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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20100114

Dossier : IMM-4898-08

Référence : 2010 CF 40

ENTRE :

SEYED MOSTAFA JAFARIAN

demandeur

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

 

[1]               Les immigrants qui possèdent les qualités requises sont les bienvenus au Canada, sauf s’ils sont malades, à moins d’être riches – peut-être! C’est la triste histoire de Seyed Mostafa Jafarian et de sa famille.

 

[2]               M. Jafarian, citoyen de l’Iran, a été sélectionné par le Québec comme immigrant investisseur. Malheureusement, sa fille Atousasadat souffre de sclérose en plaques. L’agente des visas a conclu que la famille était interdite de territoire parce que l’état de santé d’Atousasadat risquerait d’« entraîner un fardeau excessif pour les services… de santé », au sens des articles 38 et 42 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Il s’agit du contrôle judiciaire de ladite décision.

 

CONTEXTE

[3]               À titre de résidents permanents potentiels, les membres de la famille Jafarian étaient tenus de fournir des renseignements sur leur état de santé. Atousasadat avait reçu quelques années auparavant un diagnostic de sclérose en plaques. Même s’il s’agit d’une maladie dégénérative, sa progression a été ralentie par le médicament Rebif. Au Canada, le coût de ce médicament pour Atousasadat s’élèverait à quelque 15 000 $ par année.

 

[4]               Le gouvernement du Canada a demandé à un médecin local d’examiner Atousasadat. Le rapport de ce médecin, de même que ceux des médecins traitants d’Atousasadat, ont été passés en revue par un médecin de Santé Canada qui, à son tour, a établi un rapport.

 

[5]               Au bout de ce processus, la première secrétaire de la section des visas de l’ambassade du Canada à Damas a écrit à M. Jafarian pour lui dire, qu’à son avis, Atousasadat était une personne dont l’état de santé risquerait d’entraîner un fardeau excessif. Elle a fait état du diagnostic médical et, citant le médecin de Santé Canada, soulignait que le Rebif [traduction] « … est un médicament très coûteux dont le coût serait remboursé par un régime d’assurance maladie provincial ». Dans la lettre, que l’on désigne couramment comme une « lettre relative à l’équité procédurale », elle ajoutait que M. Jafarian pouvait fournir d’autres renseignements au sujet de l’état de santé ou du diagnostic médical d’Atousasadat de même que des renseignements sur la question du fardeau excessif.

 

[6]               Les préoccupations de l’agente des visas étaient sûrement justifiées. En vertu du Règlement, les services de santé englobent à la fois le coût du personnel de la santé et celui des médicaments sur ordonnance. Un « fardeau excessif » en est un qui dépasse le coût annuel moyen par habitant au Canada, qui, à l’époque, était légèrement supérieur à 5 000 $. Cependant, et il s’agit d’un point fondamental en l’espèce, un service de santé est un service dont les coûts sont défrayés en majeure partie par les gouvernements. Dans la « lettre relative à l’équité procédurale », l’agente des visas déclarait que le Rebif dont Atousasadat avait besoin serait remboursé par le gouvernement. Cependant, ce n’est pas nécessairement le cas, et c’est sur ce point que porte l’analyse plus loin dans les présents motifs.

 

[7]               M. Jafarian, par l’intermédiaire d’un conseil, a répondu. Il a présenté une opinion d’un médecin qui se spécialise dans le traitement de la sclérose en plaques. Selon ce médecin, l’état d’Atousasadat ne provoquerait pas un fardeau excessif pour une période qui variera, selon les circonstances, de cinq à dix ans. En ce qui concerne le coût du Rebif, il acceptait l’hypothèse selon laquelle la plus grande partie du coût serait remboursée par le gouvernement du Québec. Cependant, M. Jafarian acceptait de tenir le gouvernement du Québec à couvert et a même offert d’établir une marge de crédit de 50 000 $ si nécessaire. Sa bonne foi de même que sa volonté et sa capacité de payer n’ont pas été contestées.

 

DÉCISION DE L’AGENT DES VISAS

[8]               Le médecin de Santé Canada continuait d’être de l’avis que l’état d’Atousasadat était tel que l’on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’il entraîne un fardeau excessif. En effet, premièrement, son état de santé pourrait se détériorer, malgré le Rebif et, deuxièmement, ce qu’elle a considéré comme le facteur le plus important, le coût du médicament lui-même.

 

[9]               L’agent des visas qui a rendu la décision, qui n’était pas la même personne que celle qui avait envoyé la lettre relative à l’équité procédurale, a refusé de délivrer les visas. Le dossier n’indique pas s’il a effectué une analyse indépendante, particulièrement en ce qui concerne les opinions ou pronostics médicaux contradictoires quant à la progression de la maladie. Il a simplement souscrit à l’opinion du médecin de Santé Canada.

 

QUESTIONS À TRANCHER

[10]           Il y quatre questions à trancher :

a.       Est-ce que la plus grande partie du coût du Rebif serait financée par l’État? Si ce n’est pas le cas, la décision de l’agent des visas est fondamentalement viciée.

b.      Si plus de la moitié du coût du Rebif était financé par l’État, il s’agit de déterminer si la capacité et la volonté de M. Jafarian de payer le coût de médicaments d’ordonnance visant un patient non hospitalisé est un facteur pertinent dans l’évaluation de la question de savoir si les besoins relatifs à l’état de santé d’un membre de la famille constituent un fardeau excessif.

c.       La troisième question, liée à la seconde, consiste à établir si la décision selon laquelle les coûts de médicaments sur ordonnance pour un patient non hospitalisé pourraient raisonnablement déboucher sur un fardeau excessif était raisonnable.

d.      Quatrièmement, il s’agit d’établir si les principes de l’équité procédurale ont été respectés dans le cadre de l’évaluation par l’agent des visas de l’état de santé d’Atousasadat, étant donné que les médecins divergeaient d’opinion.

 

[11]           Comme il a été mentionné précédemment, la réponse de M. Jafarian concernait l’évolution possible de l’état de santé de sa fille au cours des prochaines années et s’accompagnait de l’engagement de payer le coût du Rebif.

 

EST-CE QUE L’ÉTAT REMBOURSE LE COÛT DU REBIF?

[12]           Même si les soins médicaux et le médicament Rebif font partie des services de santé, il ne s’agit pas de services de santé au sens de la LIPR, sauf si la majorité des coûts sont financés par l’État.

 

[13]           Il faut se rappeler que les principaux fournisseurs de services de soins de santé sont les provinces et les territoires, et non le gouvernement fédéral. La Loi canadienne sur la santé, L.R.C. 1985, ch. C-6, est essentiellement constituée de dispositions prévoyant que les provinces reçoivent un financement, pourvu que certaines conditions, comme l’universalité des soins, soient respectées.

 

[14]           Cependant, ni l’agent des visas, ni le médecin de Santé Canada dont l’opinion a été retenue, ni M. Jafarian, se sont vraiment informés au sujet du droit en vigueur au Québec. S’ils l’avaient fait, ils auraient constaté que l’hypothèse selon laquelle le coût du Rebif [traduction] « serait remboursé par un régime d’assurance maladie provincial » n’est pas nécessairement exacte.

 

[15]           M. Jafarian et le médecin de Santé Canada, dont l’opinion a été retenue par l’agent des visas, se sont fiés aux renseignements fournis par la Société canadienne de la sclérose en plaques. À l’exception d’une petite franchise annuelle, le médecin agréé a conclu que le coût du Rebif était remboursé par le gouvernement du Québec. Sa conclusion s’appuyait sur l’information obtenue lors d’un appel téléphonique à la Société de la SP.

 

[16]           Ces renseignements étaient inexacts. On trouve la réponse dans la Loi sur l’assurance médicaments, L.R.Q., ch. A-29.01 et les règlements pris en vertu de cette dernière. Au Québec, tous les résidents permanents doivent être assurés jusqu’à concurrence d’un niveau minimum appelé le « régime général ». Il y a deux types d’assureurs : les compagnies d’assurance privées et le gouvernement lui-même. Si une personne est admissible à l’assurance privée, elle doit contracter une assurance auprès d’un assureur privé. Sinon, l’assureur public, soit la Régie de l’assurance-maladie du Québec (la Régie), offre la protection.

 

[17]           Conformément à ladite loi, au Règlement sur le régime général d’assurance médicaments et au Règlement concernant la liste des médicaments couverts par le régime général d’assurance médicaments, le Rebif est considéré comme un « médicament d’exception ». Une ordonnance visant ce type de médicament doit être autorisée par un comité de révision. Une fois que le médicament est autorisé, le paiement s’effectue selon le régime général, par l’intermédiaire d’un assureur privé ou de la Régie à titre d’assureur public. Les assureurs privés doivent offrir l’assurance aux mêmes conditions que la Régie. Malheureusement, le dossier factuel de l’affaire est insuffisant; en effet, il ne montre pas de quelle façon le système fonctionne concrètement. Par exemple, les règlements ne prévoient pas que la Régie fasse office de réassureur des assureurs privés eu égard aux « médicaments d’exception ».

 

[18]           Donc la question, qui n’a été ni abordée par M. Jafarian ni par l’agent des visas, consiste à établir si M. Jafarian et/ou sa fille, en tant que résidents permanents du Québec, auraient le droit de contracter une assurance privée.

 

[19]           Selon la Loi sur l’assurance médicaments, la Régie doit offrir une protection aux personnes appartenant à certaines catégories d’âge ou dont le revenu est insuffisant. M. Jafarian et les membres de sa famille ne sont pas admissibles. Cependant, l’article 15 de la Loi prévoit que la Régie, à défaut, peut assumer la protection de « toute autre personne admissible qui n’est pas tenue d’adhérer à un contrat d’assurance collective ou un régime d’avantages sociaux applicables à un groupe de personnes déterminé… ». Ces groupes comprennent les personnes appartenant à un ordre professionnel, à une association sectorielle et à un syndicat ou à une association d’employés offrant une assurance collective ou un régime d’avantages sociaux.

 

[20]           La situation se complique encore plus du fait qu’Atousasadat a eu 18 ans au moment où l’agent des visas examinait la demande. La Loi prévoit que les enfants de moins de 18 ans de même que les enfants de 18 à 25 ans qui satisfont à certaines conditions, comme être inscrits à un programme d’études à temps plein, ne pas avoir de conjoint, etc., doivent être couverts par une assurance privée d’un parent si ce dernier en possède une. Les enfants d’âge adulte qui ne satisfont pas à ces conditions doivent, comme tous les résidents du Québec, s’inscrire à un régime d’assurance privé s’ils sont admissibles ou obtenir la couverture de la Régie. Lorsqu’un enfant, comme en l’espèce, est sur le point d’avoir 18 ans au cours du processus de demande ou se trouve à l’intérieur de la période de cinq à dix ans utilisée pour évaluer le critère du fardeau excessif, il faut examiner la possibilité pour cet enfant de demeurer couvert par le régime privé d’un parent et/ou d’adhérer à son propre régime privé au cours de la période visée. Elle pourrait, par exemple, suivre des cours à l’université et, en tant qu’étudiante, s’inscrire à un régime collectif d’assurance.

 

[21]           Nous savons tout simplement que M. Jafarian a été admis comme investisseur. Étant donné que les bonnes questions n’ont pas été posées, rien au dossier n’indique si les médicaments d’Atousasadat seraient payés par un assureur privé. Si c’était le cas, alors la plus grande partie du coût du Rebif ne serait pas financée par l’État et ce coût ne constituerait donc pas un « fardeau excessif » au sens de la LIPR.

 

VOLONTÉ ET CAPACITÉ DE PAYER

[22]           Si Atousasadat n’a pas accès à la protection d’un régime d’assurance médicaments privé, il s’agit maintenant d’établir si le fait que M. Jafarian est capable et désireux de payer ses médicaments constitue un facteur pertinent. Selon le Ministre, ce n’est pas le cas. Même si, d’après les faits en l’espèce, cette position se justifie, l’agent des visas doit adopter une approche beaucoup plus nuancée.

 

[23]           Pour les motifs que j’ai donnés dans Companioni c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 1315, les principes énoncés par la Cour suprême dans Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); DeJong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706, même s’ils se limitent expressément aux services sociaux, sont également applicables aux médicaments sur ordonnance et aux autres services de santé dans la mesure où la plus grande partie des fonds utilisés pour payer les médicaments sur ordonnance en question ne sont pas versés par les gouvernements. La Cour a statué que l’évaluation doit être faite au cas par cas et tenir compte non seulement de l’admissibilité aux services, mais aussi de la demande probable de même que de la capacité et de la volonté de payer du demandeur.

 

[24]           Même si la capacité et la volonté de payer des services sociaux de la part du demandeur ont été considérées dans Hilewitz comme des facteurs pertinents, Mme la juge Abella a souligné que les services sociaux sont réglementés par les lois provinciales; elle poursuivait en ces termes au paragraphe 69 :

Manifestement, la législation ontarienne envisage la participation financière des familles qui ont les moyens de le faire. Même si les intentions exprimées par les familles Hilewitz et de Jong en matière d’éducation et de formation ne se matérialisaient pas, les ressources financières de ces familles sont telles que ces dernières seraient vraisemblablement appelées à supporter une part substantielle, voire la totalité, des coûts afférents à certains services sociaux fournis par la province.

 

Donc, dans Hilewitz, les demandeurs étaient de toute façon tenus de payer, étant donné leur situation financière, peu importe ce qu’ils avaient promis.

 

[25]           En l’espèce, il faut notamment établir si M. Jafarian a le droit, selon la loi, de payer le coût du Rebif pour sa fille. L’engagement de ne pas demander au gouvernement de payer ce que ce dernier est tenu de payer de par la loi n’est tout simplement pas exécutable. Ce principe a été clairement énoncé par M. le juge Evans, au nom de la Cour d’appel, dans Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 271, [2003] 1 C.F. 301 et par le M. le juge Campbell dans Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1461.

 

[26]           Cette position a été contestée parce qu’il a été affirmé au nom de M. Jafarian que si ce dernier revenait sur son engagement, cela équivaudrait à une fausse déclaration pouvant entraîner son renvoi conformément à l’article 40 et aux articles suivants de la LIPR. J’estime que cette observation est déplacée. En effet, le Canada a le droit de décider qui peut être admis au Canada comme immigrant et qui ne peut pas l’être (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, aux par. 24-27 et Hilewitz, au par. 57). Cependant, une fois ces réserves faites, il serait contraire à l’esprit des politiques publiques et aux valeurs chères à tous les Canadiens de soumettre la famille Jafarian à une discrimination en matière de services de santé et, dans les faits, de les traiter comme des citoyens de seconde zone.Tous les résidents permanents du Canada ont droit à des soins de santé universels.

 

[27]           En outre, le Québec ne pourrait tout simplement pas donner suite à la proposition de M. Jafarian parce que cela serait contraire aux lois du Québec de même qu’aux arrangements en matière de financement et à la politique sur les soins de santé prévus par la Loi canadienne sur la santé. L’objectif principal de notre politique en matière de soins de santé consiste à permettre un accès raisonnable aux services de santé sans obstacles financiers ou autres. Pour qu’une province soit admissible à la pleine contribution financière du gouvernement fédéral, son régime doit, notamment, être universel et accessible à tous les résidents.

 

[28]           La présente situation est bien différente de l’affaire Hilewitz où, selon la loi ontarienne, le coût de la plus grande partie sinon de la totalité des services sociaux en question était recouvrable, peu importe les arguments de M. Hilewitz. Si la plus grande partie du coût du Rebif n’est pas remboursée par le gouvernement du Québec, la question devient sans objet. Si la plus grande partie des coûts est ainsi remboursée, alors les intentions et la bonne foi de M. Jafarian ne sont tout simplement pas pertinentes. La loi ne lui permet pas de se soustraire au régime. Si ce dernier scénario est bien le bon, le refus d’accorder les visas de résident permanent à M. Jafarian et à sa famille était fondé en droit.

 

ÉQUITÉ PROCÉDURALE

[29]           Une bonne partie des plaidoiries ont porté sur les divergences d’opinion apparentes entre les médecins sur la mesure dans laquelle, le cas échéant, l’état de santé d’Atousasadat se détériorerait au cours des prochaines années, même si elle prend le médicament Rebif. S’il était raisonnable de prévoir une détérioration de son état, il semble probable que les soins médicaux et hospitaliers requis représenteraient un « fardeau excessif ». Le médecin de Santé Canada a mis l’accent sur l’issue négative et les autres, sur l’issue positive. Peut-être que son opinion était raisonnable, peut-être ne l’était-elle pas. Cependant, ce n’était pas à ce médecin qu’il revenait de prendre la décision. La décision appartenait à l’agent des visas, et ce dernier a renoncé à assumer cette responsabilité.

 

[30]           Même s’il est difficile de prendre une décision en dehors de son champ d’expertise, la LIPR impose cette exigence aux agents des visas et ces derniers ne peuvent s’y dérober. Le principe sous-jacent a été énoncé par Lord Denning M.R. dans Selvarajan c. Race Relations Board, [1976] 1 All. E.R. 12 (C.A.). Voici un extrait de l’arrêt à la page 19 :

[traduction]

Au cours des dernières années, nous avons eu à examiner les travaux de nombreux organismes qui sont tenus d’effectuer une enquête et de se faire une opinion… Dans toutes ces affaires, il a été établi que l’organisme d’enquête est tenu d’agir équitablement; mais les exigences de l’équité varient selon la nature de l’enquête et ses répercussions potentielles sur les personnes visées. La règle fondamentale est la suivante : si une personne risque de subir des difficultés ou d’être soumise à des peines, d’être exposée à des poursuites ou à diverses procédures, d’être privée de recours ou d’un redressement ou de subir de quelque façon que ce soit des effets négatifs par suite de l’enquête et du rapport, alors il faut présenter à cette personne les arguments retenus contre elle et lui accorder l’occasion raisonnable d’y répondre. Cependant, l’organisme d’enquête définit lui-même ses procédures. Il n’est pas obligé de tenir une audience. Il peut tout faire par écrit. Il n’est pas obligé d’accepter la présence d’avocats. Il n’est pas non plus obligé d’exposer de façon détaillée tout ce qu’il peut reprocher à une personne. En effet, il lui suffit de présenter les motifs de façon générale. Il n’est pas tenu de nommer ses informateurs. Il peut se contenter de mentionner l’essentiel. De plus, il n’est pas tenu de tout faire lui-même. Il peut avoir recours à des secrétaires et à des aides qui font tout le travail préliminaire et leur confier une bonne partie du travail. Mais, au bout du compte, l’organisme d’enquête doit prendre sa propre décision et établir son propre rapport.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[31]           Cette approche a été approuvée par la Cour suprême dans Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie v. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879.

 

[32]           Je souscris au point de vue du juge Cullen dans Poste c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 140 F.T.R. 126, 42 Imm. L.R. (2d) 84. M. Poste et sa famille n’avaient pas pu obtenir le statut de résidents permanents parce qu’un de ses fils souffrait d’un problème de santé mentale. Le Ministre soutenait que la famille représenterait un fardeau excessif pour les services sociaux du Canada. De son côté, M. Poste soutenait que le rapport du médecin agréé invoqué par le preneur de décision n’était pas raisonnable et que l’agent des visas était personnellement tenu d’évaluer le caractère raisonnable de cette opinion. Selon M. le juge Cullen :

[60]      Il a été demandé au requérant de fournir à Immigration Canada trois rapports d'experts sur Matthew. Il semble que la décision concernant la non-admissibilité de Matthew pour des raisons d'ordre médical de Matthew a été rendue uniquement sur la foi des rapports soumis, qui sont les moins favorables. Il semble qu'il y a une possibilité que les fonctionnaires d'Immigration Canada ont refusé de tenir compte des deux autres rapports demandés au requérant -- lesquels rapports sont plus favorables à Matthew.

 

[61]      Lorsqu'un organisme gouvernemental tel qu'Immigration Canada demande des renseignements à une personne, il est tenu de les examiner lorsqu'il les reçoit. Cela est particulièrement vrai dans le cas où les renseignements demandés consistent en une opinion d'expert, qui demande beaucoup de temps et qui coûte cher. Si une décision contraire aux renseignements demandés est rendue, son auteur doit au moins mentionner les renseignements contraires et motiver son rejet. Plus précisément, si Immigration Canada demande certains rapports médicaux, reçoit deux rapports médicaux favorables et un rapport défavorable et qu'une évaluation médicale est apparemment faite uniquement sur la foi du rapport médical négatif, il faut expliquer pourquoi les rapports favorables ne sont pas mentionnés dans l'analyse. Même si les décideurs avaient examiné les renseignements demandés et les avaient situés dans le contexte des circonstances de l'espèce, au vu du dossier communiqué au requérant, rien n'indique qu'un examen sérieux des documents favorables a été fait. Il n'y a pas apparence de justice. En l'espèce, pour ce qui est du requérant, les décideurs ont manqué à leurs devoirs élémentaires d'équité procédurale et de justice naturelle.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

QUESTION CERTIFIÉE

[33]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

[34]           Le Ministre a jusqu’au 26 janvier 2010 pour proposer une question certifiée qui justifierait un appel devant la Cour d’appel fédérale et M. Jafarian aura jusqu’au 2 février 2010 pour répondre.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 14 janvier 2010

 

 

 

 

 

Copie certifiée conforme

Colette Dupuis

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4898-08

 

INTITULÉ :                                       Seyed Mostafa Jafarian c. le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cecil L. Rotenberg, c.r.

 

POUR LE DEMANDEUR

Marina Stefanovic

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cecil L. Rotenberg, c.r.

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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