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Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20100209

Dossier : IMM-3155-09

Référence : 2010 CF 129

Toronto (Ontario), le 9 février 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

Entre :

ROXANA POALA TELLEZ PICON

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, à l’égard d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 4 juin 2009, par laquelle la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

 

Historique

[2]               La demanderesse, Roxana Paola Tellez Picon, est une Colombienne de 21 ans. Avant son départ, elle habitait à Baranquilla avec sa mère et ses deux frères ou sœurs. Elle soutient qu’en avril 2006, elle a commencé une relation avec un homme nommé Fabian Garcia. Leur relation a duré environ un an, jusqu’à ce que la demanderesse y mette fin. Elle prétend avoir mis fin à la relation parce qu’elle ne voyait pas Garcia de façon régulière et qu’ils se disputaient souvent.

 

[3]               La demanderesse soutient que Garcia était violent verbalement envers elle lorsqu’elle a mis fin à la relation en avril 2007. À la même époque, il lui a dit qu’il était membre des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et qu’il la tuerait si elle n’emménageait pas avec lui. La demanderesse allègue qu’après cet incident, sa mère a décidé qu’elle devrait se rendre aux États-Unis. La demanderesse a aussi témoigné qu’elle ne savait pas si Garcia avait tenté de communiquer avec elle par l’entremise de sa mère après son départ.

 

[4]               Elle a quitté la Colombie et s’est rendue aux États-Unis le 13 juin 2007. Après y avoir passé quatre mois, la demanderesse est venue au Canada et y a présenté une demande d’asile.

 

[5]               La demanderesse a soulevé les questions suivantes :

a.       La Commission a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables au sujet de la crédibilité?

b.      La conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’a pas une crainte fondée de persécution était-elle déraisonnable?

 

La norme de contrôle

[6]               La décision sera contrôlée suivant la norme de la raisonnabilité. Les questions dont je suis saisi portent principalement sur l’appréciation de la preuve et sur le poids que la Commission y a accordé. Il s’agit donc de questions mixtes de droit et de fait et la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité, comme c’est également le cas pour les questions de droit dans le présent contexte (Osman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 921, [2008] A.C.F. no 1134 (QL), paragraphe 28; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

[7]               Par conséquent, la Cour examinera la décision en faisant preuve de retenue et déterminera si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47).

 

La Commission a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables au sujet de la crédibilité?

[8]               Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour doit tenir compte de l’ensemble de la décision. La décision doit être analysée dans le contexte de la preuve afin de décider si les conclusions qui ont été tirées étaient raisonnables (Miranda c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 81 (C.A.F.)). En l’espèce, je suis convaincu que la Commission a compris le droit applicable et a appliqué les critères appropriés lors de l’évaluation de la preuve.

 

[9]               En ce qui a trait à la question des conclusions fondées sur le manque de preuve documentaire, la demanderesse se fonde correctement sur l’arrêt Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.F.) pour soutenir que son témoignage doit être présumé vrai à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter. En l’espèce, la Commission a douté de la véracité du récit de la demanderesse parce qu’elle était incapable d’expliquer sa crainte de façon satisfaisante. Elle ne pouvait pas expliquer si elle craignait Garcia parce qu’il tenterait de se venger si elle refusait d’emménager avec lui ou parce qu’il voulait qu’elle devienne membre des FARC. Elle était aussi incapable d’expliquer pourquoi elle croyait que Garcia la chercherait si elle retournait en Colombie. La Commission n’a simplement pas cru que la relation avait réellement existé. Elle a clairement établi qu’elle ne croyait pas le récit de la demanderesse. Elle n’a pas agi de façon arbitraire.

 

[10]           Il ressort clairement de la décision que le point central était l’existence de Garcia et de la relation entre ce dernier et la demanderesse. Par conséquent, il semble raisonnable que la Commission s’attende à une quelconque corroboration de la relation, compte tenu du témoignage évasif de la demanderesse à ce sujet. Il s’agit du seul motif sur lequel la demanderesse fonde sa demande d’asile. Bien que l’explication de la demanderesse semble défendable, il faut reconnaître qu’une décision raisonnable peut avoir plus d’une issue et que la Cour ne doit pas substituer sa propre appréciation des faits à celle de la Commission.

 

[11]           La demanderesse se fonde sur la décision Ahortor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.) pour soutenir qu’on ne pouvait pas attaquer sa crédibilité seulement en raison du manque de preuve documentaire. La présente affaire est différente de l’affaire Ahortar parce que la Commission a conclu que la demande de la demanderesse n’était pas crédible en raison d’incohérences dans son témoignage. De plus, les éléments au sujet desquels la Commission aurait voulu voir plus de preuve documentaire étaient essentiels à la demande et n’étaient pas négligeables, comme c’était le cas dans les affaires sur lesquelles la demanderesse se fonde. De plus, il est clair que la Commission n’a pas conclu que l’explication de la demanderesse quant à savoir pourquoi elle était incapable de fournir des preuves de sa relation était raisonnable.

 

[12]           Dans les décisions Osman et Taha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1675, [2004] A.C.F. no 2039 (QL), il a été conclu que les affaires Maldonado et Ahortor se distinguent des affaires où le demandeur ne peut pas raisonnablement expliquer le manque de preuve documentaire à l’appui de son témoignage. Je crois que l’affaire en l’espèce en est une qui justifie une telle distinction. La demanderesse avait le fardeau de prouver sa prétention et elle n’a fourni aucune preuve documentaire à l’appui. Par conséquent, je conclus qu’il était raisonnable, compte tenu des circonstances, que la Commission tire une conclusion défavorable envers la demanderesse en raison du manque de preuve documentaire.

 

[13]           De plus, je suis convaincu que la Commission n’a pas omis de tenir compte de la preuve, comme la demanderesse l’a laissé entendre, et qu’elle n’a pas mal compris sa demande. La Commission a rendu une décision détaillée dans laquelle elle a clairement expliqué les raisons pour lesquelles elle a tiré des conclusions défavorables, et ces raisons étaient fondées sur la preuve.

 

La conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’a pas une crainte fondée de persécution était-elle déraisonnable?

[14]           La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en concluant que sa crainte n’était pas fondée parce que Garcia ne s’intéressait plus à elle et parce qu’elle n’a pas présenté de demande d’asile aux États-Unis.

 

[15]           En ce qui a trait au premier motif, la Commission a noté qu’il n’y avait eu aucun contact entre Garcia et la demanderesse depuis la rupture et que, si Garcia était vraiment membre des FARC, il n’aurait probablement aucun mal à retrouver la mère de la demanderesse, qui a déménagé dans un nouveau quartier. Il convient de noter que c’est la demanderesse elle-même qui a déclaré que les FARC avaient plus de renseignements que le gouvernement et qu’ils sont en mesure de trouver des personnes (dossier du tribunal, page 167), mais elle conteste maintenant la conclusion, qu’elle estime non fondée. Il est vrai que la demanderesse a témoigné qu’elle avait habité avec sa grand-mère après la prétendue rupture. Elle a aussi témoigné que sa grand-mère habitait à 45 minutes de Garcia et que ce dernier ne savait pas où la grand-mère habitait (dossier du tribunal, page 171). Bien que la Commission n’ait pas mentionné cet élément de preuve, je ne crois pas qu’il est assez probant pour mériter l’intervention de la Cour.

 

[16]           La Commission a fondé sa conclusion selon laquelle ni Garcia ni les FARC ne recherchaient la demanderesse sur le fait qu’elle n’a jamais reçu de menace des FARC et que Garcia n’a jamais tenté de communiquer avec elle par l’entremise de sa mère. La définition de risque est de nature prospective et il semble raisonnable de conclure que l’inexistence d’un contact donne à penser qu’il n’y a plus de risque. Je ne crois pas que la Commission a mal compris ou mal interprété la preuve.

 

[17]           En ce qui a trait au deuxième motif, la Commission pouvait tirer une conclusion défavorable du fait que la demanderesse a tardé à présenter une demande d’asile (Juzbasevs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 262, [2001] A.C.F. no 541, au paragraphe 15 (QL)). La demanderesse est restée environ quatre mois aux États‑Unis sans présenter de demande d’asile. Elle a déclaré qu’elle y avait pensé, mais qu’un de ses parents lui avait dit que sa situation ne lui permettrait pas d’obtenir la protection des États‑Unis (dossier du tribunal, page 167). Il est difficile de déterminer, dans le dossier, à quel moment la demanderesse a reçu cette information et si elle y a réagit rapidement. La Commission a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une explication raisonnable et qu’il s’agissait d’un comportement incohérent avec celui d’une personne qui craint la persécution. La Commission pouvait tirer cette conclusion.

 

[18]           Je conclus que l’ensemble de la décision de la Commission était raisonnable et je suis convaincu qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[19]           Aucune question n’a été proposée aux fins de la certification et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

                                                                                                             « Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3155-09

 

INTITULÉ :                                       ROXANA POALA TELLEZ PICON c. LE MINISTRE DE   LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 février 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt                                                                        POUR LA DEMANDERESSE

 

Alex Kam                                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

                                                                                               

John H. Sims, c.r.                                                                    

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

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