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Cour fédérale

 

Federal Court


Date: 20100205

Dossier: T-1524-08

Citation: 2010 CF 124

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 5 février 2010

En présence de monsieur le Hughes

 

ENTRE:

MYCOGEN PLANT SCIENCE, INC.

demanderesse

et

 

BAYER BIOSCIENCE N.V., MONSANTO TECHNOLOGY LLC

 

défenderesses

 

Dossier: T-1569-08

ET ENTRE:

MONSANTO TECHNOLOGY LLC

demanderesse

et

 

BAYER BIOSCIENCE N.V., MYCOGEN PLANT SCIENCE, INC.

 

défenderesses

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Ces deux actions qui ont été traitées conjointement avec une troisième action T-1581-08, portent sur des demandes de brevets concurrentes déposées par les parties au Bureau des brevets avant le 1er octobre 1989. Il en est résulté ce qu’on appelle une procédure de conflit de demandes de brevets. Une telle procédure ne s’applique plus aux demandes déposées après cette date en raison des importantes modifications qui ont apportées à la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4, et qui sont entrées en vigueur le 1er octobre 1989. Très peu de demandes déposées avant cette date sont toujours pendantes devant le Bureau des brevets. Les demandes en litige en font partie.   

 

[2]               Le procès aura lieu à compter du 15 novembre 2010. Le tribunal est actuellement saisi d’une requête en jugement sommaire présentée par Bayer Biosciences N.V. et touchant Monsanto Technology LLC. Bayer avait déjà déposé une requête similaire laquelle, suite à une ordonnance de la Cour rendue le 9 septembre 2009 a été reportée indéfiniment sans porter atteinte au droit de fixer une nouvelle date. Cette ordonnance énonçait que l’article 213 des Règles des Cours fédérales, qui autrement interdirait la présentation d’une requête en jugement sommaire étant donné que la date du procès était déjà fixée, n’empêchait pas la requête d’être entendue à une autre date.  

 

[3]               La requête en jugement sommaire de Bayer dont le tribunal est saisi sollicite les conclusions suivantes:   

[traduction]

 

1.         Un jugement sommaire énonçant que vu que Monsanto Technology LLC (« Monsanto »), ne s’est pas conformée au délai fixéi par le commissaire conformément à l’article 43 de la Loi sur les brevets :  

 

a. elle n’a pas qualité pour agir dans cette action et en est exclue à titre de partie, 

b. elle n’a pas qualité pour participer au conflit devant l’Office de la propriété intellectuelle du Canada,  

 

et doit retirer les revendications concurrentes et toutes les revendications qui ne sont pas distinctes, sur le plan de la brevabilité, de celles qui sont pendantes;

 

2.                  Une ordonnance quant aux dépens de Bayer ;

 

3.                  Toute mesure que le procureur peut juger utile et que cette honorable Cour pourra accueillir.  

 

 

[4]               Monsanto s’oppose à la requête pour plusieurs motifs et ajoute de plus qu’en raison du délai relativement court entre l’audition de la présente requête et la date du procès, la requête devrait être entendue dans le cadre du procès. Bayer s’oppose à un tel report. J’ai décidé d’entendre la cause et de rendre jugement maintenant.

 

[5]               Pour ce qui est des autres parties, les parties se sont entendues en ce qui a trait à Syngenta Participation AG, et cette partie n’est plus concernée par la présente requête ni par aucune autre des actions. L’autre partie, Mycogen Plant Science, Inc., n’a pas déposé de représentations écrites ou d’autres documents à l’égard de la requête en jugement sommaire de Bayer. Le procureur de Mycogen a comparu au dossier de la requête, mais n’a pas fait de représentations de fond.

 

Qu’est-ce qu’une procédure de conflit de demandes de brevets

[6]               La Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4 a été modifiée en profondeur le 1er octobre 1989. Auparavant, le Canada délivrait un brevet à la première personne qui inventait l’objet visé par une demande de brevet, ce qu’on appelait alors le système du « premier inventeur ». Après cette date, un brevet était délivré à la première personne qui déposait une demande de brevet pour l’objet en question, ce qu’on appelait alors le système du « premier déposant ». Au tout début du système des brevets, la plupart des pays utilisaient le système du « premier inventeur » certains utilisaient même le système du « premier inventeur dans notre pays ». Peu à peu, plusieurs pays, en particulier les pays d’Europe et d’Extrême-Orient, sont passés au système du « premier déposant », de sorte qu’au 1er octobre 1989, seuls le Canada, les États-Unis et un petit nombre de pays ont conservé le système du « premier inventeur ». Aujourd’hui, même les États‑Unis adoptent graduellement, mais en partie seulement, le système du premier déposant.

 

[7]               En vertu du système du « premier inventeur », lorsqu’il n’y avait qu’une seule demande de brevet présentée au Bureau des brevets, la personne désignée comme l’inventeur était considérée comme la première personne qui avait inventé l’objet visé par la demande de brevet. Toutefois, il arrivait à l’occasion que deux ou plusieurs demandes de brevets qui semblaient viser un même objet soient déposées au Bureau des brevets. Lorsque le cas se présentait, le commissaire aux brevets devait décider qui était le premier inventeur. Cette personne se voyait délivrer un brevet pour l’objet à l’exclusion des autres demandeurs.   

 

[8]               L’article 43 de la version de la Loi sur les brevets antérieure au 1er octobre 1989 traitait spécifiquement de la procédure à suivre en cas de conflit de demandes. Cette disposition reste en vigueur à ce jour pour disposer des quelques conflits de demandes pendants. Une copie de l’article 43 de la Loi sur les brevets antérieure au 1er octobre 1989 est annexée aux présents motifs. Il n’existe pas parmi les Règles sur les brevets ou les Règles des Cours fédérales de règle spécifique qui traite d’une telle procédure. Les versions des Règles des Cours fédérales antérieures à 1998 contenaient des règles spécifiques traitant d’une telle procédure, mais elles ont été abrogées. 

 

[9]               Le conflit a pris naissance lorsque les examinateurs du Bureau des brevets ont constaté qu’il y avait deux ou plusieurs demandes pendantes devant le Bureau qui semblaient viser le même objet. En vertu du système antérieur au 1er octobre 1989, toutes les demandes de brevets étaient confidentielles. Il en va de même pour les demandes en l’espèce. Le Bureau des brevets choisissait parmi les demandes les revendications qui définissaient avec le plus d’exactitude l’objet commun à toutes les demandes, ou pouvait rédiger lui-même lesdites revendications. Ces revendications communes étaient présentées à chaque demandeur qui pouvait choisir de rester dans la procédure de conflit de demandes en insérant certaines, voire toutes les revendications à sa demande si elles ne s’y trouvaient pas déjà. Les demandeurs étaient par la suite invités à soumettre des affidavits énonçant les faits qui établissaient la date de l’invention par leurs inventeurs nommés. Certains choisissaient de se fonder uniquement sur la date du dépôt de la demande au Canada ou dans un autre pays si la demande canadienne revendiquait la priorité d’une telle demande. Lorsque toute la preuve était rassemblée, le commissaire aux brevets prenait connaissance de la preuve et décidait quels inventeurs étaient les auteurs de l’invention décrite dans l’objet des revendications concurrentes. À l’occasion, des inventeurs étaient premiers pour certaines des revendications et d’autres inventeurs l’étaient pour d’autres revendications. Les revendications étaient attribuées par le commissaire à la demande du premier inventeur de chaque revendication en cause, et toutes les demandes faisaient l’objet d’un examen final. Toutefois, toute partie au conflit pouvait, après avoir reçu la décision du commissaire, et si elle en était insatisfaite, commencer une procédure à la Cour fédérale pour déterminer à nouveau qui est le premier inventeur et à qui les revendications seraient attribuées. Il ne s’agit pas d’un appel ni d’un contrôle judiciaire, mais d’une procédure dans le cadre de laquelle une nouvelle décision est rendue. Dans une telle procédure, des revendications reformulées (ce qu’on appelle des revendications substituées) pouvaient être proposées pour régler le conflit. La Cour fédérale procédait comme avec toute autre action et sa décision pouvait être portée en appel de la manière habituelle.   

 

[10]           Il existe aux États-Unis une procédure qui s’apparente à la procédure en question et qui s’appelle procédure « de conflit de priorité ». 

 

[11]           La présente requête en jugement sommaire porte sur la prorogation du délai fixé par le commissaire aux brevets alors que la procédure de conflit de demandes était pendante devant le Bureau des brevets et avant que toute décision définitive ne soit rendue sur l’attribution des revendications par le commissaire.   

 

Jugement sommaire

[12]           Hormis l’objection qu’il a soulevée sur l’opportunité d’entendre la requête en jugement sommaire alors que le procès se tiendra dans environ neuf mois, l’avocat de Monsanto ne s’est pas opposé à l’utilisation des règles de la Cour applicables aux jugements sommaires pour disposer de la présente requête. Les deux avocats ont convenu que les récentes modifications apportées à ces règles n’avaient aucune incidence sur la présente requête. Ils ont également convenu que j’avais devant moi tous les faits pertinents pour trancher les questions soulevées par la présente requête et qu’aucun autre fait pertinent ne serait soulevé au procès.

 

[13]           J’estime qu’il convient de traiter les questions qui me sont soumises par voie de requête en jugement sommaire. 

 

Faits pertinents

[14]           Les faits pertinents sont admis et il n’y a pas lieu de se prononcer sur la crédibilité. Les faits figurent dans les documents contenus dans les dossiers de demande des parties soumis au Bureau des brevets et qui font l’objet de la procédure de conflit de demandes et dans les admissions faites en réponse à un avis demandant l’admission de faits signifié conformément aux Règles de la Cour.  

 

[15]           Le litige a pris naissance lorsque les parties, inconnues les unes des autres à l’époque, ont déposé leurs demandes de brevets au Bureau des brevets. Toutes les demandes ont été déposées avant le 1er octobre 1989, ce qui signifie que les dispositions de « l’ancienne » Loi sur les brevets s’appliquent. Au moment du dépôt de sa demande, Bayer était désignée sous Plant Genetic Systems N.V. Les parties à la présente requête reconnaissent que Bayer a succédé à Plant Genetic Systems; je désignerai cette partie sous Bayer la plupart du temps.

 

[16]           Dans une lettre datée du 15 juin 2000, le commissaire aux brevets a avisé les agents de brevets représentant Bayer, Gowling Strathy & Henderson, de l’existence d’un conflit entre sa demande et d’autres demandes identifiées uniquement sous XXX,X73, XXX,X21, XXX,X90, XXX,X46, et XXX,X22. Certaines revendications identifiées sous C1 à C5 et C12 à C21 étaient censées définir l’objet source de conflit. Dans ladite lettre, le Bureau des brevets exigeait que le demanderesse insère ces revendications dans sa demande ou maintienne celles qui s’y trouvaient si elle souhaitait demeurer partie à la procédure de conflit de demandes. Le paragraphe d’introduction de la lettre mentionnait que la demanderesse devait répondre dans les trois mois (au plus tard le 15 septembre 2000).

 

[17]           Une lettre au même effet fut envoyée le même jour par le Bureau des brevets aux agents de brevets de Monsanto, McFadden, Fincham, sauf que les revendications offertes différaient légèrement puisqu’il s’agissait des revendications C1 à C11 et C22 à C26.

 

[18]           Il s’ensuit donc que, sur réception de la lettre du 15 juin 2000 du Commissaire, Bayer et Monsanto ont été informées que leurs demandes de brevets étaient en conflit avec une ou plusieurs autres demandes de brevets, bien que toutes deux ignoraient l’identité de l’autre, ou des autres, de même qu’elles ignoraient quelles étaient les revendications des unes et des autres qui étaient en conflit.   

 

[19]           Le 12 septembre 2000, les agents de brevets de Syngenta, Featherstonehaugh & Co., ont écrit au Bureau des brevets pour demander un délai de six mois (jusqu’au 15 mars 2001) pour faire savoir si leur cliente insérerait ou maintiendrait dans sa demande certaines ou toutes les revendications concurrentes offertes. Le 29 septembre 2000, le Bureau des brevets a accordé par lettre un délai, non pas de six mois, mais de trois mois (jusqu’au 15 décembre 2000). À l’époque, nul autre n’était au courant de cet échange de correspondance. Toutefois, tel qu’il appert des échanges de correspondance subséquents, Bayard et Monsanto furent rapidement informées que l’une des demanderesses avait demandé et obtenu une prorogation de délai. Toutes deux voyaient donc leur délai se prolonger automatiquement jusqu’au 15 décembre 2000.

 

[20]           Le 14 septembre 2000, un jour avant l’expiration du délai de 3 mois, les agents de brevets de Bayer ont écrit au Bureau des brevets pour l’aviser que Bayer souhaitait inclure les revendications concurrentes C1 à C5 et C12 à C21 dans sa demande, maintenant ainsi sa participation à la procédure de conflit de demandes.  

 

[21]           Le 29 septembre 2000, le Bureau des brevets a écrit aux agents de brevets de Bayer pour les aviser que l’une des autres parties avait demandé et obtenu une prorogation de délai jusqu’au 15 décembre 2000 et que Bayer avait droit à la même prorogation. Il semble que le Bureau des brevets ne savait pas à l’époque que Bayer avait effectivement déposé une réponse le 14 septembre 2000.

 

[22]           Le procureur de Bayer admet que Bayer n’a à l’époque ni en aucun temps pertinent avant que cette procédure ne soit commencée, n’a formulé aucune objection auprès du Bureau des brevets quant à l’octroi d’une prorogation de délai jusqu’au 15 décembre 2000. Cette question fut soulevée pour la première fois dans les plaidoiries faites dans ces actions et dans la présente requête. 

 

[23]           Le 13 septembre 2000, les agents de brevets de Monsanto ont écrit au Bureau des brevets pour demander une prorogation de délai jusqu’au 15 décembre 2000 pour répondre à la demande du commissaire quant à l’ajout ou au maintien des revendications concurrentes de manière qu’elle demeure partie à la procédure de conflit. Une brève note manuscrite figure au bas de la lettre déposée en preuve, personne ne sachant qui l’a écrite ou ce qu’elle signifie. Les avocats conviennent que la note n’a pas à être prise en compte. Le 29 septembre 2000, le Bureau des brevets a répondu par lettre que l’agent de brevets en charge du dossier de conflit de demandes (sans mentionner le nom de l’agent ou de la société) avait déjà demandé et obtenu une prorogation de délai et que, par conséquent, Monsanto n’était pas tenue de présenter une demande de prorogation de délai. On infère de cette lettre que Monsanto bénéficiait elle aussi de la même prorogation de délai jusqu’au 15 décembre 2000. Monsanto a déposé sa réponse, dans laquelle il a ajouté des revendications concurrentes, le 15 décembre 2000. Le commissaire a donc maintenu Monsanto à titre de partie à la procédure de conflit de demandes. 

 

[24]           Entretemps, suivant la pratique établie au Bureau des brevets, ce dernier a demandé à toutes les parties à la procédure de conflit de demandes si elles consentaient à ce que les noms de toutes les autres parties à la procédure ainsi que les noms des inventeurs et de leurs agents de brevets soient divulgués à toutes les parties. Toutes les parties ont consenti et le 8 janvier 2001 le Bureau des brevets a écrit aux agents de brevets de toutes les parties pour divulguer ces renseignements à toutes les parties. Les noms des parties furent révélés, mais le contenu de leurs demandes est demeuré confidentiel.    

 

[25]           L’examen des demandes concurrentes respectives a suivi son cours au Bureau des brevets. Dans des lettres similaires qu’il a envoyées le 20 octobre 2003 aux agents de brevets de Bayer et Monsanto, le Bureau des brevets a avisé ces derniers, entre autres, de ce qui suit :  

 

[TRADUCTION] Un examen récent de la Loi sur les brevets et des Règles sur les brevets démontre que la compétence pour traiter les conflits de demandes se trouve dans la Loi sur les brevets telle qu’elle était libellée immédiatement avant le 1er octobre 1989. Il n’existe pas de règles qui traitent des conflits de demandes. L’unique fondement de la compétence pour accorder une prorogation de délai se trouve à la partie 1 des Règles sur les brevets. Toutefois l’article 26 prévoit des exceptions spécifiques à l’égard des affaires visées par la partie V qui est la partie applicable aux demandes déposées avant le 1er octobre 1989. Aucune règle régissant l’octroi de délais supplémentaires ne figure à la partie V elle-même.   

 

Le demandeur est avisé que dorénavant aucune prorogation de délai ne sera accordée suite à la réception d’une lettre écrite en vertu de l’article 43 de la Loi sur les brevets tel qu’il était libellé avant le 1er octobre 1989.    

 

On ne sait pas ce qui a pu inciter le Bureau des brevets à faire cette déclaration. 

 

 

[26]           Le commissaire aux brevets a entrepris l’examen des revendications concurrentes et a rendu sa décision le 14 avril 2008. Dans cette décision il fut déterminé que les inventeurs de Bayer étaient les premiers à avoir inventé l’objet des revendications C1 à C5, et, par conséquent, ces revendications furent attribuées à Bayer. Aucune revendication ne fut attribuée à Monsanto. Dans sa décision, la commissaire concluait en affirmant que l’étude du dossier se poursuivrait (au Bureau des brevets) en fonction de cette attribution, sauf si une procédure était commencée en Cour fédérale dans les six mois. Les actions prises par Mycogen et Monsanto constituent une telle procédure et, par conséquent, la poursuite de l’étude du dossier est suspendue.

Arguments des parties

 

Bayer

[27]           Bayer soutient que le commissaire ne disposait pas du pouvoir requis pour accorder une prorogation de délai au-delà du délai initial de trois mois accordé aux parties pour décider si elles ajouteraient des revendications ou maintiendraient les revendications existantes à leurs demandes respectives, ce qui leur permettait de conserver leur statut de parties à la procédure de conflit de demandes. Le commissaire avait initialement fixé au 15 septembre 2000 la date limite à laquelle les parties devaient répondre. Bayer a déposé sa réponse le 14 septembre 2000, donc dans le délai fixé et est ainsi fait demeurée partie à la procédure de conflit de demandes. Syngenta avait demandé et obtenu une prorogation de délai jusqu’au 15 décembre 2000. Cela avait pour conséquence que Bayer et Monsanto bénéficiaient de la même prorogation de délai. Bayer ne s’est pas prévalue de la prorogation puisqu’elle avait déjà répondu. Monsanto avait également demandé une prorogation, mais on lui a répondu que cela n’était pas nécessaire étant donné qu’une autre partie (non désignée nommément) avait demandé et obtenu une prorogation de délai jusqu’au 15 décembre 2000. Monsanto a déposé sa réponse le 15 décembre 2000. Bayer soutient qu’étant donné que la prorogation de délai était nulle, la réponse était tardive et de ce fait Monsanto avait cessé d’être partie à la procédure de conflit de demandes, ce qui l’empêchait de prétendre à la délivrance d’un brevet contenant l’une quelconque des revendications concurrentes.   

 

[28]           La position de Bayer se fonde essentiellement sur une lecture de la décision rendue par le juge Jackett de la Cour de l’Échiquier dans Philco Corp. c R.C.A. Victor Corp. (1966), 50 C.P.R. 282, confirmée par la Cour suprême du Canada (page 283 du rapport). Cette décision portait sur l’article 43 de « l’ancienne » Loi sur les brevets et sur l’article 25 et le paragraphe 26(1) des Règles sur les brevets, telles qu’elles s’appliquent depuis l’année 2000.

 

[29]           Dans Philco, il s’agissait d’une prorogation de délai que le commissaire avait accordée après avoir rendu une décision définitive sur le conflit et après avoir fixé la date limite à laquelle les parties pouvaient commencer des procédures à la Cour fédérale. Le paragraphe 45(8) de la Loi sur les brevets, qui est le même qu’aujourd’hui si ce n’est la substitution de la Cour fédérale à la Cour de l’Échiquier énonce que : 

Les revendications concurrentes sont rejetées ou admises en conséquence, à moins que, dans un délai fixé par le commissaire et dont avis est donné aux divers demandeurs, l’un d’eux ne commence des procédures à la Cour fédérale en vue de déterminer leurs droits respectifs, auquel cas le commissaire suspend toute action ultérieure sur les demandes concurrentes, jusqu’à …

 

 

Le juge Jackett a écrit ce qui sut à la page 286 du jugement Philco :

 

[TRADUCTION] Je ne peux concevoir que le paragraphe 45(8) confère le pouvoir au commissaire de fixer non seulement le délai à la fin duquel les procédures commencent en première instance, mais de surcroît, le pouvoir de proroger ce même délai ainsi fixé. 

Lorsque le Parlement a voulu permettre qu’un délai d’appel puisse être prorogé, il a adopté une disposition expresse à cet effet. Tout comme il ne peut y avoir d’appel à moins que le Parlement ne l’ait prévu, il ne peut y avoir de prorogation du délai d’appel à moins que le Parlement ne l’ait prévu.

Il ne me vient pas à l’esprit qu’un juge de cette Cour puisse proroger le « délai supplémentaire » qu’il a fixé en vertu du paragraphe 82(3) de la Loi de la Cour de l’Échiquier S.R.C. 1952, c 98, pour former un appel à la Cour suprême du Canada après l’avoir fixé, tout comme je suis d’avis que le commissaire ne peut pas proroger le délai qu’il a fixé pour commencer une procédure dans un conflit particulier après l’avoir fixé.   

 

L’avocat de Bayer soutient que cette analyse vaut également pour la prorogation de délai censément accordée dans le cadre de la procédure de conflit de demandes en vertu du paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets.

 

[30]           Les dispositions des Règles sur les brevets d’alors portant sur les prorogations de délai accordées par le Commissaire étaient les articles 125,126 et 127 tels qu’énoncés aux pages 287-288 du rapport Philco :

« 125. Le Commissaire peut fixer un délai pour la prise de toute mesure  à l’égard de laquelle un délai n’est pas prescrit par la Loi ou par les présentes règles, et une demande peut être considérée comme étant abandonnée si telle mesure n’est pas prise dans le délai ainsi déterminé.     

« 126. Sauf dans la mesure prévue par les dispositions des présentes règles, le Commissaire, s’il est convaincu, à la suite d’un affidavit établissant les faits pertinents, qu’eu égard à toutes les circonstances, un délai quelconque prescrit par les présentes règles ou les Règles de 1935, ou institué par le Commissaire pour l’exécution d’un acte quelconque devrait être prolongé, pourra prolonger ce délai, soit avant, soit après son expiration.

« 127.  Lorsqu’un délai prescrit par les présentes règles est prolongé conformément à l’article 126, le délai prolongé est censé être, aux fins des présentes règles, le délai prescrit par lesdites règles, mais aucune prolongation de délai ne doit porter préjudice à quelque mesure prise selon les formes par le Bureau avant que ledit délai ait été accordé par le Commissaire. »

 

 

 

[31]           L’avocat de Bayer soutient que les Règles sur les brevets telles que modifiées et en vigueur à partir de 2000 et par la suite, sont encore plus exigeantes en ce qui a trait aux prorogations. L’article 25 et le paragraphe 26(1) se lisent comme suit (le paragraphe 26(2) traite des périodes plus courtes et n’est pas pertinent quant à cette discussion):

25. Sauf disposition contraire de la Loi ou des présentes règles, le délai d’exécution de tout acte que le commissaire exige, par avis, du demandeur pour qu’il se conforme à la Loi ou aux présentes règles est le délai de trois mois suivant la demande. 

 

26. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et des autres dispositions des présentes règles, sauf pour l’application de la partie V, le commissaire est autorisé à proroger tout délai prévu aux présentes règles ou fixé par lui en vertu de la Loi pour l’accomplissement d’un acte, s’il est convaincu que les circonstances le justifient et si, avant l’expiration du délai, la prorogation a été demandée et la taxe prévue à l’article 22 de l’annexe II a été versée.

 

 

 

[32]           La partie V des Règles dont il est fait mention au paragraphe 26(1) s’applique expressément, comme son titre l’indique: « À l’égard des demandes déposées avant le 1er octobre 1989 », toutefois il n’existe aucune mention de la procédure de conflit de demandes à la partie V ou à l’article 43 de « l’ancienne » Loi sur les brevets. Néanmoins, soutient l’avocat de Bayer, la référence à la partie V contenue au paragraphe 26(1) des Règles sur les brevets est suffisante pour conclure qu’aucune prorogation de délai relative à tout ce qui concerne les demandes déposées avant le 1er octobre 1989 ne peut être accordée et que cela s’applique également aux procédures de conflit de demandes.   

 

[33]           L’avocat de Bayer a élaboré sur ses prétentions et il n’y a pas lieu de les reprendre ici. Il suffit de les énoncer comme je l’ai fait. Il en va de même des prétentions de l’avocat de Monsanto dont j’exposerai les grandes lignes.  

 

Monsanto

[34]           Monsanto soutient que la requête devrait être rejetée pour deux raisons. La première est que Bayer a eu plusieurs occasions de remettre en question la légitimité de la prorogation de délai devant le Bureau des brevets et n’a rien fait, elle ne peut donc pas soulever cette question maintenant. Le deuxième argument est que, quoi qu’il en soit, le commissaire avait le pouvoir d’accorder une prorogation de délai. Elle soutient que le commissaire a prorogé le délai en vertu des dispositions de l’alinéa 43(2)b) de « l’ancienne » Loi sur les brevets, qui permettent de fixer un « délai spécifié » au lieu d’un délai « fixé » en vertu du paragraphe 43(8), conformément à Philco. L’avocat s’est fondé sur la décision de la Cour dans Owens-Illinois Inc. c Koehring Waterous Ltd. (1978), 40 C.P.R. (20) 72 (confirmée sans analyse cette question par la Cour d’appel fédérale dans (1980), 52 C.P.R. (2d) 1) où le juge Gibson (Hugh Gibson et non Fred Gibson) a écrit aux paragraphes 20 à 23 :

20        [TRADUCTION]Les demanderesses ont soumis qu’il n’y avait pas de conflit et que les revendications devaient leur être accordées étant donné que le commissaire n’avait pas la compétence pour proroger un délai qu’il avait lui-même fixé en vertu du paragraphe 45(5) de la Loi sur les brevets.

 

21        Le commissaire a accordé une prorogation de délai à la défenderesse Koehring Waterous Ltd. pour déposer son affidavit suite à l’omission de cette dernière de déposer son affidavit dans le délai de six mois initialement fixé par le commissaire.  

 

22        Les demanderesses soumettent qu’il n’y a pas de différence entre les paragraphes 45(5) et 45(8) de la Loi sur les brevets et que le principe énoncé à l’égard de ce dernier paragraphe s’applique au premier, à savoir le principe énoncé dans Philco Corporation c R.C.A. Victor Corporation confirmé quant à l’issue par la Cour suprême du Canada, suivant lequel (prétentions de l’avocat) « selon la loi le commissaire pouvait fixer le délai en vertu du paragraphe 45(8) une fois seulement, suite à quoi c’était comme si le délai fixé, par exemple 6 mois, se trouvait dans la loi.  

 

23        Selon moi, le commissaire aux brevets, contrairement à la situation dans laquelle il se retrouve en vertu du paragraphe 45(8) de la Loi sur les brevets, n’était pas dessaisi de la procédure de conflit de demandes en l’espèce lorsqu’il a fixé le premier délai en vertu du paragraphe 45(5) de la Loi, le délai au cours duquel la défenderesse Koehring Waterous Ltd. devait déposer son affidavit; par conséquent, le commissaire avait le pouvoir d’accorder la prorogation du délai pour déposer, ce qu’il a fait.    

 

 

[35]           Les nouvelles Règles sur les brevets, soutient Monsanto, ne changent rien. Les nouvelles Règles n’abordent nulle part la question de la procédure de conflit de demandes de façon spécifique, par conséquent les dispositions générales de l’article 25 des règles s’appliquent pour permettre les prorogations.   

 

Réponse de Bayer quant à l’opportunité

[36]           L’avocat de Bayer réfute en deux temps l’argument de Monsanto suivant lequel la question aurait dû être soulevée devant le Bureau des brevets. Premièrement, Bayer soutient qu’elle n’aurait pu soulever cette question valablement avant de prendre connaissance des dossiers de demandes de brevets de Monsanto et ceux des autres parties au conflit. Étant donné qu’en vertu de « l’ancienne » Loi sur les brevets ces demandes étaient secrètes, Bayer ne pouvait prendre connaissance de ces demandes, de façon confidentielle, que par voie de communication préalable dans la présente action. Deuxièmement, Bayer soutient que la décision rendue sur la prorogation était interlocutoire et ne pouvait être portée à l’attention de la Cour avant que le commissaire ne rende sa décision définitive sur le conflit.    

 

Analyse

[37]           J’aborderai la première question soulevée et qui consiste à déterminer si Bayer, ne l’ayant pas fait plus tôt, peut soulever à cette étape-ci la question de la prorogation du délai et deuxièmement, j’examinerai si, en 2000, le commissaire possédait la compétence pour accorder la prorogation en vertu de la Loi sur les brevets et des Règles sur les brevets.  

 

1. Bayer peut-elle soulever la question à cette étape-ci?

[38]           Je suis d’avis que Bayer ne peut soulever la question de la prorogation du délai à cette étape-ci parce qu’elle ne l’a pas fait au moment où le Bureau des brevets en était saisi.     

 

[39]           Je commence avec les principes généraux énoncés par monsieur le juge Laforest de la Cour suprême du Canada dans K.M. c. H.M., [1992] 3 R.C.S. 6, où il écrit, lorsqu’il traite de la question de nature très délicate qu’est l’inceste, aux pages 77 à 79 : 

A On trouve une bonne analyse de cette règle et de la règle du manque de diligence dans Meagher, Gummow et Lehane, op. cit., aux pp. 755 à 765; les auteurs y résument ainsi la théorie, à la p. 755:  

 

[TRADUCTION]  C'est un moyen de défense qui permet à un défendeur de s'opposer avec succès à une réclamation en equity (quoique non légale) faite contre lui s'il peut établir que le demandeur, en tardant à intenter des poursuites, a) a acquiescé à la conduite du défendeur ou b) a amené le défendeur à changer sa position parce qu'il croyait raisonnablement que le demandeur avait accepté le statu quo ou qu'il avait permis une situation qu'il serait injuste de changer.

 

En conséquence, la règle du manque de diligence comporte deux éléments distincts et l'un ou l'autre suffit comme moyen de défense à une réclamation en equity. Il ressort immédiatement de l'ensemble de la jurisprudence que le simple retard ne suffit pas à déclencher l'application de l'un ou l'autre des éléments de la règle du manque de diligence. Il s'agit plutôt de déterminer si le retard du demandeur constitue un acquiescement ou crée des circonstances qui rendent déraisonnables les poursuites. En fin de compte, le manque de diligence doit être réglé comme une question de justice entre les parties, comme c'est le cas de toute règle d'equity .

 

I En l'espèce, on n'a pas à se demander si l'intimé a "changé sa position" à cause du retard de l'appelante. Ces considérations ne sont évidemment pas applicables dans un cas comme celui-ci. Par ailleurs, le retard n'a pas pour effet de rendre déraisonnables les poursuites. En conséquence, si le manque de diligence a pour effet d'empêcher la demande de l'appelante, ce doit être à cause de l'acquiescement, le premier élément de la règle énoncée dans l'arrêt Lindsay. 

 

L'acquiescement est un terme imprécis dont le sens peut varier selon le contexte dans lequel il est utilisé. Meagher, Gummow et Lehane, op. cit., aux pp. 765 et 766, donnent trois sens différents à ce terme, le premier étant synonyme d'irrecevabilité, soit le cas où la partie demanderesse se rend compte qu'on la prive de ses droits, mais ne fait rien. On a dit que c'est là le sens principal de l'acquiescement. Le sens secondaire constitue un élément de la règle du manque de diligence: la partie demanderesse, qui est parfaitement consciente de ses droits et qui sait qu'elle en est privée, tarde à intenter une action, ce qui amène à conclure qu'elle a renoncé à ses droits. C'est là le sens de l'acquiescement aux fins du présent pourvoi. Le dernier sens de l'acquiescement est vague et est parfois associé au deuxième élément de la règle du manque de diligence dans le contexte d'un changement de position du défendeur du fait qu'il s'est fié à l'inaction de la partie demanderesse.

 

Comme le laissent entendre les définitions principale et secondaire de l'acquiescement, un aspect important du concept est la connaissance que la partie demanderesse a de ses droits. Il ne suffit pas qu'elle connaisse les faits qui justifient une réclamation en equity; encore faut-il qu'elle sache que lesdits faits donnent naissance à cette réclamation: Re Howlett, [1949] Ch. 767.  Toutefois, notre Cour a statué que la connaissance de l'existence d'une réclamation doit être évaluée en fonction d'une norme objective; voir l'arrêt Taylor c. Wallbridge (1879), 2 R.C.S. 616, à la p. 670. En d'autres termes, il s'agit de déterminer s'il est raisonnable qu'une partie demanderesse ignore ses droits lorsqu'elle connaît les faits sous-jacents qui peuvent donner lieu à un recours en justice.   

 

I Il est intéressant de constater que, du point de vue pratique, l'analyse sous l'angle de l'acquiescement se rapproche très étroitement de la façon dont on aborde la règle de la possibilité raisonnable de découvrir le préjudice subi en matière délictuelle.  Comme nous l'avons vu, il faut dans ce dernier cas plus qu'une simple connaissance des actes délictuels le demandeur doit aussi être conscient du caractère répréhensible de ces actes. C'est essentiellement la même chose que de savoir qu'un recours en justice est possible. Il n'est guère étonnant que ces considérations en common law et en equity soient similaires et c'est là un progrès louable compte tenu des impératifs de principe similaires qui commandent les deux analyses.

 

 

[40]           L’enseignement que je tire de K.M. relativement à la présente affaire est que: 

         Le simple retard en lui-même n’emporte pas le refus d’accorder réparation. 

         La Cour doit régler la question comme une question de justice entre les parties  

         L’acquiescement peut empêcher l’octroi d’une réparation, il peut avoir deux sens, le premier est celui où la partie se rend compte qu'on la prive de ses droits, mais ne fait rien, l’autre est celui où la partie est consciente de ses droits et sait qu'elle en est privée, mais ne fait rien. La partie ne doit pas simplement connaître les faits, elle doit savoir qu’ils donnent ouverture à une action. Toutefois cette connaissance des droits doit être examinée sous l’angle de la norme objective.

 

[41]           En l’espèce, Bayer et ses agents de brevets Gowling, Strathy & Henderson, la même firme qui représente Bayer aux présentes, étaient au courant au milieu de l’année 2000 que sa demande de brevet était en conflit avec une ou plusieurs demandes, elle ignorait de qui elles émanaient ou combien il y en avait, mais elle savait qu’il y avait un conflit. À partir de septembre 2000, Bayer savait qu’une prorogation de délai avait été accordée à l’une des autres parties et que, de ce fait, la prorogation avait été accordée à toutes les parties. Une fois de plus, Bayer ne connaissait pas les noms des parties ou leur nombre, mais elle savait qu’il y avait une ou plusieurs parties. Elle n’a rien fait. Si elle avait vraiment eu l’intention d’exclure certaines des autres parties ou encore de les exclure toutes à cette époque, ce qui aurait alors mis fin au conflit, elle aurait pu écrire au commissaire pour se plaindre de la prorogation. Si le commissaire n’avait rien fait ou avait été en désaccord avec Bayer, une demande de contrôle judiciaire aurait pu être déposée.

 

[42]           Je souligne que Bayer soutient dans la requête en jugement sommaire dont je suis saisi que la requête devrait être entendue même si toutes les questions ne seront pas tranchées, et au moins une des parties demeurera parie à la procédure de conflit si Bayer a gain de cause. Elle se satisferait d’une victoire partielle à cette étape-ci. Pourquoi n’était-elle pas satisfaite lorsqu’elle était devant le Bureau des brevets?     

 

[43]           Je ne suis pas impressionné par l’argument de Bayer suivant lequel elle ne pouvait pas présenter de demande de contrôle judiciaire à l’époque étant donné qu’aucune décision définitive n’avait été rendue. La décision aurait été définitive si le commissaire avait été d’accord avec Bayer et avait exclu certaines parties ou encore les avait toutes exclues. Quoi qu’il en soit, la jurisprudence est équivoque quant à savoir si une décision interlocutoire peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire, elles le peuvent certainement lorsqu’elles sont considérées importantes, ce qui serait le cas si une ou plusieurs parties étaient exclues de la procédure de conflit ou en danger de l’être. Ce qui ressort c’est que Bayer n’a même pas essayé. Cet argument est une réflexion après coup pratique. Il n’existe aucune preuve à l’effet que Bayer ait eu l’intention de s’opposer à l’époque en question.

 

[44]           Bayer a eu au moins deux autres occasions de s’opposer. La première a eu lieu en janvier 2001 lorsqu’elle a été informée par le Bureau de brevets des noms des autres parties. Cette connaissance n’était pas nécessaire, mais elle aurait pu inciter Bayer à prendre action.

 

[45]           La deuxième occasion est survenue lorsque le commissaire a écrit une lettre à Bayer en octobre 2003, dont le contenu a été exposé précédemment aux présents motifs, plus particulièrement la partie portant sur la prorogation de délai. Une fois de plus, Bayer n’a rien fait. La question a été soulevée sans équivoque, si Bayer avait eu l’intention de faire quelque chose à ce sujet elle avait alors l’occasion de le faire.

 

[46]           Cela porterait atteinte à l’administration de la justice si Bayer, ayant eu amplement l’occasion de soulever cette question devant le Bureau des brevets et ne l’ayant pas fait, pouvait le faire maintenant. Bayer n’avait pas besoin de la communication de la preuve pour savoir qu’au moins une autre personne avait une demande en conflit avec la sienne et qu’une prorogation de délai lui avait été accordée. C’est tout ce qu’il lui fallait savoir pour soulever la question devant le commissaire. Il n’y a rien qui laisse croire que le commissaire n’aurait pas tenu compte de cette question. Si Bayer avait eu gain de cause, cela aurait mis fin au conflit ou aurait au moins exclu des parties. Si elle avait échoué, elle aurait pu s’adresser aux tribunaux. Si ce recours avait échoué au motif qu’une décision définitive devait avoir été rendue avant de pouvoir saisir les tribunaux, il en eut tout simplement été ainsi. Il n’y a pas de preuve à l’effet que Bayer ait même songé à procéder de cette façon. Nous n’avons que les prétentions de l’avocat et aucun fait.  

 

[47]           De plus, en ce qui a trait au retard, le commissaire a rendu une décision définitive sur le conflit. En aucun temps Bayer n’a soulevé d’objection quant à la prorogation de délai alors que la procédure de conflit de demandes suivait son cours devant le Bureau des brevets. La question de la prorogation était devenue théorique. Je me reporte à monsieur le juge Mahoney, de la Cour, dans Cyanamid Agricultural de Puerto Rico c Le commissaire aux brevets (1983), 74 C.P.R. (2d) 133, où il écrit à la page 136 :

[TRADUCTION] Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de décider si les décisions attaquées dans ces demandes, refus d’ajourner et refus de contre interroger, sont visées par le terme « toute décision » tel qu’employé au paragraphe 41(11). La Cour d’appel fédérale peut devoir décider de cette question si elle autorise l’appel d’une telle décision interlocutoire. Je ne crois pas non plus qu’il soit nécessaire de décider si les décisions attaquées pourraient faire l’objet d’une demande en vertu de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale si les licences obligatoires n’avaient pas été préalablement délivrées. Il me semble que lorsque la décision obligatoire, c’est-à-dire la décision d’accorder la licence obligatoire, a été rendue, les décisions de la nature de celle qui est attaquée doivent être considérées comme formant une seule décision. Elles peuvent constituer ou non le fondement d’un appel de la décision obligatoire auquel il pourrait être fait droit, mais la prise de la décision obligatoire rend théorique toute attaque à leur endroit portant sur leur qualité de décisions indépendantes. Selon ma compréhension de l’article 29 de la Loi sur la Cour fédérale, aucune décision de la Section de première instance qui, par exemple, conclurait que le commissaire a commis une erreur en refusant un ajournement aux demandeurs, pourrait de quelque façon que ce soit, avoir une incidence quelconque sur les licences.

 

 

[48]           Par conséquent, je rejette la requête de Bayer étant donné que le retard et le défaut de soulever la question en temps opportun devant le Bureau des brevets sont inexpliqués par les faits et que cela aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice si la Cour faisait droit à la requête. La question devenait théorique puisque la décision définitive portant sur le conflit de demandes avait été rendue.

 

2. Le commissaire avait-il le pouvoir d’accorder les prorogations?

[49]           La prorogation de délai a été accordée par le commissaire en vertu des dispositions de l’alinéa 43(2)b) de « l’ancienne » Loi sur les brevets. Ce paragraphe fait mention d’un délai « spécifié » par le commissaire. La jurisprudence Philco , discutée précédemment, porte sur un cas où le commissaire avait rendu une décision définitive sur le conflit et devait « fixer » un délai dans lequel des procédures pouvaient être commencées devant la Cour fédérale.

 

[50]           Dans Philco, Gordon F. Henderson, C.R., l’éditeur du Canadian Patent Reports dans lequel la décision a été rapportée, a exprimé dans une note de l’éditeur des doutes pour ce qui est de savoir si la décision (qui soutient qu’un délai « fixé » en vertu du paragraphe 43 (8) ne peut être prorogé) s’appliquait a un délai « spécifié » en vertu du paragraphe 43 (2):

[TRADUCTION] NOTE DE L’ÉDITEUR: Cette décision est conforme à la pratique en cours à la Cour de l’Échiquier et qui vise à assurer que les demandes de brevets ne trainent pas devant les tribunaux afin de ne pas causer indûment de retard aux développements industriels issus de la délivrance du brevet.     Lorsque le commissaire aux brevets a fixé le délai prescrit au paragraphe 45(8) de la Loi il ne peut, conformément à sa décision, que rejeter ou accueillir les demandes à moins qu’une telle action ne soit suspendue par le commencement de procédures dans le délai fixé. Le délai fixé par le commissaire devient alors un délai fixé par la loi pour entreprendre une action. 

 

Étant donné que les délais qui sont fixés par le commissaire, conformément aux dispositions de l’article 45, avant qu’il ne rende une décision visent la procédure qui est devant le Bureau des brevets, la question de savoir si ces délais sont assujettis à la règle appliquée à cette cause reste sans réponse. Mais, étant donné qu’ils ont force de loi, la Règle 126, P.C. 1954-1855, SOR Con. 1955, Vol. 3, p. 2510 à la p. 2531, s’y appliquerait également. Bien entendu, la sagesse intime de se conformer aux délais fixés par le commissaire en vertu de la compétence qui lui est conférée par la Loi sur les brevets.   

 

 

[51]           Tel que discuté précédemment aux présents motifs, la Cour, dans Owens- Illinois, a décidé qu’une distinction doit être faite entre le délai « fixé » du paragraphe 43(8) pour lequel aucune prorogation n’est possible et le délai « spécifié » de l’alinéa 43(2)b) pour lequel une prorogation est possible. Le commissaire, alors qu’il était toujours saisi du conflit, avait la compétence pour spécifier et pour proroger les délais dans le cadre de la procédure de conflit dont était saisi le Bureau des brevets.    

 

[52]           Je ne partage pas l’opinion de l’avocat de Bayer suivant laquelle le paragraphe 26(1) des Règles sur les brevets, qui était en vigueur à l’époque pertinente à partir de 2000, interdit les prorogations de délai dans les cas de conflits de demandes. L’article 25, tel que discuté précédemment aux présents motifs, prévoit un délai général de trois mois pour répondre à une demande du commissaire. Le paragraphe 26 (1) permet la prorogation de ce délai « sauf pour l’application de la partie V ». La partie V ne fait nulle mention de la procédure de conflit de demandes. Elle porte sur d’autres questions portant sur les demandes antérieures au 1er octobre 1989 et, s’agissant des délais, ne le fait qu’en ce qui concerne la taxe pour le maintien en état des droits (article 182) et le dépôt d’un échantillon de matière biologique (articles 183 à 186). 

 

[53]            Je suis d’avis que la lettre ambiguë du commissaire du 20 octobre 2003 mentionnée précédemment aux présents motifs peut signifier que le commissaire a exprimé des réserves sur l’applicabilité de l’article 26 aux conflits, toutefois il n’a rendu aucune décision sur la question.   Le seul résultat en est qu’à partir de cette date aucune prorogation de délai ne serait accordée. Il est important de souligner que le commissaire n’a exclu aucune partie parce qu’une prorogation de délai avait été accordée.    

 

[54]           L’interprétation des déclarations du commissaire, qu’on ne peut qu’inférer, est qu’on doit faire montre de prudence lorsqu’on accorde des prorogations de délai et qu’aucune autre prorogation de délai ne sera accordée dans les conflits de demandes pendants devant le Bureau des brevets à cette date. Bien entendu, le commissaire n’a exclu aucune des parties en raison des prorogations de délai passées. L’interprétation de ses Règles par un organisme administratif tel que le Bureau des brevets est un processus dans lequel les tribunaux ne devraient pas intervenir. Si l’interprétation est raisonnable, l’organisme administratif devrait pouvoir poursuivre ses activités. La Cour suprême du Canada dans Canada (Citoyenneté et immigration) c Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, l’affirme en ces termes au paragraphe 44 :   

 

44          L’intervention judiciaire est autorisée si l’office fédéral 

 

    • (c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

 

E Les erreurs de droit sont généralement assujetties à la norme de la décision correcte.  Dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, par. 37, par exemple, la Cour a statué que les questions générales de droit international et de droit pénal soulevées dans cette affaire devaient être tranchées suivant la norme de la décision correcte.  Selon l’arrêt Dunsmuir (au par. 54), un décideur spécialisé ne commet pas d’erreur de droit justifiant une intervention si son interprétation de sa loi constitutive ou d’une loi étroitement liée est raisonnable.  L’alinéa c) prévoit donc un motif d’intervention, mais la common law empêchera les juges d’intervenir dans certains cas, lorsqu’un organisme administratif spécialisé interprète sa loi constitutive ou une loi intimement liée à celle-ci.  Cette nuance n’apparaît pas à la simple lecture de l’al. c), mais c’est le principe de common law qui doit guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au par. 18.1(4). Encore une fois, le libellé général de la Loi sur les Cours fédérales est complété par la common law.

 

 

[55]           Dit succinctement, le commissaire peut décider de ne pas accorder de prorogations de délais dans les affaires de conflits de demandes, mais le paragraphe 26(1) ne dit pas que des prorogations de délai ne peuvent pas être accordées dans les conflits de demandes. Si une prorogation a été accordée et que le commissaire ne dit pas qu’elle était inappropriée et ne prend aucune mesure pour la révoquer ou imposer des conséquences, les tribunaux ne devraient pas intervenir. Par conséquent, je conclus que le commissaire n’a pas commis d’erreur en accordant la prorogation de délai en cause.

 

Dépens

[56]           Les procureurs ont été invités à faire des représentations sur les dépens. Ils ont informé la Cour de leur accord, sous réserve de tout jugement de la Cour d’appel, suivant lequel la partie qui aurait gain de cause devrait se voir accorder des dépens de 10 000 $. J’accorderai à Monsanto ces dépens qui comprennent les débours et les taxes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            POUR LES MOTIFS EXPOSÉS

LA COUR ORDONNE :

1.                  La requête est rejetée;

2.                  Des dépens de 10 000 $ comprenant tous les débours et taxes sont accordés à Monsanto.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1524-08

 

INTITULÉ :                                      T-1524-08:

MYCOGEN PLANT SCIENCE, INC. c.

BAYER BIOSCIENCE N.C MONSANTO TECHNOLOGY LLC et

 

T-1569-08:

MONSANTO TECHNOLOGY LLC c.

BAYER BIOSCIENCE N.V., MYCOGEN PLANT SCIENCE, INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 2 février 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Hughes  

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 5 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael D. Crinson                             POUR LA DEMANDERESSE

 

Chris Van Barr                                    POUR LA DÉFENDERESSE BAYER

Martha J. Savoy                                 

 

Arthur B. Renaud                               POUR LA DÉFENDERESSE MONSANTO

Kristina Milbourne

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Dimock Stratton LLP                         POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Gowling Lafleur Henderson LLP       POUR LA DÉFENDERESSE BAYER

Ottawa (Ontario)

 

Bennett Jones LLP

Toronto (Ontario)                                POUR LA DÉFENDERESSE MONSANTO

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

CONFLIT DE DEMANDES DE BREVETS

 

43.       Cas où conflit existe—(1) Se produit un conflit entre deux ou plusieurs demandes pendantes dans les cas suivants :

a)         chacune d’elles contient une ou plusieurs revendications qui définissent substantiellement la même invention ;

b)         une ou plusieurs revendications d’une même demande décrivent l’invention divulguée dans l’autre ou les autres demandes. 

 

            (2) Lorsque le commissaire a devant lui deux ou plusieurs de ces demandes, il doit :

a)         notifier à chacun des demandeurs le conflit apparent, et transmettre à chacun d’eux une copie des revendications concurrentes, ainsi qu’une copie du présent article ;

b)         procurer à chaque demandeur l’occasion d’insérer dans sa demande les mêmes revendications ou des revendications similaires, dans un délai spécifié.

 

(3) Si deux ou plusieurs de ces demandes complétées contiennent chacune une ou plusieurs revendications décrivant comme nouvelles des choses ou combinaisons de choses, et réclamant un droit de propriété ou privilège exclusif dans des choses ou combinaisons tellement identiques que, de l’avis du commissaire, des brevets distincts ne peuvent être accordés à des brevetés différents, le commissaire en notifie immédiatement chacun des demandeurs.

 

            (4) Dans le délai fixé par le commissaire, chacun des demandeurs pare au conflit en modifiant ou radiant la ou les revendications concurrentes, ou, s’il est incapable de produire ces revendications parce qu’il connaît la découverte ou l’invention antérieure, il peut soumettre à l’appréciation du commissaire cette découverte ou invention antérieure qui, d’après l’allégation, devance les revendications. Chaque demande est dès lors examinée de nouveau par rapport à cette découverte ou invention antérieure, et le commissaire décide si l’objet de ces revendications est brevetable.

 

(5) Si l’objet des revendications visées au paragraphe (3) est reconnu brevetable et que les revendications concurrentes sont maintenues dans les demandes, le commissaire exige de chaque demandeur le dépôt, au Bureau des brevets, dans une enveloppe scellée portant une souscription régulière, dans un délai qu’il spécifie, d’un affidavit du relevé de l’invention. L’affidavit déclare :

a)         la date à laquelle a été conçue l’idée de l’invention décrite dans les revendications concurrentes ;

b)         la date à laquelle a été fait le premier dessin de l’invention ;

c)         la date à laquelle a été faite la première divulgation écrite ou orale de l’invention et la manière dont elle a été faite ;

d)         les dates et la nature des expériences successives que l’inventeur a pratiquées par la suite afin de développer et mettre graduellement au point cette invention jusqu’à la date du dépôt de la demande de brevet.

 

(6) Aucune enveloppe contenant l’affidavit mentionné au paragraphe (5) ne peut être ouverte, et il n’est pas permis d’examiner les affidavits, à moins que ne subsiste un conflit entre deux ou plusieurs demandeurs, auquel cas toutes les enveloppes sont ouvertes en même temps par le commissaire en présence du sous-commissaire ou d’un examinateur en qualité de témoin, et la date de l’ouverture des enveloppes est inscrite sur les affidavits.

 

            (7) Après l’examen des faits énoncés dans les affidavits, le commissaire décide lequel des demandeurs est le premier inventeur à qui il attribuera les revendications concurrentes, et il expédie à chaque demandeur une copie de sa décision. Copie de chaque affidavit est transmise aux divers demandeurs.

 

(8) Les revendications concurrentes sont rejetées ou admises en conséquence, à moins que, dans un délai fixé par le commissaire et dont avis est donné aux divers demandeurs, l’un d’eux ne commence des procédures à la Cour fédérale en vue de déterminer leurs droits respectifs, auquel cas le commissaire suspend toute action ultérieure sur les demandes concurrentes, jusqu’à ce que, dans ces procédures, il ait été déterminé que, selon le cas :

a)         de fait, il n’existe aucun conflit entre les revendications en question ;

b)         aucun des demandeurs n’a droit à la délivrance d’un brevet contenant les revendications concurrentes, selon la demande qu’il en a faite ;

c)         il peut être délivré, à l’un ou à plusieurs des demandeurs, un ou des brevets contenant des revendications substituées, approuvées par le tribunal ;

d)         l’un des demandeurs a droit à l’encontre des autres, à la délivrance d’un brevet comprenant les revendications concurrentes, selon la demande qu’il en a faite.

 

(9)        À la demande de l’une des parties à une procédure prévue par le présent article, le commissaire transmet à la Cour fédérale les documents déposés au Bureau des brevets qui se rattachent aux demandes concurrentes

 

 

 

 

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