Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20100129

Dossier : T-1457-08

Référence : 2010 CF 104

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

FRIENDS OF THE CANADIAN WHEAT BOARD,

HAROLD BELL, PAUL BEINGESSNER, ART HADLAND,

ART MACKLIN, KEN ESHPETER, LYNN JACOBSON,

TERRY BOEHM, LYLE SIMONSON, STEWART WELLS,

KEITH RYAN, WILF HARDER,

ET LAURENCE NICHOLSON

demandeurs

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LE MINISTRE DE L’AGRICULTURE ET DE L’AGROALIMENTAIRE,

EN SA QUALITÉ DE MINISTRE RESPONSABLE

DE LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ,

MEYERS, NORRIS, PENNY LLP ET

LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, de certaines instructions administratives (la décision), en date du 23 juillet 2008, données par le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (le ministre) à la Commission canadienne du blé (CCB), visant à changer la façon de préparer la liste des électeurs pour l’élection des administrateurs de la CCB.

 

CONTEXTE

 

[2]               La question en litige en l’espèce porte sur la validité de la décision du ministre concernant la préparation de la liste des électeurs pour l’élection de 2008 des administrateurs de la CCB.

 

[3]               Selon les défendeurs, la décision du ministre figurant dans sa lettre du 23 juillet 2008 adressée à la CCB portait sur [traduction] « la promotion de la reconnaissance de l’admissibilité des électeurs, la façon de préparer la liste initiale des électeurs et les modalités par lesquelles les électeurs admissibles pouvaient faire ajouter leurs noms à la liste initiale ». Les demandeurs, toutefois, considèrent la lettre du ministre comme [traduction] « des instructions données à la CCB visant certaines formalités à remplir pour retirer les noms des électeurs antérieurement admissibles à l’inscription automatique sur la liste des électeurs et les inscrire sur une liste distincte ».

 

[4]               Les demandeurs soutiennent que le ministre a outrepassé sa compétence lorsqu’il a ordonné de tels changements et que la décision contrevient au Règlement sur l’élection des administrateurs de la Commission canadienne du blé, DORS/98-414 (le Règlement). De plus, ils soutiennent que la décision du ministre a été prise de mauvaise foi.

DÉCISION CONTESTÉE

 

[5]               Le ministre attribue son pouvoir de prendre la décision aux dispositions de l’article 3.07 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C.1985, ch. C-24 (la Loi). Il souligne que les mesures administratives qui font l’objet de sa décision sont jugées [traduction]  « indiquées relativement à l’organisation de l’élection [de 2008 des administrateurs] et à la surveillance de son déroulement ».

 

[6]               Le ministre a fait remarquer qu’il existe des producteurs ayant le droit de vote, mais qui n’ont pas connaissance de leur admissibilité au vote. Pour régler cette question, il a ordonné que le coordinateur d’élection rende publics les critères d’admissibilité au vote.

 

[7]               Le ministre craignait également que le processus de déclaration solennelle concernant l’inscription d’un producteur sur la liste des électeurs n’exige [traduction] « beaucoup d’argent et de temps ». Le ministre indiquait comme solution que le coordinateur d’élection [traduction] « mette au point un formulaire d’inscription qui sera mis à la disposition des électeurs potentiels qui souhaiteraient être inscrits sur la liste des électeurs ». Pour être admissible au vote, suivant l’article 8 du Règlement, l’électeur doit établir qu’il a droit d’être inscrit sur la liste des électeurs en fournissant l’un ou l’autre des trois documents suivants : a) le contrat d’assurance‑récolte du producteur pour l’année 2007‑2008; b) le numéro du contrat d’assurance‑récolte ainsi que l’autorisation de vérification de l’admissibilité au vote; c) les copies des accusés de réception pour les grains admissibles pour la saison de croissance 2007 ou 2008.

 

[8]               Le ministre a fait également part de ses doutes relativement au nombre de personnes figurant sur la liste des détenteurs de carnets de livraison et qui n’avaient fait aucune livraison à la CCB [traduction] « au cours des dernières années ». Il a souligné que [traduction] « bien que ces particuliers puissent détenir des carnets de livraison, ils n’ont pas établi clairement qu’ils étaient des producteurs admissibles au vote. Le ministre a donné les instructions suivantes :

[traduction] S’agissant de la liste de détenteurs de carnets de livraison à fournir au coordinateur d’élection, veuillez vous assurer que ladite liste consigne séparément les noms des producteurs qui n’ont pas fait de livraison à la CCB au cours des campagnes agricoles 2007-08 et 2008-09. Il ne faudrait pas inscrire automatiquement les noms des détenteurs de carnets de livraison en question sur la liste des électeurs. Leurs noms  devraient plutôt être inscrits selon les modalités concernant les producteurs qui ne détiennent pas de carnets de livraison.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[9]               Les questions en litige dans la présente demande peuvent se résumer comme suit :

1.                  Les demandeurs ont‑ils qualité pour présenter la demande devant la Cour?

2.                  Le ministre avait‑il le pouvoir de prendre la décision en cause?

3.                  La décision contrevient‑elle au Règlement?

4.                  Le ministre a‑t‑il pris la décision de mauvaise foi?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[10]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

 

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« arrêté » Tout arrêté pris par la Commission sous le régime de la présente loi; y sont assimilées les « instructions aux commerçants » qu’elle publie.

 

[…]

 

« producteur » Outre le producteur-exploitant, toute personne ayant droit, à titre de propriétaire, de vendeur ou de créancier hypothécaire, à tout ou partie des grains cultivés par celui-ci.

 

[…]

 

3.07 Sous réserve des règlements, la Commission

prend les mesures administratives que le ministre juge indiquées relativement à l’organisation de l’élection et à la surveillance de son déroulement, notamment :

 

a) l’embauchage du personnel administratif nécessaire à la tenue de l’élection et le versement de la rémunération et des indemnités que fixe le ministre;

 

 

 

b) le paiement des frais afférents à la tenue de l’élection qu’elle a engagés ou qui l’ont été en son nom, y compris les frais qu’elle a

autorisés quant à la préparation, l’impression et la diffusion de la documentation électorale destinée à faire connaître les candidats.

 

[…]

 

26(4) Les carnets de livraison ne sont délivrés qu’aux producteurs.

 

 

2. (1) In this Act, “actual producer” means a producer actually engaged in the production of grain;

 

 

 

 

 

 

 

“producer” includes, as well as an actual producer, any person entitled, as landlord, vendor or mortgagee, to the grain grown by an actual producer or to any share therein;

 

 

 

3.07 Subject to the regulations, the Corporation shall take any measures that the Minister may determine for the proper conduct and supervision of an election of directors, including

 

 

 

(a) employing the persons necessary to conduct or manage the election and the payment of any fees, costs, allowances and expenses of any person so employed, that the Minister may determine; and

 

(b) paying the costs of the election incurred by or on behalf of the Corporation, including the costs incurred in the preparation, printing and distribution of material providing information on candidates.

 

 

 

 

26(4) No permit book shall be issued to any person other than a producer.

 

 

[11]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent aussi en l’espèce :

 

6. (1) Sous réserve du paragraphe (2), tout producteur a le droit d’être inscrit sur la liste des électeurs pour la circonscription électorale dans laquelle il se livre à la production de grain.

 

 

(2) Le producteur qui se livre à la production de grain dans plus d’une circonscription électorale est inscrit sur une seule liste d’électeurs de son choix.

 

[…]

 

7. (1) Au plus tard soixante jours avant le dernier jour de la période d’élection, la Commission fournit au coordonnateur d’élection la liste des producteurs dont le nom figure dans un carnet de livraison à cette date ou y figurait au cours de la dernière campagne agricole.

 

(2) Au plus tard 30 jours avant le dernier jour de la période d’élection, le coordonnateur d’élection :

 

a) rend publique la liste des noms des électeurs de chaque circonscription électorale;

 

b) transmet à chaque candidat la liste des noms et adresses des électeurs de sa circonscription électorale.

 

8. Au plus tard 14 jours avant le dernier jour de la période d’élection, le producteur dont le nom n’est pas inscrit sur la liste des électeurs peut demander au coordonnateur d’élection d’y ajouter son nom, s’il établit qu’il a droit d’y être inscrit et fournit une preuve de son identité.

 

6. (1) Subject to subsection (2), every producer is entitled to be included in the voters list in respect of the electoral district in which they produce grain.

 

 

 

(2) A producer who produces grain in more than one electoral district may only be included in one voters list, which is chosen by the producer.

 

 

7. (1) Not later than 60 days before the last day of the election period, the Corporation shall provide the election coordinator with a list of producers who are named in a permit book on the day the list is sent or who were named in a permit book during the previous crop year.

 

(2) The election coordinator shall, not less than 30 days before the last day of the election period,

 

(a) make publicly available a list of the names of the voters in each electoral district; and

 

(b) send to each candidate a list of the names and addresses of the voters in the candidate’s electoral district.

 

8. Any producer whose name is not included on the voters list may, at least fourteen days before the last day of the election period, request the election coordinator to add the name of the producer to the voters list, if the producer provides proof of their identity and eligibility.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[12]           La question de savoir si un ministre a outrepassé sa compétence et a agi d’une manière ultra vires devrait être examinée selon la norme de la décision correcte. En fait, il s’agit d’une « véritable question de compétence ou de constitutionnalité ». Voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 59. La question de savoir si le ministre avait compétence de rendre la décision du 23 juillet 2008 sera donc examinée selon la norme de la décision correcte.

 

[13]           La question de savoir si décision du ministre contrevenait au Règlement est une question de droit. Suivant l’arrêt Dunsmuir, les questions de droit peuvent être examinées selon la norme de la raisonnabilité ou selon celle de la décision correcte, suivant les facteurs énumérés aux paragraphes 55 et 60. Ces facteurs comprennent l’existence (ou l’absence) d’une clause privative, le domaine d’expertise du décideur ainsi que la nature de la question de droit en litige.

 

[14]           La Loi ne prévoit aucune clause privative ordonnant à la Cour de faire preuve de retenue à l’égard de la décision du ministre. Ce facteur milite en faveur du contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte. En revanche, les instructions données par le ministre dans sa décision peuvent être considérées comme liées à son domaine d’expertise, ce qui milite en faveur du contrôle de la décision selon la norme de la raisonnabilité. Le facteur déterminant est donc de savoir s’il s’agit d’une question de droit d’une importance capitale pour le système juridique. Je crois que la capacité du ministre de donner des instructions relativement à l’organisation d’une élection et à la surveillance de son déroulement revêt en effet une importance capitale pour le système juridique. Par conséquent, la question de savoir si les instructions du ministre contrevenaient au Règlement sera examinée selon la norme de décision correcte.

 

[15]           Les demandeurs ont également allégué que la décision a été rendue de mauvaise foi. Il s’agit d’une question à examiner selon la norme de la raisonnabilité. Voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 51.

 

[16]           Dans l’examen d’une décision d’après la norme de la raisonnabilité, l’analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ARGUMENTS

            Les demandeurs

                        Qui a la qualité de producteur?

 

[17]           Les demandeurs affirment que la compétence accordée au ministre en vertu de l’article 3.07 de la Loi lui permet de donner des instructions à la CCB relativement à un nombre limité de questions. Ils soutiennent que, pour être valides en droit, les instructions données par le ministre doivent être conformes à l’esprit de la Loi et ne pas contrevenir au Règlement.

 

[18]           La définition du terme « producteur » prévue par la Loi ne vise pas des facteurs telle la livraison des grains à la CCB ou au marché hors CCB comme le fait le ministre. Selon le Règlement, la personne qui détient un carnet de livraison a plutôt la qualité de producteur. Par conséquent, le ministre n’est pas habilité à donner des instructions ayant pour effet de retirer les noms des détenteurs de carnets de livraison de la liste des électeurs.

 

[19]           Conformément au paragraphe 2(1) de la Loi, s’entend du « producteur », « outre le producteur-exploitant, toute personne ayant droit, à titre de propriétaire, de vendeur ou de créancier hypothécaire, à tout ou partie des grains cultivés par celui‑ci ». Le « producteur‑exploitant » est le producteur se livrant en fait à la production de grains. Les demandeurs se servent de ces définitions pour démontrer que la définition du terme « producteur » englobe clairement une catégorie plus large que celle constituée par les producteurs‑exploitants de grains.

 

[20]           De plus, bien que l’article 3.07 habilite le ministre à donner des instructions relativement à l’organisation de l’élection et à la surveillance de son déroulement, il ne confère pas à celui‑ci le pouvoir de restreindre le sens du terme « producteur » prévu par la Loi.

 

[21]           Les articles 6 et 7 du Règlement exigent que tous les producteurs soient inscrits sur la liste des électeurs. Il est donc essentiel d’établir qui a ou non la qualité de « producteur » au sens de la Loi. Il n’appartient pas au ministre de modifier cette définition ou l’exigence relative aux personnes qui ont ou non le droit d’être inscrites sur la liste des électeurs. La Loi ne prévoit aucun délai dans lequel un producteur doit produire des grains pour conserver son statut.

 

La portée du pouvoir du ministre

 

[22]           Les demandeurs soutiennent que les mesures que le ministre est autorisé à prendre en application de l’article 3.07 [traduction] « [ont] une nature quelque peu générale et font partie d’une catégorie distincte et facilement déterminable de questions de nature clairement administrative ». L’article 3.07 de la Loi prévoit ce qui suit :

3.07 Sous réserve des règlements, la Commission prend les mesures administratives que le ministre juge indiquées relativement à l’organisation de l’élection et à la surveillance de son déroulement, notamment :

 

a) l’embauchage du personnel administratif nécessaire à la tenue de l’élection et le versement de la rémunération et des indemnités que fixe le ministre;

 

 

 

b) le paiement des frais afférents à la tenue de l’élection qu’elle a engagés ou qui l’ont été en son nom, y compris les frais qu’elle a autorisés quant à la préparation, l’impression et la diffusion de la documentation électorale destinée à faire connaître les candidats.

3.07 Subject to the regulations, the Corporation shall take any measures that the Minister may determine for the proper conduct and supervision of an election of directors, including

 

 

 

(a) employing the persons necessary to conduct or manage the election and the payment of any fees, costs, allowances and expenses of any person so employed, that the Minister may determine; and

 

(b) paying the costs of the election incurred by or on behalf of the Corporation, including the costs incurred in the preparation, printing and distribution of material providing information on candidates.

 

Cette disposition législative doit être correctement interprétée afin de déterminer la portée du pouvoir du ministre. Bien que son pouvoir semble avoir une grande portée, comme le laisse entendre l’expression « les mesures administratives », celui‑ci est restreint à ce qu’il juge indiqué relativement « à l’organisation de l’élection et à la surveillance de son déroulement ». Par conséquent, toute question qui ne vise pas l’organisation de l’élection et la surveillance de son déroulement dépasse le pouvoir du ministre. Les demandeurs prétendent que le sens ordinaire de l’expression « l’organisation et la surveillance de son déroulement » indique que le législateur avait l’intention de limiter la portée des mesures administratives que le ministre pouvait prendre à ses instructions données à la CCB. Par conséquent, les mesures de fond dépassent la portée de son pouvoir.

 

[23]           Les demandeurs soutiennent que leur interprétation s’appuie sur les exemples de mesures relevant du pouvoir du ministre énoncés aux alinéas 3.07a) et b). En prévoyant expressément les exemples de mesures administratives que peut prendre le ministre, le législateur a limité son pouvoir aux mesures énoncées aux alinéas 3.07a) et b), ou à des mesures d’une nature semblable, en application du principe expressio unius est exclusio alterius, soit des mesures purement administratives ou procédurales. De plus, cette manière de limiter la portée du pouvoir du ministre est compatible avec l’économie de la Loi elle‑même, selon laquelle les questions de fond relativement à l’organisation des élections sont prévues par le Règlement ou par la Loi.

 

 

[24]           Dans R. c. Charles, 2005 SKCA 59, [2006] 1 W.W.R. 637, la Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu que le ministre du Revenu national a outrepassé son pouvoir lorsqu’il a donné des directives qui auraient changé les effets des dispositions règlementaires pertinentes. Les demandeurs croient que les circonstances de l’espèce sont semblables à celles de l’affaire Charles.

 

La liste des électeurs

 

[25]           Le paragraphe 7(1) du Règlement exige que la CCB fournisse au coordonnateur d’élection la liste des producteurs dont le nom figure dans un carnet de livraison à cette date ou y figurait au cours de la dernière campagne agricole. Le coordonnateur d’élection est tenu de rendre publique la liste des noms des électeurs. Les demandeurs soutiennent que, dans le contexte du Règlement et de la Loi, il est clair que la liste des électeurs doit comprendre les producteurs dont le nom figure dans un carnet de livraison à la date où la liste est trnasmise ou y figurait au cours de la dernière campagne agricole.

 

[26]           Toute définition de ce que constitue la liste des électeurs en vertu du Règlement doit être conforme à la définition prévue par la Loi. Cette dernière réglemente qui a droit à la délivrance d’un carnet de livraison. Vu que le paragraphe 26(4) de la Loi prévoit que les carnets de livraison ne sont délivrés qu’aux producteurs, il s’ensuit que le titulaire d’un carnet de livraison doit être un producteur au sens de la Loi. Les demandeurs soutiennent que la Loi et le Règlement fournissent une garantie circonstancielle selon laquelle une liste de titulaires de carnets de livraison est une liste de producteurs, et que toute dérogation devrait faire l’objet d’une modification de la Loi ou du Règlement.

 

[27]           L’interprétation logique de l’article 7 du Règlement est que la liste initiale des électeurs est la liste des producteurs qui ont droit à la délivrance d’un carnet de livraison et qui ont donc droit à la conservation de leur inscription sur la liste électorale et à la réception d’un bulletin de vote. La tentative du ministre de faire retirer certains noms de la liste des électeurs contrevient au Règlement et dépasse la portée de son pouvoir.

 

Le but illégitime

 

[28]            Les pouvoirs conférés par la loi, même licites, ne sont pas entièrement à l’abri de contrôle judiciaire. Les demandeurs font valoir que de telles décisions sont susceptibles de contrôle dans [traduction] « les cas flagrants ». Bien que les demandeurs reconnaissent qu’il s’agit d’un critère exigeant à remplir, ils soutiennent que ce critère est rempli eu égard aux faits en l’espèce.

 

[29]           Le contrôle judiciaire en l’espèce découle de l’exercice ultra vires du pouvoir ministériel lequel − contrairement à la majorité des lois, des règlements ou des directives − n’a pas été rendu public. La décision a entraîné la privation du droit de vote d’un grand nombre de producteurs qui, en effet, ont été privés d’un droit accordé par le législateur.

 

Les défendeurs

 

[30]           Les défendeurs soutiennent qu’aucun des demandeurs n’a qualité pour présenter la demande et qu’elle devait être rejetée sommairement.

 

[31]           Le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire est donné à quiconque est directement touché par l’objet de la demande. Pour qu’une partie soit directement touchée, [traduction] « la décision contestée doit directement toucher les droits de la partie, lui imposer des obligations juridiques ou lui causer directement préjudice ». Voir League for Human Rights of B’nai Brith Canada c. Canada, 2008 CF 732, 334 F.T.R. 63, au paragraphe 24 (B’nai Brith).

 

[32]           Tous les demandeurs, à une seule exception, avaient fait des livraisons à la CCB à l’intérieur du délai prévu dans la décision et leurs noms figuraient dans un carnet de livraison. Par conséquent, ces personnes étaient inscrites sur la liste des électeurs et la décision du ministre ne leur causait pas préjudice. L’autre demandeur, M. Ryan, se trouvait dans la même situation que tout autre électeur potentiel dont le nom n’était pas inscrit sur la liste initiale des électeurs. Par conséquent, il aurait pu présenter une preuve de sa qualité de producteur, conformément au processus mis en place par le coordonnateur d’élection, pour acquérir le droit de vote.

 

[33]           Il ressort de la preuve présentée à la Cour que nul producteur ou nul électeur admissible n’a qualité pour présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre en raison de l’absence d’élément qui porterait atteinte à ses droits.

 

[34]           Les demandeurs ont demandé en 2008 le sursis de la décision du ministre, mais le juge O’Reilly a rejeté leur demande, concluant qu’ [traduction] « au regard de la présente élection, les règles sont essentiellement les mêmes qu’en 2006. Les demandeurs n’ont produit aucune preuve établissant que quiconque aurait été privé en 2006 de son droit de vote ou de tout autre droit que ce soit ». Friends of the Canadian Wheat Board c. Procureur général du Canada (24 octobre 2008), T-1457-08 (CF) (FCWB c. PG). Comme l’a déjà dit le juge O’Reilly, il n’y a rien dans la décision du ministre qui puisse priver un électeur admissible de son droit de vote.

 

[35]           La seule entité qui a été touchée directement par la décision du ministre était la CCB. Toutefois, la CCB n’a pas contesté elle‑même la décision du ministre.

 

La validité

 

[36]           Pour déterminer si le ministre avait le pouvoir de rendre la décision en cause, il faut effectuer une analyse en deux étapes. La première étape consiste à examiner la portée et l’objet du pouvoir conféré par la loi, et la deuxième, à examiner la décision pour déterminer si elle s’inscrit dans les limites fixées par la loi habilitante. Voir Canada (Canadian Wheat Board) c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 214, 392 N.R. 149, au paragraphe 46.

 

[37]           La portée de l’article 3.07 de la Loi est large et permet au ministre de prendre « les mesures administratives » qu’il juge indiquées relativement à l’organisation de l’élection et à la surveillance de son déroulement. Les défendeurs conviennent avec les demandeurs que les instructions du ministre doivent se limiter aux mesures de nature administrative. Toutefois, à condition que nulle instruction ne contrevienne au Règlement, le ministre peut exercer un pouvoir discrétionnaire considérable relativement aux questions de nature administrative et procédurale ayant pour objet l’organisation de l’élection des administrateurs et la surveillance de son déroulement.

 

[38]           La décision du ministre est visée par l’article 3.07 de la Loi et a simplement pour objet d’informer la CCB des mesures de nature administrative et procédurale à appliquer à l’égard de l’organisation de l’élection des administrateurs et de la surveillance de son déroulement.

 

[39]           De plus, les demandeurs ont erronément allégué que le principe d’interprétation législative expressio unius est exclusio alterius s’applique en l’espèce. Bien que ce principe s’applique aux cas où une loi prévoit des exceptions précises, il ne s’applique pas à la disposition législative en cause qui prévoit plutôt la prise de « mesures administratives » et énumère quelques exemples précis. Voir Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. (LexisNexis, 2008), aux pages 243 à 252.

 

But illégitime

 

[40]           Selon la lettre adressée à la CCB, le but de la décision du ministre est clairement de donner des instructions relativement à l’organisation de l’élection de 2008 des administrateurs de la CCB. L’allégation des demandeurs selon laquelle la décision avait pour but de priver de droit de vote un certain groupe d’électeurs admissibles ne correspond pas au contenu de l’ensemble de la décision. De plus, une telle interprétation de la décision ne tient pas compte du fait qu’elle n’a eu aucune incidence sur le droit de vote de tout électeur potentiel.

 

Règlement

 

[41]           L’allégation des demandeurs selon laquelle la décision du ministre est incompatible avec le Règlement repose sur l’hypothèse erronée voulant que l’inscription du nom d’une personne sur un carnet de livraison soit une preuve concluante de sa qualité de producteur. Bien que le carnet de livraison donne à son détenteur le droit d’entreprendre une activité particulière, il ne garantit pas que celui‑ci va effectivement agir en ce sens.

 

[42]           Une question semblable a été examinée dans Re : Lanser (2008), 60 Alta. L.R. (2d) 257, 90 A.R. 218, où il a été conclu qu’un agriculteur en faillite qui a) avait quitté son exploitation agricole pour s’installer en ville, b) vendu ses machines agricoles et c) vendu son terrain, n’était pas effectivement engagé dans des activités liées à la production de grains, malgré le fait qu’il avait gardé son carnet de livraison.

 

ANALYSE

            Intitulé

 

[43]           L’avocat des demandeurs a informé la Cour que M. Paul Beingessner est décédé depuis l’introduction de la présente demande et qu’une demande a été présentée pour que son nom soit retiré de l’intitulé. Vu qu’aucune objection n’a été formulée à cet égard, la Cour convient que l’intitulé soit modifié pour retirer le nom de M. Beingessner.

 

Qualité pour agir

 

[44]           Il y a deux moyens par lesquels un demandeur peut établir sa qualité pour agir dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. En vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par « quiconque est directement touché par l’objet de la demande ». Toutefois, il a été établi que les termes de cette disposition législative sont suffisamment larges pour englober les demandeurs qui ne sont pas directement touchés si toutefois ils ont qualité pour agir dans l’intérêt public. Voir Canada (Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada) c. Canada (Procureur général), [2006] 1 R.C.F. 53.

 

[45]           En l’espèce, les demandeurs ont intenté leur recours en leur qualité personnelle, bien qu’ils aient soulevé à l’audience des arguments qui laissaient entendre l’existence d’un élément important lié à l’intérêt public dans la présente demande. Toutefois, aucune démarche formelle n’a été effectuée pour obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public, et la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve qui permettrait de croire que les demandeurs répondraient aux critères relativement à la qualité pour agir dans l’intérêt public. Voir Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236.

 

[46]           Dans les circonstances, lors de l’audition de la présente demande, les demandeurs ont invoqué leur qualité personnelle pour agir, même s’ils ont précisé qu’un intérêt plus général, d’ordre public, était en jeu.

 

[47]           Cela signifie que mon évaluation de la qualité pour agir doit se limiter à la qualité personnelle au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[48]           Comme l’a souligné récemment la juge Dawson dans B’Nai Brith, au paragraphe 24, [traduction] « pour pouvoir considérer qu’une partie est “directement touchée”, la décision contestée doit toucher directement les droits de la partie, lui imposer des obligations juridiques ou lui causer directement préjudice ».

 

[49]           La preuve dont je dispose n’établit pas que les demandeurs ont été ou pourraient être directement touchés par la décision selon les exigences de la jurisprudence de notre Cour concernant la qualité personnelle pour agir. En fait, la preuve indique le contraire. Rien ne démontre que le droit des demandeurs de voter à l’élection de 2008 des administrateurs a été touché. À l’exception de M. Ryan, les demandeurs étaient tous inscrits sur la liste initiale des électeurs. En ce qui concerne M. Ryan, il n’était peut‑être pas inscrit sur la liste initiale des électeurs, mais son droit de vote n’a pas été touché et il peut même avoir voté. Tout ce qu’on peut dire c’est que M. Ryan aurait pu être obligé de suivre la procédure énoncée dans la décision pour faire inscrire son nom sur la liste des électeurs. Ce changement de procédure n’a pas touché son droit fondamental de voter, en présumant qu’il était un producteur admissible.

 

[50]           Comme l’a souligné le juge O’Reilly lorsqu’il a instruit la requête interlocutoire dans le cadre de la présente demande, [traduction] « les demandeurs n’ont produit aucune preuve établissant que quiconque aurait été privé en 2006 de son droit de vote ou qu’on a autrement porté atteinte à leurs droits. Voir FCWB c. PG, précitée. Rien n’a changé à cet égard dans l’instance dont je suis saisi.

 

[51]           Quoi qu’il en soit, lors de l’audience relative à la présente affaire tenue devant moi, il était évident que l’objectif des demandeurs était de contester la décision parce qu’elle avait, selon eux, un effet préjudiciable sur le processus démocratique d’élection des administrateurs de la CCB et qu’ils croyaient que le ministre avait agi pour un motif inavoué. Le juge O’Reilly a examiné également cette question lors des procédures interlocutoires, à la page 5 de sa décision :

[traduction] Les demandeurs croient également que le ministre a l’intention de se rapprocher d’un système qui permette aux producteurs de grains d’avoir un choix plus large quant au mode de commercialisation. Les demandeurs laissent entendre que le ministre souhaiterait que des administrateurs favorables à sa position soient élus cet automne et qu’ils commencent à diriger la Commission en ce sens. Là encore, il s’agit d’une hypothèse et non d’une preuve de préjudice irréparable.

 

[52]           Il me semble que le véritable objet de la présente demande n’a rien à voir avec la façon dont la décision a directement touché les droits des demandeurs. Ceux‑ci veulent s’assurer que le ministre ne change pas la procédure relative à la préparation de la liste des électeurs pour l’élection des administrateurs de la CCB d’une manière qui pourrait entraîner des changements dans la façon dont la CCB fait des affaires ou la façon dont les grains sont mis en marché au Canada. Toutefois, on ne m’a présenté aucune preuve permettant d’établir un lien entre ces craintes hypothétiques et la décision du ministre et, même si cela était le cas, toute incidence sur les demandeurs resterait extrêmement faible. Les demandeurs affirment qu’ils veulent s’assurer que les élections des administrateurs de la CCB se déroulent de façon démocratique. Il s’agit d’une préoccupation d’ordre public et politique et non d’une preuve, selon la jurisprudence actuelle de notre Cour, que les demandeurs sont directement touchés. La présente demande est présentée dans le cadre d’un débat politique par des demandeurs dont les droits personnels n’ont pas été touchés et qui n’ont démontré l’existence ni d’un préjudice subi ni d’une obligation juridique qui leur est imposée à la suite de la décision. 

 

[53]           Comme le soulignent les défendeurs, la seule entité touchée par la décision du ministre est la CCB, qui n’a pas contesté cette décision et qui s’y est apparemment conformée du fait que les instructions qu’elle contient sont légales.

 

[54]           Dans les circonstances, je me peux pas convenir que les demandeurs ont qualité personnelle, au sens de la jurisprudence de notre Cour, pour présenter cette demande. La demande devrait être rejetée pour ce seul motif. Toutefois, dans l’éventualité où il s’avérerait que je me trompe quant à la question de la qualité pour agir, j’examinerai également le bien‑fondé de la demande.

 

Bien‑fondé

 

[55]           Les mesures énoncées dans la lettre du ministre du 23 juillet 2008 traitent d’un certain nombre de questions ayant trait à : 1) la conscience par les producteurs des critères d’admissibilité des électeurs relativement aux élections des administrateurs de la CCB; 2) la difficulté qu’éprouvent les personnes qui ne détiennent pas de carnets de livraison à faire inscrire leurs noms sur la liste des électeurs; 3) l’intégrité même de la liste des électeurs.

 

[56]           Les questions soulevées en l’espèce se rapportent aux mesures mises en oeuvre par le ministre concernant l’intégrité de la liste des électeurs :

[traduction]

3.         Intégrité de la liste des électeurs  

 

Enfin, je suis préoccupé par le nombre de personnes figurant sur la liste de détenteurs de carnets de livraison et qui n’ont fait aucune livraison à la CCB au cours des dernières années. Bien que ces personnes puissent détenir des carnets de livraison, elles n’ont pas établi clairement leur qualité de producteurs admissibles au vote. Par conséquent, s’agissant de la liste de détenteurs de carnets de livraison à fournir au coordinateur d’élection, veuillez vous assurer que ladite liste consigne séparément les noms des producteurs qui n’ont pas fait de livraison à la CCB au cours des campagnes agricoles 2007-08 et 2008-09. Il ne faudrait pas inscrire automatiquement les noms des détenteurs de carnets de livraison en question sur la liste des électeurs. Leurs noms devraient plutôt être inscrits selon les modalités concernant les producteurs qui ne détiennent pas de carnets de livraison.

 

 

[57]           Certes, ces mesures n’ont pas d’incidence sur le droit de vote dont jouissent « les producteurs » en vertu de la Loi ou du Règlement. Elles ont comme effet de faire retirer le nom de certains détenteurs de carnets de livraison de la liste initiale des électeurs préparée sous le régime de l’article 7 du Règlement. Ces producteurs qui n’ont pas fait de livraison à la CCB au cours de la période pertinente seront visés par l’article 8 du Règlement et devront faire une demande pour faire ajouter leur nom sur la liste des électeurs en fournissant une preuve de leur identité et en établissant qu’ils ont droit d’y être inscrits. Ils seront dans la même position que les producteurs qui ne détiennent pas de carnets de livraison. La décision n’a pas d’incidence sur le droit de vote, mais sur la manière de préparer la liste des électeurs.

 

[58]           Les préoccupations du ministre découlent du fait que certains détenteurs de carnets de livraison pourraient ne pas avoir la qualité de producteurs admissibles au sens de la Loi. Afin de dissiper la crainte que des détenteurs de carnets de livraison qui n’ont pas la qualité de producteurs ne soient admissibles au vote, le ministre a ordonné que seuls les détenteurs de carnets de livraison ayant effectivement fait des livraisons à la CCB au cours de la période pertinente soient inscrits sur la liste initiale des électeurs préparée sous le régime de l’article 7 du Règlement. Les producteurs qui n’ont pas fait de livraison au cours de la période pertinente devront faire une demande pour que leur nom soit ajouté sur la liste, tout comme les producteurs qui ne détiennent pas de carnets de livraison.

 

[59]           Les demandeurs s’opposent à ce changement apporté au système utilisé pour établir la liste globale des électeurs, parce que cela signifie que le nom des détenteurs de carnets de livraison qui ne font pas de livraison à la CCB au cours de la période pertinente ne sera pas inscrit sur la liste initiale des producteurs établie sous le régime de l’article 7 du Règlement; ces personnes devront à présent faire une demande pour que leur nom soit inscrit sur la liste des électeurs. En d’autres termes, les demandeurs disent que les détenteurs de carnets de livraison devraient être considérés automatiquement comme des producteurs admissibles au vote. En fait, ils disent que l’article 26 de la Loi donne force de loi à cette pratique :

26. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, tout producteur peut demander à la Commission la délivrance d’un carnet de livraison l’autorisant à livrer du grain produit sur les terres de son exploitation agricole.

 

(2) Le producteur-exploitant du grain cultivé sur les terres mentionnées au carnet de livraison a un droit prioritaire à la possession de celui-ci, mais il est tenu, sur demande, de le mettre à la disposition de tout autre producteur ayant droit de livrer du grain au titre du carnet.

 

 (3) Il n’est délivré qu’un seul carnet de livraison pour toutes les terres d’une même exploitation agricole ou de plusieurs exploitations agricoles mises en valeur comme une seule unité.

 

 (4) Les carnets de livraison ne sont délivrés qu’aux producteurs.

 

26. (1) Subject to this Act, a producer may require the Corporation to issue a permit book authorizing delivery of grain produced on the land comprising the farm of the producer.

 

 

(2) The actual producer of grain on any land has the prior right to possession of the permit book in which the land is described but shall make the permit book available to any other producer entitled to deliver grain thereunder on the request of that producer.

 

 

 (3) Not more than one permit book shall be issued in respect of land comprising any farm or group of farms operated as a unit.

 

 

 

 (4) No permit book shall be issued to any person other than a producer.

 

 

[60]           Conformément au paragraphe 2(1) de la Loi, s’entend du « producteur », « outre le producteur-exploitant, toute personne ayant droit, à titre de propriétaire, de vendeur ou de créancier hypothécaire, à tout ou partie des grains cultivés par celui‑ci ».  Cette définition nous ramène à la définition du « producteur‑exploitant » qui est le « producteur se livrant en fait à la production de grains ». Le producteur est donc la personne qui se livre à la production (mais pas forcément à la livraison) de grains, ou toute personne ayant droit, à titre de propriétaire, de vendeur ou de créancier hypothécaire, aux grains cultivés par le producteur‑exploitant. Le producteur‑exploitant est donc une personne qui cultive des grains.

 

[61]           Sous le régime du système antérieur à l’année 2006, le nom d’une personne qui a la qualité de producteur ayant un carnet de livraison et qui ne fait pas de livraison de grains à la  CCB est automatiquement inscrit sur la liste préparée sous le régime du paragraphe 7(1) du Règlement. Selon le nouveau système, le même producteur n’est pas tenu de faire des livraisons à la CCB au cours de la période pertinente, mais faute de livraison, son nom ne sera pas inscrit automatiquement sur la liste des électeurs en application de l’article 7, et il devra faire une demande en ce sens. Son admissibilité au vote n’a pas changé; ce qui a changé, c’est la manière de préparer la liste des électeurs ainsi que les mesures additionnelles que devra prendre le détenteur de carnet de livraison qui ne fait pas de livraison pour faire inscrire son nom sur la liste des électeurs.

 

[62]           Selon l’ancien système, si une personne détient un carnet de livraison mais n’a pas la qualité de producteur, son nom est automatiquement inscrit sur la liste des électeurs et elle peut voter même si elle n’est pas admissible au vote selon la loi applicable. Selon le nouveau système, cette personne ne peut pas voter parce qu’elle n’est pas en mesure d’établir son admissibilité au vote si elle fait une demande pour faire inscrire son nom sur la liste des électeurs.

 

[63]           Selon l’ancien système, le problème était qu’une personne qui n’avait pas la qualité de producteur pouvait voter. Selon le nouveau système, cette même personne est écartée parce que, faute de livraison à la CCB, elle doit établir sa qualité de producteur au sens de la Loi.

 

[64]           Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les demandeurs s’opposent à ce changement. Premièrement, ils disent que la définition de « producteur » de la Loi ne prévoit aucun délai. Il se peut qu’une personne ne cultive pas de grains une année donnée, et elle ne devrait certainement pas être privée du droit de vote à l’élection des administrateurs de l’année pertinente au cours de laquelle elle n’a pas fait de livraison, et son nom ne devrait pas être retiré de la liste initiale des électeurs préparée sous le régime de l’article 7 du Règlement.

 

[65]           Il me semble que les personnes qui obtiennent un carnet de livraison mais qui ne se livrent pas à la production de grains au cours de la période pertinente n’ont pas la qualité de producteur. Cette conclusion découle de la définition du « producteur‑exploitant », qui est le « producteur se livrant en fait à la production de grains ». La personne qui s’est livrée à la production de grains dans le passé, ou qui pourrait se livrer à la production de grains à l’avenir, ne se livre pas « en fait à la production de grains ». Si ce n’était pas le cas, il n’y aurait pas de limite quant à la période au cours de laquelle un détenteur de carnet de livraison pourrait ne pas produire de grains tout en continuant d’être admissible à voter.

 

[66]           L’autre raison pour laquelle la période pertinente, à mon avis, doit être déterminante quant à la question de savoir qui a la qualité de producteur au sens de la Loi et du Règlement est qu’en vertu de l’article 26 de la Loi, seul un producteur peut demander à la CCB la délivrance d’un carnet de livraison l’autorisant à livrer du grain produit, et qu’en vertu du paragraphe 26(4), les carnets de livraison ne sont délivrés qu’aux producteurs.

 

[67]           Les demandeurs cherchent à invoquer cette disposition à l’appui de leur allégation selon laquelle tout détenteur de carnet de livraison a la qualité de producteur. Cependant, a qualité de producteur toute personne se livrant en fait à la production de grains ou toute personne ayant droit aux grains cultivés par un producteur‑exploitant. La possession d’un carnet de livraison, ne garantit pas, en soi, que le détenteur se livre en fait à la production de grains au cours de la période pertinente. En fait, il s’agit de la situation même que la décision du ministre est censée corriger.

 

[68]           L’article 7 du Règlement établit également qu’un détenteur de carnet de livraison n’est pas nécessairement un producteur. Le paragraphe 7(1) du Règlement exige à la Commission de fournir la liste « des producteurs dont le nom figure dans un carnet de livraison ». Cette disposition ne prévoit pas que la Commission peut se contenter de fournir la liste des détenteurs de carnets de livraison. La liste doit comprendre les personnes a) dont le nom figure dans un carnet de livraison et b) qui ont la qualité de producteurs. Et c’est là que le trouve le problème que la décision du ministre tente de corriger : Comment la CCB peut‑elle savoir qu’une personne dont le nom figure dans un carnet de livraison a également la qualité de producteur au sens de la Loi? Un moyen consiste à restreindre la liste initiale sous le régime du paragraphe 7(1) aux personnes qui font la livraison à la CCB, et de laisser les autres personnes établir leur admissibilité d’autres façons, conformément à l’article 8.

 

[69]           À mon avis, la décision du ministre tente de faire en sorte que seuls les producteurs soient inscrits sur la liste des électeurs et votent pour les administrateurs. C’est précisément ce qui doit se produire selon la Loi. Il est énoncé au paragraphe 3.02(1) que « dix administrateurs sont élus par les producteurs en conformité avec les articles 3.06 à 3.08 et à leurs règlements d’application ». Par conséquent, il me semble que la décision du ministre est conforme à la Loi ainsi qu’au Règlement. Une mesure qui vise à garantir l’intégrité de la liste des électeurs est une mesure indiquée relativement à l’organisation de l’élection et à la surveillance de son déroulement, au sens de l’article 3.07.  

 

[70]           Les demandeurs soutiennent qu’une telle mesure a entraîné et entraînera une suppression excessive de noms d’électeurs, vu qu’il est peu probable que les producteurs dont le nom ne figure pas sur la liste initiale préparée sous le régime de l’article 7 du Règlement prennent la peine de demander d’y être inscrits en tant qu’électeurs.

 

[71]           Aux initiatives du ministre visant à garantir l’intégrité de la liste des électeurs se sont ajoutées des mesures de sensibilisation destinées à faire en sorte que tous les intéressés comprennent la nouvelle approche quant à la préparation de la liste, et qu’aucun producteur souhaitant voter ne soit omis de la liste. Il a pu y avoir une certaine confusion et opposition au début, parce que les producteurs avaient l’habitude de l’ancien système. Cependant, le droit de vote de tout producteur qui souhaite voter est garanti. Les mesures visant à garantir l’intégrité de la liste des électeurs ne limitent pas les droits des producteurs. Si les producteurs qui ne font pas de livraisons choisissent de ne pas faire inscrire leur nom sur la liste, ils ont la liberté de le faire. Il était peut‑être plus facile dans le passé, lorsque les détenteurs de carnets de livraison recevaient simplement un bulletin de vote, mais cette méthode ne garantissait pas l’intégrité du système ni ne permettait à la Commission de s’assurer que seuls les producteurs votaient. On ne peut pas reprocher au ministre d’avoir dit que l’intégrité doit l’emporter sur la simple commodité, et on m’a présenté peu d’éléments qui établissent que la suppression de noms sur la liste des électeurs posera un problème constant dans le cadre de la nouvelle méthode de préparation de la liste des électeurs.  

 

[72]           Les demandeurs ont également fait valoir que la décision du ministre constitue un moyen détourné de faire élire au conseil de la CCB des administrateurs favorables aux nouvelles méthodes de mise en marché du grain. Comme dans l’affaire dont le juge O’Reilly a été saisi lorsqu’il a instruit la requête interlocutoire, aucun élément de preuve n’a été présenté en l’espèce quant aux moyens détournés ou à la mauvaise foi de la part du ministre. Les craintes des demandeurs sont hypothétiques. La décision, prise dans son ensemble, comprend des mesures visant à faire en sorte que toute personne intéressée comprend les critères relatifs à l’admissibilité au vote, les raisons de la nouvelle approche ainsi que la rationalisation du processus aux termes duquel les producteurs et les détenteurs de carnets de livraison dont le nom ne figure pas sur la liste initiale préparée sous le régime de l’article 7 du Règlement ont toute la latitude voulue pour s’inscrire comme électeurs en vertu de l’article 8. Nul ne perd le droit de voter. Il suffit que les producteurs qui n’ont pas livré de grains au cours de la période pertinente et qui veulent participer aux élections s’assurent de fournir les renseignements nécessaires à l’inscription sur la liste des électeurs. Si ces mesures prêtent à confusion ou si elles donnent lieu à une iniquité, le ministre fera probablement en sorte de corriger la situation pour que l’intégrité du système soit maintenue.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  L’intitulé est modifié par le retrait de M. Paul Beingessner en tant que demandeur.

2.                  La demande est rejetée.

3.                  Les défendeurs ont droit aux dépens de la présente demande.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-1457-08

 

INTITULÉ :                                                   FRIENDS OF THE CANADIAN WHEAT BOARD et al. c .PGC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 20 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   Le 29 janvier 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Anders Bruun

 

POUR LES DEMANDEURS

Jeff Dodgson

Kenneth J. Muys

James McLandress

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Anders Bruun

239, rue Aubert

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

Jeff Dodgson

Ministère de la Justice

Winnipeg (Manitoba)

 

James McLandress

Winnipeg (Manitoba)

 

Kenneth Muys

Meyers, Norris, Penny s.r.l.

Winnipeg (Manitoba)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.