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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date :  20100129

Dossier :  T-681-09

Référence :  2010 CF 100

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

ENTRE :

TRANSPORT ST-LAMBERT,

une division de Transport TFI 2 S.E.C.

demanderesse

et

 

CHRISTIAN FILLION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision arbitrale rendue le 18 mars 2009 par Me François G. Fortier (l’arbitre), en vertu de l’article 242 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2 (le Code) suite au congédiement de Christian Fillion (le défendeur) par Transport St-Lambert (la demanderesse). Dans sa décision, l’arbitre déclare que le défendeur a été congédié injustement et ordonne sa réintégration avec pleine compensation salariale ainsi que le paiement des honoraires de son procureur.

 

Contexte factuel

[2]               Le défendeur se joint à la demanderesse à titre de chauffeur de camions remorque en 1994 et effectue des voyages de transport au Canada et aux États-Unis. En juillet 2006, lors d’un voyage, il est témoin d’un accident routier entre Détroit et Chicago où trois personnes décèdent. Il est grandement affecté par cet accident, n’ayant pas suivi de cours de secourisme, il n’a pas pu porter secours aux victimes.  

 

[3]               En novembre 2006, il souffre d’insomnie, d’anxiété et de maux de ventre. Son médecin traitant le met en arrêt de travail. Il retourne en janvier et y demeure jusqu’en avril 2007 lorsqu'un nouvel arrêt de travail est décrété.   

 

[4]               Durant ses absences, le défendeur reçoit des prestations d’invalidité de longue durée en vertu du régime d'invalidité que la demanderesse a souscrit auprès de la compagnie Great West (l’assureur). Le 10 septembre 2007, après avoir obtenu le résultat d'un examen médical indépendant, l’assureur avise le défendeur que l’évaluation n’a révélé aucune limitation et que les prestations cesseront immédiatement. Le 31 octobre 2007, suite aux appels et demandes de révision du défendeur, l’assureur avise les parties qu’elle maintient sa décision. La demanderesse envoie une lettre au défendeur l’enjoignant de se présenter au travail le 2 novembre.  

 

[5]               Il ne prend connaissance de la lettre que le 5 novembre 2007. Il appelle la directrice générale (opérations et ventes) de la demanderesse. Durant la conversation téléphonique, il appert que l'employeur a avisé le défendeur qu’il devait se présenter au travail le lendemain sinon il perdait son poste. Le défendeur dit ne pas se souvenir de cette partie de la conversation. Il ne se présente pas au travail et la demanderesse l’avise le 6 novembre 2007 qu’elle considère qu’il a abandonné volontairement son emploi. De ce fait, le 12 novembre 2007, le défendeur dépose une plainte de congédiement injustifié en vertu de la partie III du Code et l’inspecteur Simard est assigné au dossier.

 

[6]               Entre temps, le 8 novembre 2007, le défendeur dépose un nouveau rapport médical de son médecin traitant auprès de l’assureur. Le 30 novembre 2007, l’assureur avise la demanderesse du nouveau document et que l’analyse du dossier se poursuit.  

 

[7]               Dans le cadre du processus de conciliation, la demanderesse offre de réintégrer le défendeur dans son poste avec les mêmes conditions de travail, lorsqu’il aura terminé sa période d’invalidité. Le défendeur refuse cette offre au motif que les relations de travail seraient difficiles à son retour. La demanderesse offre alors un poste identique au sein d’une de ses filiales, mais le demandeur refuse encore cette offre. La demanderesse prétend que le défendeur a refusé ses offres car il voulait une compensation monétaire au lieu de retourner au travail. Le défendeur allègue qu’il a refusé la réintégration, car il était inapte. La communication des offres s’est faite par le biais de l’inspecteur,  les parties n'ayant pas communiqué directement entre  elles.

 

[8]               MmeVanessa Alberici, conseillère en ressources humaines auprès de la demanderesse qui a témoigné à l’audition a déposé devant l’arbitre les notes manuscrites qu’elle avait prises lors des discussions concernant les offres de réintégration du 14, 18 et 23 janvier 2008 avec l'inspecteur Simard (page 25, paragraphe 2, ainsi que la pièce P-7,  pages 48 et 49, dossier de la demanderesse). L'arbitre mentionne dans sa décision que « ces offres ont été refusées pour différentes raisons qui ont été plus ou moins expliquées à l'audience » (page 8 de la décision).

 

[9]               En ce qui a trait aux prestations d’invalidité, le 16 janvier 2008, l’assureur avise le défendeur que les prestations se poursuivront au-delà du 10 septembre 2007. Finalement, l’assureur verse les prestations pour la période du 11 septembre au 3 mars 2008.  

 

[10]           D'ailleurs, le défendeur est déclaré apte à retourner au travail  le 6 mars 2008, mais ne réintègrera jamais son poste auprès la demanderesse.

 

[11]           Devant l’impossibilité de régler la plainte, le 10 mars 2008, l’inspecteur avise le défendeur qu’il peut demander le renvoi à un arbitre en vertu du paragraphe 241(3) du Code. Suite à une audition tenue le 11 février 2009, l’arbitre rend sa décision le 18 mars de la même année. Cette décision fait l'objet du présent contrôle judiciaire. 

 

Décision contestée

[12]           L’arbitre commence en étayant les faits de la cause et précise qu'ils ne sont pas contestés. La Cour ne mentionnera que les faits les plus pertinents et importants. À cet effet, l’indication suivante de l’arbitre est importante, « ... il y  a eu offre de réintégration à St-Lambert et dans d’autres divisions de Transforce. Ces offres ont été refusées pour différentes raisons qui ont été plus ou moins bien expliquées à l’audience. » (dossier de la demanderesse, page 14).

 

[13]           Ensuite, il retient les faits suivants du témoignage du défendeur : ce dernier a travaillé à temps partiel pour un autre employeur entre juin et novembre 2008 mais a été mis à pied pour manque de travail; il ne travaillait pas lors de l’audition et connaissait des difficultés financières; il a fait des recherches d’emploi, mais sans succès; il n’a pas accepté l’offre de réintégration à la fin janvier parce qu’il était inapte et dit ne pas avoir voulu retourner à cause des relations de travail difficiles qui découleraient de son congédiement; il ne sait pas pourquoi on lui a offert une réintégration dans une autre filiale, mais il n’a pas accepté; il est prêt à réintégrer son emploi chez la demanderesse en gardant son ancienneté. En ce qui a trait à son recours devant l’arbitre, le défendeur cherche une compensation pour le salaire perdu depuis le 3 mars 2008, les intérêts et les honoraires de son avocat. Il croit avoir droit à un dédommagement, car il a dû se battre tant contre l’assureur que la demanderesse.  

 

[14]           Du témoignage de la représentante de la demanderesse, l’arbitre note qu’elle a été informée en janvier 2008 que de nouveaux documents médicaux avaient été fournis à l’assureur ce qui l’a amené à réviser sa décision. De plus, elle ne se souvient pas d’avoir été informée que le défendeur devait voir son médecin le 8 novembre 2007. Elle n’a jamais communiqué personnellement avec le défendeur et a conclu qu’après deux refus de réintégrer ses fonctions, le défendeur ne voulait pas revenir à son travail.

 

[15]           L'arbitre conclut que la plainte est bien fondée et que le défendeur a été congédié. Il base son raisonnement sur le fait que le défendeur était inapte à travailler au mois de novembre 2007, malgré l’opinion de l’assureur. Il n’avait donc pas à se présenter au travail. De plus, la demanderesse a reconnu son erreur en janvier 2008 lorsqu’elle a appris la nouvelle position de l’assureur et a offert d’accepter la réintégration du défendeur. L'arbitre considère que le défendeur n’a pas abandonné son emploi en janvier 2008, car il était toujours en état d’invalidité. Même si l’inspecteur a transmis une proposition de compensation monétaire en échange d’une démission et ceci de la part du défendeur, celle-ci n’a pas été acceptée et il n’y a donc pas eu de démission.

 

[16]           Selon l’arbitre, la demanderesse a présumé que le défendeur avait démissionné. Compte tenu des conséquences importantes d’une démission, elle doit être exprimée clairement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il ajoute que le défendeur est resté en état d’invalidité jusqu’au 3 mars 2008 et qu’on ne peut pas dire qu’il a abandonné volontairement son poste à ce moment-là. La demanderesse se devait de le réintégrer à la fin de son invalidité. Elle ne l’a pas fait et n’a même pas contacté le défendeur, car elle croyait à tort qu’il avait volontairement quitté son emploi. Finalement, l’arbitre décide que le défendeur doit réintégrer l’emploi qu’il détenait lors de son départ et que les parties pourront trouver des accommodements raisonnables au besoin. 

 

[17]           L’arbitre mentionne qu’en tout temps pertinent, le défendeur était en état d’invalidité et ne devrait pas être pénalisé. Il dit que la situation a été pénible parce qu’il y a eu un manque d’échange d’informations entre la demanderesse et l’assureur et entre les représentants de la demanderesse et la demanderesse elle-même et ce, au détriment du défendeur.

 

[18]           En fin de compte, en plus de la réintégration, l’arbitre ordonne à la demanderesse de verser au défendeur « toutes les sommes dont il a pu être privé suite à son congédiement »; le remboursement des honoraires de son procureur relativement à sa plainte de congédiement injustifié et les intérêts sur les sommes dues. 

 

Questions en litige

[19]           Les questions en litige reformulées sont les suivantes :

a.       L'arbitre a-t-il commis une erreur en concluant qu’il y a eu un congédiement injustifié, de sorte qu'il n'avait pas compétence pour entendre la plainte?

b.      Est-ce que l’arbitre a commis une erreur en omettant d’analyser l’obligation du défendeur de mitiger ses dommages?

c.       Est-ce que l’arbitre a rendu une décision déraisonnable en ordonnant le paiement des honoraires du procureur du défendeur?

 

Législation pertinente

[20]           Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2.

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

 

(…)

 

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

 

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

 

(…)

 

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

 

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

(b) reinstate the person in his employ; and

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement.

 

 

 

(…)

 

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l’arbitre :

 

 

 

a) décide si le congédiement était injuste;

 

 

 

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.

 

(…)

 

(4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :

 

 

 

 

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

 

 

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

 

Analyse

Norme de contrôle

[21]           Les deux parties citent la décision Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 et soumettent que la norme de contrôle applicable à toutes les questions en litige en l’espèce est celle de la raisonnabilité. Dans cette décision, la Cour suprême a déclaré que la jurisprudence existante peut servir à déterminer la norme applicable et qu’une analyse n’est pas toujours nécessaire (aux paragraphes 57 et 62).

 

[22]           La première question est une question mixte de faits et de droit et sera donc sujette à la norme de la raisonnabilité (Opaskwayak Cree Nation c. Booth, 2009 CF 225, 71 C.C.E.L. (3d) 184); Wu c. Royal Bank of Canada, 2009 CF 933, [2009] A.C.F. no 1446 (QL)). La deuxième question en litige touche une erreur de droit et je suis satisfait qu’en l’espèce on peut aussi appliquer la norme de la raisonnabilité (Chuanico c. Banque de Montréal, 2001 CFPI 863, [2001] A.C.F. no 1226 (QL)) au paragraphe 19). La troisième question sur l’octroi des dépens est aussi sujette à la norme de la décision raisonnable (Fraser c. Banque de Nouvelle-Écosse, 2001 CAF 267, 278 N.R. 154).  

 

[23]           Ainsi, la Cour devra faire preuve de déférence envers les conclusions de l’arbitre et ne devra intervenir que si la décision ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

 

L'arbitre a-t-il commis une erreur en concluant qu’il y a eu un congédiement injustifié, de sorte qu'il n'avait pas compétence pour entendre la plainte?

Prétentions de la demanderesse

[24]           La demanderesse soutient que la décision de l’arbitre sur la question du congédiement est déraisonnable. Elle prétend que malgré ses affirmations à l’effet contraire, le défendeur a démontré clairement sa volonté de démissionner. Elle rappelle que la jurisprudence établit qu’une démission est un geste qui comporte à la fois un élément objectif et subjectif. Elle reconnaît cependant qu’une démission ne peut généralement être présumée.

 

[25]           La demanderesse soutient que la preuve, prise dans son ensemble démontre que la rupture du lien d’emploi a été le choix du défendeur. Elle prétend que l’ensemble des agissements du défendeur, surtout le refus des offres de réintégration, signalent qu’il a choisi de ne pas retourner travailler pour la demanderesse à la fin de son invalidité et il a donc démissionné.

 

[26]           Elle maintient qu’il était tout à fait déraisonnable de refuser les offres de réintégration, car elles étaient conditionnelles à ce que le défendeur soit apte à retourner travailler et pour prévenir des situations difficiles, on lui a même offert la réintégration dans une autre filiale. De plus, les conditions offertes étaient les mêmes qu’auparavant soit sans perte d’ancienneté et même salaire.  

 

[27]           La demanderesse allègue que la décision de l’arbitre est déraisonnable puisque, dans ses motifs, il dit que la demanderesse devait réintégrer le défendeur mais il a reconnu dans sa décision que la demanderesse lui avait faite des offres de réintégration et ceci à compter de la fin de son invalidité (dossier de la demanderesse, page 20).

 

[28]           Finalement, à la lumière des arguments étayés, la demanderesse soutient que puisqu’il ne s’agissait pas d’un congédiement en l’espèce, l’arbitre n’avait la compétence requise pour entendre la plainte du défendeur.        

 

Prétentions du défendeur

[29]           Le défendeur soutient que la décision de l’arbitre quant au congédiement injustifié est raisonnable et supportée par les faits qu'il avait à analyser. Le défendeur ajoute que c’est la demanderesse qui a rompu le lien d’emploi en suivant aveuglément la position de l’assureur et en ne faisant pas sa propre évaluation de la situation. Il rappelle les faits retenus par l’arbitre – particulièrement que la demanderesse n’a jamais communiqué avec le défendeur lorsqu’il était apte à retourner travailler et que l’assureur la tenait informée sur l’évolution du dossier. Le défendeur allègue que toute l’argumentation de la demanderesse sur ce point, ne peut être retenue, car elle est contraire à la preuve. 

 

[30]           En ce qui concerne les discussions de règlement, le défendeur souligne que la demanderesse n’a jamais fait entendre l’inspecteur devant l’arbitre et qu’il est clair en raison du cheminement du dossier qu’aucun règlement n’est survenu.

 

Analyse

[31]           Il convient de mentionner que la demanderesse n'a pas tenté de persuader l'arbitre qu'elle était justifiée de congédier le défendeur. Elle cible son argumentation sur le fait que c'est le défendeur lui-même qui a décidé de démissionner.

 

[32]           La Cour est d'accord avec cette proposition. Dans un premier temps, la preuve démontre que demanderesse a réajusté son tir lorsqu'elle a reçu de nouvelles informations de l'assureur en janvier 2008. En effet, les notes manuscrites qui ont été déposées devant l'arbitre (dossier de la demanderesse, page 48) démontre clairement qu'une offre de réintégration sans perte monétaire a été faite au défendeur par l'entremise de M. Simard le 14 janvier 2008. Ceci est d'ailleurs reconnu par l'arbitre lorsqu'il écrit, « … Elle aurait alors accepté la réintégration de CHRISTIAN FILLION à la fin de son invalidité … » (dossier la demanderesse, page 20).

 

[33]           Deuxièmement, il apparaît aussi clairement qu'à la lecture de la mention datée du 15 janvier 2008 des mêmes notes que le défendeur a refusé cette offre ajoutant qu'il ne veut pas retourner travailler pour la demanderesse à cause de relations de travail conflictuel en lien avec son congédiement. En marge de cette mention du 15 janvier, on peut y lire « raison de inapte ».

 

[34]           Troisièmement, le 18 janvier 2008, la demanderesse lui offre alors, toujours par l'entremise de M. Simard, la réintégration dans une autre entité et elle se dit prête à s'asseoir avec le défendeur pour « regarder cela ».

[35]           Quatrièmement, à cette même date, toujours par l'entremise de M. Simard, le défendeur, refuse cette offre et demande si la demanderesse serait prête à accepter une compensation monétaire. Il est évident selon la Cour, que cette compensation était en échange d'une démission.

 

[36]           Cinquièmement, la demanderesse fait connaître sa réponse le 23 janvier 2008 en déclinant cette proposition et en réitérant son offre de réintégration.

 

[37]           Avec respect pour l'opinion contraire, la Cour considère que la décision de l'arbitre doit être annulée pour les raisons qui suivent.

 

[38]           Tout d'abord, la Cour se dit d'accord avec l’énoncé de l'arbitre lorsqu'il écrit : « … L'employeur se devait de réintégrer CHRISTIAN FILLION à la fin de son invalidité … » (dossier de la demanderesse, page 21). Cependant, à la page précédente, il reconnaît que la demanderesse avait accepté la réintégration du défendeur à la fin de son invalidité.

 

[39]           Ensuite, l'arbitre mentionne que les offres de la demanderesse ont été refusées pour différentes raisons qui ont été plus ou moins expliquées à l'audience (dossier de la demanderesse, page 14).

 

[40]           Il était de son devoir de considérer, analyser et déterminer la raisonnabilité du refus du défendeur des offres de réintégration de la demanderesse (Evans c. Teamsters Local Union No. 31, 2008 CSC 20, [2008] 1 R.C.S. 661).

 

[41]           Compte tenu des faits ci-haut mentionnés, qui ne sont pas contestés, la Cour trouve déraisonnable la conclusion de l'arbitre lorsqu'il maintient la plainte de congédiement.

 

[42]           La Cour est satisfaite que les parties se sont exprimées clairement par l'entremise de l'inspecteur Simard lorsqu'ils ont tenté de régler leur litige. On ne peut pas reprocher à la demanderesse de ne pas avoir communiqué directement avec le défendeur même s'il n'était pas représenté, car M. Simard était l'interlocuteur officiel chargé du dossier concernant la plainte du défendeur.

 

[43]           Devant une preuve aussi claire, il est évident selon la Cour que le défendeur en refusant les offres de la demanderesse et en ne se présentant pas au travail à la fin de son invalidité, a de lui-même décidé de rompre le lien d'emploi et a démissionné.

 

[44]           L'arbitre aurait dû reconnaître ces faits et rejeter la plainte pour congédiement.

 

[45]           Avant d'en arriver à cette conclusion, la Cour s'est demandée si le défendeur était justifié de refuser les offres de la demanderesse. Malheureusement pour lui, la preuve est muette concernant des conflits de travail suite à sa plainte du mois de novembre 2007. Quant à sa deuxième raison soit, son inaptitude de retour au travail au mois de janvier 2008, ce motif n'est pas justifiable étant donné que l'offre de la demanderesse comportait une réintégration à compter de la fin de son invalidité.

 

[46]           La Cour s'est interrogée aussi sur la capacité du défendeur de recevoir des offres et d’y répondre au mois de janvier 2008. La seule preuve au dossier est le rapport médical daté du 5 janvier 2008 (dossier de la demanderesse, pages 72 et 73) mais ce rapport ne lui est d’aucun secours.

 

Est-ce que l’arbitre a commis une erreur en omettant d’analyser l’obligation du défendeur de mitiger ses dommages?

[47]           En principe, la Cour ne devrait pas répondre aux deux dernières questions étant donnée la conclusion aux paragraphes précédents. Cependant, si elle avait commis une erreur et qu'au lieu d'une démission, il s'agit bien d'un congédiement, la Cour analysera les deux dernières questions.

 

[48]            La demanderesse soutient que le défendeur avait une obligation de mitiger ses dommages en acceptant les offres de réintégration. L’arbitre se devait de considérer cette question ce qu’il n’a pas fait et a donc commis une erreur qui justifie l’intervention de cette Cour. Elle allègue également que si le défendeur avait accepté les offres de réintégration, il n’y aurait pas eu de dommages.

 

[49]           La demanderesse souligne que, dans la décision, l’arbitre a conclu que les offres de réintégration ont été refusées « pour différentes raisons qui ont été plus ou moins bien expliquées à l’audience ». Elle prétend donc que l’arbitre a aussi erré puisqu’il n’a pas tenu compte du fait que le défendeur ne pouvait justifier son refus et que ce défaut aurait dû être fatal à sa cause selon la demanderesse. Afin d’appuyer son argument, elle cite les propos du juge Bastarache dans Evans c. Teamsters au paragraphe 29, à l’effet « qu'en l'absence de circonstances qui rendent le retour au travail déraisonnable, d'un point de vue objectif, on s'attendra à ce que l'employé limite le préjudice en retournant travailler pour l'employeur qui l'a congédié ». Elle note aussi que le défendeur a demandé la réintégration dans son recours devant l’arbitre ce qui démontre qu’il ne voyait aucune difficulté à reprendre son travail auprès de la demanderesse. 

 

Prétentions du défendeur

[50]           Sur la question de l’obligation de mitiger ses dommages, le défendeur souligne que dans les circonstances, il appartient à la demanderesse de faire la preuve qu’il n’a pas pris les moyens raisonnables pour mitiger ses dommages.

 

[51]           Le défendeur note que l’arbitre a retenu le fait qu’il a fait des recherches d’emploi, mais sans succès et que cette recherche a commencé dès le 5 janvier 2008. Donc, il a entrepris des démarches raisonnables pour mitiger ses dommages.

 

Analyse

[52]           Il est bien établi qu’un employé qui se voit congédié sans motif valable a toujours une obligation de mitiger ses dommages; son défaut peut affecter l’indemnité qui lui sera accordée (Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324). Cette Cour a conclu que, dans le cadre d’un redressement accordé en vertu du paragraphe 242(2) du Code, l’existence d’une offre de réintégration est une preuve pertinente dans l’examen de l’obligation de mitiger les dommages et l’arbitre devrait examiner la raisonnabilité de l’offre (Chuanico, au paragraphe 22).

 

[53]           Dans la cause sous étude, il est vrai que l’arbitre a retenu certains efforts du défendeur de mitiger son préjudice en cherchant un nouvel emploi. Par contre, les offres de réintégration de la demanderesse n'ont pas été considérées lorsqu'il est venu le temps d'évaluer si le défendeur avait mitigé ses dommages.

 

[54]           La Cour considère donc qu'il s'agit ici d'une erreur révisable à ce niveau.

    

Est-ce que l’arbitre a rendu une décision déraisonnable en ordonnant le paiement des honoraires du procureur du  défendeur?

Prétentions de la demanderesse

[55]           La demanderesse prétend que l’arbitre a aussi commis une erreur en attribuant des honoraires au procureur du défendeur alors qu’il y a absence de preuve de mauvaise foi de la part de la demanderesse. Elle s’appuie sur la décision de la Cour fédérale d’appel dans Banca Nazionale Del Lavoro of Canada Ltd. v. Lee-Shanok (1988), 87 N.R. 178. La demanderesse soutient ne pas avoir été de mauvaise foi et d’avoir tout fait ce qui était en son pouvoir pour accommoder le défendeur. Elle souligne qu’elle n’a jamais adopté une conduite répréhensible et que toutes ses décisions ont été prises sur la foi des renseignements communiqués par l’assureur. Conséquemment, il était déraisonnable d’ordonner le remboursement des honoraires.

 

Prétentions du défendeur 

[56]           Le défendeur plaide qu’aucune preuve de mauvaise foi n’est nécessaire pour justifier l’octroi d’honoraires sur la base procureur-client. Il invoque le large pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 242(4)c) du Code qui permet à l’arbitre de rendre une ordonnance enjoignant l’employeur « de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier ». Il fait aussi appel à des décisions arbitrales qui, à son avis, font état du pouvoir de l’arbitre de rendre une telle ordonnance même en absence d’une preuve de mauvaise foi de la part de l’employeur (Vigneault c. Nation innu de Matimékosh et Lac John (Conseil), [2000] D.A.T.C. no 689 (QL)). Conséquemment, il conclut que la décision de l’arbitre à cet égard est raisonnable.  

 

Analyse

[57]           Même si certains arbitres se montrent prêts à accorder des honoraires sur la base procureur-client sans mentionner des circonstances exceptionnelles comme le démontre la décision citée par le défendeur, il demeure que les principes établis dans Banca Nazionale del Lavaro doivent être suivis et je ne peux accepter l’argument du défendeur à l’effet contraire. La jurisprudence est claire sur ce point. Le remboursement des honoraires est justifié seulement dans des circonstances exceptionnelles et la partie qui les réclame doit prouver une conduite répréhensible (Banque Nationale du Canada c. Lajoie, 2007 CF 1130, 320 F.T.R. 152).

 

[58]           En l'espèce, l'arbitre s'est exprimé ainsi à ce sujet : 

J’estime que CHRISTIAN FILLION a droit au remboursement de frais d’avocat qu’il a dû encourir pour établir le bien-fondé de sa plainte de congédiement injuste.

 

En tout temps pertinent, CHRISTIAN FILLION était en état d’invalidité et il n’avait aucunement à être pénalisé pour cette raison. Il m’apparaît que si la situation a été si pénible pour CHRISTIAN FILLION dans toute cette affaire, c’est avant tout parce qu’il y a eu manque d’informations échangées entre la Great-West et l’employeur, entre les représentants de l’employeur entre eux et l’employeur et CHRISTIAN FILLION qui, en bout de ligne, était le seul à en subir préjudice. (Décision arbitrale, page 15)

 

 

[59]           Avec respect, la Cour ne peut accepter que même si ces faits avaient été prouvés, ils ne répondent pas aux exigences de la jurisprudence. Ce ne sont pas des circonstances exceptionnelles qui justifient l'octroi des honoraires du procureur du défendeur.

 

[60]            Il n’y a aucune preuve ici d’un comportement abusif, de mauvaise foi ou d'acharnement de la part de la demanderesse contre le défendeur (Banque Royale du Canada c. Kajos, [2006] D.A.T.C. no 170 (QL)).

 

[61]           Les parties sont d'accord à ce qu'une somme globale tienne lieu de dépens.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de l’arbitre est annulée. Le défendeur devra payer à titre de frais une somme globale au montant de 1 500 $.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      T-681-09

 

INTITULÉ :                                       TRANSPORT ST-LAMBERT,

une division de Transport TFI 2 S.E.C. c.

CHRISTIAN FILLION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 20 janvier 2010

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 29 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patrick-James Blaine                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Annie Barletta

 

Jean Gagné                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patrick-James Blaine                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Saint-Laurent (Québec)

 

GAGNÉ BÉLANGER                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Victoriaville (Québec)

 

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