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Date :  20100205

Dossier :  T-783-09

Référence :  2010 CF 121

Montréal (Québec), le 5 février2010

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer 

 

ENTRE :

NORMAND FRANCOEUR

demandeur

et

 

LE CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA

et

 PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, d’une décision de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (« TPC ») réduisant la pension de retraite de M. Normand Francoeur (le « demandeur ») en vertu du paragraphe 11(2) de la Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. 1985, c. P-36 (« LPFP ») et de lettres subséquentes adressées au demandeur par TPC et le Président du Conseil du Trésor du Canada.

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur a été victime d’un accident automobile en 2003. L’invalidité qui en a résulté l’a forcé à prendre sa retraite de la fonction publique du Canada le 13 avril 2007.

 

[3]               Le 18 juillet 2007, TPC l’a informé de son droit à une pension de retraite de 1091,79$ par mois.

 

[4]               Le 7 août 2008, TPC a appris que, depuis juin 2003, le demandeur était admissible à une rente d’invalidité de 941,06$ par mois en vertu de la Loi sur le Régime de rentes du Québec, L.R.Q. c. R-9 (« la rente RRQ »). Cependant, puisque l’invalidité du demandeur résulte d’un accident automobile, la Société de l’assurance automobile du Québec (« SAAQ ») lui versait déjà une indemnité, supérieure à la rente RRQ. C’est pourquoi celle-ci était versée à la SAAQ, en compensation partielle de l’indemnité que celle-ci payait au demandeur, plutôt qu’à ce dernier.

 

[5]               Un agent de pension de TPC a informé le demandeur, par lettre datée du 28 décembre 2008, que sa pension de retraite serait réduite rétroactivement à compter de la date de sa retraite, à cause de son admissibilité, dès avant cette date, à la rente RRQ. La pension de base du demandeur a été ajustée à 766,06$ par mois. De plus, TPC réclamait au demandeur le remboursement d’un trop-payé total de 7 093,14$.

 

[6]               Le 6 janvier 2009, le demandeur a fait parvenir une lettre à TPC, dans laquelle il interjetait appel de la réduction de sa pension. Le demandeur insistait sur la précarité de sa situation financière et sur le fait que, puisque la rente RRQ était entièrement visée à la SAAQ, il n’en bénéficiait aucunement.

 

[7]               TPC a répondu au demandeur par lettre datée du 16 février 2009, expliquant que sa pension avait été réduite conformément au paragraphe 11(2) de la LPFP, et que le versement de la rente RRQ à la SAAQ ne changeait pas le fait qu’il y était admissible. TPC maintenait donc sa décision, tout en se disant prêt à considérer un taux réduit de remboursement pour accommoder la situation financière du demandeur.

 

[8]               Le 20 février 2009, le demandeur adressait une lettre au président du Conseil du Trésor du Canada. Celui-ci a répondu par lettre datée du 21 avril 2009, expliquant que la pension du demandeur avait été réduite conformément à l’alinéa 11(2)(b) de la LPFP parce qu’il était admissible à la rente RRQ payée par l’entremise de la Société de l’assurance automobile du Québec. Il ajoutait qu’ « en tant que parrain du régime de pension », le gouvernement était tenu d’appliquer la LPFP de façon uniforme et que, « [m]ême dans une situation pressante, il n’est pas possible d’exempter une personne des exigences de la Loi ». 

 

[9]               Après avoir reçu cette lettre, le demandeur déposait une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision.

 

 

 

LE CADRE LÉGISLATIF

[10]           La LPFP régit le régime de pension de retraite des membres de la fonction publique du Canada. Une pension est notamment payable suite au décès ou à la retraite d’un membre de ce régime. Le président du Conseil du trésor est responsable de l’application de la LPFP, mais l’administration du régime est déléguée à TPC en vertu de l’article 13 de la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, L.C. 1996, c. 16.

 

[11]           Par ailleurs, comme tous les travailleurs canadiens, les membres de la fonction publique du Canada doivent cotiser, selon leur lieu de résidence, soit au Régime de pensions du Canada, soit à un régime provincial équivalent, tel que le Régime des rentes du Québec (le « RRQ »), qui est en fait le seul régime provincial existant. Le demandeur étant un résidant du Québec, il cotisait au RRQ.

 

[12]           Le régime de pension de retraite mis en place par la LPFP est harmonisé avec le RRQ. Le paragraphe 11(1) de la LPFP prévoit le versement d’une pension de retraite selon une certaine formule. Cependant, le paragraphe 11(2) dispose que :

Nonobstant le paragraphe (1), à moins que le ministre ne soit convaincu qu’un contributeur :

 

a) d’une part, n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans;

b) d’autre part, n’a pas droit à une pension d’invalidité payable aux termes de l’alinéa 44(1)b) du Régime de pensions du Canada ou d’un régime provincial de pensions analogue,

 

il est déduit du montant de toute pension à laquelle ce contributeur a droit en vertu de la présente partie un montant [calculé selon une formule prévue par les paragraphes 11(2) et 11(2.1).].

 

Ainsi un fonctionnaire retraité qui a droit à une pension d’invalidité payable aux termes d’un régime provincial tel le RRQ voit sa pension de retraite réduite.

 

LA QUESTION PRÉLIMINAIRE

[13]           Les défendeurs soutiennent que cette demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée, car elle ne vise pas une « décision » au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. En effet, la lettre du Président du Conseil du trésor que viserait cette demande serait une lettre de courtoisie, de nature administrative seulement, ne faisant que confirmer la décision rendue le 28 décembre 2008. Puisque cette lettre ne faisait état ni d’un nouvel exercice de discrétion ni d’un réexamen de la décision antérieure, elle ne constituait pas une décision. Les défendeurs s’appuient, entre autres, sur la décision de cette cour dans Moresby Explorers Ltd. c. Réserve du parc national de Gwaii Haanas, [2000] A.C.F. no 1944 (QL), où le juge Pelletier avait statué qu’une « correspondance [qui] démontre simplement les tentatives répétées qui ont été faites pour infirmer une décision négative et la volonté des défendeurs de s’en tenir à la première décision » ne constitue pas une nouvelle décision ou une ligne de conduite.  

 

[14]           Selon les défendeurs, le demandeur aurait dû demander le contrôle judiciaire de la décision initiale du 28 décembre 2008. Or, il ne l’a pas fait, et serait maintenant hors-délai. Les défendeurs ajoutent que la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger ce délai pour lui permettre de le faire.

 

[15]           Le demandeur explique qu’en fait, il ne demande pas que le contrôle judiciaire de la décision du 21 avril 2009, mais de la réduction de sa pension par TPC, ainsi que de la décision du 16 février 2009. Il nie être hors-délai, mais ajoute que, s’il l’est, la Cour devrait proroger celui-ci puisque les lettres qu’on lui a adressées n’expliquaient pas les délais et les procédures à respecter pour contester la réduction de sa pension, et qu’il croyait de bonne foi avoir entrepris les procédures appropriées pour le faire. Il insiste sur le fait que sa demande est sérieuse.

 

[16]           Je conviens avec les défendeurs que, telle que présentée, la demande de contrôle judiciaire vise la lettre du 21 avril 2009, et que celle-ci ne constitue pas une décision, mais l’expression de ce que le juge Pelletier, dans Moresby Explorers, ci-dessus, avait décrit comme « la volonté des défendeurs de s’en tenir à la première décision ».

 

[17]           Cependant, j’ai accordé à l’audience la prorogation de délai afin de rendre une décision sur le fond de cette demande. Dans Canada (Procureur général) c. Hennelly (1999), 244 N.R. 299, [1999] A.C.F. nº 846 (QL) (C.A.F.), au par. 3, la Cour d’appel fédérale a déterminé que les facteurs à prendre en compte en examinant une telle demande étaient l’intention constante de poursuivre la demande, l’existence d’un certain fondement pour la demande, le préjudice subi par le défendeur en raison du délai et l’explication pour le délai.

 

[18]           En l’espèce, le demandeur, qui se représente lui-même, a manifesté son intention constante de contester la réduction de sa pension et a omis de présenter une demande de contrôle judiciaire parce qu’il a tenté de le faire par un autre moyen, qui lui semblait plus approprié. Je note que dans sa lettre du 6 janvier 2010, il disait faire « appel » de la décision de TPC. De plus, les défendeurs, qui ont présenté des représentations sur le fond du dossier, ne subissent aucun préjudice du fait que le débat sera tranché sur le fond et non sur un point préliminaire. Pour cette même raison, rejeter la demande de prorogation à cause de la faiblesse de son fondement n’aiderait pas les défendeurs, puisque de toute façon ils auront déjà perdu le temps nécessaire pour se défendre.

 

ANALYSE

[19]           La question que soulève cette demande de contrôle judiciaire est de savoir si TPC a erré en réduisant la pension de retraite du demandeur et en demandant le remboursement du trop-payé au motif que le demandeur avait droit à une pension d’invalidité provinciale, soit la rente RRQ.

 

[20]           Je conviens avec les défendeurs qu’il s’agit d’une question mixte de faits et de droit, puisqu’il s’agit d’interpréter l’alinéa 11(2)(b) de la LPFP tout en l’appliquant à la situation spécifique du demandeur. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

 

[21]           Le demandeur soutient que le paragraphe 11(2) de la LPFP ne s’applique pas à lui, parce qu’il n’a pas 65 ans, que la rente RRQ n’est pas « une rente régulière » de la Régie des rentes du Québec, et qu’il ne la reçoit pas puisqu’elle est versée à la SAAQ.

 

[22]           Selon lui, la réduction de sa pension est abusive, parce qu’il ne retire aucun avantage de la rente RRQ, celle-ci étant versée à la SAAQ. Il soutient que cette réduction équivaut à des déductions totalisant plus de 130% auprès d’un même régime, alors qu’on ne reconnaît au Canada aucun système légal permettant de coordonner et se compenser au-delà de 100%. Il insiste aussi sur le fait que la réduction de sa pension lui a causé des dommages irréparables et un grave préjudice économique et moral.

 

[23]           Les défendeurs soutiennent que, bien que la rente RRQ ne soit pas versée au demandeur, il y est tout de même admissible, et que l’alinéa 11(2)(b) de la LPFP s’applique donc à lui. Selon eux, la Loi sur le Régime de rentes du Québec (LRRQ) harmonise l’indemnité de remplacement de revenu de la SAAQ et la rente d’invalidité du RRQ d’une personne potentiellement admissible aux deux.

 

[24]           Ainsi, le premier alinéa de l’article 105.1 de cette loi prévoit que :

une rente d’invalidité n’est payable à un cotisant pour une invalidité résultant d'un accident au sens de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25) que si le montant de l'indemnité de remplacement du revenu auquel il a droit en vertu de cette loi est inférieur au montant de la rente d’invalidité qui lui serait autrement payable. Le montant de la rente correspond alors à la différence entre le montant de la rente d’invalidité autrement payable et celui de l’indemnité de remplacement du revenu.

 

Cependant, le deuxième alinéa du même article précise que « [q]uoique sa rente d’invalidité soit réduite ou qu’aucune rente ne lui soit payable, les autres dispositions de la présente loi s’appliquent à l’égard du cotisant comme si la rente à laquelle il aurait autrement eu droit lui était payable ».

 

[25]           Par ailleurs, l’article 180.3 de la LRRQ dispose que la Régie des rentes du Québec « verse mensuellement à la Société de l'assurance automobile du Québec une somme globale correspondant au montant des rentes d'invalidité qui, en raison de l’article 105.1, ne peuvent être payées aux cotisants visés à cet article ».

[26]           Les défendeurs notent que la Régie des rentes du Québec a avisé le demandeur, par lettre datée du 8 juillet 2008, qu’il avait droit à une rente d’invalidité, d’un montant de 941,06$ par mois, mais que cette rente ne lui serait pas versée puisqu’il était déjà indemnisé par la SAAQ. Le versement de cette rente à la SAAQ plutôt qu’au demandeur est une conséquence des articles 105.1 et 180.3 de la LRRQ.

 

[27]           Selon les défendeurs, le législateur québécois voulait éviter qu’une personne reçoive, pour la même invalidité, une compensation de la SAAQ et une rente d’invalidité du RRQ. De même, il serait contraire à l’objectif du législateur fédéral qu’une personne reçoive sa pleine pension de retraite et une pension d’invalidité et ce, par souci d’équité envers tous les participants au régime de pension de la fonction publique fédérale. Or, peu importe les arrangements pris entre la SAAQ et la Régie des rentes du Québec afin d’harmoniser le versement des prestations d’invalidité au Québec suite à des accidents d’automobile, il demeure que la législation fédérale doit être appliquée conformément à son objet. Je suis de cet avis.

 

[28]           En effet, bien que le montant de la rente RRQ ne soit pas versé au demandeur, on ne saurait dire qu’il n’y pas droit au sens de l’alinéa 11(2)(b) de la LPFP.

 

[29]           Malheureusement pour M. Francoeur, les arrangements mis en place par le législateur québécois ne relèvent pas de l’autorité fédérale. Le législateur provincial aurait pu en établir d’autres. Par exemple, le montant de la rente RRQ aurait pu être remis directement au fonctionnaire retraité, et l’indemnité versée par la SAAQ, réduite en conséquence.

[30]           Quant à l’article 11(2)(b) de la LPFP, à moins que le demandeur n’attaque directement la constitutionalité de cette disposition en respectant la procédure appropriée, la Cour n’a d’autre choix que de s’assurer que l’application qu’en a faite TPC est raisonnable. Il m’est impossible en l’espèce de conclure qu’elle ne l’est pas.

 

[31]           J’estime donc, en conséquence, que la réduction de la pension du demandeur était non seulement raisonnable, mais simplement une conséquence inéluctable de la LPFP. Il est regrettable que le demandeur se trouve dans une situation financière qu’il dit précaire, mais ce seul fait ne permet ni à TPC ni à cette cour de lui venir en aide en appliquant la LPFP en contravention aux termes non-équivoques de celle-ci et sans égard à l’intention du Parlement.

 

[32]           Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-783-09

 

INTITULÉ :                                       NORMAND FRANCOEUR c. CANADA (CONSEIL DU TRÉSOR) ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal(Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 21 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      le 5 février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Normand Francoeur

 

POUR LE DEMANDEUR

Pascale-Catherine Guay

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Normand Francoeur

Laval(Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal(Québec)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

 

 

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