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Date : 20100204

Dossier : T-2009-09

Référence : 2010 CF 120

[TRADUCTION FRANÇAISE]

TORONTO (ONTARIO), le 4 février 2010

En présence de la protonotaire Milczynski

 

ENTRE :

EPICEPT CORPORATION

demanderesse

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Il s’agit de la deuxième requête présentée par la demanderesse, EpiCept Corporation, en vue d’obtenir une ordonnance en application de l’article 151 des Règles des Cours fédérales. Aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse cherche à maintenir la confidentialité de :

  • i) l’identité de la société demanderesse;

  • ii) l’identité de tout employé de la société demanderesse;

  • iii) le nom de marque du médicament;

  • iv) l’ingrédient médicinal et les variations de l’ingrédient médicinal;

  • v) les autres médicaments contenant l’ingrédient médicinal ou ses variations;

  • vi) la maladie en cause dans la présentation de drogue nouvelle (« PDN ») produite par la demanderesse;

  • vii) autrement, le contenu intégral de la PDN.

 

  • [2] La seule différence entre la présente requête et la première qui a été rejetée intégralement sans préjudice au droit de la demanderesse de présenter une autre requête en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité est que la demanderesse ne demande plus l’autre redressement voulant que l’existence même d’un contrôle judiciaire d’une décision du ministre de la Santé doive également être exclue du dossier public. Le ministre n’adopte aucune position à l’égard de cette requête, s’étant opposé en partie à la première.

 

Faits

  • [3] Dans le cadre du déroulement habituel, un fabricant de médicaments innovateur demandant l’autorisation de produire une PDN confidentielle et qui présente une demande l’enregistrement de tout brevet applicable au médicament dans le registre des brevets en application des articles 3 et 4 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (« Règlement sur les MBAC »). L’innovateur doit également demander la protection de ses données en application de l’article C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues. Dans de tels cas, même le fait qu’une PDN a été produite est confidentiel et ne deviendrait pas connu tant et aussi longtemps qu’un avis de conformité (« AC ») n’a pas été délivré. À ce moment, si le médicament est une drogue innovante admissible, il est inscrit dans le registre des drogues innovantes, et si le brevet est admissible, il est inscrit dans le registre des brevets (paragraphe 3(7) du Règlement sur les MBAC).

 

  • [4] Par conséquent, ce n’est que lorsqu’un AC est délivré que le public est informé qu’un fabricant de médicaments a demandé l’approbation de mettre en marché un médicament particulier, que cette approbation a été accordée, que les données appuyant l’approbation sont protégées en vertu du paragraphe C.08.004.1(3) du Règlement sur les aliments et drogues et que le médicament est protégé par un brevet aux fins du Règlement sur les MBAC.

 

  • [5] En vertu du paragraphe C.08.004(3) du Règlement sur les aliments et drogues, si le médicament de l’innovateur est admissible aux fins de la protection des données, un fabricant de médicaments génériques ne peut pas produire sa demande d’approbation d’une copie du médicament avant qu’il se soit écoulé au moins six ans après la délivrance de l’AC à l’innovateur relativement au médicament. En outre, il ne peut pas recevoir un AC avant qu’il se soit écoulé au moins huit ans après la délivrance de l’AC – même si le médicament de l’innovateur n’est plus protégé par un brevet. Enfin, si le médicament de l’innovateur dispose d’un brevet enregistré dans le registre des brevets, le fabricant de médicaments génériques doit, en application du Règlement sur les MBAC, tenir compte du brevet au moyen d’un avis d’allégation, faisant valoir que le brevet est invalide et/ou qu’il ne serait pas contrefait par le médicament générique. Dans l’éventualité où une instance est introduite par l’innovateur afin d’interdire au ministre de la Santé de délivrer au AC au médicament générique, sauf si la Cour est convaincue que le brevet ne serait pas contrefait, le fabricant de médicaments génériques doit également attendre l’expiration du brevet avant d’obtenir son AC.

 

  • [6] En l’espèce, EpiCept Corporation a produit une PDN auprès de Santé Canada le 5 août 2009 pour l’approbation du CEPLENE (dichlorhydrate d’histamine) pour le maintien de la rémission chez les patients atteints de leucémie myéloblastique aiguë. Dans le cadre de sa P DN, EpiCept a demandé que le CEPLENE soit désigné comme une drogue innovante en application des dispositions sur la protection des données du Règlement sur les aliments et drogues. Comme je l’ai mentionné, les dispositions sur la protection des données prévoient une période d’exclusivité de commercialisation de huit ans pour les « drogues innovantes » inscrites dans le registre des drogues innovantes.

 

  • [7] EpiCept a également présenté une demande d’enregistrement d’un brevet dans le registre des brevets à l’égard du CEPLENE. Ce brevet arrivera à échéance en 2010 et, comme elle l’a reconnu au paragraphe 8 de ses arguments écrits, EpiCept s’appuie sur l’exclusivité de commercialisation prévue par la protection des données afin de protéger son produit au Canada pendant les huit années qui suivent la délivrance d’un AC.

 

  • [8] Le 27 août 2009, le Bureau des médicaments brevetés et de la liaison, pour le compte du ministre, a exprimé son [traduction] « opinion préliminaire » selon laquelle le CEPLENE n’est pas une [traduction] « drogue innovante » et ne serait pas ajouté au registre des drogues innovantes. EpiCept a demandé un nouvel examen de cette décision en présentant des arguments en réponse et une preuve par affidavit au ministre.

 

  • [9] Le 2 novembre 2009, le ministre a rejeté les arguments d’EpiCept et a maintenu sa décision selon laquelle le CEPLENE n’était pas admissible en vue d’être inscrit dans le registre des drogues innovantes et, le 1er décembre 2009, EpiCept a entrepris la demande de contrôle judiciaire en l’espèce.

 

Confidentialité

  • [10] EpiCept demande une ordonnance de confidentialité afin d’empêcher la divulgation de sa PDN pour le CEPLENE et soutient que, pour protéger la confidentialité de la PDN, il est nécessaire d’utiliser des désignations neutres dans tous les documents publics : « société X », « employé X », « médicament A » et « maladie humaine A ». La demanderesse demande également l’autorisation de produire un avis de demande modifié intégrant ces désignations neutres. Elle fait aussi valoir que ce redressement est nécessaire afin de protéger la confidentialité de la PDN et que cela ne porterait qu’une atteinte minime au système judiciaire public.

 

  • [11] EpiCept fait valoir qu’elle n’a pas l’approbation pour vendre des produits quelconques et que le CEPLENE constitue son seul produit commercialisé dans le monde. EpiCept fait aussi valoir que ses concurrents n’ont ne disposent d’aucun moyen de savoir si le CEPLENE est admissible à la protection des données, car cette information serait rendue publique uniquement par Santé Canada après la délivrance d’un AC.

 

  • [12] Bien que le fait que le dépôt par EpiCept d’une PDN eût été confidentiel dans le cadre du déroulement habituel tant et aussi longtemps qu’un AC n’était pas délivré, EpiCept a publié un communiqué de presse le 9 novembre 2009 annonçant ce qui suit :

[traduction]

 

EpiCept Corporation (Nasdaq et OMX Nordic Exchange : EPCT) a annoncé aujourd’hui que Santé Canada a accepté aux fins d’examen la présentation de drogue nouvelle (PDN) de la société à l’égard du Ceplene (dichlorhydrate d’histamine) pour le maintien de la rémission chez les patients atteints de leucémie myéloblastique aiguë (LMA) qui en sont à leur première rémission complète. La cible de rendement de Santé Canada en ce qui concerne l’achèvement de l’examen et une décision est dans les 300 jours.

  ****

Le présent communiqué de presse et toutes les déclarations orales faites à l’égard des renseignements contenus dans le présent communiqué de presse contiennent des déclarations prospectives au sens de la Private Securities Litigation Reform Act de 1995. Ces déclarations prospectives comprennent les déclarations qui expriment des plans, une anticipation, une intention, une éventualité, des buts, des cibles, le développement futur et ne sont pas par ailleurs des déclarations de faits historiques. Ces déclarations sont fondées sur nos attentes actuelles et sont assujetties aux risques et aux incertitudes qui pourraient faire en sorte que les résultats réels ou développements soient considérablement différents des résultats historiques ou par rapport à tous les résultats futurs exprimés ou sous‑entendus par de telles déclarations prospectives. Les facteurs qui pourraient faire en sorte que les résultats réels ou développements diffèrent considérablement comprennent : le risque que le Ceplene ne reçoive pas l’approbation réglementaire ou l’autorisation de commercialisation aux États‑Unis ou au Canada […]

 

  ****

Nous vous mettons en garde de ne pas vous fonder indûment sur toute déclaration prospective, qui pourrait s’avérer erronée en raison d’hypothèses inexactes, de risques inconnus, ou d’incertitudes et d’autres facteurs de risque.

 

 

  • [13] En conséquence, le fait qu’EpiCept a cherché à obtenir l’approbation aux fins de commercialisation du CEPLENE est une information qui est publique, tout comme l’ingrédient médicinal ainsi que la maladie humaine. Cependant, je souligne également que, quelle qu’en soit sa raison, ces renseignements contenus dans le communiqué de presse ont été rendus publics par EpiCept après qu’elle a déjà été informée de la décision du ministre que le CEPLENE n’était pas admissible à la protection des données. La Cour peut uniquement présumer que c’est le maintien de la confidentialité de la décision de refuser la protection des données et de sa demande de contrôle judiciaire qui préoccupe le plus EpiCept.

 

La confidentialité et l’intérêt public

  • [14] Le critère à respecter pour la délivrance d’une ordonnance de confidentialité en application de l’article 151 des Règles des Cours fédérales est rigoureux. Conformément à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances) [2002] 2 RCS 522, la partie qui demande une telle ordonnance doit convaincre la Cour « de la nécessité de considérer les renseignements que l’on demande de mettre sous scellés comme confidentiels, en dépit de l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires » .L’intérêt public concerne l’ouverture et la transparence de l’administration de la justice – pas une conception étroite de la perception ou de l’intérêt du public à l’égard d’un sujet donné dans le cadre d’une procédure donnée. Ce n’est que dans les cas exceptionnels et lorsque les circonstances le justifient que la nécessité d’empêcher un risque grave de préjudice à un intérêt important, ce qui peut comprendre un intérêt commercial, peut l’emporter sur l’intérêt du public à la publicité des débats. À cet égard, un certain degré ou élément d’intérêt public sera également cerné dans la protection de la confidentialité des renseignements et la restriction de l’accès aux procédures et au dossier de la Cour. À titre d’exemple, dans Apotex Inc. c. Canada [1993] ACF no 427, le juge McGillis a fait observer qu’il était dans l’intérêt public de protéger la confidentialité des renseignements contenus dans les présentations de drogue nouvelle, vraisemblablement pour encourager la divulgation complète des renseignements aux organismes de renseignement ainsi que la recherche et le développement continus :

La confidentialité perçue de l’information communiquée par un fabricant de médicaments au ministère de la santé nationale et du Bien-être social est la pierre angulaire du régime applicable au traitement des présentations de nouvelles drogues et à la délivrance d’avis de conformité. Pour que le régime soit efficace, le caractère confidentiel des rapports doit être respecté et maintenu dans toute la mesure du possible.

 

  • [15] En publiant le communiqué de presse, on peut affirmer qu’EpiCept a avisé ses concurrents :

  • i) que tout concurrent intéressé à produire une copie générique du CEPLENE aura eu la possibilité d’examiner s’il sera admissible aux fins de la protection des données;

  • ii) que, conformément à l’exigence législative concernant l’admissibilité des drogues innovantes, le médicament ne doit pas contenir un ingrédient médicinal contenu dans un médicament précédemment approuvé, ou une variation d’un tel médicament;

  • iii) que l’ingrédient médicinal dans le CEPLENE est le dichlorhydrate d’histamine;

  • iv) que les concurrents informés pourraient parvenir à une certaine décision à savoir s’il est probable que le dichlorhydrate d’histamine rende le CEPLENE admissible à la protection des données.

 

  • [16] Néanmoins, EpiCept fait valoir que si la présente demande de contrôle judiciaire de la décision de refuser la protection des données est rendue publique, la [traduction] « longueur d’avance » dont bénéficieraient ses concurrents afin de préparer des présentations réglementaires dans le but d’entrer eux‑mêmes sur le marché lui porterait atteinte. Elle cherche à tenir secrète la décision défavorable concernant la protection des données, sa demande de contrôle judiciaire ainsi que le contenu intégral de sa demande, ce qui, il se trouve, permettrait également à EpiCept de maintenir l’impression laissée par son communiqué de presse, nonobstant la mise en garde qu’il contient.

 

  • [17] Il m’est impossible de voir comment les préoccupations et les risques soulevés par EpiCept constituent un fondement raisonnable pour ordonner l’ampleur de la confidentialité demandée, ce qui entraînerait essentiellement la tenue d’une procédure secrète devant notre Cour. EpiCept n’a pas réussi à cerner un intérêt quelconque, autre que les plus étroits et privés des intérêts commerciaux pour appuyer l’ordonnance qu’elle propose qui, en aucune façon, ne l’emporte sur l’intérêt du public à la publicité des débats, ou devrait l’écarter.

 

  • [18] De toute façon, si elle a gain de cause dans la présente demande, EpiCept ne perdra pas son avantage concurrentiel – il sera interdit à ses concurrents de déposer des présentations prévues par la loi quelconques pendant une période de six ans. Si EpiCept n’a pas gain de cause, ses concurrents pourraient entrer ou non plus tôt sur le marché, mais pas en raison du fait d’avoir reçu des renseignements « confidentiels » par le truchement de la présente instance.

 

  • [19] En conséquence, la requête en l’espèce est rejetée, à l’exception de l’octroi de la protection demandée pour la PDN produite auprès du ministre, qui peut être déposée confidentiellement. Les parties peuvent présenter un projet d’ordonnance de confidentialité conforme aux présents motifs.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

 

  1. L’autorisation est accordée aux parties de déposer confidentiellement la présentation de drogue nouvelle produite par EpiCept Corporation le 5 août 2009 en application de l’article 151 des Règles des Cours fédérales.

 

  1. Le reste de la requête est rejeté.

« Martha Milczynski »

Protonotaire


  COUR FÉDÉRALE

 

  Avocats inscrits au dossier

 

DOSSIER :  T-2009-09

 

INTITULÉ :  EPICEPT CORPORATION

  demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

  défendeur

 

REQUÊTE EXAMINÉE À TORONTO (ONTARIO) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :   LA PROTONOTAIRE MILCZYNSKI

 

DATE DES MOTIFS :  LE 4 FÉVRIER 2010

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES : 

 

Me Jason C. Markwell

Me Kristin E. Wall  POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Lindsay Ellis  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OGILVY RENAULT LLP. 

Toronto (Ontario)  POUR LA DEMANDERESSE

 

 

John H. Sims, C.R.

Sous‑procureur général du Canada  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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