Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20100126

Dossier : IMM-1718-09

Référence : 2010 CF 85

Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Harrington

 

 

ENTRE :

GLENIS THERESA JOHN

partie demanderesse

 

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

partie défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Glenis Theresa John avait 18 ans quand elle est venue de la Grenade au Canada, en 1990, afin de s’occuper de sa mère malade. Elle n’est jamais repartie, bien que son visa de visiteur ait expiré en 1991 et que sa mère soit décédée en 1994. Elle est restée dans la famille de son oncle où réside sa grand-mère, dont elle s’occupe.

 

[2]               En 2008, elle a demandé la résidence permanente depuis le Canada, pour des motifs d’ordre humanitaire. Elle dérogeait ainsi à la marche à suivre habituelle, selon laquelle la demande doit être faite depuis l’étranger. Le ministre peut toutefois exempter un demandeur de cette obligation prévue dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour des motifs d’ordre humanitaire, comme on peut le lire à l’article 25 de cette loi.

 

[3]               L’agente d’immigration a refusé la demande, décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

LES FAITS

[4]               Dans sa demande, Mme John, qui a maintenant passé plus de la moitié de sa vie au Canada, invoque divers facteurs et inclut sept lettres de recommandation. Dans ses notes versées au dossier le 23 mars 2009, l’agente d’immigration a bien su résumer les faits, comme suit :

·        Mme John est à Montréal depuis près de dix-huit ans;

·        elle est venue ici en juillet 1990, pour s’occuper de sa mère qui souffrait d’un cancer du sein; sa mère est décédée le 11 septembre 1994;

·        après le décès de sa mère, Mme John est restée à Montréal, où elle pouvait compter sur le soutien affectif de proches parents;

·        elle vit séparée de ses frères et sœurs;

·        ses tantes, ses oncles et sa grand-mère forment son réseau de soutien; elle se sent plus proche de sa famille à Montréal que des frères et sœurs qu’elle a laissés à la Grenade;

·        elle est restée à Montréal pour s’occuper de sa grand-mère et remercier sa famille ici de la générosité qu’elle a démontrée envers la grand-mère en continuant de s’occuper d’elle; pour la grand-mère, la perte de sa soignante serait terrible;

·        elle est financièrement autonome;

·        elle participe aux activités de son église et de sa collectivité, mais elle ne s’est pas jointe officiellement à une église ou à une organisation afin de ne pas attirer l’attention;

·        elle ne pouvait retourner chez son père, car celui-ci n’a jamais fait partie de sa vie;

·        elle n’a plus l’accent de la Grenade;

·        si elle retournait à la Grenade, elle y serait comme une étrangère.

 

[5]               Dans son analyse, l’agente d’immigration a conclu que Mme John n’était pas réellement autonome financièrement. Elle a noté que Mme John vit avec son oncle et gagne de l’argent de poche en faisant du jardinage, du gardiennage d’enfants et de la coiffure. Peut-être Mme John se considère-t-elle comme autonome financièrement parce qu’elle n’a jamais sollicité l’aide de l’État, mais la conclusion de l’agente d’immigration est tout à fait acceptable : elle a remarqué ne pouvoir accorder véritablement un poids favorable à cet aspect de la demande. Comme nous le verrons, la conclusion selon laquelle Mme John n’est pas autonome financièrement constitue une arme à double tranchant. La seule déduction à en tirer, c’est qu’elle vit à la charge de son oncle.

 

[6]               L’agente poursuit en faisant remarquer que Mme John est célibataire et n’a ni enfant, ni fratrie au Canada, mais trois frères et deux sœurs à la Grenade. L’agente estimait que ce facteur contrebalançait les liens de Mme John au Canada et elle a conclu que Mme John ne vivrait pas de préjudice inusité, injustifié ou démesuré si elle devait demander la résidence permanente depuis l’étranger.

 

[7]               Dans sa demande de contrôle judiciaire, Mme John s’appuie en grande partie sur le document IP 5 Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire. Or, ce document n’a pas valeur de loi et ne lie en rien les agents d’immigration. Il s’agit néanmoins d’une liste de vérification utile quant aux éléments à prendre en considération.

 

 

[8]               Aux fins de ce contrôle judiciaire, Mme John a mis l’accent sur les deux facteurs suivants : du fait de son séjour prolongé au Canada, elle est maintenant établie au pays, et l’agente d’immigration n’a pas pris en compte comme il se doit ses liens familiaux dans ce pays.

 

[9]               Pour le ministre, dont la position est quelque peu à l’opposé, l’agente n’était pas tenue de prendre en compte les relations familiales de fait, parce qu’elle n’en avait pas été priée. Elle a néanmoins pris en compte tous les facteurs pertinents, et sa décision ne saurait être infirmée car elle est raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

ANALYSE

[10]           Pendant l’audience, j’ai refusé d’emblée de considérer à titre distinct les observations touchant le séjour prolongé au Canada. Mme John est ici parce qu’elle le veut. Aucune circonstance indépendante de sa volonté ne l’a obligé à demeurer ici.

 

[11]           En ce qui concerne ses liens familiaux au Canada, elle a vécu pendant des années avec sa grand-mère, son oncle et la famille de celui-ci. Je pars du principe que sa grand-mère est un membre de sa famille et son oncle, un membre de la famille de fait. Sa grand-mère est son ascendante directe, alors que son oncle fait partie de ses parents collatéraux (voir le Code civil du Québec, L.Q. 1991, chap. 64, articles 655 à 659).

 

[12]           Pour ce qui est des membres de la famille de fait, selon le paragraphe 13.8 du document IP 5, il convient de se demander dans quelle mesure la demanderesse aurait du mal à combler ses besoins affectifs ou financiers sans le soutien et l’aide de la famille au Canada. « La séparation d’un parent de fait et de ses proches peut constituer la base d’une décision CH favorable. »

 

[13]           Le document fait ensuite état d’une liste de facteurs dont l’agent devrait tenir compte, notamment le caractère authentique du lien de dépendance, le degré de cette dépendance, la stabilité et la durée de la relation, la capacité et la volonté qu’a la famille au Canada de fournir du soutien, les autres solutions qui s’offrent au demandeur, comme les membres de la famille (fratrie) à l’extérieur du Canada « qui peuvent et veulent offrir de l’aide » et le degré d’établissement au Canada.

 

[14]           Je ne saurais admettre l’observation du ministre selon laquelle l’agente n’était pas tenue d’envisager les liens familiaux de fait parce que le paragraphe 13.8 du document IP 5 n’avait pas été spécifiquement invoqué. Les faits étaient clairement énoncés dans la demande et non seulement étaient-ils évidents à ses yeux, mais elle en a pris note. À mon avis, les facteurs pertinents lui ont été présentés comme il se doit.

 

[15]           Ayant conclu que Mme John n’était pas indépendante financièrement, mais ne doutant pas que ses besoins affectifs étaient comblés par la famille au Canada, l’agente d’immigration aurait dû
évaluer la capacité et la volonté qu’avait cette famille de fournir un soutien à Mme John (conclusion à laquelle elle était parvenue par voie de conséquence nécessaire), par rapport à la capacité et à la volonté que pouvait avoir la fratrie, à la Grenade, de lui apporter son soutien. Aucune analyse n’a été faite en ce sens.

 

[16]           Par conséquent, en l’occurrence, je conclus que la décision est déraisonnable.

 

[17]           Bien qu’il se soit agi d’une décision discrétionnaire à prendre en toute bonne foi, ce qui est manifestement le cas, suivant l’arrêt Dunsmuir évoqué précédemment, la décision devait également être raisonnable. Les cas invoqués par le ministre n’étaient pas pertinents à mon sens. L’arrêt Sandhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1032, peut être écarté parce que la question de l’appartenance de fait à la famille n’avait pas été soumise à l’agent d’immigration. Je conclus que, en l’espèce, la question a été soumise. Dans Leung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 200, la juge Snider a fait remarquer, avec raison, que nul n’est tenu de s’arrêter aux lacunes d’une demande. En l’instance, je n’ai constaté aucune lacune. Qui plus est, dans Leung, la preuve révélait que le demandeur pourrait subvenir à ses besoins s’il était renvoyé à Hong Kong. Aucune analyse de ce genre n’a été effectuée dans le cas présent.

 


[18]           La décision du juge Zinn dans Pascual c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 993, portait sur une toute autre question, par exemple l’omission de déclarer l’existence d’un membre de la famille conformément à l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. La question n’était donc pas de savoir si la conjointe n’accompagnant pas le demandeur était un membre de la famille de fait, mais plutôt si, sur le plan juridique, la conjointe n’accompagnant pas le demandeur, lequel n’avait pas déclaré son existence, ne pouvait être considérée comme un membre de la catégorie du regroupement familial. Si un membre de la famille ne peut être considéré comme tel sur le plan juridique, il en découle qu’il ne saurait être vu comme un membre de la famille de fait.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                  la demande de contrôle judiciaire soit accueillie;

2.                  la décision de l’agente d’immigration soit infirmée;

3.                  la question soit soumise à un autre agent d’immigration, qui en fera l’examen à la lumière des présents motifs;

4.                  aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Alain Hogue, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1718-09

 

INTITULÉ :                                       Glenis Theresa John c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               19 janvier 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      26 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mark J. Gruszczynski

 

POUR LA DEMANDERESSE

Mireille-Anne Rainville

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GRUSZCZYNSKI, ROMOFF

Avocats

Westmount (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, C.R.

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.