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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date :  20100128

Dossier :  T-1117-09

Référence :  2010 CF 94

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

MARIO CYR

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée à l’encontre de la décision de Me Jean Claude Lagacé, Président indépendant du tribunal disciplinaire (le Président), rendue le 10 juin 2009, déclarant Mario Cyr (le demandeur) coupable de l’infraction disciplinaire prévue au paragraphe 40 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.R.C. 1992, ch. 20 (la Loi) le condamnant à payer une amende de 25 $ en plus de six jours d’isolement, suspendu durant 90 jours (page 15, dossier du demandeur).

 

Faits

[2]               Le demandeur purge présentement une peine d’emprisonnement dans le pénitencier à Drummondville. Le 25 mars 2009, il reçoit un Avis pour fournir un échantillon d’urine en établissement conformément aux termes du paragraphe 54b) de la Loi. Cet avis est émis au hasard dans le cadre d’un programme de contrôle.

 

[3]               En vertu du Règlement concernant le système correctionnel, la mise en liberté sous condition et le maintien en incarcération (le Règlement), le demandeur a deux heures pour fournir l’échantillon. Le demandeur tente à deux reprises sans succès. Il explique à l’officier qu’il est incapable de fournir l’échantillon sans déféquer. Les agents correctionnels offrent alors une fouille à nu. Il paraît que le but d’une telle fouille est de s’assurer que le demandeur n’a pas sur lui un objet pour falsifier le test. Ainsi, les agents pourraient alors le laisser produire l’échantillon en privé dans une salle de toilettes après la fouille. On n’explique pas le but de la fouille au demandeur. Ce dernier refuse la fouille mais offre d’aller aux toilettes et de rapporter l’échantillon. Les agents refusent cette proposition. Le demandeur quitte la salle avant la fin du délai sans fournir d’échantillon. En raison du paragraphe 66(2) du Règlement, le défaut de fournir l’échantillon est réputé être un refus. Conséquemment, un rapport d’infraction et un avis d’accusation sont émis contre lui.

 

[4]               L’audition disciplinaire a lieu le 27 mai 2009. Le demandeur ainsi que les deux agents correctionnels témoignent. Le demandeur témoigne qu’il a bu plusieurs verres d’eau pour tenter de faciliter la production de l’échantillon d’urine, mais qu’il demeure incapable de le faire sans déféquer. Selon lui, c’est contre sa volonté qu’il n’a pas pu fournir l’échantillon. Un des agents déclare qu’il n'a pas expliqué au demandeur la raison pour laquelle il a offert la fouille à nu parce que ce dernier est capable d'en déduire la raison facilement.

 

[5]               Le 10 juin 2009, le Président rend son jugement oral et trouve le demandeur coupable de l’infraction disciplinaire. Cette décision est sujette à la présente demande.      

 

Décision contestée

[6]               Le Président condamne le demandeur à payer une amende de 25 $ en plus de six jours d’isolement, suspendu durant une période de 90 jours. Dans ses motifs, il dit que le demandeur a pris la décision de quitter en disant qu’il lui était impossible d’uriner, compte tenu du fait que s’il urinait, il serait impossible pour lui de ne pas déféquer. Donc, le demandeur a quitté et décidé de ne pas fournir l’échantillon d’urine. Le Président ajoute que la preuve quant à l’offre de la fouille à nu n’a pas d’importance dans sa décision.

 

[7]               Le Président dit ensuite qu’il a réfléchi à la défense du demandeur et que, malheureusement, ce n'est pas acceptable pour lui. Il arrive donc à la conclusion que, sans aucun doute raisonnable, le demandeur est coupable.

 

Questions en litige

[8]               Une seule question en litige est importante : est-ce que les motifs de la décision sont suffisants?

 

[9]               La demande de contrôle judiciaire sera accueillie pour les raisons suivantes :

 

Législation pertinente

[10]           Les extraits de la législation en cause se retrouvent en annexe.

 

Prétentions du demandeur

Suffisance des motifs

[11]           Le demandeur prétend que la décision du Président est laconique et qu’il reste plusieurs questions qui ne sont pas claires. Il soutient qu’il est impossible de savoir si le Président ne croit pas les propos du demandeur et pourquoi le Président n’a pas accepté la défense du demandeur. Selon  lui, il faut spéculer pour savoir pourquoi le demandeur a été trouvé coupable. L’intervention de la Cour est donc nécessaire.

 

Le moyen de défense

[12]           Le demandeur soutient que la défense invoquée fait appel à un acte involontaire de sa part. Le Président ne peut ignorer cette défense sans compromettre l’équité procédurale.

 

[13]           Il ajoute que le fardeau de preuve imposé au service correctionnel est le même qu'en matière criminelle soit une preuve hors de tout doute raisonnable. Le défaut d'appliquer cette norme est une erreur révisable. Le demandeur souligne les propos du Président quand il déclare (page 84, dossier du demandeur) :

 

Parce que vous savez,  Maître Tabah, on est au pénitencier ici. Et puis je ne rends pas ma décision, là, sauf que j'ai observé depuis quelques années que les détenus font preuve souvent de beaucoup d'imagination. Comprenez-vous? Et puis celle-là, par exemple, cette défense-là, je peux vous dire que c'est la première fois que je l'entendais en presque dix (10) ans, là. Ça ne veut pas dire qu'elle n'est pas fondée.

 

 

[14]           Le demandeur allègue qu'en lisant les notes sténographiques on peut croire que le Président n'a pas accepté la défense du demandeur parce qu’il devait l’appuyer d’un témoignage d’expert pour démontrer la plausibilité (page 91, dossier du demandeur). Ceci est une erreur de droit car dans Durie c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 22, 201 F.T.R. 8, la Cour a décidé qu’une preuve médicale n’était pas nécessaire pour appuyer une défense d’excuse raisonnable dans une cause semblable.

 

La crédibilité et le fardeau de preuve

[15]           Le demandeur reconnaît que le Président avait le droit de rejeter sa défense pour des raisons de crédibilité. Cependant, il soutient que le Président se devait d’expliquer pourquoi l’excuse fournie n’a pas soulevé un doute raisonnable. Puisque la Loi exige une preuve hors de tout doute raisonnable, il affirme que le Président doit se conformer au processus énoncé dans R. c. W. (D) [D.W.], [1991] 1 R.C.S. 742. Selon lui, le Président n’a pas fait cet exercice et a donc altéré la norme de preuve ce qui justifie l’intervention de la Cour.  

 

Prétentions du défendeur

[16]           Le défendeur allègue que, contrairement à ce que propose le demandeur, le Président a considéré la défense du demandeur et il l’a analysé. À son avis, le Président a traité de l’ensemble de la preuve qui était claire et non contredite et n’a pas accepté la défense ou, en d’autres mots n’a pas cru le demandeur. Il ajoute que cette conclusion est d’ailleurs raisonnable compte tenu du fait que les agents ont fourni l’opportunité au demandeur d’aller aux toilettes seul, mais à condition qu’il se soumette préalablement à une fouille à nu. Mais le demandeur a refusé cette alternative sans motif valable.

  

[17]           Le défendeur soutient que le Président a considéré la défense du demandeur, mais ne l’a pas retenue. Dès lors, il ne subsistait aucun doute voulant que le demandeur eût refusé de fournir l’échantillon d’urine demandé. La conclusion du Président de déclarer le demandeur coupable est raisonnable, car il était convaincu hors de tout doute raisonnable que ce dernier avait commis l’infraction reprochée.

 

Analyse

Norme de contrôle

[18]           La question de la suffisance des motifs est une question d’équité procédurale. Les questions relatives à l’équité procédurale sont des questions de droit qui sont sujettes à la norme de la décision correcte (Sweet c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 51, 332 N.R. 87 au paragraphe 16).

 

[19]           On peut dire que le défaut du Président de se prononcer tant sur la défense invoquée que sur la crédibilité du demandeur soulève des questions quant à l’équité procédurale. Comme l’a écrit la Cour d’appel fédérale dans Ayotte c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 429, 240 D.L.R. (4th) 471, au paragraphe 19 :

Le président du tribunal ne pouvait, sans compromettre l’équité procédurale et manquer à son obligation de tenir une audition complète, ignorer le véritable moyen de défense soulevé par l'appelant. …

 

[20]           En l’espèce, je crois que les erreurs commises par le Président sur la question de la défense et sur l’omission de se prononcer sur la crédibilité justifient l’intervention de la Cour.

 

Est-ce que les motifs de la décision sont suffisants?

[21]           Le demandeur prétend que la décision du Président est laconique et qu’il est impossible, sans spéculer, de savoir si le Président ne croit pas le demandeur et on ne peut pas savoir pourquoi le Président n’a pas accepté sa défense.

 

[22]           Je crois que les propos du juge Binnie dans R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869 peuvent nous aider. Il mentionne que le but des motifs sert à préserver et à favoriser un examen valable en appel de la justesse de la décision (paragraphe 25). Il écrit que « [l]e seuil est manifestement atteint lorsque (…) le tribunal d'appel s'estime incapable de déterminer si la décision est entachée d'une erreur » (paragraphe 28). Dans Ayotte, la Cour d’appel fédérale a reconnu aux personnes accusées d’infractions disciplinaires les mêmes garanties procédurales que dans le cadre d’un procès ordinaire pour ce qui est des moyens de défense, il en va de même quant à la suffisance des motifs.

   

[23]           Dans la cause ici, il est impossible de déterminer pour quelles raisons le demandeur était trouvé coupable. La seule chose qui est certaine c’est que l'offre de la fouille à nu n'a pas été jugée pertinente par le Président.

 

[24]           Dans la même veine, on ne peut pas savoir si le Président a rejeté la défense du demandeur tout simplement parce qu’il ne le croyait pas ou parce qu’il ne trouvait pas la défense plausible. Les mots suivants, sans autres explications ou détails n'est pas suffisant et nécessite l'intervention de la Cour :

J’ai réfléchi, monsieur, à votre défense. Et puis, malheureusement, je considère que ce n’est pas acceptable pour moi. (…) Moi, j’en viens à la conclusion, et puis ce, sans aucun doute raisonnable de votre culpabilité » (page 9, dossier du demandeur)  

 

[25]           La Cour reconnaît que lorsque des décisions orales sont rendues, il peut y avoir des phrases qui sont difficiles à comprendre. Mais, les parties doivent connaître les motifs véritables sur lesquels s'est basé le décideur pour en arriver à sa conclusion. Malheureusement, tel n'est pas le cas ici. Lorsqu'il faut spéculer ou imaginer sur quels éléments de preuve la conclusion est tirée, ceci constitue au sens de la Cour une décision qui n'est pas motivée.

 

[26]           Les parties ont laissé à la discrétion de la Cour l'octroi des dépens en fonction d'une somme globale.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Le dossier est retourné pourrait être adjugé à nouveau devant un autre Président. Le défendeur devra payer à titre de frais sous forme de somme globale un montant de 1 000 $ en plus de la TPS.

 

« Michel Beaudry »

Juge


ANNEXE

 

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.R.C. 1992, ch. 20.

40. An inmate commits a disciplinary offence who

(…)

(l) fails or refuses to provide a urine sample when demanded pursuant to section 54 or 55;

 

43. (1) A charge of a disciplinary offence shall be dealt with in accordance with the prescribed procedure, including a hearing conducted in the prescribed manner.

 

(3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.

 

54. Subject to section 56 and subsection 57(1), a staff member may demand that an inmate submit to urinalysis

(…)

(b) as part of a prescribed random selection urinalysis program, conducted without individualized grounds on a periodic basis and in accordance with any Commissioner’s Directives that the regulations may provide for; or

40. Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui :

(…)

l) refuse ou omet de fournir l’échantillon d’urine qui peut être exigé au titre des articles 54 ou 55;

 

43. (1) L’accusation d’infraction disciplinaire est instruite conformément à la procédure réglementaire et doit notamment faire l’objet d’une audition conforme aux règlements.

 

(3) La personne chargée de l’audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l’infraction reprochée.

 

54. L’agent peut obliger un détenu à lui fournir un échantillon d’urine dans l’un ou l’autre des cas suivants :

(…)

b) il le fait dans le cadre d’un programme réglementaire de contrôle au hasard, effectué sans soupçon précis, périodiquement et, selon le cas, conformément aux directives réglementaires du commissaire;

 

Règlement concernant le système correctionnel, la mise en liberté sous condition et le maintien en incarcération DORS/92-620.

 

66. (1) A sample shall be collected in the following manner:

(a) a collector shall be of the same sex as the donor;

 

(b) the collector shall ensure that the donor washes the donor's hands before providing a sample;

 

(c) the collector shall provide the donor with a container for the sample and shall supervise as the donor provides the sample;

 

(d) the collector shall give the donor up to two hours to provide a sample, from the time of a demand;

 

(e) the collector shall ensure that the donor is kept separate from any other person except the collector and is supervised during the two hour period referred to in paragraph (d);

 

(f) once the sample has been provided, the collector shall, in the presence of the donor,

 

(i) seal the container with a pre-numbered seal,

(ii) affix a label identifying the sample in such a manner that the identity of the donor is not disclosed to the laboratory,

(iii) initial the label to certify that the container contains the sample provided by that donor,

(iv) request the donor to initial the label and to certify in writing that the sample in the container was provided by that person, and

(v) where the person is unable or refuses to comply with a request referred to in subparagraph (iv), initial the label in the place of the donor and certify in writing, in the presence of another person, that the person who provided the sample was unable or refused to comply with the request; and

 

(g) the collector shall maintain a record that indicates the number on the container that corresponds to the name of the donor.

 

(2) Where a person fails to provide a sample in accordance with subsection (1), the person shall be considered to have refused to provide the sample.

66. (1) La prise d'échantillon d'urine se fait de la manière suivante :

a) l'échantillonneur doit être du même sexe que la personne qui fournit l'échantillon d'urine;

 

b) il doit veiller à ce que la personne se lave les mains avant de fournir l'échantillon d'urine;

 

 

c) il doit remettre à la personne un contenant pour son échantillon d'urine et la surveiller pendant qu'elle s'exécute;

 

d) il doit accorder un délai de deux heures à la personne pour fournir l'échantillon d'urine à compter du moment de sa demande;

 

e) il doit veiller à ce que la personne soit gardée à l'écart de toute autre personne que lui-même et reste sous surveillance pendant le délai de deux heures prévu à l'alinéa d);

 

f) lorsque la personne lui remet l'échantillon d'urine, il doit, devant elle :

 

(i) sceller le contenant avec un sceau préalablement numéroté,

(ii) apposer sur le contenant une étiquette désignant l'échantillon de manière que l'identité de la personne ne soit pas révélée au laboratoire,

(iii) parafer l'étiquette pour attester que le contenant contient l'échantillon d'urine fourni par cette personne,

(iv) demander à la personne de parafer l'étiquette et d'attester par écrit que l'échantillon d'urine dans le contenant provient d'elle,

(v) si la personne est incapable ou refuse de se conformer à la demande visée au sous-alinéa (iv), parafer à sa place l'étiquette et attester par écrit, en présence d'un témoin, que la personne est incapable ou refuse de se conformer à cette demande;

 

g) il doit garder un registre indiquant le numéro de contenant et le nom qui y correspond.

 

(2) Le défaut de fournir un échantillon d'urine conformément au paragraphe (1) est réputé être un refus de le fournir.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      T-1117-09

 

INTITULÉ :                                       MARIO CYR c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 19 janvier 2010

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 28 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Royer                                                                POUR LE DEMANDEUR

 

Nicolas R. Banks                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel Royer                                                                POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                              

 

 

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