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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100205

Dossier : IMM-4743-08

Référence : 2010 CF 123

Ottawa (Ontario), le 5 février 2010

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MANDAMIN

 

 

ENTRE :

AHMED ABDEL HAFIZ AHMED RIHAN

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Ahmed Abdel Hafiz Ahmed Rihan sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 15 octobre 2008 par un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.

 

[2]               La SPR a exclu le demandeur du bénéfice du statut de réfugié en application de la section Fb) de l’article premier de la Convention de 1951 relative au statut de réfugié, 189 R.T.N.U. 2545 (la Convention), en raison d’une notice d’Interpol délivrée par l’Égypte afin que le demandeur soit arrêté et extradé pour purger une peine pour fraude.

 

[3]               Le demandeur sollicite une ordonnance en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales annulant la décision de la SPR et renvoyant l’affaire à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci rende une décision conforme aux directives que pourra donner la Cour.

 

[4]               Je fais droit à la demande de contrôle judiciaire, car j’estime que la SPR a commis une erreur dans sa décision. L’affaire est renvoyée, pour les motifs exposés ci-après.

 

CONTEXTE

[5]               Le demandeur, citoyen égyptien, a fui l’Égypte à destination du Canada le 24 janvier 2006 parce qu’il craignait d’être persécuté en raison de ses opinions libérales. Il a présenté une déclaration et témoigné de sa situation en Égypte. Le demandeur était une personnalité sportive en vue et siégeait au conseil d’administration du Maadi Sporting Club. Il s’est opposé aux membres intégristes du conseil d’administration qui souhaitaient imposer un code vestimentaire restrictif et la ségrégation des membres féminins du club. Vers la même époque, des agents de sécurité de l’État l’ont informé qu’ils avaient reçu des plaintes selon lesquelles il imprimait des textes irréligieux et l’ont incité à la prudence parce que des intégristes planifiaient de lui causer du tort. Peu après, des jeunes hommes ont commencé à le menacer, lui et sa famille. Son épouse a été avertie de divorcer sous peine d’être attaquée elle aussi. Deux incidents, un accident d’automobile suspect dont son fils a été victime et un vol à son entrepôt d’imprimerie, ont amené le demandeur à prendre les menaces au sérieux. La police ne l’a pas aidé, en raison de l’influence grandissante de l’intégrisme en Égypte généralement, et à Maadi plus particulièrement. (Dossier du tribunal, à la page 93)

 

[6]               Le demandeur a expliqué :

[traduction]

Voici ce qui s’est passé. Deux jours avant mon départ, c’est-à-dire le 23, j’ai reçu une lettre dans laquelle on menaçait de faire du mal à mes enfants et à ma femme si je ne divorçais pas et ne voyais pas à ne pas me mêler de leurs affaires. Cette lettre est arrivée après le vol perpétré dans mes entrepôts en Égypte et l’accident de mon fils. J’ai pris la menace très au sérieux, et ma femme a reçu des lettres de menace et des appels téléphoniques; elle a ainsi été informée de l’histoire, que je lui avais cachée. J’ai donc dû divorcer de mon épouse, et quitter le jour même. (Dossier du tribunal, à la page 225)

 

Malgré le divorce prononcé en Égypte, l’épouse du demandeur lui demeure attachée, mais elle est restée en Égypte parce qu’ils y ont de l’argent et des biens.

 

[7]               À l’examen au point d’entrée tenu le 25 juillet 2006, le demandeur a déclaré qu’il n’avait jamais commis d’acte criminel ni été accusé d’un crime dans quelque pays que ce soit.  

 

[8]               Le ministre est intervenu dans la demande d’asile du demandeur, attirant l’attention de la SPR sur une notice rouge d’Interpol en date du 26 octobre 2006. La notice indique que le demandeur a été déclaré coupable de [traduction] « fraude et tromperie; émission de chèques sans provision » le 15 septembre 2005 et qu’il a été condamné à purger une peine d’emprisonnement de six ans.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[9]               La SPR a exclu le demandeur sur la base de la notice rouge d’Interpol en raison de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), qui donne effet à la section Fb) de l’article premier de la Convention. Cette disposition exclut du bénéfice du statut de réfugié les demandeurs d’asile qui ont commis des crimes graves.

 

[10]           La SPR n’a pas cru le demandeur lorsqu’il a affirmé qu’il ignorait sa déclaration de culpabilité, parce qu’il se trouvait en Égypte au moment où celle-ci a été prononcée. La SPR a accordé beaucoup de poids à la notice rouge d’Interpol; elle a estimé que la notice provenait d’une source fiable, de bonne réputation et objective. La SPR a écrit : « À la séance de mai 2008, le demandeur d’asile a été tenu d’expliquer ce qui s’est passé à l’égard du mandat, et il a répondu que la situation a été réglée et que l’argent a été remboursé ». La SPR a relevé que le demandeur avait été déclaré coupable in absentia, mais a indiqué ensuite que la déclaration de culpabilité n’était pas pertinente au regard de l’exclusion, précisant : « La question qui importe est la perpétration du crime ». Se fondant sur la déclaration du témoin du demandeur, Amin Ekram Al‑Yahki, la SPR a conclu que la restitution confirmait qu’un crime avait été commis. Commentant une lettre dans laquelle la victime présumée de la fraude déclare retirer sa plainte et renoncer à la poursuite civile intentée contre le demandeur, la SPR a estimé que « cette lettre procède d’un intérêt personnel », et n’a accordé en conséquence que peu de poids à cet élément de preuve.

[11]           La SPR a conclu que « la notice rouge d’Interpol est toujours pendante et que le demandeur d’asile a été déclaré coupable et doit purger une peine de six ans en Égypte, que la composante civile du crime ait été réglée ou non ».  

 

[12]           La SPR s’est référée au Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCNUR pour décrire le but de la section Fb) de l’article premier, à savoir :

[...] de protéger la population d’un pays d’accueil contre le risque qu’il y aurait à admettre un réfugié ayant commis un crime grave de droit commun. Elle vise également à préserver le sort des réfugiés qui ont commis un ou des crimes de droit commun moins graves ou une infraction politique.

 

 

[13]           La SPR a statué que l’infraction en cause constituait un crime grave, faisant remarquer qu’en vertu du Code criminel du Canada, la fraude de plus de 5 000 $ est passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans. La SPR a conclu que le demandeur a commis un crime grave, compte tenu du montant en cause, qui s’élevait à environ 51 000 $, et de la peine de six ans d’emprisonnement infligée au demandeur.

 

[14]           Selon la SPR, il s’agissait là de « raisons sérieuses de penser » que le demandeur a commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada avant d’y être admis comme réfugié. Partant, la commissaire a conclu que le demandeur tombait sous le coup de la section Fb) de l’article premier. Le tribunal n’a pas procédé à une analyse subsidiaire pour déterminer si le demandeur est un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Le demandeur allègue que la SPR a commis une erreur de fait et de droit et a outrepassé sa compétence en concluant qu’il devait être exclu pour des motifs prévus à la Convention.

 

[16]           À mon avis, la présente affaire doit être tranchée en fonction de deux questions :

 

a)      La SPR a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive, sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?

b)      La SPR a-t-elle commis une erreur de fait et de droit en concluant que la notice rouge d’Interpol constitue à elle seule une « raison sérieuse de penser » qu’un crime visé à la disposition d’exclusion a été commis, compte tenu des autres éléments de preuve dont elle disposait?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[17]           Une personne qui a commis un crime grave de droit commun n’est pas admise à se voir reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. L’article 98 de la LIPR prévoit :

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugies ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés


 

 

[18]           La section Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies dispose :

 

F.         Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

(b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés

F.         The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

(b)        he has committed a serious non political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee

 

NORME DE CONTRÔLE

[19]           Il n’est pas nécessaire de procéder dans tous les cas à une analyse portant sur la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question que doit trancher la Cour est bien établie dans la jurisprudence, la cour de révision peut appliquer cette norme : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 54.

 

[20]           La Cour fédérale a conclu, et je souscris à cette conclusion, que l’exclusion prévue à l’article 98 est une question mixte de droit et de fait qui laisse place à un certain pouvoir discrétionnaire et qui doit être révisée selon la norme de la décision raisonnable : Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 238, au paragraphe 10, conf. par 2008 CAF 404 (Jayasekara).

 

ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[21]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en rejetant son affirmation selon laquelle il n’a jamais été informé des poursuites intentées contre lui au civil et au criminel. Il prétend également que le rejet par la SPR de la lettre de la présumée victime de fraude est déraisonnable, parce que la lettre démontre qu’aucun crime grave n’a été commis. 

 

[22]           L’avocat du demandeur plaide que son client n’a commis aucun crime. La preuve, souligne-t-il, révèle que le demandeur a remis deux chèques à un investisseur à titre de garantie pour l’investissement de ce dernier dans une entreprise commerciale. L’investisseur a ensuite reçu une villa en règlement intégral de son investissement, mais le demandeur a négligé de récupérer ses chèques parce qu’il faisait confiance à l’investisseur. Lorsqu’il a découvert que l’infraction pour laquelle il a été déclaré coupable était liée à ces chèques, sa famille est intervenue et a interrogé l’investisseur relativement au dépôt d’une fausse accusation. C’est ainsi que l’investisseur a écrit à Interpol une lettre dans laquelle il déclare retirer sa plainte.  

 

[23]           À titre subsidiaire, l’avocat du demandeur fait valoir que si la SPR a conclu qu’un crime a été commis, l’émission d’un chèque sans provision ne constitue pas un crime visé à la disposition d’exclusion. L’avocat soutient que le demandeur est crédible, car il a rendu un témoignage empreint de franchise et dénué d’embellissement durant environ huit heures.

 

[24]           Le demandeur allègue également que la SPR a commis une erreur en rejetant la preuve de M. al‑Yahki, son avocat égyptien.

 

[25]           De l’avis du demandeur, les prétentions du ministre découlent exclusivement de la notice rouge d’Interpol. Sans élément de corroboration, ajoute-t-il, la notice seule est une preuve insuffisante pour constituer une raison sérieuse de penser qu’un crime a été commis. Le demandeur invoque à cet égard la décision rendue dans Gurajena c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 724 (Gurajena).

 

[26]           Le demandeur soutient que l’un des buts de la section Fb) de l’article premier est d’empêcher les personnes qui tentent d’éviter la justice de se soustraire à l’extradition. Par conséquent, un demandeur d’asile qui a expié un crime grave de droit commun ne devrait pas être exclu. Il s’appuie sur le paragraphe 23 des Principes directeurs sur la protection internationale : Application des clauses d’exclusion : Article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, rédigé comme suit :

Lorsque l’on considère que le crime a été expié, l’application des clauses d’exclusion ne semble plus être justifiée. Cela peut être le cas lorsque la personne a purgé une peine pour le crime en question ou éventuellement lorsqu’une période importante de temps s’est écoulée depuis que l’infraction a été commise. Les facteurs pertinents à prendre en compte sont la gravité de l’infraction, la période de temps écoulée et toute manifestation de regret exprimée par la personne concernée. En examinant l’effet d’une grâce ou d’une amnistie, il faut prendre en considération la question de savoir si cela reflète ou non la volonté démocratique du pays concerné et si la personne a été tenue pour responsable par d’autres moyens. Certains crimes sont cependant tellement graves et odieux que l’application de l’article 1F reste justifiée même en cas de grâce ou d’amnistie. (Non souligné dans l’original)  

 

 

[27]           Le demandeur estime que la SPR serait parvenue à une conclusion différente si elle avait tenu compte des facteurs d’interprétation pertinents de la section Fb) de l’article premier exposés dans les motifs du juge Gilles Létourneau dans l’arrêt Jayasekara de la Cour d’appel fédérale.

 

ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[28]           Le défendeur soutient que la situation au regard de la peine n’empêche pas l’exclusion en vertu de la section Fb) de l’article premier de la Convention. Dans Jayasekara, la Cour d’appel a conclu que cette disposition ne vise pas exclusivement les personnes qui fuient la justice d’un autre pays et peut être appliquée à des personnes qui ont purgé leur peine ou dont les problèmes avec la justice criminelle à l’étranger ont été réglés. 

 

[29]           Le défendeur fait observer que le demandeur n’a pas soumis d’éléments de preuve établissant que ses problèmes criminels en Égypte sont officiellement réglés, expiés ou effacés. Selon l’avocat du demandeur en Égypte, le document de [traduction] « réconciliation de la victime » n’a été ni déposé, ni homologué par la cour d’appel de ce pays afin d’« annuler » la peine. Le défendeur avance qu’en conséquence, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que la peine imposée au criminel n’est pas réglée.

 

[30]           En outre, fait valoir le défendeur, la question de savoir si le demandeur a ou non un dossier criminel en Égypte n’est pas concluante quant à l’exclusion. La section Fb) de l’article premier porte sur les raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun. Si l’existence d’un dossier criminel constitue vraisemblablement une raison sérieuse, il ne s’agit pas là de l’unique raison de penser qu’un crime grave a été commis.  

 

[31]           Le défendeur insiste pour dire que la SPR a agi raisonnablement en fondant sur les conclusions de fait suivantes sa décision qu’il existe des « raisons sérieuses de penser » qu’un « crime grave de droit commun » a été commis : 

a)    La notice rouge d’Interpol, en date du 26 octobre 2006, indique que le demandeur a été déclaré coupable en Égypte de fraude, de tromperie et d’émission de chèques sans provision pour une somme équivalant à 51 000 $CAN et qu’il a été condamné à purger une peine d’emprisonnement de six ans. Le retrait de la poursuite au civil ne signifie pas qu’aucun crime n’a été commis.

 

b)        Selon son propre témoignage, le demandeur affirme avoir fait restitution à la victime. La restitution indemnise pour un acte illicite.

 

c)        Le crime commis par le demandeur était motivé par l’intérêt personnel et l’avarice.

 

d)        La gravité du crime est étayée par le montant en cause et la peine imposée.

 

e)        L’infraction correspondante au Canada est punissable par une peine maximale de 14 ans d’emprisonnement.

 

 

[32]           Le défendeur conclut qu’aucune raison ne justifie que la Cour intervienne dans la décision de la SPR.

 

LES AUDIENCES

[33]           Le processus d’audience de la SPR dans le cas de M. Rihan s’est avéré décousu, difficile à suivre et marqué de complications dans la présentation de la preuve et l’audition des observations. La traduction a constitué un obstacle majeur à une communication efficace. Des problèmes sont survenus avec la traduction des questions de l’agent de protection des réfugiés (l’APR). À un certain moment, l’APR a dit au demandeur : 

[traduction]

APR : D’accord. Je vais maintenant vous donner des instructions générales. Je ne sais pas si vous m’écoutez, si vous écoutez monsieur l’interprète ou si vous écoutez les deux à la fois et en écoutant deux personnes à la fois, vous n’entendez pas grand‑chose. Mais si la question est « quand », « quel mois », la réponse devrait comprendre deux choses : le mois, l’année. Il ne devrait pas être nécessaire de répéter la question trois fois. (Dossier du tribunal, aux pages 245 et 246).

 

J’attire l’attention sur cet extrait, qui ressemble à d’autres échanges tenus tout au long de l’audience et qui illustre la confusion qui a miné le processus en l’espèce. La confusion est également palpable dans l’ensemble de la transcription des témoignages rendus par les témoins du demandeur, soit son épouse et son avocat égyptien, avec lequel la communication téléphonique a été interrompue à une occasion.

 

[34]           On trouve aussi au dossier plusieurs épellations des mêmes noms. Par exemple, le nom de M. al‑Jezawi, la présumée victime de la fraude en cause en l’espèce, est parfois épelé « Al‑Gizware », parfois « El‑Gizawy » et parfois « Elgezary » à différents endroits dans la transcription. L’avocat de M. Rihan en Égypte est Amin Ekram Arnest al‑Yahki; or, son nom est épelé « Elyahky » dans toute la transcription.

 

[35]           Toutefois, le principal obstacle à toute cohérence dans l’ensemble du processus découle de deux changements du président de l’audience de la SPR en cours d’instance. Au total, trois commissaires de la SPR ont été saisis de cette affaire à différentes époques. 

 

[36]           À la première audience, la SPR a conclu au désistement parce que le demandeur ne s’est pas présenté. Toutefois, la demande a été rétablie et l’audience fixée au 13 septembre 2007 après que le premier tribunal de la SPR eut appris que le demandeur était malade, ayant éprouvé des malaises cardiaques le jour de son audience.

 

[37]            Un deuxième commissaire de la SPR a présidé l’audience tenue le 13 septembre 2007. La commissaire a entendu les témoignages du demandeur, de son épouse et de l’avocat égyptien du demandeur, M. al‑Yahki. Ce dernier représente M. Rihan depuis 1996. Il a déclaré que ses domaines de pratique sont le droit criminel, le droit administratif et le droit des affaires. Son cabinet emploie d’autres avocats et du personnel de soutien. L’audience s’est terminée le 28 septembre 2007 avec les plaidoiries de l’APR et du conseil du demandeur. Le conseil du ministre était présent à l’audience mais n’y a pas pris part.

 

[38]           Dans sa plaidoirie, l’APR a signalé que le ministre alléguait l’existence d’une raison sérieuse de penser que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun. Elle a pris acte de l’affirmation du demandeur selon laquelle les accusations avaient été fabriquées. L’APR a aussi rappelé que dans sa demande initiale, le demandeur a prétendu avoir subi du harcèlement de la part d’intégristes. Elle a fait remarquer qu’à la suite des témoignages, la question du harcèlement avait pris une connotation plus politique, l’épouse du demandeur ayant déclaré dans son témoignage que le harcèlement subi était le fait d’hommes affiliés à la Fraternité musulmane, une organisation décrite comme un groupe extrémiste entretenant des liens politiques en Égypte. L’APR a également présenté des observations concernant la crédibilité et l’inclusion.

 

[39]           La commissaire de la SPR qui présidait l’audience a conclu celle-ci et mis sa décision en délibéré en précisant que la décision serait rendue par écrit. 

 

[40]           Plus tard, le demandeur a reçu une lettre de l’APR qui l’informait de ce qui suit :

[traduction]

Pendant la présentation de la preuve à l’audience, l’épouse du demandeur a déclaré que la victime du crime et la Fraternité musulmane ont travaillé de concert pour fabriquer une preuve contre le demandeur, et que la déclaration de culpabilité prononcée contre le demandeur en son absence, en plus d’être fausse, constitue une autre indication de la persécution que le demandeur a subie en Égypte et qu’il risque de continuer à subir s’il y retourne.

 

La commissaire présidant l’audience m’a donné instruction de vous informer de ce fait afin de vous donner l’occasion de traiter de cette question dans vos observations, si vous le désirez.

(Dossier du tribunal, à la page 64)

 

 

[41]           La commissaire de la SPR n’a pas rendu décision. Elle a été remplacée par un troisième commissaire.

 

[42]           Le 2 mai 2008, une nouvelle audience a débuté, présidée par une autre commissaire de la SPR, Harriet Wolman. Le conseil du ministre a choisi de participer à l’audience en plus de l’APR et du conseil du demandeur. L’audience a débuté à titre d’audience de novo, et les transcriptions des témoignages déjà entendus ont été admises en preuve. La nouvelle commissaire a déclaré :

[traduction]

De mon point de vue, je suis disposée à accepter la transcription comme - - parce qu’il s’agit d’un témoignage sous serment. Donc, essentiellement, nous ne reprendrons pas l’audience de la demande d’asile depuis le début. Je ne - - vous savez, je suis prête à écouter les commentaires de chacun, mais j’ai le sentiment que nous pouvons tout simplement procéder.

[...]

Lorsque nous arriverons à ce point, il me semble que nous aurons entendu suffisamment de témoignages, et s’il y a d’autres observations, qui ne répètent pas celles déjà présentées, s’il y a de nouvelles observations fondées sur ce que nous entendrons ce matin, je serai heureuse de les entendre et d’en tenir compte avant de prendre ma décision. (Non souligné dans l’original)

           

[43]           Le demandeur a témoigné de nouveau. Il a été interrogé par son conseil et contre‑interrogé par l’APR et par le conseil du ministre.

[44]           Le conseil du ministre a soutenu qu’il existe des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun en Égypte avant de venir au Canada. La SPR n’a pas présenté d’observations additionnelles.

 

[45]           Se conformant aux directives du tribunal, le conseil du demandeur n’a pas réitéré ses observations précédentes. Il a contesté les fondements avancés pour conclure que le demandeur a commis un crime. Il a souligné l’importance de tenir compte des témoignages rendus par le demandeur et ses témoins dans le cadre de l’audience précédente.

 

ANALYSE

[46]           Avant d’examiner la façon dont la SPR a analysé la preuve, il est utile de passer en revue la jurisprudence relative à la section Fb) de l’article premier.

 

[47]           La jurisprudence offre tout un éventail d’interprétations de la section Fb) de l’article premier de la Convention. Le juge Bastarache a donné à cette disposition son interprétation la plus restrictive dans les remarques incidentes qu’il a formulées dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, [1998] A.C.S. no 46 (QL), au paragraphe 73 (Pushpanathan). Il a donné à entendre que cette disposition a pour objet d’empêcher des personnes fuyant la justice étrangère de se soustraire à l’extradition en revendiquant le statut de réfugié. L’arrêt Pushpanathan a statué sur une question certifiée concernant la section Fc) de l’article premier de la Convention; dans cette décision, l’interprétation de la section Fb) visait à comprendre les dispositions d’exclusion de l’article par rapport à un crime perpétré au Canada. Il s’agissait plus précisément de savoir si le trafic d’un stupéfiant constitue un crime grave de droit commun.

 

[48]           La Cour d’appel fédérale a plus tard utilisé ce raisonnement dans l’arrêt Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 CF 290 (Chan) pour accueillir l’appel d’un demandeur d’asile déclaré coupable et condamné à purger une peine pour des infractions liées au trafic de stupéfiants. L’infraction était un crime grave de droit commun, et la peine avait été purgée. La Cour d’appel a dès lors conclu que le demandeur n’était pas un fugitif et ne devait pas être exclu au titre de la section Fb) de l’article premier. La Cour n’a pas donné raison au ministre, qui préconisait une interprétation plus large de cette disposition. La Cour a jugé que sous le régime législatif alors en vigueur, une interprétation plus large priverait d’une audience des demandeurs d’asile légitimes ayant purgé une peine pour des crimes graves de droit commun, sans tenir compte de leur réadaptation.

 

[49]           Des changements apportés à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ont ensuite ouvert la voie à une interprétation plus large de la section Fb) de l’article premier de la Convention. La Cour d’appel fédérale a réexaminé la signification de cette section dans l’arrêt Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 200 CAF 178 (Zrig). Cette fois, la question était de savoir si le demandeur d’asile devait être exclu en raison de son association avec un groupe terroriste en Tunisie. Une preuve abondante indiquait que le groupe était impliqué dans des crimes graves de droit commun supposant violence et intimidation. La preuve et les admissions établissaient que le demandeur était membre du groupe, aux plus hauts échelons; toutefois, aucun élément de preuve ne le liait de façon concluante aux crimes visés à la disposition d’exclusion. Néanmoins, la juge Danièle Tremblay‑Lamer de la Cour fédérale a convenu qu’il était possible d’inférer que le demandeur d’asile avait probablement connaissance du rôle joué par son groupe dans au moins un d’une série de crimes graves de droit commun perpétrés après sa promotion à un poste élevé.  

 

[50]           La Cour d’appel a distingué les faits dans Zrig de ceux de la jurisprudence antérieure sur la section Fb) de l’article premier, élargissant de ce fait l’application de cette disposition. La Cour d’appel a établi une distinction avec l’analyse faite dans Chan, parce que le demandeur dans Zrig n’avait été ni accusé ni déclaré coupable des crimes qui faisaient l’objet du litige devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié : arrêt Zrig, au paragraphe 64. Le juge Marc Nadon a ensuite conclu que le raisonnement du juge Bastarache ne restreignait pas la signification de la section Fb) de l’article premier de façon à en limiter la portée aux seuls crimes susceptibles d’extradition au Canada. Le juge Nadon a écrit, au paragraphe 67 :

Une telle limitation serait pour le moins surprenante puisque, d’une part, elle n’est aucunement prévue par le texte de la section Fb) de l’article premier et, d’autre part, cette limitation conduirait à une situation absurde où des criminels susceptibles d’extradition seraient exclus de la protection de réfugié, alors que les criminels non susceptibles d’extradition n’en seraient pas exclus parce que le Canada n’a pas conclu de traité d’extradition avec le pays où les crimes graves de droit commun ont été commis.

 

 

[51]           La Cour d’appel a ensuite examiné d’autres interprétations de la section Fb) de l’article premier proposées par la Cour d’appel de l’Angleterre et la Cour fédérale de l’Australie, et de la doctrine publiée dans le cadre des travaux préparatoires. L’ensemble de ces sources a conduit la Cour d’appel à conclure qu’aucune limitation, dans la section Fb) de l’article premier, ne vise à restreindre cette disposition au seul objet d’empêcher la présentation de demandes d’asile dont le but est d’échapper à l’extradition.

 

[52]           La Cour d’appel a conclu à l’existence d’objectifs complémentaires à la section Fb) de l’article premier, aux paragraphes 118 et 119 de Zrig :

Ma lecture de la jurisprudence, de la doctrine et, bien sûr, quoi qu’il ait souvent été négligé, du texte même de la section F de l’article premier de la Convention, m’amène à conclure que cette section vise à réconcilier différents objectifs [...]

 

Ces objectifs sont complémentaires. Le premier indique que la communauté internationale n’a pas voulu que ceux par qui la persécution arrivait profitent d’une Convention qui vise à protéger les victimes de leurs crimes. Le second indique que les signataires de la Convention acceptent ce principe fondamental du droit international que l’auteur d’un crime politique, même d’une extrême gravité, a le droit d’échapper aux autorités de l’État où il a commis son crime, la prémisse étant que cette personne ne saurait être jugée équitablement dans cet État et serait persécutée. Le troisième indique que les signataires n’acceptent pas que le droit d’asile soit transformé en garantie d’impunité au profit de criminels de droit commun dont la crainte réelle n’est pas d’être persécutés, mais d’être jugés par le pays qu’ils cherchent à fuir. Le quatrième indique que les signataires, s’ils sont prêts à sacrifier leur souveraineté, voire leur sécurité, quand il s’agit d’auteurs de crimes politiques, entendent au contraire les préserver, pour des raisons de sécurité et de paix sociale, quand il s’agit d’auteurs de crimes ordinaires graves. Ce quatrième objectif indique aussi que les signataires ont voulu s’assurer que la Convention soit acceptée par la population d’accueil qui ne risque pas d’être forcée, sous le couvert du droit d’asile, à côtoyer des individus particulièrement dangereux. (Non souligné dans l’original)

 

 

[53]           La Cour d’appel a jugé qu’il n’y a pas de distinction, sauf pour ce qui est évident, entre les sections Fa) et Fb) de l’article premier. La section Fa) traite de crimes graves bien précis du droit international, soit : « un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes », alors que la section Fb) se rapporte à la perpétration d’« un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant [l’admission] comme réfugiés ». En concluant ainsi, la Cour d’appel a élargi l’applicabilité de cette disposition et jugé que l’association de M. Zrig à une organisation terroriste qui commettait des actes de violence alors qu’il occupait un poste élevé au sein de l’organisation, constituait une raison sérieuse de penser qu’il avait commis des crimes susceptibles d’exclusion. La Cour d’appel a rejeté l’appel de M. Zrig et maintenu la conclusion de la juge de première instance.

 

[54]           Le constat qui se dégage est que la section Fb) de l’article premier laisse aux signataires de la Convention une latitude appréciable pour exclure tant des demandeurs criminels que des demandeurs qui peuvent être des criminels. La section Fb) n’est pas limitée aux crimes susceptibles d’extradition et ne requiert pas la preuve d’une déclaration de culpabilité ni même une allégation, de la part d’autorités étrangères, qu’un crime visé à cette disposition a été commis. 

 

[55]           Cela dit, l’engagement du Canada envers les réfugiés au sens de la Convention commande aux membres de la SPR d’examiner très attentivement la preuve dont ils sont saisis avant d’appliquer les dispositions d’exclusion de la Convention.

 

[56]           Le champ d’application de la section Fb) de l’article premier ayant été défini par la Cour d’appel dans Zrig, j’examinerai maintenant les facteurs dont il convient de tenir compte pour décider s’il existe des motifs justifiant l’exclusion.

 

La SPR a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive, sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?

 

[57]           La Cour doit se demander si le tribunal a correctement examiné la preuve, tout en résistant à la tentation de substituer sa propre appréciation de la preuve à celle de la SPR. Le juge John Evans, alors juge à la Cour fédérale, a succinctement expliqué ce concept dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, au paragraphe 14 (Cepeda-Gutierrez) :

Il est bien établi que l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n’autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits de l’espèce à celle de la Commission, qui a l’avantage non seulement de voir et d’entendre les témoins, mais qui profite également des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d’expertise [...] Ainsi, pour justifier l’intervention de la Cour en vertu de l’alinéa 18.1(4)d), le demandeur doit convaincre celle-ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu’elle en est venue à cette conclusion « sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] ». (Non souligné dans l’original)

 

Il précise ensuite, au paragraphe 17 :

Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait. (Non souligné dans l’original)

 

 

[58]           Dans l’arrêt Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, le juge Evans s’est penché à nouveau sur la façon dont la Commission devrait traiter de la preuve; il a écrit, au paragraphe 10 :

Lorsqu’une preuve en particulier n’est pas expressément examinée dans les motifs d’une décision, la juridiction de contrôle n’en déduira pas nécessairement qu’elle a dû échapper au décideur, si la preuve en question confère peu de valeur probante aux faits qu’elle était censée établir, ou si elle se rapporte à des faits qui sont d’une importance mineure pour la décision ultime, étant donné les autres éléments qui soutiennent la décision.

 

 

 

[59]           Cette jurisprudence enseigne à mon avis qu’un tribunal n’a pas à se prononcer sur chaque élément de la preuve. Toutefois, si le tribunal ne dit mot sur des éléments de preuve contradictoires ou des éléments qui étayent une conclusion contraire, la Cour peut inférer que le tribunal a tiré une conclusion de fait erronée.

 

[60]           La SPR s’est fondée sur deux conclusions pour décider que le demandeur a commis un crime grave de droit commun. La première conclusion découle de sa détermination qu’il y a eu restitution et la seconde, des renseignements consignés dans la notice rouge d’Interpol.

 

[61]           De l’avis de la SPR, la déclaration de culpabilité mentionnée dans la notice rouge d’Interpol n’est pas la question pertinente. Sa conclusion qu’un crime grave de droit commun a été commis repose sur le témoignage de l’avocat égyptien du demandeur, M. al‑Yakhi, qui a déclaré qu’il y avait eu restitution. La SPR se demande : « [...] pourquoi il y aurait restitution si aucun crime n’a été commis? » La commissaire estime en substance que l’acte de restitution suppose nécessairement un acte illicite. Elle conclut en l’occurrence qu’il fournit une raison de penser que le crime donnant ouverture à l’exclusion a été commis. Pourtant, M. al‑Yakhi a attesté qu’aucune restitution n’a été payée par le demandeur.

 

[62]           M. al‑Yakhi a expliqué qu’en Égypte, un rapport de réconciliation a pour effet de régler une poursuite judiciaire; cependant, aucun rapport de cette nature n’a été fait, parce que M. al‑Jizawe a signé une renonciation sans que le demandeur y souscrive :

[traduction]

APR : Vous parliez d’un rapport de réconciliation. Qui prépare ce rapport?

 

Témoin : Le rapport de réconciliation doit être préparé ou révisé par deux parties.

 

APR : Qui sont ces deux parties?

 

Témoin : Elgezary et Rihan (ph), mais il s’agit en réalité d’une simple renonciation de la part d’Elgazery seul, sans la déclaration ni la présence de Rihan.

 

APR : Cela a-t-il été fait dans le cas présent, dans le cas de M. Rihan?

 

Témoin : Oui.

 

(Transcription/dossier, à la page 401)

 

 

[63]           La SPR n’a pas tenu compte des témoignages de M. Rihan, de Mme Hassanein et de M al‑Yakhi portant qu’aucun montant n’a été payé à titre de restitution. Chacun d’eux a déclaré, d’une manière ou d’une autre, que les chèques prétendument frauduleux constituaient une garantie sur un investissement dans une villa, et que la transaction afférente à l’investissement a été dûment complétée sans que les chèques remis en garantie ne doivent être déposés.

 

[64]           M  Rihan a témoigné comme suit :

[traduction]

Q : (conseil du ministre) Alors – bien. Pour qu’Interpol diffuse cela, et j’ai lu dans un témoignage que votre avocat a des copies des chèques, il y est dit que vous lui avez donné 250 000 en échange de ce 250 000 et que pour ce faire, vous lui avez remis deux chèques.

 

                        R : (M. Rihan) Il a pris son argent après que nous avons vendu la villa avec le profit, l’intérêt, alors il s’agissait de plus de 250 [sic] livres. La seule erreur est que je ne lui ai pas repris le chèque

 

 

[65]           Mme Hassanein, l’épouse du demandeur, a aussi décrit la transaction commerciale intervenue entre M. Rihan et M. al‑Jezawi (Al‑Gizware :

[traduction]

 

Témoin : Oui, ils ont fait affaire ensemble pour une construction, je (inaudible) –

 

APR : D’accord.

 

Interprète : Et il a obtenu une villa en échange.

 

APR : Qui leur a donné la villa?

 

Témoin : Ahmid Rihann.

 

APR : D’accord. Parce qu’on parle d’argent ici, d’un chèque sans provision.

Interprète : Pardon?

 

APR : Il est question d’argent dans cette lettre de M. Al‑Gizware au sujet d’un chèque sans provision. Et vous avez aussi, vous concluez, parlez probablement d’argent lorsque vous évoquez la motivation que la fraternité a offerte à M. Al‑Gizware. Mais il y a aussi un troisième montant d’argent concernant une rémunération ou un échange.

 

Témoin : Non. Tout ce que je dis, c’est qu’il a pris son argent sous forme d’une villa.

 

APR : D’accord. « Il », c’est M. Al‑Gizware?

 

Témoin : Oui.

 

APR : Et il a pris son argent de qui, et dans quel but?

 

Témoin : Il a pris son argent de Ahmed Rihan en échange de certains travaux de construction qu’ils ont faits ensemble.

 

APR : De l’argent ou une villa?

 

Témoin : Il a pris une villa à Insokman (ph).

 

 

 

[66]           M. al‑Yahki, l’avocat du demandeur, a déclaré connaître M. al‑Jezawi (Elgezary), la présumée victime, en raison du travail qu’il a fait pour le demandeur. Il a témoigné comme suit : 

[traduction]

 

Avocat : Êtes-vous au courant de la relation, de la relation d’affaires qui existe entre Ahmed Abul Fooder Elgezary et Ahmed Rihan?

 

Témoin : Oui.

Avocat : De quel genre de relation, de relation d’affaires, s’agit-il, à votre connaissance?

 

Témoin : Une relation commerciale. Ahmed Abul Fodder Elgezary a acheté une villa de Ahmed Rihan.

 

Avocat : Et?

Témoin : Ahmed Abul Fodder Elgezary a acheté une villa au moyen d’un contrat, la villa à (inaudible).

 

Avocat : Pardon?

Interprète : Je vous demanderais de répéter, s’il vous plaît.

Avocat : S’il vous plaît.

Témoin : Ahmed Abul Fod (ph) a des chèques de garantie pour la villa. Ahmed Abul Fod a obtenu la villa, et une poursuite fondée sur les chèques a été intentée contre Ahmed Rihan par l’intermédiaire du service de la comptabilité du bureau d’Ahmed Fod. Toutefois, lorsqu’il s’est avéré que Ahmed Abul Fod n’avait pas le droit d’intenter cette poursuite, il y a renoncé.

 

Avocat : Savez-vous quand cette poursuite a été introduite?

 

Témoin : Fort probablement en 2005.

 

Avocat : Ahmed Rihan a-t-il eu connaissance de cette poursuite?

 

Témoin : Jamais.

 

(Non souligné dans l’original)

 

 

[67]           L’avocat égyptien du demandeur a de plus clarifié, expliquant que le plaignant n’avait reçu aucun montant d’argent à titre de restitution :

Avocat : Vous avez dit que vous représentez M. Rihan comme avocat dans la présente affaire. Que lui avez-vous recommandé au sujet de ce qu’il devait faire dans cette affaire? Quelle est la meilleure stratégie pour régler ce dossier?

 

Témoin : Qu’il discute d’abord avec Ahmed Elgezary et qu’il examine les comptes avec lui.

 

Avocat : Mais Ahmed Elgezary a renoncé à son droit, et dans sa lettre à Interpol, il déclare qu’il a obtenu son argent.

 

Témoin : Il n’a pris aucune restitution.

 

Avocat : Alors, pourquoi a-t-il écrit cela?

 

Témoin : Parce qu’il s’est aperçu qu’il y avait une erreur dans les comptes – dans la comptabilité, et parce qu’il a réalisé que la valeur de la villa qu’il possède maintenant est bien supérieure aux chèques de la dette d’Ahmed.

 

Avocat : Laissez-moi ---

 

Témoin : C’est ce que Elgezary a déclaré.

 

Avocat : A déclaré ---

 

Témoin : M’a déclaré, à moi.

 (Non souligné dans l’original)

 

(Transcription/dossier, à la  page 391)

 

[68]           L’examen attentif des transcriptions montre que le demandeur maintient que M. al‑Jezawi a reçu paiement (d’une villa) pour son investissement, et que M. Rihan nie avoir effectué quelque restitution que ce soit pour des chèques sans provision.

 

[69]           Aucun autre élément de preuve n’étaye la conclusion que M. Rihan a versé un montant de restitution à M. al‑Jezawi pour des chèques sans provision. C’est le conseil du ministre qui a tiré cette conclusion à partir de la lettre dans laquelle M. al‑Jezawi déclare qu’il retire son allégation. Les déclarations des témoins indiquent tout le contraire, ceux-ci attestant invariablement que M. Rihan a été victime d’un coup monté de la part de M. al‑Jezawi et que ce dernier a fini par retirer sa plainte parce qu’il avait réalisé le profit de son investissement en recevant une villa. La SPR a mal interprété cette preuve.

 

[70]           Compte tenu de la preuve dont disposait la SPR, j’estime que celle-ci a eu tort de conclure qu’il y a eu restitution. Cette conclusion porte atteinte au motif pour lequel la commissaire a statué que M. Rihan avait commis un crime grave.

 

La SPR a-t-elle commis une erreur de fait et de droit en concluant que la notice rouge d’Interpol constitue à elle seule une « raison sérieuse de penser » qu’un crime visé à la disposition d’exclusion a été commis, compte tenu des autres éléments de preuve dont elle disposait?

 

[71]           La SPR a accordé un poids considérable aux allégations formulées dans la notice rouge d’Interpol.

 

[72]           Voici un extrait de la notice rouge d’Interpol :

[traduction]

2.1 RÉSUMÉ DES FAITS DE L’AFFAIRE : Égypte, Le Caire : En 2005, REEHAN a reçu 250 000 EGP de la victime et lui a remis deux chèques pour ce montant. La victime croyait que l’argent serait investi dans la société AL‑REEHAN Investment Company et qu’il recevrait chaque mois le produit des investissements. Toutefois, REEHAN n’a fait aucun paiement de cette nature, et la victime a découvert que les chèques étaient sans provision.

 

2.2 COMPLICES : S.O.

 

2.3 ACCUSATION DONT L’INTÉRESSÉ A ÉTÉ DÉCLARÉ COUPABLE : Fraude et tromperie, émission de chèques sans provision.

 

2.4 DISPOSITIONS LÉGISLATIVES CRÉANT L’INFRACTION : Articles 238 et 304/2 du Code de procédure pénale de l’Égypte, et articles 336 et 337 du Code pénal de l’Égypte.

 

2.5 PEINE INFLIGÉE : 6 ans d’emprisonnement.

 

(Dossier, à la page 470)

 

 

 

[73]           La notice rouge renvoie aux articles 238 et 304/2 du Code de procédure pénale de l’Égypte. Ces dispositions permettent de prononcer la déclaration de culpabilité et la peine in absentia.

 

[74]           Quelle est la signification de « raisons sérieuses de penser »? La SPR se fonde sur le jugement de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (C.A.), [1994] 1 C.F. 298 (Moreno) pour étayer le postulat suivant, dans sa décision :  

Au sujet de la norme de preuve, la Cour a jugé que les « raisons sérieuses de penser », qui constituent la norme de preuve s’appliquant aux questions de fait, plutôt qu’aux questions de droit, sont une norme moins exigeante que la prépondérance des probabilités. Pour satisfaire à cette norme, il n’est pas nécessaire que le demandeur d’asile ait été accusé, déclaré coupable ou poursuivi au criminel. En l’espèce, le demandeur d’asile a été accusé et déclaré coupable.

 

 

[75]           Le juge Robertson, dans Moreno, tire une ligne claire entre les questions de fait et les questions de droit en analysant la façon dont les commissaires doivent interpréter la signification de « raisons sérieuses de penser ». Il écrit, au paragraphe 22 :

 

[...] la norme de preuve requise n’est pertinente en droit que lorsque le tribunal est appelé à rendre des décisions qui peuvent être qualifiées de questions de fait. La norme de preuve inférieure à celle prévue en droit civil n’est pas pertinente lorsque la question examinée est essentiellement une question de droit.

 

 

[76]           Le juge Robertson a examiné le passage souvent cité du juge Thurlow dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216 (C.A.). Le juge Robertson a conclu que le sens de l’expression « raisons sérieuses de penser » est semblable à celui des mots « dont on peut penser, pour des motifs raisonnables ». Le juge Thurlow révisait la conclusion d’un délégué suivant laquelle il existait des motifs raisonnables de penser que le parti des Panthères noires était une organisation subversive, aux pages 225 et 226 :

 

Toutefois, lorsque la preuve a pour but d’établir s’il y a raisonnablement lieu de croire que le fait existe et non d’établir l’existence du fait lui‑même, il me semble qu’exiger la preuve du fait lui‑même et en arriver à déterminer s’il a été établi, revient à demander la preuve d’un fait différent de celui qu’il faut établir. Il me semble aussi que l’emploi dans la loi de l’expression « il y a raisonnablement lieu de croire » implique que le fait lui‑même n’a pas besoin d’être établi et que la preuve qui ne parvient pas à établir le caractère subversif de l’organisation sera suffisante si elle démontre qu’il y a raisonnablement lieu de croire que cette organisation préconise le renversement par la force, etc.

 

 

[77]           Ce raisonnement « perd beaucoup de sa pertinence » dans l’arrêt Moreno (au paragraphe 20), car le juge Robertson conclut que dans la vaste majorité des cas où la section Fa) de l’article premier est appliquée, la preuve du demandeur lui‑même sert à établir les motifs d’exclusion alors que dans l’arrêt Jolly, c’est le ministre qui a présenté la preuve visant à étayer les motifs de penser. Le juge Robertson conclut néanmoins, au paragraphe 25 :

 

« À mon avis, la norme de preuve visée par la disposition d’exclusion était destinée à servir dans les cas où des éléments de preuve contraires doivent être pondérés. Elle ne doit pas excéder son objectif législatif. (Non souligné dans l’original)

 

 

[78]           Il est bien établi que la norme de preuve requise à l’égard des « raisons sérieuses de penser » est moins exigeante que la prépondérance des probabilités, mais à tout le moins, elle exige plus qu’une « suspicion » ou « conjecture » : Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.).

 

[79]           En l’espèce, la question est de savoir si la notice rouge d’Interpol, au regard des autres éléments de preuve, constitue une raison sérieuse de penser que M. Rihan a commis un crime visé à la disposition d’exclusion.

 

[80]           Il s’agit là d’une question mixte de droit et de fait. La légitimité de la déclaration de culpabilité mentionnée dans la notice rouge est certes contestée, mais la notice existe bel et bien et la SPR était tenue d’en tenir compte. La question est de savoir si, à la lumière de toute la preuve, la SPR peut se fonder uniquement sur l’information contenue dans la notice pour conclure à l’existence d’une raison sérieuse justifiant l’exclusion.

 

[81]           Le juge en chef Allan Lutfy s’est penché sur cette question dans Gurajena, au paragraphe 1 :

Il se peut que, dans certains cas, la preuve d’un mandat valide délivré par un pays étranger donne « des raisons sérieuses de penser » que le demandeur a commis un crime grave de droit commun au sens de l’alinéa 1Fb) de la Convention : Qazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1204, au paragraphe 18. La Cour d’appel fédérale a également dit que, dans d’autres situations, la combinaison d’un mandat et d’autres éléments de preuve permet de conclure que le critère préliminaire de l’existence « [de] raisons sérieuses de penser » a été satisfait : Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, au paragraphe 23. De toute façon, lorsque la preuve d’un mandat est le seul élément de preuve sur lequel s’est fondée la Section de la protection des réfugiés, le tribunal doit « aller plus loin » et déterminer si le demandeur est crédible si, comme en l’espèce, le demandeur principal allègue que les accusations formulées dans le mandat sont fabriquées : Qazi, au paragraphe 19. (Non souligné dans l’original)

 

 

 

[82]           Je partage l’avis du juge en chef, à savoir que le tribunal doit « aller plus loin » et se demander si l’allégation d’accusations fabriquées avancée par le demandeur est crédible, alors que la seule preuve présentée contre lui consiste en un mandat.

 

[83]           Comme il a été mentionné, l’épouse et l’avocat du demandeur ont affirmé à l’audience que le demandeur n’a commis aucun crime, puisque l’investisseur et alléguée victime qui a introduit la poursuite à l’origine de la déclaration de culpabilité a reçu une villa en contrepartie intégrale de son investissement. L’épouse du demandeur a déclaré que les accusations découlent de pressions exercées par la Fraternité musulmane pour harceler le demandeur. Les témoins ont précisé en outre que M. al‑Jezawi, le présumé auteur du coup monté, est aussi un avocat qui agissait pour le compte de la Fraternité. Ils ont tous deux affirmé que M. al‑Jezawi avait l’occasion, les connaissances et l’influence requises pour obtenir une déclaration de culpabilité à l’insu du demandeur.

 

[84]           L’épouse du demandeur a expliqué que les accusations ont été fabriquées à l’instigation de la Fraternité musulmane et que M. al‑Jezawi a été impliqué dans la fabrication des accusations et dans les déclarations de culpabilité qui en ont résulté, puis a écrit la lettre dans laquelle il retire ses allégations :

[traduction]

 

APR : D’accord. Donc, vous dites – je vais maintenant vous poser toute une série de questions dont la réponse sera oui ou non – est-ce que vous dites que la Fraternité musulmane a fabriqué des accusations contre votre époux?

 

Témoin : Oui.

 

APR : Prétendez-vous que M. Al‑Gizware a eu quelque chose à voir avec la fabrication de ces accusations et les déclarations de culpabilité qui ont suivi?

 

Témoin : Oui.

 

APR : Est-ce que vous dites que M. Al‑Gizware a pensé, pour une raison ou une autre, qu’il avait mal agi ou qu’il avait fait une erreur et qu’il n’aurait pas dû se mêler de cette affaire? Et c’est pourquoi il a écrit cette lettre?

 

Témoin : Peut-être a-t-il regretté, oui, je ne saurais dire, peut-être.

 

APR : D’accord. Mais – j’essaie simplement de comprendre pourquoi une personne impliquée dans la fabrication initiale d’accusations se donnerait le problème ou la peine, plutôt, d’écrire à un organisme international pour dire que les accusations étaient une erreur ou que la déclaration de culpabilité était une erreur.

 

Témoin : Pour que nous nous trouvions dans une position comme celle où nous sommes, pour susciter de l’agitation autour d’Ahmed, et ils ont porté des accusations contre lui.

 

(Transcription/dossier, à la page 356)

 

 

 

[85]           L’avocat égyptien du demandeur, M. al‑Yahki, a déclaré dans son témoignage que son client ignorait l’existence de la poursuite. Il a affirmé que les relations de la présumée victime lui avaient permis d’obtenir une déclaration de culpabilité sans que le demandeur ait jamais eu connaissance que des accusations avaient été portées contre lui :

Témoin : Elgezary a trompé la cour, il a donné à la cour des documents attestant ou mentionnant que Ahmed Rihan avait été avisé.

 

Avocat : Et Ahmed Rihan avait-il été avisé?

 

Témoin : À ce jour, non.

 

Avocat : D’accord. Comment a-t-il fait cela? Comment a-t-il montré à la cour qu’il avait donné avis à Rihan alors qu’en réalité, il ne l’avait pas fait, le savez-vous? Je m’excuse, nous ne vous avons pas entendu.

 

Témoin : En conspirant avec d’autres personnes et avec ses contacts, grâce à son ancien emploi de policier et parce que son père était un ancien député.

 

(Transcription/dossier, à la page 385)

 

 

 

[86]           Une bonne partie des questions et des plaidoiries a porté sur la renonciation transmise à Interpol par le plaignant. Voici un extrait de la traduction certifiée conforme en langue anglaise de ce document :

[traduction]

 

Je suis le plaignant titulaire des droits civils dans les dossiers nos 14108 et 14109 pour l’année 2005 en matière de délinquance.

 

J’ai eu gain de cause en appel dans les deux poursuites intentées contre Ahmed Abd-El Hafeiz Ahmed Rihan, condamné à purger dans chacune des affaires une peine d’emprisonnement de trois ans pour avoir émis des chèques sans provision au montant de (seulement 250 000 Geneh).  

 

Ahmed Abd-El Hafeiz Ahmed Rihan nous a payé le montant non réglé.

 

En conséquence, je suis honoré d’offrir à votre Excellence mes sincères remerciements pour vos efforts, très appréciés.

 

Je présente ma renonciation à l’égard de ma plainte concernant le susnommé Ahmed Abid‑El Hafeiz Ahmed Rihan (dossier no 1108/10/2006).

 

                        (Transcription/dossier, à la page 446)

 

[87]           L’épouse du demandeur a expliqué les circonstances dans lesquelles M. al‑Jezawi en est venu à rédiger cette renonciation :

APR : Bien. Maintenant, vous affirmez également que la Fraternité musulmane est intervenue pour faire en sorte que votre époux soit perçu comme un fugitif recherché?

 

Témoin : Exactement, vous m’avez bien comprise.

 

APR : D’accord. Mais M. Al‑Gizware a écrit une lettre dans laquelle il déclare que toute l’affaire résulte d’une erreur regrettable et demande qu’on annule tout. Affirmez-vous en conséquence que la Fraternité se donne la peine de fabriquer un crime et qu’ensuite l’avocat écrit à Interpol pour leur dire de laisser tomber?

 

Témoin : Nous soupçonnons quelque chose, nous ne sommes pas certains à cent pour cent qu’il a été motivé à agir ainsi par eux, et la sœur d’Ahmed lui a parlé et lui a dit que nous allions porter plainte parce qu’il avait eu son argent, le montant intégral de son argent, et peut-être l’aurions‑nous fait – il a eu peur parce que nous nous adressions à Interpol, parce que c’est faux et personne n’a présenté un document concernant un montant de 250 000 $.

 

                        (Transcription/dossier, à la page 348)

 

 

[88]           La SPR n’a fait aucune allusion au témoignage de l’épouse du demandeur. Pourtant, le commissaire de la SPR précédemment saisi de l’affaire avait accepté que la théorie de l’épouse selon laquelle la poursuite au criminel faisait partie des mesures de persécution infligées au demandeur par la Fraternité musulmane, valait la peine d’être approfondie et examinée de plus près.  

 

[89]           La SPR n’a ni mentionné, ni analysé le témoignage de l’épouse du demandeur ou de son avocat égyptien concernant la falsification des accusations portées contre le demandeur. Bien que la commissaire de la SPR n’ait pas elle‑même entendu le témoignage de ces personnes, elle a accepté la preuve qu’ils ont soumise en adoptant le dossier de transcription au début de la troisième audience.

 

[90]           À mon avis, la SPR a commis une erreur en concluant que la notice rouge d’Interpol constitue à elle seule une « raison sérieuse de penser » qu’un crime grave a été commis. La preuve présentée par l’épouse du demandeur et par l’avocat égyptien de celui-ci, M. al‑Yahki, jette un doute sur l’information contenue dans la notice rouge d’Interpol. La jurisprudence commandait à la SPR d’évaluer la crédibilité de la prétention du demandeur selon laquelle les accusations portées contre lui ont été fabriquées : Gurajena.

 


 

CONCLUSION

[91]           Je conclus que la SPR a commis une erreur dans l’évaluation de la preuve du demandeur, en interprétant erronément la preuve de l’avocat égyptien du demandeur et en ne tenant pas compte de la preuve soumise tant par l’épouse que par l’avocat égyptien du demandeur.

 

[92]           J’estime que la décision de la SPR est déraisonnable et ne saurait être maintenue. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

4.      Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge


 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4743-08

 

 

INTITULÉ :                                       AHMED ABDEL HAFIZ AHMED RIHAN et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 29 juillet 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN         

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 5 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

Ned Djordjevic

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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