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Federal Court

Cour fédérale

 


Date :  20100202

Dossier :  IMM-1191-09

Référence :  2010 CF 113

Ottawa (Ontario), le 2 février 2010

En présence de monsieur le juge Lemieux 

 

ENTRE :

GHEORCHE CALIN LUPSA

 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction et toile de fond

[1]               Cette demande de contrôle judiciaire déposée par M. Lupsa, un citoyen de la Roumanie,  vise le rejet du 5 février 2009 de sa deuxième demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) (la décision). Mon collègue le juge Beaudry, le 6 avril 2009, a rejeté sa requête pour un sursis de l’exécution de son renvoi; il était d’avis qu’aucune question sérieuse à l’encontre de la décision avait été démontrée. Cependant, M. Lupsa est demeuré au Canada suite à un sursis administratif accordé par le Ministre basé sur une preuve médicale de son inaptitude à voyager.

 

[2]               Caché dans un conteneur, M. Lupsa est arrivé en 1992 au Canada. Ses efforts pour y demeurer sont nombreux. Je résume l’essentiel :

 

1)        Demande d’asile refusée en 1993 mais cette décision fut cassée sur consentement des parties le 18 février 1994 par un juge de cette Cour avant que le contrôle judiciaire soit plaidé (voir dossier no. IMM-2006-93). Une nouvelle audition de novo n’a pas eu lieu devant la Section du statut (la Section) vu l’absence du demandeur. En 1996, la Section prononce l’abandon de sa demande d’asile.

 

2)        Deux demandes de résidence permanente furent refusées; la première en 2000 au motif qu’il était interdit du territoire étant inadmissible pour cause de santé et la deuxième, celle en 2004, pour interdiction pour grande criminalité.

 

3)        En juillet 2005, il présente sa première demande d’ERAR qui a été rejetée en février 2006, ainsi que son contrôle judiciaire de cette décision. Dans son jugement du 14 mars 2007, (voir : Lupsa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 311), ma collègue la juge Tremblay-Lamer juge que la preuve devant elle était insuffisante pour établir qu’il était recherché par les autorités de son pays étant accusé de sédition sous l'article 155 du Code pénal de la Roumanie. Cependant, dans ses motifs, elle indique que le revendicateur pouvait faire une nouvelle demande d’ERAR afin d’évaluer une preuve, qui n’était pas devant l’agente d’ERAR en février 2006, mais qu’il avait soumis à la Cour dans le cadre d’une demande de sursis accordée.

 

4)        Le 18 mai 2006, il présente une demande de dispense pour des considérations humanitaires sous l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) basée sur ce qu’il avait vécu en Roumanie de 1981 à 1982, son état de santé fragile, son mariage en 1999 avec Dame Sabina Aldea, l’intérêt supérieur des deux enfants, sa réhabilitation et son établissement. Le 12 janvier 2009, la déléguée du Ministre refuse l’exemption après avoir soupesé la nature de ses activités criminelles, le risque de récidive, sa famille au Canada et à l’étranger, l’intérêt supérieur des enfants, son établissement, les conditions actuelles en Roumanie y inclus le fait que le parti au pouvoir en Roumanie a beaucoup changé depuis 1992 surtout depuis 2004 et les services médicaux dans ce pays. La déléguée du Ministre est d’avis que les considérations humanitaires ne l’emportent pas sur l’interdiction de territoire pour grande criminalité. Selon la déléguée, « les facteurs positifs ne compensent tout simplement pas les faits graves dans une mesure suffisante. Le 16 octobre 2009, mon collègue le juge Shore rejette le contrôle judiciaire de cette décision (voir : Lupsa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1054).

 

5)        En octobre 2007, le demandeur dépose sa deuxième demande d’ERAR invoquant essentiellement les mêmes faits et risques que ceux soumis et évalués dans sa première demande d’ERAR mais bonifée toutefois de nouveaux éléments de preuve notamment les pièces :

 

·      P-3      Convocation au poste de police de la municipalité d’Alba Iulia datée du 26

janvier 1990 l’enjoignant de se présenter le 28 janvier 1990 pour infraction prévue à l’article 155 du Code Pénal (C.P.) de la Roumanie.

 

·      P-4      Copie d’une convocation manuscrite datée du 26-06-1990 émise par la police l’enjoignant de se présenter le 1 juillet 1990 pour éclairer sa situation conformément à l’article 155 C.P.

 

·      P-5      Lettre manuscrite datée du 16.11.1994 rédigée en roumain, accompagnée d’une traduction partielle en français.

 

·      P-6      Carte de membre du « Partidul National Liberal », non traduite.

 

·      P-7      Invitation à participer à une réunion du Parti National Libéral le 3 septembre 1990.

 

·      P-16    Copie de deux déclarations manuscrites : l’une en date du 03.08.2006 provenant de Luput Manuela, sa sœur, et l’autre du 26.07.06 d’une dénommée « Habian Miela. »

 

La décision du tribunal

[3]               Après avoir énuméré les faits au soutien des risques allégués (risque d’arrestation et de persécution par les autorités roumaines pour actes de sédition, passible d’un emprisonnement de 15 à 25 ans et risques de persécution pour ses opinions politiques); l’agente d’ERAR Dostie (l’agente) écrit :

 

Les risques invoqués dans la présente demande ainsi que les faits présentés sont essentiellement les mêmes que ceux soumis et évalués dans la première demande ERAR. Lors de cette première demande, certains des éléments de preuve n’étaient pas disponibles. Cette demande est donc présentée afin de faire évaluer divers éléments de preuve non disponible lors de la première demande. [Je souligne.]

 

[4]               L’agente indique que parmi les nombreuses pièces soumises par le procureur du demandeur, « une attention particulière serait portée à certains éléments de preuve, compte tenu du lien personnel avec la situation du demandeur et qui n’étaient pas disponibles lors de sa demande précédente. »

 

[5]               Elle analyse, en premier lieu, les pièces P-3 et P-4, les convocations par la police; elle les écarte étant d’avis :

 

Nonobstant ce qui précède, aux fins de cette demande, je considère que la question en litige n’est pas tant de déterminer si le demandeur fut convoqué par la police municipale de Alba Iulia relativement à des actes de sédition, il y a près de vingt ans, mais d’établir si aujourd’hui, ces éléments peuvent être la source de risques pour le demandeur dans l’éventualité de son retour en Roumanie, ce dernier représentant toujours un intérêt d’importance pour les autorités de son pays. [Je souligne.]

 

[6]               Sur cet élément, elle conclut : «L’analyse de la preuve dont la séquence de divers évènements survenus entre la première convocation en janvier 1990 et son départ de Roumanie en 1992 ne permet pas de tirer de telles conclusions. » 

 

[7]               Nonobstant l’affirmation de M. Lupsa qu’il avait été arrêté à maintes reprises entre janvier 1990 et son départ de la Roumanie en 1992, elle considère, pour les raisons suivantes, qu’il ne présente aujourd’hui un intérêt particulier pour les autorités : (1) il n’a jamais été accusé pour actes de sédition; (2) bien que les autorités pouvaient le retracer facilement, il y a absence de poursuite; (3) il n’a soumis aucun élément de preuve démontrant qu’il fut arrêté et détenu à plusieurs reprises; (4) en juillet 1992, plus de sept mois après avoir obtenu de ces mêmes autorités son passeport et plus de deux ans après les convocations, il quitte légalement la Roumanie; et, (5) l’information dans son dossier ne permet pas de comprendre pourquoi les policiers le convoqueraient d’une façon répétitive mais sans rien faire de plus.

 

[8]               L’agente n’est donc pas satisfaite que la preuve déposée par M. Lupsa démontrait que les autorités sont toujours à sa recherche.

 

[9]               Quant à la lettre de sa mère écrite en novembre 1994, l’agente remarque que : (1) la lettre ne contient qu’une traduction partielle; (2) c’est l’unique lettre de sa mère au dossier; (3) il ne semble pas que la police la harcelait en guise de représailles contre lui; et, (4) cette lettre, écrite il y a près de 15 ans et deux ans après son départ, ne permet pas d’établir de manière objective que les policiers sont à la recherche de son fils.

 

[10]           L’agente tire la même conclusion quant à la lettre de sa sœur : (1) c’est sa seule déclaration; (2) cette lettre fut rédigée plus de 14 ans après son départ; (3) aucune menace par les autorités lui a été proférée; (4) elle n’a pas été importunée par celles-ci; et, (5) le dernier événement décrit dans cette lettre a eu lieu 8 mois avant sa déclaration.

 

[11]           Le même raisonnement est appliqué à la lettre de Mme Mirela datée du 14 juillet 2006. L’agente est d’avis que cette lettre ne fait preuve d’un lien entre Mme Mirela et le demandeur sauf le fait qu’elle a acheté la maison familiale. Selon l’agente, il n’est pas plausible que la police roumaine enquêterait d’une façon répétitive auprès de cette personne pour savoir où il était.

 

[12]           Qui plus est, dans son analyse l’agente se penche sur un autre facteur :

 

Outre ces déclarations dont deux proviennent de membre de sa famille, on note l’absence d’élément de preuve tel qu’un mandat d’arrestation, convocation au tribunal ou autres documents permettant d’établir de manière objective que le demandeur est recherché par les autorités. On note aussi l’absence de preuve relative aux multiples arrestations et condamnations dont le demandeur allègue avoir été victime entre 1990 et son départ de Roumanie en 1992.

 

Compte tenu de ce qui précède, j’accorde peu de valeur probante à ces éléments de preuve que je considère comme des preuves intéressées. [Je souligne.]

 

[13]           Le demandeur a aussi allégué des risques de retour en Roumanie en raison de ses opinions politiques et, à l’appui de cette prétention, soumet en preuve sa carte de membre du Parti National Libéral (PNL) et une invitation en date du 30 septembre 1990 à participer à une de ses réunions. Selon l’agente, outre ces documents, P-6 et P-7, son dossier contient peu d’éléments de preuve pour établir son implication politique. Elle note, qu’après la chute de Ceausescu en 1989, le PNL s’est réorganisé et depuis 1991, participe au gouvernement. En 2004, son chef est élu Premier Ministre.

 

[14]           Sur les risques allégués reliés à ses opinions politiques l’agente a conclu :

 

Tel que démontré par la preuve documentaire, depuis la chute de Ceausescu en 1989, plusieurs partis politiques son présents en Roumanie et participent légalement à la vie gouvernementale. La Roumanie est une démocratie constitutionnelle et malgré la présence de certaines irrégularités les dernières élections générales furent considérées libres et justes. Depuis le départ du demandeur de Roumanie en 1992, plusieurs changements d’importance se sont produits dont l’accession de ce pays à l’Union Européenne en janvier 2007 n’est pas la moindre. Malgré la présence actuelle au sein de cette société de plusieurs problématiques sociales parmi lesquelles la corruption illustrée par la preuve documentaire dont celle soumise par la représentante légale du demandeur, son accession à l’Union Européenne a et continu de favoriser l’établissement d’une société démocratique fondée sur des règles de droits. Suite à l’évaluation de la preuve, je considère que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve d’établir à ma satisfaction l’existence de risques personnels fondés sur ses opinions politiques. [Je souligne.]

 

Analyse

a) Les prétentions du demandeur

[15]           Le procureur de Lupsa soulève les prétentions suivantes à l’encontre de la décision :

 

1)        L’agente a ignoré ou a exclu des éléments de preuve pertinents. Plus particulièrement, elle n’a pas tenu compte de la preuve avant 1990 sur les antécédents de persécutions visant son père, sa mère et lui-même. Elle prétend donc que l’agente n’a pas évalué sa situation personnelle. Elle cite les arrêts Galan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 749 et Bengabo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 186.

 

2)        L’agente a aussi ignoré certaines preuves récentes dont l’annonce de la réouverture de l’enquête sur la mort du général Nuta.

 

3)        L’agente n’a pas respecté les dispositions de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) en déterminant que M. Lupsa n’était pas crédible sans l’avoir convoqué.

 

4)        L’agente aurait dû appliquer l’article 108(4) de la LIPR à cause des évènements vécus par M. Lupsa entre 1981 et 1992.

 

b) La norme de contrôle

[16]           J’estime bien fondées les prétentions du procureur du Ministre sur la norme de contrôle suite aux décisions de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir) et dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (Khosa). La décision de l’agente doit être raisonnable mais la raisonnabilité de l’évaluation des risques mérite une grande déférence puisqu’elle repose essentiellement sur une appréciation des faits.

 

[17]           Dans Khosa, le juge Binnie, au nom de la majorité, cerne l’intention du Parlement quant à l’article 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales qui autorise cette Cour de casser une décision d’un tribunal fédéral si une telle décision « est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments qu’il dispose. » Il est d’avis que cet article ne représente pas une norme de contrôle légiférée par le Parlement mais seulement un motif de révision. Il ajoute au paragraphe 46 de ses motifs :

 

46     De façon plus générale, il ressort clairement de l'al. 18.1(4)d) que le législateur voulait qu'une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence. Ce qui est tout à fait compatible avec l'arrêt Dunsmuir. Cette disposition législative précise la norme de contrôle de la raisonnabilité applicable aux questions de fait dans les affaires régies par la Loi sur les Cours fédérales. [Je souligne.]

 

[18]           Cependant, les questions reliées à l’application de l’article 108(4) de la LIPR et de l’article 167 du RIPR doivent être jugées selon la norme de la décision correcte puisqu’elles soulèvent des questions mixtes de droit et de faits.

 

c) Certains principes

[19]           Le juge Sharlow de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Raza et al c. le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et al, 2007 CAF 385 énonce certains principes sur le régime législatif concernant l’évaluation des risques avant renvoi sous LIPR (le régime). Ce régime requiert une analyse de savoir si l’article 96 (demande d’asile) ou l’article 97 (demande de protection) de la LIPR s’appliquent en l’espèce.

 

[20]           L’objet du régime se trouve dans les engagements nationaux et internationaux du Canada en faveur du principe de non-refoulement qui commande que les demandeurs d’asile ne peuvent être renvoyés du Canada dans un pays où ils risqueraient d’être persécutés, torturés, tués ou soumis à des traitements ou peines cruels ou inusités. Ces engagements exigent que les risques soient examinés avant le renvoi. [Je souligne.]

 

[21]           La demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la Section du statut mais selon la juge : « Néanmoins, une demande d’ERAR peut nécessiter l’examen de quelques-uns ou de la totalité des mêmes points de fait ou de droit qu’une demande d’asile. Dans de tels cas, il y a un risque évident de multiplication inutile, voir abusive, des recours. La LIPR atténue ce risque en limitant les preuves qui peuvent être présentées à l’agent d’ERAR. Cette limite se trouve à l’alinéa 113a) de la LIPR. »

 

[22]           Au paragraphe 13 de ses motifs dans Raza, la juge Sharlow indique :

 

[13]   Selon son interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d'ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. L’alinéa 113a) pose plusieurs questions, certaines explicitement et d’autres implicitement, concernant les preuves nouvelles en question. Je les résume ainsi :

 

1.   Crédibilité : Les preuves nouvelles sont-elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

2.   Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent-elles la demande d’ERAR, c’est-à-dire sont-elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

3.   Nouveauté : Les preuves sont-elles nouvelles, c’est-à-dire sont-elles aptes :

 

a) à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

 

b) à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

 

c) à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

 

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

 4. Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont-elles substantielles, c’est-à-dire la demande d’asile aurait-elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

5.  Conditions légales explicites :

 

a) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a-t-il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

b) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles). [Je souligne.]

 

 

d) Application en l’espèce

 

[23]           En l’espèce, il ne s’agit pas d’un demandeur qui a été débouté par la Section du statut considérant que la décision négative a été infirmée par le juge Strayer en 1994 et sa revendication d’asile renvoyée à celle-ci afin d’être étudiée à nouveau, mais, le demandeur ne s’est pas présenté à l’audition en conséquence de quoi la Section a prononcé l’abandon de sa demande d’asile.

 

[24]           Cependant, j’estime que le demandeur se trouve dans une situation analogue considérant que, le 10 février 2006, l’agent Lajoie a refusé sa première demande d’ERAR. Une lecture de la décision de l’agent Lajoie me permet de constater que celui-ci connaissait très bien l’histoire du demandeur surtout les faits relatifs à la période de 1981 à 1992. Ces faits sont relatés aux pages 2 et 3 de sa décision. Cette décision fut maintenue par ma collègue la juge Tremblay-Lamer, dans Lupsa, le 22 mars 2007. Elle a rejeté sa demande de contrôle judiciaire étant d’avis que l’agent Lajoie « n’a pas commis d’erreur justifiant l’intervention de cette Cour en concluant qu’il n’avait pas de preuves suffisantes devant lui qui lui permettaient de conclure que le demandeur ferait face à des risques personnalisés lors de son retour à son pays » ajoutant néanmoins ceci :

 

29     Quant à la preuve qui n'était pas devant l'agent ERAR et que le demandeur a déposée lors de sa requête en sursis, je note que le demandeur pourrait toujours faire une deuxième demande de protection en vertu de l'article 165 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 s'il juge opportun de faire évaluer cette preuve nouvelle.

 

[25]           Le juge Beaudry a eu l’occasion d’analyser le résultat de la deuxième demande d’ERAR déposée par M. Lupsa. Il était d’avis que l’agente s’est posée la bonne question lorsqu’elle a estimé que la question en litige « n’est pas tant de déterminer si le demandeur fut convoqué par la police municipale d’Alba Iulia relativement à des actes de sédition. il y a près de vingt (20) ans, mais d’établir si aujourd’hui ces éléments peuvent être la source de risques pour le demandeur dans l’éventualité de son retour en Roumanie, ce dernier représentant toujours un intérêt d’importance pour les autorités de son pays. » J’estime que l’analyse de l’agente a procédé en tenant comme avéré l’existence des convocations.

 

[26]           Qui plus est, le 12 janvier 2009, la déléguée du Ministre a rejeté la demande de M. Lupsa pour une dispense sous l’article 25 de la LIPR afin de permettre celui-ci de demeurer au Canada nonobstant les interdictions qui le frappent. En particulier, je note que la déléguée du Ministre avait devant elle les mêmes pièces P-1 et P-2 qui étaient devant l’agente et devant moi. Le juge Shore n’a pas accueilli la demande de contrôle judiciaire. Il conclut  que M. Lupsa n’avait pas démontré l’existence d’une erreur déraisonnable dans la décision contestée devant lui y inclus son analyse de ses risques de retour aujourd’hui en Roumanie.

 

Conclusions

[27]           Pour les motifs suivants je suis d’avis que cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[28]           La prétention que l’agente aurait enfreint aux dispositions de l’article 167 du RIPR n’est pas fondée. À sa face même, la décision de l’agente n’est pas basée sur un manque de crédibilité du demandeur mais sur une analyse de la preuve au dossier : le fait qu’il n’a jamais fait face à des accusations pour acte de sédition, l’absence de poursuite pendant plus de deux ans, aucune preuve d’arrestation et enfin le peu de valeur probante accordée à la nouvelle preuve. Il n’y a rien dans cette décision qui attaque la crédibilité de M. Lupsa. Le procureur du demandeur se penche sur le Formulaire des renseignements personnels (FRP) déposé devant la Section du statut en 1993. Les événements qui s’y trouve était devant l’agent Lajoie; durant la première demande d’ERAR; il les a considérés et les a jugés insuffisants. Le procureur de M. Lupsa a plaidé devant ma collègue Tremblay-Lamer que l’agent Lavoie avait violé l’article 167, prétention que la juge a écartée.

 

[29]           Je rejette la prétention que l’agente a commis une erreur en n’analysant pas la preuve des événements entre 1981 et 1989. Ce n’était pas sa tâche; cette preuve avait déjà été analysée par l’agent Lavoie et jugée insuffisante, la décision que cette Cour a entérinée. La tâche de l’agente était d’analyser les prétentions et les faits nouveaux de M. Lupsa dans sa deuxième demande d’ERAR. La perspective de l’agente a été approuvée par le juge Beaudry. J’ajoute aussi que cette même preuve a été étudiée par la déléguée du Ministre et par le juge Shore. Il est vrai que l’agente n’a pas spécifiquement mentionné la réouverture possible de la mort du Général Nuta. Cette omission dans l’ensemble des choses ne mérite pas l’intervention de la Cour puisque à la lecture de ce document, M. Lupsa ne serait pas visé mais plutôt les membres des forces militaires en 1989.

 

[30]           Finalement, je ne peux retenir l’argument sur l’article 108(4). Le juge Shore dans sa décision était confronté par le même argument. Il a tranché que l’article 108(4) n’avait aucune application en l’espèce. J’adopte ce que le juge Shore a écrit aux paragraphes 112 à 122 de ses motifs.

 

[31]           Le procureur du demandeur a proposé cinq questions certifiées. Je n’en accorde aucune aux motifs invoqués par le procureur du Ministre citant l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, (1994) 176 N.R. 4. Les questions proposées par le demandeur ne dépassent pas l’intérêt des parties et n’ont aucune portée générale. Qui plus est, les questions 1 à 4 sont d’ordre factuel liées et limitées aux faits du dossier. Quant à la question 5, elle a été traitée à maintes reprises par la jurisprudence de cette Cour.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question est certifiée.

 

                                                                                              « François Lemieux »

                                                                                    ____________________________

                                                                                                            Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                       IMM-1191-09

 

INTITULÉ :                                      GHEORCHE CALIN LUPSA c. LE MINISTRE DE LA

                                                           CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET

                                                           LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                           ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDITION

PAR VIDÉOCONFÉRENCE :         Montréal (Québec) et Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDITION

PAR VIDÉOCONFÉRENCE:          Le 12 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Lemieux

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 févier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michelle Milos

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Caroline Doyon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Milos, Demers, Avocats

Saint-Lambert (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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