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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20100112

Dossier : IMM-249-09

Référence : 2010 CF 36

Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

KHALID ZUBAIR RANA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) et visant la décision défavorable à l’issue de l’examen des risques avant renvoi du 8 décembre 2008 (la décision), par laquelle a été rejetée la demande du demandeur visant à obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Pakistan. Il a présenté une demande d’asile qui, le 18 juin 2004, a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (SPR) pour des motifs liés à la crédibilité. La demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée. Le demandeur a ensuite soumis une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), rejetée le 3 mars 2008. Il a déposé une seconde demande d’ERAR, qui a également été rejetée. Le demandeur a par la suite présenté une requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi, que le juge Mandamin a rejetée le 23 février 2009. Le demandeur a par conséquent été expulsé du Canada après y avoir vécu pendant 21 ans.

 

[3]               Le demandeur est un homosexuel qui soutient que les membres de sa famille, notamment, l’ont maltraité et l’ont tenu isolé après son retour au Pakistan.

 

LA DÉCISION À L’EXAMEN

 

[4]               L’agent a conclu que, comme une première demande d’ERAR avait déjà été examinée, la seconde serait évaluée [traduction] « uniquement en fonction des facteurs de risque survenus depuis la première évaluation, en conformité avec le principe de l’irrecevabilité reconnu en droit administratif ». Dans le cadre de la seconde évaluation, on a relevé que la crédibilité avait été le facteur déterminant dans la première décision à l’issue de l’ERAR.

 

[5]               Le demandeur a dit craindre que les membres de sa famille qui l’avaient précédemment maltraité lui feraient du mal, voire attenteraient a sa vie, à son retour au Pakistan. Il a déposé deux affidavits à l’appui de cette prétention.

 

[6]               L’agent a fait remarquer qu’à l’appui de sa demande, le demandeur avait présenté ses propres déclarations, des photographies d’un couple d’hommes ainsi que des copies de cartes postales. L’agent a conclu qu’il s’agissait de nouveaux éléments de preuve, mais qu’ils ne prouvaient pas l’homosexualité du demandeur.

 

[7]               L’agent a établi que le demandeur n’avait pas présenté une preuve suffisante pour corroborer sa prétention. Celui-ci n’avait en fait fourni comme preuve que ses propres déclarations. Le demandeur a eu l’occasion de présenter des éléments de preuve additionnels pour étayer sa prétention, mais il ne l’a pas fait. L’agent a en outre fait remarquer que la situation régnant au Pakistan ne s’était pas détériorée depuis la présentation de la première demande d’ERAR. L’agent, par conséquent, n’a pas accueilli la demande.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[8]               En résumé, les questions soulevées dans le cadre de la présente demande sont les suivantes :

 

1)                  la demande de contrôle judiciaire de la décision à l’issue de l’ERAR est-elle théorique puisque le demandeur ne se trouve plus au Canada?

2)                  l’agent a-t-il omis d’énoncer clairement quel élément de preuve était exclu en application de l’alinéa 113a) et a-t-il recouru à un critère inapproprié pour évaluer si  certains éléments de preuve devaient être exclus?

3)                  l’agent a-t-il commis une erreur en n’examinant pas tous les facteurs de risque visés à l’article 96 qu’a fait valoir le demandeur?

4)                  l’agent a-t-il commis une erreur du fait qu’il n’a pas considéré ni évalué suffisamment la preuve du demandeur?

5)                  l’agent a-t-il enfreint des principes d’équité procédurale et de justice fondamentale en tirant, sans audience, une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

 

[9]               Les dispositions de la Loi reproduites ci-après sont applicables en l’espèce.

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[10]           La Cour suprême du Canada a conclu dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, que la norme de contrôle devant s’appliquer au choix du critère juridique pertinent et en matière d’équité procédurale est celle de la décision correcte, tandis qu’à l’égard de conclusions de fait et de l’examen de la décision dans son ensemble, c’est la norme de la raisonnabilité qu’il y a lieu d’appliquer. Voir Dunsmuir, précité, et Golesorkhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 511, [2008] A.C.F. n° 637.

 

[11]           Ainsi, c’est la norme de la décision correcte qu’il convient d’appliquer pour examiner a) si l’agent a recouru à un critère erroné pour évaluer quels éléments de preuve il fallait exclure, et b) si la Commission a manqué à l’équité procédurale en tirant une conclusion quant à la crédibilité sans que le demandeur ait eu droit à une audience.

 

[12]           La Cour suprême du Canada a reconnu dans l’arrêt Dunsmuir que, bien que les normes de la raisonnabilité simpliciter et de la décision manifestement déraisonnable soient théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples (Dunsmuir, paragraphe 44). La Cour suprême du Canada a donc conclu qu’il y avait lieu de fondre en une seule les deux normes de raisonnabilité.

 

[13]           La Cour suprême du Canada a également statué dans l’arrêt Dunsmuir qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à l’analyse permettant d’arrêter la bonne norme de contrôle. Plutôt, si la norme de contrôle applicable à une question particulière est déjà bien établie en jurisprudence, la cour de révision pourra adopter cette norme. La cour de révision devra examiner les quatre facteurs servant à l’analyse de la norme de contrôle appropriée seulement si la recherche d’une telle jurisprudence s’avère infructueuse.

 

[14]           Comme les questions touchant les faits et le pouvoir discrétionnaire appelent la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir, paragraphes 51 et 53), cette norme est celle qu’il convient d’appliquer lorsqu’il s’agit d’établir si l’agent a commis une erreur a) en n’examinant pas tous les facteurs de risque visés à l’article 96 qu’a fait valoir le demandeur, et b) du fait qu’il n’a pas considéré ni évalué suffisamment la preuve du demandeur.

 

[15]           Aux fins du contrôle d’une décision en fonction de la norme de la raisonnabilité, le caractère raisonnable tient principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47). Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

Caractère théorique

 

[16]              Le demandeur estime que le défendeur a tort de prêter un caractère théorique à la présente demande. Dans le récent arrêt Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 171, [2009] A.C.F. n° 691, la Cour d’appel fédérale a examiné si la demande de contrôle judiciaire de la décision à la suite d’un ERAR avait un caractère théorique lorsque l’intéressé avait été renvoyé du Canada, ou avait quitté le Canada, après le rejet de sa demande de sursis à la mesure de renvoi. La Cour d’appel a statué que la demande de contrôle avait bien un tel caractère. Le demandeur demande néanmoins à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’instruire la présente demande.

 

[17]           Le critère permettant d’établir si une décision a un caractère théorique est énoncé dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, [1989] A.C.S. n° 14. La Cour doit tout d’abord se demander si le différend concret et tangible a disparu, de telle manière que l’affaire serait devenue purement théorique. Dans l’affirmative, la Cour décide si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire et instruire l’affaire.

 

[18]           Quant au premier volet du critère, le demandeur reconnaît que tout argument qu’il pourrait faire valoir sur cette question consisterait essentiellement en une nouvelle audition de Perez, et que la Cour est tenue de suivre cet arrêt.

 

[19]           Le second volet du critère est la question de savoir si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et instruire l’affaire malgré l’absence d’un litige actuel. La Cour suprême a statué que, lorsque la question du caractère théorique était en jeu, il fallait prendre en compte les raisons d’être de cette doctrine. On compte notamment parmi ces raisons d’être, selon le demandeur, 1) la nécessité pour les tribunaux de veiller à ce que le contexte soit réellement contradictoire, 2) la saine économie des ressources judiciaires et 3) la nécessité pour les tribunaux d’être sensibles à l’efficacité de l’intervention judiciaire et d’être conscients de leur fonction juridictionnelle dans notre structure politique.

 

[20]           L’exigence d’un contexte contradictoire peut être respectée lorsque le rapport contradictoire va persister malgré la cessation du litige. Le demandeur a déposé à cet égard un affidavit dans lequel il décrit la persécution à laquelle il est continuellement confronté, et qui, selon lui, avec la discrimination dont il fait aussi continuellement l’objet, constitue en l’espèce le contexte contradictoire persistant. Lorsqu’elle évalue le contexte contradictoire, en outre, la Cour doit aussi prendre en compte les conséquences accessoires de la décision. En l’espèce, une décision favorable d’un agent d’ERAR fournirait au demandeur la possibilité d’un retour au Canada en application du paragraphe 52(1). Il n’y aurait pas pareil motif de retour, toutefois, en l’absence d’une décision favorable. La possibilité d’un retour du demandeur par conséquent, est tributaire d’une telle décision. Le demandeur soutient que l’intérêt accessoire est [traduction] « intrinsèquement lié » à la délivrance d’une ordonnance prescrivant que la demande d’ERAR soit réexaminée.

 

[21]           Dans l’arrêt Borowski, la Cour suprême a déclaré qu’il pouvait être justifié de consacrer des ressources judiciaires à une cause théorique lorsque cela pouvait empêcher la répétition de litiges.

 

[22]           En l’espèce, l’agent n’a accordé aucune force probante à divers documents du demandeur parce qu’ils auraient pu être soumis dans le cadre de l’audience de la SPR. L’agent s’est fondé sur les sections 5.1 et 5.7 du Guide pour l’ERAR enjoignant à tout agent de recourir au critère juridique de l’irrecevabilité pour établir quel élément de preuve il convient de considérer. Selon le demandeur, on devrait retirer du Guide ces directives qui sont erronées puisque non conformes aux principes établis dans l’arrêt Raza. En s’appuyant sur ces directives, ainsi, on commet une erreur de droit au regard du paragraphe 13 de Raza. Le demandeur soutient que c’est là une question pertinente requérant que la Cour rende une décision.

 

[23]           Selon l’arrêt Borowski, il serait justifié que soient tranchées les questions théoriques mais susceptibles de se répéter qui ne sont jamais soumises aux tribunaux. Une question d’un tel ordre, selon le demandeur, est celle de savoir si la Cour a le pouvoir d’ordonner au ministre de le faire revenir au Canada en attendant que soit rendue une nouvelle décision. Cette question est de la plus grande importance en l’espèce puisque, si la Cour devait rendre une décision favorable, elle pourrait alors accorder un redressement faisant renaître la question ici en litige, et ainsi l’affaire ne serait plus théorique. On a laissé entendre dans certaines décisions qu’un tel pouvoir existait, tandis que dans d’autres, on a jugé improbable la possibilité pour la Cour d’accorder pareil redressement et on a conclu qu’un renvoi avait pour effet d’annuler toute demande en instance de contrôle judiciaire.

 

[24]           Dans l’arrêt Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, [2004] A.C.F. n° 1200, au paragraphe 20, dans une affaire où avait été déposée une requête en sursis d’exécution d’une mesure de renvoi, le juge Evans de la Cour fédérale a conclu que le contrôle de la demande d’ERAR n’aurait pas un caractère théorique : « puisque, si les appelants obtiennent gain de cause en appel, ils seront probablement autorisés à revenir au Canada aux frais de l’État, je ne puis souscrire à l’idée que leur renvoi rendra illusoire leur droit d’appel ».

 

[25]           Le demandeur soutient qu’en raison de l’arrêt Perez, cette question ne sera jamais soumise aux tribunaux à moins que la Cour n’exerce sa compétence et instruise l’affaire.

 

[26]           Le demandeur soutient qu’il y a des facteurs additionnels à considérer, notamment la nécessité de conférer aux décisions une certaine clarté. Cela importe en l’espèce puisque des opinions divergentes ont été énoncées par des juges différents en regard de situations similaires. Par exemple, la même preuve ayant convaincu le juge Campbell qu’un sursis devait être accordé au demandeur par crainte d’un préjudice irréparable n’est pas parvenue à convaincre le juge Mandamin a) qu’un sursis était nécessaire, ni b) qu’un préjudice irréparable serait occasionné. La juge Heneghan, de son côté, a conclu qu’il y avait bien une question sérieuse à trancher et elle a accordé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire. Cette autorisation, en outre, a été accordée après qu’a été rendu l’arrêt Perez.

 

[27]           Vu la diversité des opinions des juges dans la présente affaire, il serait important selon le demandeur qu’on procède au contrôle judiciaire pour conférer aux décisions une certaine clarté.

 

                        Critère juridique erroné

 

[28]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en ne tenant compte que des facteurs de risque survenus depuis le dernier ERAR. Cela ressort clairement des motifs suivants de l’agent : [traduction] « on évaluera la présente demande subséquente d’ERAR uniquement en fonction des facteurs de risque survenus depuis [le dernier ERAR] ». Par conséquent, l’agent a exclu les éléments de preuve qu’il a jugés non pertinents, bien qu’il n’ait pas précisé quels éléments en particulier il excluait. Cela constituait une erreur, puisqu’il est clairement énoncé dans l’arrêt Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, 289 D.L.R. (4th) 675, qu’un agent d’ERAR doit considérer tous les éléments de preuve à moins qu’ils ne soient exclus pour un motif acceptable touchant notamment la crédibilité, la pertinence, la nouveauté, le caractère substantiel ou les conditions légales explicites.

 

[29]           L’agent a commis une erreur en déclarant qu’il exclurait des éléments de preuve sur le fondement du [traduction] « principe de l’irrecevabilité reconnu en droit administratif ». Le demandeur soutient que ce n’est pas là le critère juridique qui convient pour établir quels nouveaux éléments de preuve sont recevables dans le cadre d’une demande d’ERAR. C’est manifestement à tort que l’agent a recouru au principe de l’irrecevabilité, plutôt qu’au critère de Raza, pour décider des éléments de preuve qu’il y avait lieu de considérer. Par conséquent, l’agent a en outre commis une erreur en excluant d’importants éléments de preuve qui auraient dû être pris en compte en application de l’alinéa 133a) de la Loi.

 

[30]           Une bonne part des éléments de preuve du demandeur auraient pu servir à réfuter la conclusion de la SPR quant à la crédibilité et constituaient, selon le demandeur, de nouveaux éléments de preuve en fonction du critère de Raza. Lorsqu’il examine la nouveauté des éléments de preuve, l’agent doit se demander non seulement si ceux-ci étaient accessibles au demandeur au moment de l’audience de la SPR, mais aussi s’ils servent à réfuter une conclusion de la SPR. En fonction du principe de l’irrecevabilité, ce type d’élément de preuve serait exclu. En recourant à un critère juridique erroné, ainsi, l’agent a exclu d’importants éléments de preuve qui satisfaisaient au critère énoncé à l’alinéa 113a) et dans Raza.

 

Défaut de considérer tous les facteurs de risque

 

[31]           L’agent n’a pas considéré tous les facteurs de risque pertinents. Il a mentionné un seul des facteurs avancés par le demandeur et a omis de traiter des autres, dont les appels de menaces reçus par le frère du demandeur, la discrimination subie par les homosexuels au Pakistan et le danger pour la vie du demandeur occasionné par les lois de ce pays. Ce sont pourtant là des facteurs importants à prendre en compte pour établir s’il y a possibilité raisonnable de persécution.

 

[32]           Le demandeur soutient que l’agent aurait dû considérer s’il y avait une possibilité raisonnable de persécution eu égard aux facteurs de risque qu’il avait fait valoir. Or l’agent ne l’a pas fait. Celui-ci aurait aussi dû considérer si le demandeur était membre d’un groupe social particulier, en l’occurrence les homosexuels. Il n’appert cependant pas, d’après ses motifs, que l’agent a procédé à une telle analyse.

 

Traitement erroné de la preuve

 

[33]            Le demandeur a présenté de nouveaux renseignements quant aux risques auxquels il serait  confronté s’il retournait au Pakistan et de nouveaux éléments de preuve concernant son identité  homosexuelle. Ces derniers éléments étaient particulièrement importants du fait que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) et l’agent d’ERAR, dans le cadre du premier ERAR, n’avaient pas reconnu l’orientation sexuelle du demandeur. Le demandeur a par conséquent présenté de nouveaux éléments de preuve concernant son homosexualité pour réfuter les conclusions défavorables quant à sa crédibilité.

 

[34]           Parmi les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur, il y avait deux affidavits, des photographies de lui-même accompagné de divers partenaires masculins, des cartes de vœux de nombreux partenaires, une lettre de son frère au sujet de menaces dont il avait fait l’objet et des renseignements sur la situation régnant dans le pays. L’agent a commis de nombreuses erreurs à l’égard de chacun des éléments de preuve qu’il a évalués.

 

[35]           Tout d’abord, l’agent n’a pas précisé quelle force probante il reconnaissait aux affidavits du demandeur, ni s’il jugeait ceux-ci crédibles. Il n’a pas non plus fait état de la mesure dans laquelle ces documents avaient pu l’aider à déterminer si le demandeur était homosexuel et s’il y avait une possibilité raisonnable qu’il soit persécuté.

 

[36]           Les affidavits du demandeur sont des éléments de preuve substantiels qui réfutent la conclusion de l’agent. On peut présumer, par conséquent, que ce dernier leur a reconnu une faible valeur probante, voire aucune. Le demandeur soutient que l’agent était tenu d’indiquer pour quels motifs il estimait les affidavits être ni pertinents ni dignes de foi. Le défaut d’énoncer de tels motifs constituait une erreur, la SPR étant tenue de faire état des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions. Voir, par exemple, Jean c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1414, [2006] A.C.F. n° 1768.

 

[37]           L’agent a en outre commis une erreur, selon le demandeur, en ne soumettant pas ses affidavits à l’analyse. Si l’agent peut préférer un élément de preuve à un autre, il doit toutefois en expliquer les raisons. Voir, par exemple Castro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1165, [2005] A.C.F. n° 1923, paragraphe 34, et  Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429, [2003] 4 C.F. 771.

 

Équité procédurale

 

[38]           Il est déclaré sans équivoque dans les affidavits du demandeur que celui-ci est homosexuel. L’agent a tiré une conclusion contraire, même si le demandeur avait prêté serment quant à la véracité de cette information. Le demandeur soutient que c’était manifestement là une conclusion quant à la crédibilité qui justifiait la tenue d’une audience en application de l’article 167 de la Loi.

 

[39]           L’agent a omis d’examiner correctement l’orientation sexuelle du demandeur, et il a tout simplement conclu que celui-ci n’était pas homosexuel. Rien dans la preuve ou la documentation ne contredit la prétention du demandeur. L’agent n’a donc tout simplement pas cru que le demandeur disait la vérité. C’était là une appréciation de la crédibilité.

 

[40]           Une erreur semblable avait été commise par un agent d’ERAR dans l’affaire Zokai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1103, [2005] A.C.F. n° 1359, où la Cour a statué que le défaut de l’agent de motiver son refus d’accorder une audience constituait un manquement à l’équité procédurale. On a en outre statué dans la décision Tehrankari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 1420 (au paragraphe 6) que « [s]i le ministre et ses fonctionnaires entretiennent des doutes sur un élément de preuve du demandeur, ils doivent tenir une audience pour l’entendre de vive voix ».

 

[41]           Comme la crédibilité était en cause en l’espèce, une audience aurait dû être accordée au demandeur. Ce principe trouve appui dans la décision Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27, 50 Imm. L.R. (3d) 306, où le juge Phelan a conclu que « l’article 167 devient opérant lorsque la crédibilité est remise en question d’une façon qui peut donner lieu à une décision défavorable à l’issue de l’ERAR. Il a pour objet de permettre à un demandeur de répondre aux réserves formulées au sujet de sa crédibilité ».

 

Traitement déraisonnable de la preuve

 

[42]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en rejetant tout simplement les photographies ainsi que les formules qu’il avait présentées, en disant : [traduction] « je conclus que ces documents ne constituent pas une preuve de l’homosexualité du demandeur ».

 

[43]           Selon le demandeur, l’agent était tenu d’expliquer pour quels motifs il faisait abstraction de ces éléments de preuve. En rejetant ceux-ci sans considérer quelque autre élément de preuve que ce soit, l’agent a en fait apprécié la crédibilité du demandeur. Cette appréciation a constitué une erreur, puisque les éléments de preuve en cause ne pouvaient être écartés sans que le demandeur soit entendu de vive voix.

 

[44]           L’agent, en outre, a commis une erreur de fait en concluant que le demandeur avait produit [traduction] « une douzaine de copies de cartes postales ». Le demandeur a en fait plutôt présenté trois cartes de souhaits provenant d’anciens petits amis et comportant des messages personnels du type de ceux partagés entre hommes dans une relation homosexuelle. Cet élément de preuve est ainsi lié à la prétention du demandeur d’être homosexuel et sert à réfuter les conclusions quant à sa crédibilité tirées par la Commission et par le premier agent d’ERAR. Encore une fois, l’agent n’a pas expliqué pour quel motif ce n’était pas là une preuve de l’homosexualité du demandeur et il n’a reconnu aucune force probante à cet élément. C’était en fait tout simplement une conclusion relative à la crédibilité.

 

[45]           Le demandeur soutient en outre que les erreurs de l’agent concernant la présentation des « cartes postales » et le nombre de photographies produites dénotent le peu d’attention accordé par l’agent à la preuve. Ces erreurs révèlent aussi que l’agent ne connaissait pas bien la preuve dont il était saisi.  

 

[46]           L’agent a aussi commis une erreur au sujet de la lettre du frère du demandeur. L’agent a en effet déclaré que le demandeur n’avait fourni aucune preuve corroborant sa prétention quant à la réception d’un appel téléphonique par son frère, et pourtant une lettre de ce dernier corroborant le récit du demandeur était jointe à l’affidavit. L’agent a commis une erreur en ne disant pas pour quel motif il n’avait pas considéré cet élément de preuve. L’agent a en outre commis une erreur en concluant qu’il n’existait aucune preuve corroborante, tout en faisant abstraction de l’élément de preuve en ce sens produit par le frère du demandeur.

 

[47]           L’agent a aussi pris en compte de manière erronée la documentation sur la situation régnant dans le pays. La conclusion de l’agent selon laquelle cette situation ne s’était pas détériorée était déraisonnable, puisque les actes homosexuels sont considérés être, dans le Code pénal du Pakistan, des crimes pouvant entraîner l’emprisonnement à vie et l’infliction de punitions corporelles. En application du droit islamique (qui peut aussi être légalement exécutoire), en outre, les auteurs de tels actes peuvent recevoir jusqu’à 100 coups de fouet ou être mis à mort par lapidation. En l’espèce, c’est l’État lui-même qui constitue l’agent de persécution.

 

[48]           Le demandeur a produit un élément de preuve émanant d’Amnistie internationale et selon lequel, même si l’on ne recourt pas aux lois en question pour emprisonner les gais et lesbiennes, c’est dans bien des cas dans leur contexte que s’inscrivent la discrimination et la violence dont ces personnes font l’objet.

 

[49]           Le demandeur soutient en outre que, même s’il n’était pas traduit devant les tribunaux, il serait néanmoins toujours exposé à un risque, puisque [traduction] « bien souvent les policiers soutirent de l’argent et des faveurs sexuelles » des homosexuels.

 

[50]           Le demandeur a fourni une preuve documentaire volumineuse et sans équivoque sur les risques courus par les homosexuels au Pakistan. L’agent a tiré malgré tout une conclusion défavorable au demandeur, sans le moindrement s’appuyer sur la preuve présentée.

 

            Le défendeur

 

[51]           Le défendeur soutient que l’affidavit supplémentaire fourni par le demandeur, signé en date du 24 août, n’est pas admissible aux fins du présent contrôle judiciaire. L’agent n’était pas saisi de cet affidavit, en effet, au moment où a été rendue la décision à l’issue de l’ERAR. Voir Ordre des architectes de l’Ontario c. Association of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, [2003] 1 C.F. 331, paragraphe 30.

 

[52]           Le défendeur soutient également que la présente demande devrait être rejetée de façon sommaire parce que le demandeur ne s’est pas présenté à la Cour avec une attitude irréprochable. Voir Gazlat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 532, [2008] A.C.F. n° 677. En l’espèce le demandeur ne s’est pas conformé aux lois canadiennes en ne se présentant pas pour l’exécution de la mesure de renvoi. Le demandeur a par la suite été arrêté et expulsé. Par conséquent, selon le défendeur, la Cour devrait refuser d’exercer la compétence dont elle dispose en Equity d’examiner la présente demande.

 

[53]           En outre, la Cour d’appel fédérale a statué dans l’arrêt Perez qu’une demande d’ERAR n’avait plus qu’un caractère théorique une fois que le demandeur a été renvoyé du Canada. Une décision d’ERAR doit en effet être rendue avant le renvoi d’un demandeur du Canada.

 

[54]           Même si le demandeur concède que la demande d’ERAR a un caractère théorique, il demande à la Cour d’exercer sa compétence et d’instruire l’affaire. Les faits en l’espèce sont toutefois semblables aux faits en cause dans Perez, où le juge Martineau a refusé d’instruire l’affaire. Et la Cour d’appel a confirmé la décision du juge Martineau.

 

[55]           Tout en reconnaissant qu’il existait toujours un débat contradictoire, le juge Martineau a conclu que des préoccupations d’économie des ressources judicaires empêchaient la Cour d’instruire la demande. Même s’il a aussi reconnu que l’obtention d’une décision favorable à l’issue de l’ERAR pouvait constituer un avantage, le juge Martineau a cité la décision Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, [2005] R.C.F. 387, où la Cour a conclu que « cet avantage hypothétique ne fait qu’ajouter au fardeau sur les ressources déjà insuffisantes et beaucoup sollicitées du système judiciaire en matière d’immigration ».

 

[56]           En ce qui concerne le troisième facteur, le juge Martineau a conclu qu’instruire l’affaire pourrait constituer un empiètement sur la fonction législative du gouverneur en conseil. Il a en outre conclu que, s’il statuait sur la demande de contrôle judiciaire, il procéderait « essentiellement à un réexamen indirect du bien-fondé de la décision [du juge saisi de la requête] sur la légalité de l’exécution de la mesure de renvoi » (Perez, paragraphe 34).

 

[57]           Le défendeur soutient qu’en raison des similitudes existant entre les faits en l’espèce et ceux de l’affaire Perez, la Cour devrait refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire et ne pas instruire la présente demande.

 

Prise en considération

 

[58]           En ce qui concerne l’ERAR en cause, le défendeur soutient que l’agent était justifié d’appliquer en l’espèce le principe de l’irrecevabilité. Le juge Mandamin l’a d’ailleurs confirmé en rejetant la demande de sursis d’exécution de la mesure de renvoie présentée par le demandeur. Les directives données en vue de l’application du principe de l’irrecevabilité sont énoncées aux sections 5.1 et 5.7 du Guide PP3 sur l’examen des risques avant renvoi (ERAR). Le défendeur soutient que, bien que ce guide soit antérieur à Raza¸ les directives en question ne sont pas incompatibles avec cet arrêt.

 

[59]           C’est à juste titre que l’agent a établi que seuls les facteurs de risque survenus depuis le dernier ERAR seraient considérés dans le cadre de la seconde demande d’ERAR. Le défendeur soutient qu’en outre, puisque le Guide n’interdit pas de prendre en compte de nouveaux éléments de preuve, il n’entre pas en conflit avec les principes énoncés dans Raza. L’agent n’a pas commis d’erreur, puisqu’il a considéré les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur, notamment les cartes, les photographies ainsi que la lettre provenant du frère du demandeur. En l’espèce, ce dernier conteste simplement le poids accordé aux éléments de preuve par l’agent ainsi que ses conclusions de fait. Une grande déférence est toutefois de mise face à ces conclusions, vu l’expertise spéciale de l’agent en évaluation du risque. Tel qu’il a été statué par la Cour dans la décision Augusto c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 673, [2005] A.C.F. n° 850 (au paragraphe 9), « [à] moins qu’il ait omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou ait tenu compte de facteurs non pertinents, l’appréciation de la preuve relève de l’agent chargé de l’examen ».

 

[60]           Il ressort des motifs de l’agent que celui-ci a bien pris en compte la lettre du frère du demandeur, même si cela n’a pas été mentionné expressément dans la décision. Le frère faisait état dans sa lettre d’appels de menaces, et l’agent a dit estimer dans ses motifs que la famille du demandeur avait reçu de tels appels. Il est donc manifeste que l’agent n’a pas fait abstraction de cette lettre, contrairement à ce qu’a prétendu le demandeur.

 

[61]           En outre, tout agent est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve, et il n’a pas à mentionner expressément tous les éléments de preuve défavorables lorsqu’il rend sa décision. Voir Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317, [1992] A.C.F. n° 946, et Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 598,  paragraphe 1.

 

[62]           La Cour n’a pas pour rôle d’apprécier de nouveau la preuve dont l’agent était saisi. Il était loisible en l’espèce pour l’agent, au vu du dossier, de rendre la décision qui a été la sienne, et le demandeur n’a pas démontré qu’il avait fait abstraction d’un quelconque élément de preuve.

 

Aucune audience requise

 

[63]           Le défendeur soutient que l’agent n’a tiré aucune conclusion quant à la crédibilité qui nécessiterait la tenue d’une audience. L’agent a plutôt examiné la preuve et statué que le demandeur n’avait pas démontré qu’il serait exposé à un risque advenant son retour au Pakistan. C’était au demandeur qu’il incombait de prouver sa prétention, ce qu’il n’a pas réussi à faire.

 

[64]           La crédibilité du demandeur n’était pas en cause en l’espèce. Nulle audience n’était par conséquent requise. L’agent a plutôt établi, sur la foi de la preuve objective, que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il serait exposé à un risque. Le demandeur n’a pas été jugé être une personne à protéger vu l’absence d’un risque personnalisé, et non en raison d’un manque de crédibilité. Voir, par exemple,  Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 872, 256 F.T.R. 53, paragraphe 27.

 

[65]           La SPR avait précédemment statué que la demande d’asile du demandeur n’était pas crédible. Il n’y avait par conséquent aucune question à trancher concernant la crédibilité du demandeur dans le cadre de la demande d’ERAR. L’agent pouvait se fonder à ce titre sur la décision antérieure de la SPR. En outre, il aurait été illogique de la part de l’agent d’ERAR de tirer une conclusion au sujet de la crédibilité différente de celle de la SPR, qui a été confirmée par un juge lors d’un contrôle judiciaire. Voir Saadatkhani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 614, [2006] A.C.F. n° 769, paragraphe 5, et Yousef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 864, 296 F.T.R. 182, paragraphes 20 et 21.

 

Risque personnalisé non démontré

 

[66]            L’agent a conclu de manière raisonnable que le demandeur n’avait pas démontré qu’il était exposé à un risque personnalisé du fait de la situation régnant au Pakistan, la preuve documentaire étant de nature générale. C’est au demandeur qu’il incombe d’établir l’existence d’un lien entre la preuve documentaire et sa situation personnelle. Il ne suffit pas qu’un demandeur démontre simplement le manque de respect des droits de la personne dans son pays. Voir Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, [2005] A.C.F. n° 506, paragraphe 28, et Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808, [2004] A.C.F. n° 995, paragraphe 22.

 

ANALYSE

            Caractère théorique

 

[67]           Les parties s’entendent pour dire que la demande a désormais un caractère théorique. Le demandeur demande toutefois à la Cour d’exercer sa compétence pour instruire et trancher la présente affaire à caractère théorique.

 

[68]           Le juge Martineau avait à juger d’une situation de faits très semblable à celle qui nous occupe dans la récente décision Perez, et il a examiné avec soin les facteurs mis en jeu par l’instruction d’un litige théorique, ainsi que les raisons pour lesquelles il ne devait pas exercer sa compétence dans cette affaire. La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge Martineau.

 

[69]           Le demandeur affirme que malgré ces jugements récents, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et instruire la présente demande en fonction des facteurs établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Borowski. Ces facteurs sont l’existence continue d’un débat contradictoire, l’existence d’un avantage accessoire (une décision favorable de l’agent d’ERAR servirait de fondement à une demande de retour au Canada en application du paragraphe 52(1) de la Loi), les ressources judiciaires opportunes à consacrer (des questions sont susceptibles d’être soulevées dans des causes futures que la Cour devrait dès maintenant trancher), ainsi que divers autres facteurs, comme l’existence d’une jurisprudence contradictoire sur une question grave qui appelle une clarification.

 

[70]           Comme c’était le cas dans la décision Perez et pour les mêmes motifs que ceux qui y ont été énoncés, j’estime tout comme le demandeur qu’il demeure un débat contradictoire en l’espèce.

 

[71]           Le demandeur affirme qu’instruire de nouveau la présente affaire pourrait avoir des conséquences accessoires positives et permettrait de régler des questions susceptibles d’être soulevées dans des causes futures.

 

[72]           En l’espèce, selon le demandeur, une décision favorable d’un agent d’ERAR qui statuerait à nouveau sur l’affaire lui servirait de fondement pour une demande de retour au Canada en application du paragraphe 52(1) de la LIPR. Le demandeur ajoute que la Cour pourrait régler les  questions de savoir si les sections 5.1 et 5.7 du Guide PP3 sont toujours valides depuis qu’a été rendu l’arrêt Raza, ou si la Cour dispose du pouvoir d’ordonner au ministre de le faire revenir au Canada en attendant qu’il soit statué de nouveau sur l’affaire.

 

[73]           Tout en prenant note de ces éventuels avantages, je ne crois pas qu’ils puissent contrer les problèmes et les objections soulevés par le juge Martineau dans la décision Perez :

30     Toutefois, comme le juge Noël le signale dans le jugement Sogi, aux paragraphes 42 et 43, « […] un litige théorique ne doit pas accaparer les ressources de notre système judiciaire […] Il faut se demander si la solution judiciaire du litige pourrait créer des conséquences concrètes sur les droits des parties […] ». Dans le cas qui nous occupe, la Cour n’a pas le droit de déterminer si le demandeur souffre de persécution au Mexique parce qu’il est à la fois gai et séropositif. La Cour ne peut pas non plus se prononcer sur la possibilité d’obtenir la protection de l’État au Mexique. Le seul avantage pratique, s’il y a en un, serait d’ordonner que l’affaire soit réexaminée par un autre agent d’ERAR. Or, je doute fort que la Cour ait le pouvoir d’ordonner le retour du demandeur au Canada, aux frais du gouvernement canadien, pour la durée d’un tel réexamen. Ce n’est donc qu’après avoir obtenu une décision favorable à l’issue du réexamen de ses allégations de persécution et de risques que le demandeur pourrait solliciter l’autorisation de rentrer au Canada (et demander la résidence permanente). « Cependant, cet avantage hypothétique ne fait qu'ajouter au fardeau sur les ressources déjà insuffisantes et beaucoup sollicitées du système judiciaire en matière d'immigration. » (Figurado, au paragraphe 47.)

 

31     Pour ce qui est du troisième critère, je trouve utile de citer les propos que j’ai tenus dans le jugement Figurado, au paragraphe 48 :

Enfin, en ordonnant à l'agent ERAR d'examiner de nouveau une demande de protection lorsque le demandeur a été renvoyé du Canada, je ne suis pas certain que, ce faisant, la Cour ne s'écarte pas de son rôle juridictionnel habituel dans notre système politique. Dans un tel cas, on pourrait dire que le nouvel examen ordonné par la Cour constitue presque la création d'une nouvelle catégorie de personne à protéger, à savoir les personnes renvoyées du Canada qui persistent à dire, de l'extérieur du Canada, qu'elles sont soumises à un risque. Je constate que l'article 95 de la LIPR établit déjà la catégorie de « personne à protéger » et qu'elle définit cette notion. À cet égard, je constate que, selon le RIPR, un étranger qui se trouve à l'extérieur du Canada a déjà le droit de demander un visa de résident permanent comme membre de la catégorie des réfugiés outre-frontières, la catégorie de personnes de pays d'accueil et la catégorie de personnes de pays source (alinéa 70(2)c) du RIPR). Dans ces circonstances, il n'est pas déraisonnable de conclure que la protection ne devrait être accordée qu'aux personnes hors frontières qui font partie de l'une ou de l'autre de ces catégories.

 

32     Dans le jugement Nalliah, au paragraphe 22, le juge Gibson écrit par ailleurs ce qui suit :

L’article 232 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit qu'il est sursis à la mesure de renvoi dès la présentation d'une demande d'ERAR, et que ce sursis s'applique en général jusqu'à ce que la demande d'ERAR soit rejetée, le cas échéant. C'est ce qui s'est produit en l'espèce. Il convient de souligner que ce même Règlement ne prévoit pas le maintien du sursis en cas de demande de contrôle judiciaire d'une décision d'ERAR, que cette demande soit accordée ou pas. Ainsi, le gouverneur en conseil, agissant en vertu des pouvoirs conférés par le Parlement, n'a pas jugé bon d'étendre l'application du sursis prévu à l'article 232 à des circonstances comme celles qui sont sous-jacentes à la présente demande de contrôle judiciaire. Il en résulte que ma collègue la juge Snider pouvait refuser un sursis judiciaire discrétionnaire et, quand elle l'a fait, le défendeur pouvait renvoyer le demandeur, malgré le risque sérieux de préjudice irréparable qu'il alléguait.

 

33     J’ai par conséquent beaucoup de mal à accepter, en droit, que ce qui était à l’origine un acte légal du gouvernement (l’exécution de la mesure de renvoi) puisse par la suite devenir illégal par le seul effet d’une observation du tribunal, d’autant plus qu’en l’espèce, le juge des requêtes (le juge Blanchard) a refusé d’accorder un sursis à l’exécution. Pour qu’on puisse parler d’« illégalité », il faut que le juge des requêtes déclare par la suite que l’ordonnance annulant la décision contestée prise par l’agent d’ERAR s’applique nunc pro tunc (ou rétroactivement) à la veille du renvoi du demandeur. Là encore, je doute fort que la Cour ait le pouvoir, du point de vue légal, de rendre une telle ordonnance.

 

34     J’estime également que, si je statuais sur la demande de contrôle judiciaire, je procéderais essentiellement à un réexamen indirect du bien-fondé de la décision du juge Blanchard sur la légalité de l’exécution de la mesure de renvoi. Il vaut la peine de rappeler que le juge Blanchard a conclu, vu l’ensemble de la preuve dont il disposait, que le demandeur n’avait pas établi qu’il subirait un préjudice irréparable s’il retournait au Mexique. En conséquence, même en présumant qu’une question sérieuse ait été soulevée, la prépondérance des inconvénients favorisait l’exécution immédiate de la mesure de renvoi. Il était loisible à mon collègue le juge Blanchard de refuser d’accorder un sursis en vertu de son pouvoir discrétionnaire et, après que le juge Blanchard eut refusé d’accorder ce sursis, il était également loisible aux défendeurs de chercher à obtenir l’exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur.

 

35     Le cas qui m’est soumis soulève des préoccupations d’économie des ressources judiciaires et, comme le juge Gibson l’a expliqué dans les jugements Nalliah et Thamotharampillai, précitées, accueillir la demande « constituerait un empiétement injustifié sur la fonction législative du gouverneur en conseil ».

 

 

[74]            Sur cette question, je dois garder à l’esprit que la Cour d’appel fédérale a donné son aval à la démarche adoptée par le juge Martineau et à ses conclusions sur cette question.

 

[75]           Je ne crois pas non plus que les décisions de la Cour aient été véritablement contradictoires. Lorsqu’il s’est penché sur la demande de sursis dont il était saisi, le juge Mandamin a pu considérer ou examiner la question de savoir s’il estimait que l’agent d’ERAR avait commis une erreur, mais il est manifeste que sa décision se fondait sur l’incapacité du demandeur de démontrer, au vu des documents et des arguments présentés au juge, l’existence d’un préjudice irréparable. Il n’est pas possible pour la Cour de dire si les mêmes arguments ont été soumis au juge Campbell en lien avec  la deuxième demande d’ERAR, ou à la juge Heneghan qui a accordé l’autorisation de présenter une demande de contrôle vu l’existence d’une question défendable. Compte tenu de ces faits, j’estime qu’il n’y a rien que je puisse, ou que je doive, faire. Et même s’il existait des contradictions, je ne crois pas que je devrais procéder à un réexamen, même indirect, du bien-fondé des décisions rendues par d’autres juges de la Cour.

 

[76]           Pour conclure, malgré l’argumentation habile de l’avocat du demandeur, et même si j’ai beaucoup de compassion pour ce dernier dans la situation où il se trouve actuellement, je ne vois pas en quoi on peut distinguer de manière importante la présente affaire de la décision Perez, qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale. Je relève également que le juge Kelen en est arrivé à une conclusion semblable dans la récente décision Villalobo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 773, [2009] A.C.F. n° 909.

 

[77]           Pour ces motifs, ayant conclu que la présente demande de contrôle judiciaire avait un caractère théorique, la Cour refuse aussi d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’instruire cette demande malgré ce caractère.

 

[78]           Il est demandé aux avocats de signifier et de déposer, dans les sept jours de la réception des présents motifs de jugement, les observations qu’ils souhaiteraient présenter en vue de la certification d’une question de portée générale. Chaque partie disposera d’un délai additionnel de trois jours pour signifier et déposer toute réponse aux observations présentées par la partie adverse, par suite de quoi jugement sera prononcé.

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-249-09

 

INTITULÉ :                                       KHALID ZUBAIR RANA c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 OCTOBRE 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 12 JANVIER 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aadil Mangalji

 

POUR LE DEMANDEUR

Bradley Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LONG MANGALJI LLP

Immigration Law Group

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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