandé, sans succès, de l’aide à trois reprises.

 

[6]               La Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse était en grande partie crédible.

 

[7]               Toutefois, elle a rendu une décision défavorable fondée sur l’existence de la protection de l’État au Mexique.

 

[8]               La Commission s’est fiée à ses conclusions selon lesquelles le Mexique est une démocratie qui fonctionne et qui est dotée de lois en matière civile, administrative et pénale qui interdisent la violence conjugale. Elle a reconnu que les preuves étaient contradictoires en ce qui concerne l’application de la loi. Toutefois, elle n’a pas précisé de quelles preuves il s’agissait. Pour en arriver à sa décision, il était important que la Commission soit convaincue que la protection offerte est plus que des efforts et des tentatives d’amélioration. En évaluant les preuves contradictoires, la Commission a déclaré ce qui suit à la page 7 de ses motifs :

Des critiques ont été formulées concernant les niveaux actuels d’application de la nouvelle loi et, par conséquent, son efficacité a en quelque sorte été remise en question. En revanche, il existe des éléments de preuve convaincants et dignes de foi selon lesquels le gouvernement mexicain reconnaît franchement avoir eu des problèmes par le passé, mais prend des mesures actives pour enrayer la corruption et l’impunité. Le gouvernement mexicain fait de sérieux et véritables efforts pour régler le problème de la violence conjugale, et la police est à la fois disposée à protéger les victimes et capable de le faire.

 

[9]               En évaluant le caractère raisonnable de la décision, la Cour se demande « si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. […] [et si] la décision [appartient] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[10]           Selon moi, la Commission a commis une erreur à deux égards en arrivant à sa conclusion. D’abord, elle a apprécié la preuve concernant les critiques de l’efficacité de la loi au regard de la preuve concernant les mesures prises pour traiter les problèmes de violence conjugale. Cela ne suffit pas à justifier une conclusion d’existence de la protection de l’État; on doit tenir compte de la situation réelle et non de ce que l’État se propose de faire ou a entrepris de mettre en place (A.T.V. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1229, 75 Imm. L.R. (3d) 215, au paragraphe 14).

 

[11]           Deuxièmement, bien que la Commission tienne compte de la preuve contradictoire, elle ne dit pas vraiment pourquoi elle estime que cette preuve n’est pas pertinente (Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2009] 1 F.C.R. 237, au paragraphe 28). La Commission ne dit pas comment cette preuve a été appréciée au regard de celle de la demanderesse selon laquelle elle a demandé l’aide du ministère public mais que celui‑ci lui a refusé pour diverses raisons. De plus, plusieurs des documents invoqués par la Commission contiennent des parties qui nous amèneraient à tirer une conclusion différente et ils ne sont pas vraiment pris en compte.

 

[12]           Par exemple, un rapport mentionnait qu’il y a de la violence familiale dans un foyer sur trois au Mexique et que près de la moitié des homicides commis au Mexique sont liés à la violence familiale. Le même rapport mentionne que la violence familiale est en général considérée comme étant une affaire privée et que la police hésite à intervenir (Mexique : violence conjugale et autres questions liées à la situation de la femme (Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, mars 2003))

 

[13]           Un autre rapport sur lequel la Commission s’est fondée mentionne que, bien qu’un certain nombre de lois aient été adoptées afin de lutter contre la violence faite aux femmes, il existe un écart entre les initiatives juridiques et la pratique établie (Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Mexique : Situation des témoins des crimes et de la corruption, des femmes victimes de violences et des victimes de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle (février 2007), section 4.3.1). De plus, plusieurs femmes ne donnent pas suite à leurs plaintes au ministère public parce qu’elles croient que le personnel de ces bureaux (surtout des avocats et d’autres fonctionnaires) a tendance à être insensible ou indifférent à l’égard des victimes de violence fondée sur le sexe. Les agents du ministère public tentent parfois de décourager les femmes de déposer une plainte car, selon eux, la victime retirera la plainte après s’être réconciliée avec son conjoint. Le processus relatif aux plaintes au bureau du ministère public est long, dans certains cas, il prend une journée de travail complète (Mexique : Situation des témoins des crimes et de la corruption, des femmes victimes de violences et des victimes de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, février 2007, section 4.3.1).

 

[14]           Dans son rapport 2008, Human Rights Watch a déclaré que le Mexique ne dispose d’aucune protection juridique contre la violence physique et sexuelle à l’égard des femmes et des filles. Un autre rapport souligne qu’il faudra un an pour mettre en oeuvre la nouvelle loi adoptée le 1er février 2007 et que cela est grandement en fonction d’un financement accru qui permettra sa mise en application. De plus, l’infrastructure n’est pas adéquate, ce qui rendra la mise en œuvre difficile. (Direction des recherches, Commission de l’immigration et du statut de réfugié au Canada, Mexique : Information sur la nouvelle loi fédérale contre la violence faite aux femmes (2007) (7 juin 2007)).      

 

[15]           La demanderesse se fie en partie à la récente décision rendue dans Zepeda où la Cour a conclu qu’une analyse complète de la preuve doit être faite afin d’établir si le Mexique est oui ou non capable de protéger ses citoyens. « [B]ien que le Mexique constitue une démocratie et veuille généralement assurer la protection de ses citoyens, la documentation abonde quant aux problèmes de gouvernance et de corruption qui y existent. Cette appréciation doit notamment prendre en compte la situation générale ayant cours dans le pays d’origine du demandeur, toutes les mesures que celui-ci a effectivement prises et sa relation avec les autorités » (au paragraphe 20). Tous les exemples tirés de la preuve documentaire démontrent qu’il est évident que la protection est inadéquate. Cette preuve ne doit pas être appréciée en fonction des efforts déployés en vue de corriger la situation, mais plutôt en fonction de la preuve de protection réelle. De plus, il y a peu, sinon aucune preuve que la protection est vraiment adéquate et que les ressources en place sont efficaces. La demanderesse n’était même pas au courant de l’existence de plusieurs des solutions de rechange proposées, ce qui nous laisse douter de leur notoriété et de leur efficacité. La preuve documentaire révèle également que la corruption est répandue au Mexique. De plus, les tentatives de la demanderesse pour obtenir de la protection du ministère public ont échoué pour des motifs qui sont évoqués dans les critiques du système. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que la décision appartient aux issues acceptables.

 

[16]           Compte tenu de ma conclusion quant à la question de la protection de l’État, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Aucune question à certifier n’a été proposée et aucune ne se pose.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L’affaire est renvoyée pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5647-08

 

INTITULÉ :                                       CLAUDIA JACQUELINE GARCIA BAUTISTA

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 8 février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Fine                                                                               POUR LA DEMANDERESSE

 

Neal Sampson                                                                          POUR LE DÉFENDEUR                                                                                                                                                                               

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel M. Fine                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                    

                                                                                               

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR       

Sous‑procureur général du Canada

 

 

 

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