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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100129

Dossier : T-94-09

Référence : 2010 CF 103

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

SCFP, COMPOSANTE AIR CANADA

demandeur

et

 

AIR CANADA

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 23 septembre 2008 par une agente de santé et de sécurité (l’agente) en application de la partie II du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code), dossier no T5240-8-225 à Transports Canada (Aviation). Dans la lettre de décision reçue par le demandeur, l’agente a conclu qu’Air Canada s’était conformée au Code en faisant en sorte que les membres du comité local de santé et de sécurité (le comité local) participent à une enquête mixte sur une situation comportant des risques.

 

I.          Le contexte

 

[2]               Le 19 novembre 2006, un incident est survenu à bord du vol n038 d’Air Canada (vol de Shanghai à destination de Vancouver) environ 45 minutes après le départ de Shanghai (ci-après l’incident). Quatre agents de bord ont été blessés par suite de soudaines turbulences modérées. L’avion a été dérouté sur l’aéroport de Narita, au Japon, afin que les agents de bord blessés reçoivent des soins médicaux. Après avoir reçu des soins médicaux, les quatre agents de bord sont retournés à la maison le lendemain.

 

[3]               Le 20 novembre 2006, immédiatement après l’arrivée de l’équipage au Canada, des représentants de la gestion d’Air Canada ont mené une réunion afin d’obtenir un « compte rendu » concernant l’incident (ci-après la réunion). L’ensemble des agents de bord et le capitaine du vol no 038, un représentant de l’employeur et des représentants du comité local, quatre représentants du Programme d’aide aux employés et un membre de la famille de l’un des agents de bord ont participé à la réunion. On ne s’entend pas sur l’objet de la réunion, qui n’était pas obligatoire.

 

[4]               À la suite de la réunion, Mme Lucy Casmey, représentante de l’employeur au comité local et gestionnaire, Sécurité des opérations et Support technique pour l’Ouest du Canada à Air Canada, a envoyé à Transports Canada un rapport intitulé [traduction] « Rapport d’incident et enquête ». Je souligne qu’en juin 2007 Mme Laura Curran‑Burden a remplacé Mme Casmey en tant que coprésidente représentant l’employeur au sein du comité local.

 

[5]               Après l’incident, le comité local a nommé Mme Casmey comme représentante de l’employeur et M. Bernard Lecerf comme représentant des employés aux fins de l’enquête. Tant la représentante de l’employeur que le représentant des employés ont été avisés de leur nomination respective.

 

[6]               Entre le 24 novembre 2006 et le 4 décembre 2006, une série de courriels ont été échangés entre Mme Casmey et une représentante du Syndicat canadien de la fonction publique (le SCFP), Mme Bernadette Jean; ces courriels portaient sur l’accès à certains rapports et documents portant sur l’incident.

 

[7]               Le 5 décembre 2006, M. Lecerf a déposé une plainte contre Air Canada auprès de Transports Canada au moyen du formulaire Enregistrement de la plainte. Il alléguait dans sa plainte qu’Air Canada avait contrevenu à plusieurs dispositions du Code et des règlements connexes. En particulier, la plainte portait sur une contravention à l’alinéa 135(7)e), à savoir que la coprésidente représentant l’employeur avait refusé d’entreprendre une enquête mixte sur l’incident.

 

[8]               Entre la date de l’incident et la date de la décision, de nombreuses activités d’enquête ont été entreprises, notamment des entrevues avec la section Sécurité aérienne et avec des membres de l’équipage du vol no 038, ainsi que des analyses de rapports sur la météo et les turbulences. Ces activités ont été menées principalement par Mme Casmey ou Mme Curran‑Burden; cependant, des employés membres du comité local y ont également participé.

 

[9]               Le 2 mars 2007, Transports Canada a donné une instruction à Air Canada. L’instruction établissait qu’Air Canada avait contrevenu à deux dispositions du Code : l’alinéa 125(1)c), qui porte sur l’obligation de l’employeur d’enquêter sur l’incident, et l’alinéa 135.1(8)b), qui porte sur l’assignation aux membres des fonctions qui incombent au comité local. Air Canada a reçu l’instruction de mettre un terme à ces contraventions.

 

[10]           Le 26 février 2008, l’agente a écrit à Air Canada pour obtenir des renseignements au sujet des mesures prises depuis l’instruction donnée le 2 mars 2007. Une promesse de conformité volontaire a été envoyée le 19 mars 2008, dans laquelle on exigeait que le comité local mixte de santé et de sécurité au travail fasse parvenir son rapport à l’agente au plus tard le 10 avril 2008. Le comité local a tenu une réunion qui s’est échelonnée sur trois jours afin d’examiner l’enquête et de faire des recommandations. Cependant, dans un courriel daté du 10 avril 2008 que Mme Jean a fait parvenir à Mme Curran‑Burden, le SCFP a fait valoir que, bien qu’il y ait eu des modifications – à savoir des commentaires et des ajouts qui devaient être inclus dans le rapport sans quoi le SCFP ne le signerait pas –, il ne donnerait pas son accord à ces modifications tant que Transports Canada n’aurait pas donné d’autres instructions fondées sur la réponse de l’employeur à la promesse de conformité volontaire.

 

[11]           Après avoir obtenu une prorogation de délai, Air Canada a déposé sa réponse à la promesse de conformité volontaire, sous forme de rapport, le 14 avril 2008.

 

A.        La décision

 

[12]           Le 23 décembre 2008, l’agente a rendu une décision succincte de deux pages adressée à Mme Jean. Elle y affirmait que la décision portait sur le formulaire daté du 5 décembre 2006, Enregistrement de la plainte. L’agente a mentionné ce qui suit dans sa lettre :

[traduction]

Nous avons examiné votre plainte et fait enquête. Suivant le courriel daté du 14 avril 2008 de Mme Laura Curran‑Burden, nous concluons qu’il semble que l’employeur se soit conformé avec la partie II du Code canadien du travail (le Code) en faisant en sorte que les membres du comité de santé et sécurité au travail participent à une enquête mixte sur la situation comportant des risques concernant l’incident survenu le 19 novembre 2006 à bord du vol no 038 d’Air Canada. [...] Nous considérons le présent dossier clôt.

 

II.         Le cadre légal

 

[13]           La partie II du Code porte sur les questions de santé et de sécurité dans les lieux de travail visés par les lois fédérales. Le Code oblige les employeurs à mener des enquêtes sur tout accident ou toute situation comportant des risques, à collaborer avec le comité local et à fournir les renseignements demandés par le comité local (voir l’article 125 du Code).

 

[14]           Le Code établit et prévoit les exigences procédurales des comités locaux mixtes (employeur‑employés) de santé et de sécurité au travail, tel que le comité local, et ces comités se penchent sur les questions de santé et de sécurité (voir l’article 135). Le paragraphe 135(7) précise les obligations du comité local, qui visent notamment la question en litige en l’espèce, comme l’alinéa 135(7)e) l’établit :

135(7) Le comité local, pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il a été constitué :

 

[…]

 

e) participe à toutes les enquêtes, études et inspections en matière de santé et de sécurité des employés, et fait appel, en cas de besoin, au concours de personnes professionnellement ou techniquement qualifiées pour le conseiller;

 

 

 

[…]

 

135(7) A workplace committee, in respect of the work place for which it is established,

 

[…]

 

(e) shall participate in all of the inquiries, investigations, studies and inspections pertaining to the health and safety of employees, including any consultations that may be necessary with persons who are professionally or technically qualified to advise the committee on those matters;

 

[…]

 

[15]           Les agents de santé et de sécurité sont désignés par le ministre du Travail en vertu du paragraphe 140(1) du Code. Les articles 127.1, 129, 141, 141.1 et 142 de la partie II du Code accordent aux agents de santé et de sécurité un grand pouvoir discrétionnaire afin qu’ils puissent mener à bien leurs enquêtes. Ces agents disposent également d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour déterminer s’il y a eu contravention à une disposition de la partie II du Code. En cas de contravention, l’agent de santé et de sécurité dispose du pouvoir discrétionnaire établit aux paragraphes 127.1(10) et 145(1) du Code et peut donner une instruction ou prendre d’autres mesures :

 


Pouvoirs de l’agent de santé et de sécurité

 

127.1 (10) Au terme de l’enquête, l’agent de santé et de sécurité :

 

a) peut donner à l’employeur ou à l’employé toute instruction prévue au paragraphe 145(1);

 

b) peut, s’il l’estime opportun, recommander que l’employeur et l’employé règlent à l’amiable la situation faisant l’objet de la plainte;

 

c) s’il conclut à l’existence de l’une ou l’autre des situations mentionnées au paragraphe 128(1), donne des instructions en conformité avec le paragraphe 145(2).

 

[…]

 

Cessation d’une contravention

 

 

145. (1) S’il est d’avis qu’une contravention à la présente partie vient d’être commise ou est en train de l’être, l’agent de santé et de sécurité peut donner à l’employeur ou à l’employé en cause l’instruction :

 

a) d’y mettre fin dans le délai qu’il précise;

 

 

 

b) de prendre, dans les délais précisés, les mesures qu’il précise pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Duty and power of health and safety officer

 

127.1 (10) On completion of the investigation, the health and safety officer

 

(a) may issue directions to an employer or employee under subsection 145(1);

 

 

(b) may, if in the officer’s opinion it is appropriate, recommend that the employee and employer resolve the matter between themselves; or

 

(c) shall, if the officer concludes that a danger exists as described in subsection 128(1), issue directions under subsection 145(2).

 

 

[…]

 

Direction to terminate

contravention

 

145. (1) A health and safety officer who is of the opinion that a provision of this Part is being contravened or has recently been contravened may direct the employer or employee concerned, or both, to

 

(a) terminate the contravention within the

time that the officer may specify; and

 

(b) take steps, as specified by the officer and within the time that the officer may specify, to ensure that the contravention does not continue or re-occur.

 

[16]           Le paragraphe 157(1) autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements en vertu du Code. Un des règlements qui a été pris et qui s’applique en l’espèce est le Règlement sur la sécurité et la santé au travail (aéronefs), DORS/87-182 (le Règlement). L’article 9.3 est particulièrement important et est ainsi rédigé :

Enquête

 

9.3 L’employeur qui prend connaissance d’une situation comportant des risques, notamment un accident ou une maladie professionnelle, qui touche un employé pendant qu’il travaille à bord d’un aéronef doit dès que possible :

 

a) prendre les mesures nécessaires pour empêcher que la situation comportant des risques ne se reproduise;

 

b) nommer une personne qualifiée pour mener une enquête sur la situation comportant des risques;

 

c) aviser le comité de sécurité et de santé ou le représentant en matière de sécurité et de santé, si l’un ou l’autre existe, de la situation comportant des risques et du nom de la personne qualifiée nommée pour faire enquête.

 

Investigation

 

9.3 Where an employer is aware of an accident, occupational disease or other hazardous occurrence affecting any of the employees in the course of employment on an aircraft, the employer shall, as soon as possible,

 

(a) take necessary measures to prevent a recurrence of the hazardous occurrence;

 

 

(b) appoint a qualified person to carry out an investigation of the hazardous occurrence; and

 

(c) notify the safety and health committee or the safety and health representative, if either exists, of the hazardous occurrence and of the name of the qualified person appointed to investigate it.

 

III.       Les questions en litige

 

[17]           Selon le demandeur, les questions suivantes doivent être tranchées en l’espèce :

a)         Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

b)         L’agente a-t-elle commis une erreur de droit et de fait en concluant que les mesures prises par Air Canada étaient conformes à l’exigence établie à l’alinéa 137(7)e) du Code qui prévoit que le comité local « participe » à toute enquête en matière de santé et de sécurité des employés?

 

c)         L’agente a-t-elle commis une erreur de droit et de fait en concluant qu’une [traduction] « enquête mixte sur la situation comportant des risques » avait été menée?

 

d)         L’agente a-t-elle omis de respecter un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale en ne tenant pas compte des déclarations des employés membres du comité local, selon lesquels aucune enquête mixte n’avait été menée et aucun rapport mixte n’avait été rédigé?

 

e)         L’agente avait-elle le droit de revenir sur sa décision prise en vertu de son pouvoir discrétionnaire et de conclure qu’Air Canada s’était conformée au Code, ou bien cela constituait-il un refus déraisonnable d’appliquer le Code et la décision rendue le 2 mars 2007?

 

A.        Quelle la norme de contrôle applicable?

 

[18]           Étant donné que la norme de contrôle applicable à la présente affaire n’a pas été établie dans la jurisprudence, il est nécessaire d’entreprendre une analyse relative à la norme de contrôle (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphes 62 et 63).

 

[19]           Pour déterminer la norme de contrôle applicable, je me fonde sur les principes établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339, et en particulier sur les paragraphes 25 et 26. Dans ces paragraphes, la majorité a traité de la déférence devant être accordée aux tribunaux administratifs et a renforcé la politique générale de la déférence.

 

1)         L’existence d’une clause privative

 

[20]           Les décisions des agents de santé et de sécurité ne sont pas protégées par une clause privative. Cependant, l’absence de clause privative ne tranche pas la question (voir Khosa, paragraphe 25).

 

2)         La raison d’être du tribunal administratif suivant sa loi habilitante

 

[21]           La raison d’être de la partie II du Code est de « prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi » (voir l’article 122.1). Comme je l’ai déjà mentionné, le Code accorde à l’agent de santé et de sécurité de vastes pouvoirs d’enquête, un grand pouvoir discrétionnaire quant aux mesures qui, le cas échéant, doivent être prises ainsi qu’un grand éventail de mesures correctives visant à remédier aux contraventions au Code.

 

3)         La nature de la question

 

[22]           Il a été établi qu’en présence d’une question de fait la déférence s’impose habituellement (Khosa, précité, paragraphe 46).

 

[23]           Je traite de la nature de chaque question ci-dessous.

 

4)         L’expertise du tribunal administratif

 

[24]           Les agents de santé et de sécurité sont des décideurs spécialisés. En application de l’article 140 du Code, leur nomination est expressément fondée sur la compétence de la personne comme agent de santé et de sécurité. Dans la décision Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Woollard, 2006 CF 1332; [2006] A.C.F. no 1673 (conf. 2008 CAF 43; [2008] A.C.F. no 199), le juge Michel Beaudry a contrôlé une décision rendue par un agent d’appel de santé et de sécurité. Il a conclu que le Code considère les agents de santé et sécurité comme étant des décideurs spécialisés et il a fondé sa décision selon laquelle on devait faire preuve de retenue à l’égard des décisions des agents d’appel sur le fait que ces agents jouissent de l’ensemble des pouvoirs dévolus aux agents de santé et sécurité.

 

[25]           Je note également que le juge James Russel, dans la décision P&O Ports Inc. c. Syndicat international des débardeurs et des magasiniers, section locale 500, 2008 CF 846; 331 F.T.R. 104, a conclu que l’on devait faire preuve de retenue à l’égard des décisions des agents d’appel (voir paragraphe 16). Bien que je comprenne que les questions en l’espèce portent sur une décision rendue par une agente de santé et de sécurité, la décision P&O Ports, précitée, est instructive.

 

[26]           Vu les faits qui précèdent, l’expertise de la Cour sur ces questions n’outrepasse pas celle des agents de santé et de sécurité.

 

[27]           La norme habituellement applicable aux questions de compétence est la décision correcte (voir Dunsmuir, précité, paragraphe 59). Je souligne qu’au paragraphe 10 de la décision SCFP, Composante Air Canada c. Air Canada, 2009 CF 12; [2009] A.C.F. no 15, la Cour a appliqué la décision correcte comme norme à l’égard du refus de l’agent de santé et de sécurité d’exercer sa compétence.

 

[28]           Vu l’analyse relative à la norme de contrôle effectuée ci-dessus, la norme applicable aux questions b) et c) est la raisonnabilité. Il s’agit de questions relatives à l’application du droit aux faits, et elles ont trait à l’interprétation, par l’agent de santé et de sécurité, de sa propre loi habilitante.

 

[29]           La norme de contrôle applicable à la question d), qui a trait à l’équité procédurale, et à la question e), qui porte sur une question de compétence, est la décision correcte. Cependant, si je devais conclure que l’agente avait compétence, alors la norme applicable à la question e) sera la raisonnabilité.

 

B.         L’agente a-t-elle commis une erreur de droit et de fait en concluant que les mesures prises par Air Canada étaient conformes à l’exigence établie à l’alinéa 137(7)e) du Code qui prévoit que le comité local « participe » à toute enquête en matière de santé et de sécurité des employés ?

 

[30]           Il est clair que l’employeur a l’obligation de mener une enquête sur toute situation comportant des risques (voir l’article 125 du Code et l’article 9.3 du Règlement) et que le comité local doit participer aux enquêtes en matière de santé et de sécurité des employés (voir alinéa 135(7)e) du Code).

 

1)         Le rôle des comités locaux

 

[31]           La défenderesse soutient que l’article 125 du Code et l’article 9.3 du Règlement obligent l’employeur à mener des enquêtes sur les situations comportant des risques et que rien dans la loi ni dans la jurisprudence n’étaye l’allégation du demandeur selon laquelle l’enquête doit être mixte et menée par le comité local. Le demandeur plaide qu’il doit y avoir une enquête mixte.

 

[32]           Le rôle des comités locaux dans les enquêtes a récemment été examiné dans la décision Air Canada et SCFP, décision no OHSTC-09-23, le 18 juin 2009. Dans cette affaire, l’agent d’appel s’est penché sur le rôle des comités locaux dans les enquêtes sur les situations comportant des risques. Il a rédigé ce qui suit aux paragraphes 208 et 209.

L’obligation principale du comité local consiste à donner des conseils et à formuler des recommandations à l’employeur sur les questions de santé et de sécurité au travail. Dans la mesure où les enquêtes sont concernées, le comité local peut prendre une part active dans l’enquête de l’employeur. Toutefois, si l’employeur ne mène pas d’enquête, je crois que le comité local ne devrait pas assumer le rôle d’enquête.

 

L’intimé a mentionné plusieurs fois que le comité local de YUL faisait enquête sur la situation dangereuse de E. Niles, ce qui n’est pas prévu dans le Code et le Règlement sur l’aviation. Il incombe uniquement à l’employeur de mener une enquête complète sur une situation dangereuse, enquête à laquelle participe activement le comité local.

 

[33]           Le demandeur a soutenu que si le Règlement dérogeait au droit des employés de participer aux enquêtes par l’intermédiaire du comité local, lequel droit est prévu au Code, le Règlement serait ultra vires. Je n’ai pas à examiner la question de savoir si le Règlement est ultra vires, car le Règlement ne déroge pas au Code.

 

2)         La définition du verbe « participer »

 

[34]           Le demandeur plaide que le verbe participer au sens du Code signifie prendre une part active à l’enquête. La défenderesse convient que la participation du comité à l’enquête doit être active, mais elle soutient que le degré de participation doit être déterminé par le comité local même, qui décidera de la manière dont il doit participer à l’enquête au regard des circonstances particulières de chaque affaire.

 

[35]           Il a été question du sens du verbe « participer » dans les décisions Halterm Ltd. et Assoc. internationale des débardeurs, section locale Halifax, [1992] D.A.A.C.C.T. no 1. Dans cette affaire, l’agent régional de santé et de sécurité a conclu que le Parlement n’avait pas eu l’intention que l’ensemble du comité prenne part aux enquêtes, mais plutôt que le comité local devrait désigner un de ces membres – qu’il s’agisse d’un représentant de l’employeur ou des employés – et l’autoriser à agir en son nom pendant les enquêtes. L’agent régional de santé et de sécurité a ajouté qu’un membre du comité de santé et de sécurité devait être physiquement présent à l’enquête sur la situation comportant des risques afin de prendre part à toutes les activités que l’agent régional avait mentionnées précédemment, et que l’examen de rapports et la formulation de recommandations ne pouvaient pas remplacer une participation plus active du comité aux enquêtes.

 

[36]           Bien que je souscrive aux grandes lignes de la décision Halterm Ltd., précitée, sur le sens qu’il faut donner au verbe participer, je prend acte du fait que la décision a été rendue il y a plus de 15 ans. Par conséquent, vu que les méthodes de communication ont changé, je n’accorde pas un grand poids à l’exigence selon laquelle un membre du comité local doit être physiquement présent lors de toute enquête.

 

[37]           Le demandeur allègue que toute « participation » doit être une « participation mixte », et il invoque trois décisions à l’appui de son allégation : Canadien Pacifique Limitée et Travailleurs canadiens de l’automobile, [2006] D.A.A.C.C.T. no 46; Munn et Canada (Ministère de la Défense nationale), [2005] D.A.A.C.C.T. no 30, et Canadian National Railway Co. and Tetley, [2001] C.L.C.A.O.D. no 21. Cependant, bien que ces décisions appuient la position selon laquelle les enquêtes menées par les comités locaux sont souvent nommées « enquêtes mixtes », rien dans ces décisions ou dans la loi n’exige que les enquêtes soient mixtes. Je fais remarquer que, dans l’affaire Munn, le chef des pompiers a mené une enquête mixte – laquelle portait sur un refus de travailler invoqué par des pompiers – avec la « participation » d’un représentant syndical membre du comité local. Je souligne également que dans la décision Halterm, précitée, l’agent régional de santé et de sécurité a affirmé au paragraphe 38 qu’« un » membre du comité de santé et de sécurité doit être présent à l’enquête sur la situation comportant des risques.

 

[38]           Plusieurs termes ont été utilisés pour désigner l’enquête prévue à l’alinéa 135(7)e), tels que [traduction] « enquête mixte » ou [traduction] « enquête mixte menée par l’employeur ». Le terme utilisé importe peu. Ce qui importe, c’est la participation du comité local, comme l’a établi la décision Halterm Ltd., précitée.

 

3)         Application aux faits

 

[39]           En l’espèce, rien dans le dossier ne donne à penser qu’il existe un mécanisme interne officiel visant à désigner un membre du comité local pour qu’il agisse au nom du comité local lors des enquêtes. Cependant, il est clair que tant l’employeur que les employés ont désigné un membre du comité local pour agir en leur nom. Il semble que ce soit la façon de procéder habituelle.

 

[40]           Si l’on tient compte du rôle du comité local établi dans la décision Air Canada et SCFP, précitée, et du sens donné à « participation » dans la décision Halterm Ltd, précitée, l’agente disposait d’éléments de preuve pour appuyer ses conclusions portant que le comité local avait participé à l’enquête et que les obligations prévues au Code avaient été respectées.

 

[41]           La décision de l’agente est appuyée par la participation du comité local aux activités suivantes, qui sont liées à l’enquête de la défenderesse :

•           Réunion ou compte rendu effectué le jour suivant l’incident. Bien que cette réunion ait été menée par le Programme d’aide aux employés, des renseignements ont été obtenus, et il n’était pas interdit de prendre des notes;

•           Examen des rapports des agents de bord;

•           Examen de tableaux de niveaux de turbulence;

•           Élaboration d’une liste de questions à poser à la section Sécurité aérienne;

•           Téléconférence avec un agent de Sécurité aérienne pour discuter de l’enquête menée par Sécurité aérienne et les conclusions se trouvant dans son ébauche de rapport;

•           Vérification de la situation météorologique pour le vol en cause;

•           Réunions avec la section Opérations aériennes concernant la situation météorologique;

•           Entrevues avec des agents de bord menées par les représentants des employés membres du comité local;

•           Élaboration d’une annexe sur le repérage des turbulences;

•           Inspection mixte de l’avion par des membres du comité local;

•           Examen de la preuve photographique;

•           Discussion au sujet du rapport d’enquête de l’employeur et de recommandations;

•           Examen de tout renseignement et rapport pertinents lors d’une réunion mixte qui s’est échelonnée sur trois jours, du 1er au 3 avril 2008.

 

[42]           La décision de l’agente était raisonnable.

 

C.        L’agente a-t-elle commis une erreur de droit et de fait en concluant qu’une [traduction] « enquête mixte sur la situation comportant des risques » avait été menée?

 

[43]           Le demandeur soutient qu’il n’y avait aucun fondement factuel sur lequel l’agente pouvait se fonder pour déterminer qu’Air Canada s’était conformée au Code en faisant en sorte que les membres du comité local participent à une enquête mixte sur la situation comportant des risques. Il soutient qu’il s’agissait d’une contravention aux obligations prévues au Code (alinéa 135(7)e)) et à l’obligation d’Air Canada de respecter toute instruction orale ou écrite donnée par un agent de santé et de sécurité.

 

[44]           Le Code n’exige pas la tenue d’une enquête mixte. Seule la participation du comité local est exigée. Comme je l’ai déjà mentionné, l’adjectif « mixte » semble avoir été adopté par les personnes qui travaillent dans ce domaine. Cependant, l’utilisation d’un tel adjectif ne peut primer les termes exprès de la loi ni conférer des droits substantiels.

 

[45]           La décision de l’agente était raisonnable.

 

D.        L’agente a-t-elle omis de respecter un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale en ne tenant pas compte des déclarations des employés membres du comité local, selon lesquels aucune enquête mixte n’avait été menée et aucun rapport mixte n’avait été rédigé?

 

[46]           Le demandeur soutient que l’agente n’a pas tenu compte des déclarations des représentants des employés. Ces représentants ont affirmé que les déclarations des employés qui se trouvaient dans le rapport du 14 avril 2008 ainsi qu’une déclaration présentée ultérieurement, le 12 mai 2008, fournissaient la [traduction] « preuve non contredite » qu’aucune enquête mixte n’avait été menée et qu’aucun rapport mixte n’avait été rédigé. Je conviens que l’agente n’a pas expressément examiné ces déclarations dans ses motifs succincts.

 

[47]           Comme la Cour d’appel fédérale l’a établi dans l’arrêt Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2001 CAF 331, 282 N.R. 394, un décideur n’est pas tenu d’expliquer, pour chaque élément de preuve produit, les raisons pour lesquelles il n’a pas accepté tel ou tel élément de preuve. Lorsqu’une preuve en particulier n’est pas expressément examinée dans les motifs d’une décision, la cour de révision n’en déduira pas nécessairement qu’elle a dû échapper au décideur. Dans l’arrêt Ozdemir, précité, la Cour d’appel fédérale a noté qu’il serait excessif d’exiger des agents de révision qu’ils motivent leurs décisions de façon aussi détaillée que ce à quoi on est en droit de s’attendre d’un tribunal administratif qui rend ses décisions à la suite d’une audience à l’issue de laquelle une décision est rendue sur le fond.

 

[48]           En l’espèce, la tenue d’une enquête mixte ou la rédaction d’un rapport mixte n’est pas obligatoire et, par conséquent, l’agente n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte des déclarations. Je conclus que les motifs donnés par l’agente, une agente de révision, rendent adéquatement compte du fondement de sa décision et n’appuient pas une inférence selon laquelle l’agente n’aurait pas tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve dont elle disposait. Aucune n’erreur n’a été commise.

 

E.         L’agente avait-elle le droit de revenir sur sa décision prise en vertu de son pouvoir discrétionnaire et de conclure qu’Air Canada s’était conformée au Code, ou bien cela constituait-il un refus déraisonnable d’appliquer le Code et la décision rendue le 2 mars 2007?

 

[49]           Le demandeur allègue que, entre la fin mars 2007 et décembre 2008, l’agente est, pour l’essentiel, revenue sur sa décision portant sur la question de savoir si l’approche adoptée par Air Canada concernant l’enquête sur la situation comportant des risques était conforme au Code. Sur le fondement de la décision Burstyn c. Canada (Agence du revenu du Canada), 2007 CF 822; 2007 A.C.F. no 1074, il plaide que le pouvoir légal d’intenter des poursuites et la [traduction] « politique de conformité » de Transports Canada créent une obligation légale à caractère publique selon laquelle l’agente doit appliquer le Code. Cependant, la [traduction] « politique de conformité » n’a pas été expliquée ni déposée dans le dossier de la Cour. Par conséquent, je ne peux pas déterminer si elle crée une obligation à caractère publique.

 

[50]           La défenderesse plaide que l’agente n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en rendant sa décision après avoir demandé et obtenu des renseignements supplémentaires auprès de la défenderesse concernant les mesures prises en lien avec l’enquête sur l’incident à la suite de l’instruction de mars 2007.

 

[51]           Il est clair que, entre la délivrance de l’instruction, le 2 mars 2007, et le prononcé de la décision, l’enquête sur l’incident a suivi son cours. D’autres mesures ont été mentionnées à l’agente à la suite de sa promesse de conformité volontaire du 19 mars 2008.

 

[52]           En l’espèce, l’agente n’est pas revenue sur sa décision. L’instruction de mars 2007 mentionnait qu’Air Canada avait contrevenu à deux dispositions du Code et elle l’obligeait à y mettre fin dans un délai précis. Même si le délai pour mettre fin aux contraventions a été prorogé, l’agente a conclu qu’Air Canada s’était conformée au Code, en application de l’instruction.

 

[53]           Étant donné que j’ai conclu que l’agente n’était pas revenue sur sa décision, il n’est pas nécessaire que je détermine si l’agente avait la compétence nécessaire pour modifier sa décision. La décision de l’agente était raisonnable vu les faits qui lui avaient été présentés le 14 avril 2008.

 

1)         Mandamus

 

[54]           Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur a également sollicité un bref de mandamus dans la section portant sur la compétence. Il se fonde sur l’arrêt Centre hospitalier Mont‑Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41; [2001] 2 R.C.S. 281, pour plaider que le renversement de position, sans motif, du ministre ne constitue pas un renversement légitime de la décision prise en vertu de son pouvoir discrétionnaire et que cela remplit les conditions d’octroi d’un bref de mandamus.

 

[55]           Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742; 162 N.R. 177; conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100; 176 N.R. 1, la Cour d’appel fédérale a établi le cadre général des conditions fondamentales devant être respectées avant qu’un mandamus puisse être accordé (voir paragraphe 45). Ces conditions peuvent être ainsi résumées :

a)         Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

 

b)         L’obligation doit exister envers le demandeur;

c)         Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation;

d)         Lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s’appliquent :

(i)         le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d’une manière qui puisse être qualifiée d’« injuste », d’« oppressive » ou qui dénote une « irrégularité flagrante » ou la « mauvaise foi »;

(ii)        un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est « illimité », « absolu » ou « facultatif »;

(iii)       le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire « limité » doit agir en se fondant sur des considérations « pertinentes » par opposition à des considérations « non pertinentes »;

(iv)       un mandamus ne peut être accordé pour orienter l’exercice d’un « pouvoir discrétionnaire limité » dans un sens donné;

(v)        un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est « épuisé »;

e)         Le demandeur n’a aucun autre recours;

f)          L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

g)         Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

h)         Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

 

[56]           J’ai déjà conclu que l’agente n’était pas revenue sur sa décision. Par ailleurs, même si j’avais conclu que l’agente était revenu sur sa décision, ce renversement aurait été justifié – l’agente avait reçu des renseignements supplémentaires au sujet de l’enquête.

 

[57]           Je fais également remarquer que le pouvoir discrétionnaire de l’agente n’était pas épuisé étant donné qu’Air Canada devait respecter l’instruction dans un délai précis. Le délai pour qu’Air Canada se conforme à l’instruction a été prorogé à plusieurs reprises, et rien dans le dossier ne révèle que l’agente n’a pas, en définitive, conclu qu’Air Canada ne respectait pas l’instruction parce qu’elle n’avait pas donné de réponse.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens en faveur de la défenderesse.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-94-09

 

INTITULÉ :                                                   SCFP, COMPOSANTE AIR CANADA

                                                                        c.

                                                                        AIR CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 16 DÉCEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 29 JANVIER 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

James L. Robbins

 

POUR LE DEMANDEUR

Jeremy Warning

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

James L. Robbins

Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyre & Cornish LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Maryse Tremblay

Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L., SRL

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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