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Federal Court

 

Cour fédérale


Date : 20100121

Dossier : T-1497-07

Référence : 2010 CF 67

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

BANDE INDIENNE TOBIQUE

demanderesse

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de C. Dougal MacDonald, directeur général régional intérimaire pour le Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC), de mettre en œuvre la gestion par séquestre-administrateur de la Bande indienne Tobique (la demanderesse), décision qui a été communiquée à la demanderesse le 9 août 2007.

 

Les faits

[2]               La demanderesse est une Première Nation du Nouveau‑Brunswick qui touche annuellement environ 14 millions de dollars de financement en vertu d’une entente conclue entre elle et le MAINC. En 2007, année où la décision contestée a été prise, la demanderesse et le MAINC étaient parties à une entente de financement couvrant la période du 1er avril 2005 au 31 mars 2008 (l’entente). La décision du MAINC de nommer un séquestre-administrateur a été prise sous le régime de cette entente.

 

[3]               Vu la longueur de l’historique financier ayant mené à la décision de recourir à la gestion par séquestre‑administrateur, je ne résumerai que les faits pertinents. Essentiellement, la demanderesse a fait l’objet d’une intervention correctrice – intervention de plus faible niveau – pendant plus de 18 ans, en raison de manquements aux ententes de financement. Cette intervention était gérée de la Bande et obligeait celle‑ci à élaborer, appliquer et respecter un plan de redressement. Pendant ces années, le ratio du déficit cumulatif n’a cessé de croître. Au mois de décembre 2005, le MAINC a obligé la demanderesse à consentir à la cogestion, et les services du cabinet Teed Saunders Doyle & Co. ont été retenus. 

 

[4]               Un plan de redressement a été mis en place au mois de janvier 2006. Le MAINC a demandé pendant plus d’un an que des modifications y soient apportées pour répondre à des préoccupations liées aux déficits enregistrés par la demanderesse, mais sans succès. La demanderesse n’a pas fourni au MAINC de budget révisé, pas plus qu’elle n’a respecté ses obligations de faire rapport pour ces mêmes périodes. 

 

[5]               En juin 2007, le cabinet Arbuthnot, MacNeil, Douglas, Dorey et Associates Ltd. (AMDD) a remplacé Teed Saunders Doyle & Co. en qualité de cogestionnaire; il avait jusqu’au 31 août 2007 pour élaborer un nouveau plan de redressement. 

 

[6]               Pendant ce temps, la demanderesse, qui était à la recherche d’appuis en vue d’une restructuration financière, avait reçu de la part de Merchant Capital LLC une proposition de consolidation de dettes assortie du financement additionnel de certains projets. Il semble que cette proposition ait recueilli un appui mitigé du directeur général régional intérimaire du MAINC en poste à l’époque, M. Ian Gray, lors d’une rencontre tenue le 12 juillet 2007.

 

[7]               Un rapport intitulé Tobique Co-Management Assessment, daté du 13 juillet 2007, a été communiqué peu après aux parties. Le ratio du déficit de la demanderesse y était établi à 67,2%. Le rapport signalait que l’entente de financement pluriannuelle devait prendre fin sous peu, mais que la demanderesse ne répondait pas aux critères régissant la conclusion d’une nouvelle entente. Il faisait état d’une dette fiscale de 2,1 millions de dollars de Tobique Economic Development Corp. Operations (TEDCO) à l’endroit de l’Agence du revenu du Canada ainsi que d’autres dettes et pertes, et indiquait que la comptabilité de cette société était incomplète. En outre, des dettes de TEDCO avaient été liées aux activités de la Bande et avaient eu des incidences sur les finances de celle‑ci, et ces opérations n’avaient été déclarées qu’après le fait. Le rapport comportait également un résumé des flux de trésorerie indiquant un manque à gagner de six millions de dollars, sans compter la dette fiscale et d’autres obligations en matière d’assurance et de santé et sécurité. Le rapport relevait certain progrès, découlant notamment de réductions de personnel et de la mise en place de contrôles financiers, mais signalait qu’il fallait mettre un terme à la négligence concernant les obligations de faire rapport. Il faisait également état de plusieurs observations de la part de membres de la communauté et concluait qu’il n’y avait pas de réussite possible sans effort collectif.

 

[8]               Suivant un affidavit souscrit par un représentant du MAINC, le ministère a commencé à envisager la nomination d’un séquestre-administrateur vers le 3 août 2007, après une série de rencontres avec AMDD lors desquelles il a appris que la situation financière de la demanderesse était plus grave qu’on ne le pensait initialement et qu’il y avait sérieusement lieu de craindre que de nombreux prêteurs exigent le remboursement de leurs prêts. En outre, la demanderesse risquait d’éprouver de graves problèmes de trésorerie pouvant compromettre sous peu sa capacité de fournir des services comme l’éducation. La proposition de Merchant Capital suscitait également des préoccupations. AMDD avait signalé ces préoccupations à la demanderesse.

 

[9]               Le 7 août 2007, lors d’une rencontre à laquelle assistait aussi AMDD, le MAINC a fait part à la demanderesse de son intention de mettre en œuvre la gestion par séquestre‑administrateur. C’est après cette rencontre que le MAINC a envoyé par télécopieur la lettre en date du 9 août 2009 confirmant la décision et en exposant les motifs.

 

[10]           La demande de contrôle judiciaire a été déposée le 14 août 2007 et vise la décision de mettre en œuvre la gestion par séquestre-administrateur.

 

La décision contestée

[11]           La lettre du 9 août 2007 indique qu’elle fait suite à la rencontre du 7 août 2007 avec le conseil, lors de laquelle le MAINC a annoncé sa décision de mettre en œuvre la gestion par séquestre‑administrateur afin d’assurer la fourniture de services essentiels, après constatation que la demanderesse ne s’était pas conformée à l’article 8 de l’entente. La lettre indique également que la demanderesse était informée depuis un certain temps des préoccupations du ministère au sujet de sa situation financière, comme en font foi les lettres jointes et qu’elle avait été avisée à maintes reprises que des mesures correctives s’imposaient. La lettre fait aussi état de la confirmation récente par le cogestionnaire de la possibilité que toute nouvelle subvention fasse l’objet d’une saisie. Pour ces motifs et en raison de l’incapacité de la demanderesse de remédier aux manquements, le niveau d’intervention le plus élevé s’imposait afin de protéger le financement et de maintenir les programmes et la fourniture des services.

 

[12]           La lettre fait état de la nomination d’un séquestre‑­administrateur pour administrer les fonds payables à la demanderesse; elle décrit également le processus qui devra être suivi pour l’établissement d’une nouvelle entente globale de financement et confirme que les exigences en matière de rapports continuent de s’appliquer.

 

Les questions en litige

[13]           Les parties ont soulevé six questions; deux d’entre elles sont des questions préliminaires.

a.       Y a‑t‑il lieu de radier certains paragraphes de l’affidavit du chef Bear parce qu’ils renferment de nouveaux éléments de preuve non pertinents dont ne disposait pas le décideur?

b.      La lettre émanant de l’avocat d’AMDD et visant à corriger une déclaration faite lors du contre‑interrogatoire sur affidavit fait‑elle partie du dossier de la Cour?

c.       La décision de mettre en œuvre la gestion par séquestre‑administrateur était‑elle raisonnable?

d.      Le MAINC a‑t‑il porté atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale en ne lui donnant pas un avis suffisant de sa décision relative à la gestion par séquestre‑administrateur?

e.       Le MAINC avait‑il une obligation fiduciale envers le demandeur et a‑t‑il manqué à cette obligation en recourant à la gestion par séquestre‑administrateur?

f.        Les réparations demandées existent-elles en droit et ont elles une utilité pratique?

 

[14]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs exposés ci‑dessous.

 

Dispositions pertinentes de l’entente

[15]           Voici les dispositions pertinentes de l’entente de financement conclue entre le MAINC et la Bande indienne Tobique pour la période 2005/2006-2007/2008 (16 mars 2005).

            [traduction]

            8.0       MANQUEMENT AUX OBLIGATIONS

 

8.1       Le Conseil manque à ses obligations dans les situations suivantes :

 

a)         le Conseil ne respecte pas l’une ou l’autre de ses obligations prévues dans l’entente;

 

            […]

 

c)         la vérification révèle que le Conseil a accumulé un déficit équivalant à 8 p.100 ou plus de ses revenus totaux annuels;

 

d)         le Ministre a des motifs raisonnables de croire, en se fondant sur des preuves tangibles, que la santé, la sécurité ou le bien-être des membres ou des bénéficiaires sont à risque.

 

9.0              MESURES DE REDRESSEMENT EN CAS DE MANQUEMENT

 

9.1       En cas de manquement du Conseil, les parties se réuniront afin d'examiner la situation.

 

9.2       Nonobstant la section 9.1, en cas de manquement du Conseil aux termes de la présente entente, le Ministre peut adopter une ou plusieurs des mesures de redressement suivantes qu'il estimera raisonnablement nécessaires, compte tenu de la nature et de l'importance du manquement :

 

a)         exiger du Conseil l'élaboration et la mise en œuvre d’un plan de redressement dans les trente (30) jours, ou dans un autre délai convenu par les parties et précisé par écrit, sans que ce nouveau délai ne dépasse soixante (60) jours;

 

b)         exiger du Conseil la conclusion d'une entente de cogestion;

 

c)         nommer, sur présentation d'un avis au Conseil, un séquestre‑administrateur;

 

d)         retenir les fonds qui seraient autrement payés en application de la présente entente;

 

e)         obliger le Conseil à prendre toute mesure raisonnable jugée nécessaire pour corriger le manquement;

 

f)          prendre toute autre mesure raisonnable que le Ministre juge nécessaire pour corriger le manquement;

 

g)         résilier la présente entente.

 

 

Position de la demanderesse

Caractère raisonnable de la décision

[16]           La demanderesse soutient que l’examen de la décision du ministre de mettre en œuvre la gestion par séquestre‑administrateur doit se faire suivant la norme de la raisonnabilité. Elle cite à cet égard la décision Première nation Pikangikum c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2002 CFPI 1246, 224 F.T.R. 215, de notre Cour, statuant que la norme applicable à la décision de subordonner le financement d’une bande à la conclusion d’une entente de cogestion est la norme de la décision manifestement déraisonnable, et elle ajoute que, depuis cette décision, la Cour suprême du Canada a fondu cette norme dans celle de la décision raisonnable, dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

 

[17]           Suivant la demanderesse, la décision est déraisonnable pour plusieurs raisons. Premièrement, il était déraisonnable, selon elle, de rejeter la proposition de Merchant Capital sur la foi de renseignements non fondés émanant du cogestionnaire AMDD. Elle ajoute que la défenderesse savait que ni le Chef ni le conseil n’avaient approuvé la fourniture de ces renseignements, lesquels ne tenaient pas compte du fait qu’une résolution de la demanderesse autorisait la prise de nouvelles mesures afin que cette proposition soit adoptée (dossier de la demanderesse, pages 67 et 68). Elle affirme aussi que les renseignements relatifs aux craintes de la communauté au sujet de la proposition Merchant Capital émanaient d’un conseiller dissident et que le MAINC a agi de façon déraisonnable en s’appuyant sur le rapport d’AMDD fondé sur ces renseignements.

 

[18]           Deuxièmement, elle soutient qu’il était déraisonnable pour le MAINC de prétendre que les fonds de la demanderesse pouvaient faire l’objet de saisies car c’était faire fi de la protection attachée aux fonds détenus dans une réserve. En effet, les fonds en cause se trouvant auprès d’une institution financière sise dans la réserve, ils étaient insaisissables en vertu de l’article 89 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5, puisqu’ils satisfaisaient au critère de l’emplacement physique formulé dans MacDiarmid Lumber Ltd. c. Première Nation de God’s Lake, 2006 CSC 58, [2006] 2 R.C.S. 846.

 

[19]           Troisièmement, elle prétend qu’il était déraisonnable de se fier aux renseignements fournis par AMDD parce qu’ils ne témoignaient pas de la connaissance ou de la prise en compte des bonnes relations existant entre la demanderesse et son institution financière (Peace Hills Trust).

 

[20]           Quatrièmement, il n’était pas raisonnable que la décision repose sur le rapport d’AMDD parce qu’il incluait dans les dettes directes de la Bande des dettes de personnes morales et parce qu’il ne tenait pas compte des moyens de défense que la demanderesse pouvait opposer à des créanciers ou de la réclamation pendante de celle‑ci contre la province du Nouveau‑Brunswick.

 

[21]           Enfin, la demanderesse affirme que ses décisions, en particulier sa décision de continuer à appliquer l’entente de cogestion conclue avec Teed Saunders, ont été déraisonnablement refusées par la défenderesse, qui aurait pu les contester en application de l’article 18 de la Loi sur les Indiens

 

Équité procédurale

[22]           La demanderesse soutient que le MAINC était tenu, en l’espèce, de respecter l’équité procédurale, mais qu’il avait manqué à son obligation en lui annonçant sa décision de mettre en œuvre la gestion par séquestre‑administrateur, le 7 août 2007, peu de temps après la réunion du 12 juillet 2007, lors de laquelle cette possibilité avait été évoquée sans qu’il y ait avis d’intention.

 

[23]           La demanderesse invoque à cet égard la décision Première Nation Pikangikum, dans laquelle notre Cour a conclu, aux paragraphes 93, 101 et 102, à l’existence d’une obligation d’équité procédurale exigeant qu’avis des manquements soit donné avant d’imposer la cogestion et statué que des annonces et déclarations générales n’étaient pas suffisantes.

 

Manquement à une obligation fiduciale

[24]           Suivant la demanderesse, la défenderesse a l’obligation fiduciale d’aider à préserver et soutenir l’autonomie gouvernementale des bandes indiennes. Bien qu’elle reconnaisse que cette question n’a pas été tranchée par les tribunaux, elle soutient que la décision de mettre en œuvre la gestion par séquestre‑administrateur faisait intervenir une obligation fiduciale de diligence.

 

Position de la défenderesse

Affidavit du chef Bear

[25]           La défenderesse demande la radiation des paragraphes 7, 8, 9, 10, 11 et 11 de l’affidavit souscrit le 21 janvier 2008 par le chef Bear, parce qu’ils renferment de nouveaux éléments de preuve dont ne disposait pas le décideur. Ils se rapportent à la résiliation de l’entente de cogestion avec AMDD et comportent des allégations portant que la demanderesse est sous‑financée. La défenderesse soutient que ces déclarations n’entrent pas dans les exceptions autorisées et ne sont pas pertinentes pour la résolution du présent litige.   

 

Lettre de l’avocat d’AMDD

[26]           Le 5 mars 2008, l’avocat d’AMDD a envoyé une lettre corrigeant les déclarations faites en contre‑interrogatoire par M. Arbuthnot (d’AMDD). Il a expliqué qu’il y avait deux versions de l’évaluation de la cogestion réalisée par AMDD, que M. Arbuthnot avait confondu ces deux versions (dossier de la demanderesse, pièce D-1, pages 54 à 57 et D-2, pages 58 à 62) et qu’il s’était rendu compte de son erreur par la suite. La lettre précise que la version jointe sous la cote D‑1 à l’affidavit du chef Bear est celle qui avait été soumise au MAINC, et non la pièce D‑2 comme le témoin l’avait déclaré. La défenderesse souligne que la pièce C, contenant le rapport reçu par le MAINC, jointe à l’affidavit de Dougal MacDonald confirme ce fait, et fait valoir que les corrections sont appropriées et que la Cour doit les accepter afin de disposer des renseignements les plus pertinents et exacts (Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1996), 111 F.T.R. 140, paragraphes 5-8 (C.F.1re inst.) (QL)).

 

Caractère raisonnable de la décision

[27]           Citant la décision Première Nation Pikangikum et la décision plus récente Tribu d’Ermineskin c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2008 CF 741, 334 F.T.R. 126, où notre Cour a conclu que la décision du MAINC de se prévaloir des dispositions relatives aux manquements d’ententes de financement s’examine suivant la norme de la décision raisonnable, la défenderesse affirme que la norme de contrôle applicable à la question en cause est celle de la raisonnabilité, et signale que la demanderesse paraît partager cet avis.

 

[28]           Pour ce qui est de la décision ministérielle en cause, la défenderesse soutient que la mise en œuvre de la gestion par séquestre‑administrateur constitue une décision discrétionnaire du MAINC suivant l’article 9 de l’entente de financement et que les faits en démontrent le caractère raisonnable. Elle mentionne, plus particulièrement, que la demanderesse manquait aux obligations de l’entente depuis plusieurs années en raison de son déficit cumulatif inacceptable et que même le chef Bear avait convenu en contre‑interrogatoire qu’il existait d’autres manquements à l’entente de financement courante. En outre, la demanderesse était déjà cogérée depuis 2005, et le cabinet cogestionnaire avait formulé l’avis que les fonds risquaient d’être saisis. Qui plus est, le MAINC a été informé au mois de juillet 2007 que la situation financière de la demanderesse n’avait jamais été aussi mauvaise, et il n’était pas en mesure d’évaluer la situation puisque la demanderesse persistait à ne pas lui fournir les renseignements nécessaires. Enfin, le cogestionnaire estimait qu’en dépit des avances de fonds, des services essentiels étaient menacés.

 

[29]           La défenderesse affirme également que le MAINC pouvait prendre en compte les observations d’AMDD au sujet de la situation financière de la demanderesse car le cogestionnaire a pour fonction de travailler en conjonction avec la Bande à l’accomplissement de ses obligations. La défenderesse souligne que le cogestionnaire ne recevait pas de directives du MAINC et que le MAINC n’était pas partie à l’entente de cogestion conclue entre la demanderesse et AMDD. 

 

[30]           Relativement au risque de saisie des fonds par des créanciers, la défenderesse reconnaît que la lettre exposant la décision en fait expressément état. Elle convient également que l’article 89 de la Loi sur les Indiens a généralement pour effet de rendre de tels fonds insaisissables, mais elle fait valoir que la possibilité pour les bandes de renoncer à cette mesure est établie en jurisprudence (voir Tribal Wi-Chi-Way-Win Capital Corp. v. Stevenson, 2009 MBCA 72, 240 Man.R. (2d) 122) et que le MAINC avait reçu un avis l’informant que les fonds pouvaient être saisis en application d’un contrat de garantie mais qu’ils étaient insaisissables lorsqu’ils étaient détenus par un séquestre‑administrateur. Cela constituait donc un facteur pertinent que le décideur pouvait prendre en considération pour parvenir à la conclusion qu’il convenait de passer à un niveau d’intervention supérieur. 

 

[31]           Selon la défenderesse, le MAINC était au courant de la proposition de Merchant Capital et de l’appui conditionnel de M. Gray. Citant l’affidavit de M. Dougal MacDonald, elle soutient que des discussions étaient en cours et que le ministère aurait pris la même décision indépendamment des commentaires selon lesquels des membres de la communauté craignaient toute forme de marché. En outre, M. MacDonald a tiré sa propre conclusion et, malgré la proposition Merchant Capital, il a été déterminé que, compte tenu des graves dangers menaçant les fonds, la meilleure solution consistait à recourir à la gestion par séquestre‑administrateur.

 

[32]           La défenderesse oppose à la demanderesse qu’il n’était pas déraisonnable de faire fond sur le rapport d’AMDD et sur l’expérience qu’il avait acquise dans d’autres situations similaires. Par ailleurs, le MAINC ne pouvait prendre en compte les moyens de défense que la Bande pouvait invoquer contre divers créanciers et la réclamation pendante contre la province tant que ces questions n’étaient pas réglées; la réclamation de la Bande ne pouvait être considérée comme une créance et les réclamations des créanciers devaient être considérées comme des dettes. Enfin, la défenderesse répète que la demanderesse a omis de fournir des renseignements financiers et qu’il n’était pas déraisonnable pour le MAINC de prendre une décision sans ces renseignements, quoi qu’en dise la demanderesse.

 

[33]           S’agissant de l’argument de la demanderesse selon lequel le MAINC a agi de façon déraisonnable en refusant les décisions de la Bande sans les contester conformément à la Loi sur les Indiens, la défenderesse affirme qu’aucun élément de preuve n’étaye la pertinence de ce motif.

 

Équité procédurale

[34]           La défenderesse fait valoir que l’obligation d’équité procédurale est très variable et que son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas (Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, paragraphe 46). Se reportant aux cinq facteurs énumérés dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 23 à 27, elle soumet en outre que l’exigence d’équité est minimale en l’espèce et qu’elle n’impose pas de donner un préavis à la demanderesse.

 

[35]           Selon la défenderesse, la décision en cause, par sa nature, s’apparente davantage à une décision purement ministérielle et, à ce titre, elle requiert une protection minimale. Il s’agit également d’une décision axée sur des considérations de politique générale, largement discrétionnaire, et faisant intervenir de multiples facteurs, de sorte que l’obligation d’équité devrait être allégée. Enfin, si le MAINC devait assumer une lourde obligation d’équité dans ce contexte, sa capacité de veiller à ce que les fonds accordés soient dépensés pour les fins prévues s’en trouverait gravement limitée.

 

[36]           Pour ce qui est de la nature du régime législatif, la défenderesse souligne qu’aucune disposition législative ne régit le processus décisionnel applicable en matière de financement des Premières Nations. Ce pouvoir discrétionnaire indique que les exigences d’équité procédurale sont minimales.

 

[37]           S’agissant de l’importance de la décision pour les personnes visées, la défenderesse fait valoir qu’il faut considérer les intérêts de tous les membres de la Bande qui bénéficient des fonds affectés à la fourniture de services et des programmes qui leur sont destinés. Le MAINC doit être en mesure d’exiger que la Bande rende compte de l’emploi des fonds publics à ces fins, facteur indiquant lui aussi une obligation d’équité procédurale limitée.

 

[38]           La défenderesse soutient qu’aucun élément de preuve établissant qu’elle n’a pas respecté la procédure ou qu’elle est revenue sur des promesses matérielles accordant des droits procéduraux importants au sens de Baker n’a été présenté, de sorte que le facteur des attentes légitimes est indicatif d’exigences minimales en matière d’avis.

 

[39]           S’agissant de la procédure retenue par le décideur, la défenderesse affirme que les termes de l’entente sont pertinents pour définir l’étendue de la protection procédurale à laquelle la demanderesse peut prétendre. Selon la défenderesse, l’entente n’exige pas que la décision de mettre en œuvre la gestion par séquestre‑administrateur soit précédée d’un avis pas plus qu’elle ne confère à la demanderesse le droit de répondre aux motifs fondant cette décision ou de remédier aux manquements.

 

[40]           L’alinéa 9.2c) n’exige pas de préavis de nomination d’un séquestre‑administrateur (dossier de la défenderesse, volume 1, page 65) et, selon la défenderesse, il doit en être ainsi pour assurer la transmission ordonnée des fonds.

 

[41]           La défenderesse ajoute que ces facteurs ne sont pas exhaustifs et qu’il faut, en l’espèce, prendre en compte les impérieuses contraintes de temps en cause; il s’agissait d’une situation sérieuse et une saisie imminente était à craindre. Ce facteur, ajouté à ceux de l’arrêt Baker, définit une situation menant à une faible obligation d’équité procédurale.  

 

[42]           La défenderesse soutient qu’en supposant même qu’un préavis s’imposait, il a été donné. S’inspirant du droit régissant les contrats de travail, elle fait valoir que l’exigence d’équité procédurale en matière de préavis est satisfaite lorsqu’on peut démontrer que la demanderesse était au courant des risques et des motifs (Knight c. Indian Head School Division No. 19; Pelletier c. Canada (Procureur général), 2007 CAF, [2007] 4 R.C.F. 81).

 

[43]           La défenderesse souligne à cet égard, que la demanderesse manquait continuellement à ses obligations et qu’elle savait que l’entente instituait des mesures d’intervention progressives. De plus, il appert du dossier du tribunal que de nombreuses rencontres avec la demanderesse ont eu lieu, lors desquelles elle a été avisée que la gestion par séquestre‑administrateur était une possibilité et où elle aurait pu exposer sa position.

 

[44]           La demanderesse était en cogestion, de sorte que la gestion par séquestre‑administrateur constituait le prochain niveau d’intervention possible. La demanderesse était également au courant des préoccupations exprimées dans le rapport d’AMDD et savait que le MAINC en avait été informé. Enfin, la possibilité de discuter du contenu du rapport et des questions soulevées existait et a mené à la rencontre du 7 août 2007. Par conséquent, l’action du MAINC était appropriée, et la demanderesse connaissait les risques et les motifs fondant la décision, de sorte que toute exigence de préavis était satisfaite, selon la défenderesse.

 

[45]           La défenderesse établit une distinction entre la présente espèce et l’affaire Première Nation Pikangikum du fait que la politique applicable, dans cette dernière affaire, exigeait de déterminer si le bénéficiaire était disposé à remédier aux manquements mais en était incapable. En l’espèce, la politique applicable exige d’examiner la volonté du bénéficiaire de remédier aux manquements, et la preuve indique que la demanderesse a bénéficié de nombreuses possibilités de le faire mais ne s’en est pas prévalue. Cet aspect a joué dans la décision de nommer un séquestre‑administrateur. Dans la décision susmentionnée, en outre, les parties n’avaient pas conclu d’entente. En conséquence, la conclusion du juge O’Keefe que le bénéficiaire doit d’abord savoir quel est le problème ou le manquement, ce qui exige qu’il reçoive un préavis, ne s’applique pas en l’espèce.

 

[46]           La défenderesse fait donc valoir, pour ces raisons, que le degré d’équité procédurale applicable était peu élevé et qu’il n’exigeait pas de préavis. Elle soutient, subsidiairement, que si obligation il y avait, il y a été satisfait.

 

Obligation fiduciale

[47]           Suivant la défenderesse, les tribunaux ont généralement reconnu l’existence d’obligations fiduciales à l’égard de la gestion de terres autochtones, lorsque l’État doit justifier une atteinte à un droit visé à l’article 35 et, plus récemment, lorsque l’État assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers (Guerin c. Canada, [1984] 2 R.C.S. 335; R c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245), mais aucune de ces situations n’est présente en l’espèce et la demanderesse n’a pas revendiqué d’intérêt autochtone identifiable à l’égard duquel le MAINC aurait assumé des pouvoirs discrétionnaires.

 

[48]           Selon la défenderesse, la Cour ayant déjà statué qu’il n’existe aucun lien entre la nomination d’un séquestre‑administrateur et l’autonomie gouvernementale (Conseil des anciens des Mitchikanibikok Inik c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2009 CF 374, 343 F.T.R. 298, paragraphe 40), l’argument de la demanderesse fondé sur l’autonomie gouvernementale est voué à l’échec.

 

[49]           La défenderesse ajoute que la demanderesse invoque relativement à cette question des arguments soumis pour d’autres motifs et qui relèvent plutôt du droit administratif, de sorte que la Cour devrait s’en tenir au droit administratif ordinaire dans ce contexte (Bande indienne de Tsartlip c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2000] 2 C.F. 314 (C.A.)).

 

Réparations

[50]           La défenderesse soutient que la Cour devrait refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire à l’égard de beaucoup des demandes de réparation formulées dans l’avis de demande. Selon elle, l’annulation de la décision risque d’avoir des répercussions imprévisibles car la décision a été rendue il y a plus de deux ans et il ressort de la preuve que la situation financière de la demanderesse n’est toujours pas en ordre. Quant au jugement déclaratoire demandé, il ne serait pas très utile lui non plus car il ne permettrait pas aux parties de savoir quelle ligne de conduite adopter à l’égard des changements inconnus qui sont survenus.

 

[51]           La défenderesse ajoute que la demande d’ordonnance de cogestion revient en fait à demander un bref de mandamus, mais que plusieurs des éléments du critère applicable en ce cas n’ont pas été remplis. Il ne conviendrait pas non plus que la Cour dicte la décision ministérielle à prendre puisque la situation actuelle n’est pas connue. 

 

[52]           De plus, si manquement à l’équité procédurale pour absence de préavis il y a eu, il était sans conséquence, en sorte qu’il ne saurait entraîner l’annulation de la décision.

 

[53]           Pour ce qui est de la demande de dommages‑intérêts, enfin, la défenderesse fait valoir qu’il est de droit courant qu’une demande de contrôle judiciaire ne peut donner lieu à un tel recours (Al-Mhamad c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 2003 CAF 45, [2003] A.C.F. no 145, paragraphe 3 (QL)).

 

Analyse

Y a‑t‑il lieu de radier certains paragraphes de l’affidavit du chef Bear parce qu’ils renferment de nouveaux éléments de preuve non pertinents dont ne disposait pas le décideur?

[54]           Il est bien établi qu’un contrôle judiciaire s’effectue en fonction des seuls éléments de preuve dont disposait le décideur, à moins que ne se pose une question de compétence ou d’équité procédurale. Une question d’équité procédurale a été soulevée en l’espèce, mais les paragraphes 7, 8, 9, 10, 11 et 11 ne s’y rapportent pas. En outre, ils ne sont pas pertinents pour l’examen de la demande dans son ensemble et concernent des faits survenus après la décision contestée. Ils seront donc radiés.

 

La lettre émanant de l’avocat d’AMDD et visant à corriger une déclaration faite lors du contre‑interrogatoire sur affidavit fait‑elle partie du dossier de la Cour?

[55]           La défenderesse a cherché à faire ajouter au dossier de la Cour une lettre de l’avocat d’AMDD afin de corriger une déclaration faite en contre‑interrogatoire concernant la version du rapport qui a été soumise au MAINC. Je n’accéderai pas à cette demande, car la lettre n’apporterait rien au dossier ni ne le compléterait. Le dossier déposé devant le tribunal par le MAINC renfermant une copie du rapport, on peut facilement déterminer quelle version le ministère a reçue; il n’est donc pas nécessaire d’y ajouter quoi que ce soit. La présente espèce diffère de Pharmacia Inc., citée par la défenderesse car, dans ce dernier cas, la rectification venait préciser et confirmer un témoignage d’expert reposant sur des conjectures. La question de la version ayant servi à la prise de décision du MAINC n’est pas en litige, et j’estime que le dossier est adéquat et complet.  

 

La décision de mettre en œuvre la gestion par séquestre‑administrateur était‑elle raisonnable?

[56]           Les deux parties soutiennent que la décision d’imposer un séquestre‑administrateur s’apprécie suivant la norme de la raisonnabilité. C’est aussi mon avis. Dans Première Nation Pikangikum, la Cour a conclu à l’application de la norme de la décision manifestement déraisonnable et, dans Dunsmuir, la Cour suprême a indiqué que la jurisprudence existante pouvait guider la détermination de la norme de contrôle applicable (paragraphes 57 et 62). De plus, dans Tribu d’Ermineskin, où la décision consistait en la conclusion que la bande en cause avait contrevenu à une entente de financement, la juge Dawson a conclu, après examen des facteurs énumérés dans Dunsmuir, que la norme applicable était celle de la décision raisonnable (paragraphes 42 et 43). J’estime que ces mêmes facteurs interviennent en l’espèce et appellent l’application de la norme de la raisonnabilité. Par conséquent, la Cour examinera si la décision contestée appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47).  

 

[57]           La demanderesse qualifie la décision du MAINC de déraisonnable pour plusieurs raisons. Elle prétend notamment qu’il était déraisonnable de la fonder sur les renseignements provenant du cogestionnaire. Je ne puis lui donner raison, et j’estime qu’il était raisonnable et nécessaire de tenir compte des rapports d’AMDD. Tout d’abord, il n’est pas contesté que la demanderesse ne se conformait pas à l’entente depuis de nombreuses années, en raison de son déficit cumulatif inacceptable et parce qu’elle avait manqué à maintes obligations de faire rapport.

 

[58]           En outre, puisque la demanderesse omettait continuellement de lui transmettre l’information nécessaire, le MAINC ne pouvait connaître la situation financière de cette dernière et n’avait aucun moyen de vérifier les renseignements financiers fournis par AMDD. Il y a une certaine incongruité pour la demanderesse à refuser de fournir au MAINC les renseignements financiers qu’il requiert mais à lui reprocher de se fonder sur le profil financier établi par AMDD. Il était également raisonnable de ne pas tenir compte de défenses que la Bande pouvait opposer à des créanciers ou de dettes qui lui étaient dues parce qu’il ne s’agissait pas de faits certains. Par ailleurs, le cogestionnaire avait pour rôle de travailler en conjonction avec la Bande à la réalisation des obligations de celle‑ci; il n’avait aucun intérêt dans les renseignements fournis et il ne recevait pas non plus de directives de la part du MAINC.   

 

[59]           Relativement aux bonnes relations existant entre la demanderesse et Peace Hills Trust et aux risques de saisie, je signalerais d’abord qu’il appert du dossier de la Cour que Peace Hills Trust a, à un moment donné, refusé d’effectuer toute nouvelle avance de fonds et a demandé le paiement de dettes. La demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve concernant ses relations avec son banquier ni démontré en quoi celles‑ci pourraient rendre la décision déraisonnable.

 

[60]           En ce qui concerne les saisies possibles, je conviens qu’aux termes de la Loi sur les Indiens, les fonds détenus dans une réserve sont généralement insaisissables et que le dossier ne comporte pas de preuve des conventions de prêt me permettant de déterminer s’il y a eu ou non renonciation à ce droit. Toutefois, un courriel envoyé au MAINC par AMDD et déposé en preuve indique que les fonds de la demanderesse pouvaient faire l’objet d’une saisie et, un autre courriel, que Peace Hills Trust avait exigé le remboursement de certaines dettes de la demanderesse et avait l’intention d’en percevoir le paiement en débitant son compte.

 

[61]           Étant donné la soudaine révélation de l’état des finances de la demanderesse et l’urgence de la situation, le MAINC devait, pour prendre sa décision, tenir compte non seulement des intérêts des membres de la demanderesse mais aussi de l’importance des fonds publics en jeu. Vu cette obligation et la situation financière globale de la demanderesse, il était réaliste, à mon avis, de craindre qu’une forme ou l’autre de saisie soit exécutée à n’importe quel moment, et j’estime que la protection des fonds publics et le maintien des services constituaient des motifs raisonnables d’opter pour la gestion par séquestre‑administrateur.

 

[62]           S’agissant de l’argument que le MAINC a agi de façon déraisonnable en refusant les décisions de la demanderesse sans les contester sous le régime de la Loi sur les Indiens, il n’est étayé par aucun élément de preuve.

 

[63]           Pour ce qui est de la proposition Merchant Capital, il ne s’agissait pas d’une possibilité concrète, et elle nécessitait d’autres recherches et actions de la part de la demanderesse. Elle aurait pu constituer une solution à long terme, mais cette seule éventualité n’en faisait pas un facteur déterminant dans la décision du MAINC. La Cour constate que Merchant Capital n’avait pris aucun engagement ferme (volume 2, onglet « TT », page 468).

 

[64]           Globalement, le MAINC devait, pour parvenir à une décision, tenir compte de divers facteurs, au nombre desquels figuraient les intérêts des membres de la Bande que la raréfaction des fonds pouvait priver sous peu de services essentiels. De plus, le cogestionnaire avait été nommé afin d’aider la demanderesse à remplir les obligations que lui imposaient l’entente, dont celle de fournir des renseignements financiers adéquats et d’autres rapports afin que le MAINC puisse déterminer si la demanderesse se conformait à l’entente. Par conséquent, il était tout à fait raisonnable de recourir à l’information fournie par le cogestionnaire, lequel possédait des connaissances spécialisées en cette matière et remplissait ses fonctions.

 

[65]            Enfin, il est incontestable que la demanderesse avait contrevenu à l’entente, que cette situation durait depuis plusieurs années et que très peu de mesures avaient été prises pour y remédier. Compte tenu de ces faits et de la preuve au dossier, je suis d’avis que la décision du MAINC de mettre en œuvre la gestion par séquestre‑administrateur était raisonnable et faisait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit en l’espèce.

 

Le MAINC a‑t‑il porté atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale en ne lui donnant pas un avis suffisant de sa décision relative à la gestion par séquestre‑administrateur?

[66]           Aucune des parties n’a présenté d’observation sur la norme de contrôle applicable à cette question. C’est la norme de la décision correcte qui s’y applique, selon moi. En effet, la demanderesse allègue que la défenderesse a transgressé les règles d’équité procédurale en ne lui donnant pas de préavis de sa décision, et notre Cour a indiqué à maintes reprises que la norme à appliquer lorsqu’un manquement à l’équité procédurale est en cause est celle de la décision correcte, norme qui sera appliquée en l’espèce (Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), 2009 CF 16, [2009] 1 C.N.L.R. 256, paragraphe 61). 

 

[67]           La demanderesse prétend que le MAINC devait préalablement l’aviser de son intention de nommer un séquestre‑administrateur à la Première Nation Tobique. Cette prétention repose entièrement sur la décision Première Nation Pikangikum de notre Cour. Les faits de cette dernière affaire, toutefois, différaient de ceux de la présente espèce. La décision du MAINC exigeait la conclusion d’une entente de cogestion à défaut de quoi le financement serait suspendu et les services seraient fournis par l’intermédiaire d’un mandataire.

 

[68]           En outre, les parties avaient déjà été liées par une entente, mais aucune n’était en vigueur au moment de la décision, et il ressort des motifs du juge O’Keefe que la politique applicable dans cette affaire avait compté pour beaucoup dans sa décision, et ce n’est pas cette politique qui s’applique en l’espèce. Je ne puis donc considérer que la décision Première Nation Pikangikum définit l’obligation d’équité à respecter en l’espèce, et j’examinerai en conséquence les facteurs pertinents énumérés dans l’arrêt Baker pour définir à quoi la demanderesse peut prétendre en matière d’équité procédurale.

 

Nature de la décision rendue

[69]           Les décisions du MAINC en matière de financement et d’administration des fonds versés sont de nature très discrétionnaire. Le MAINC est libre de choisir comment il distribuera les fonds alloués à une Première Nation, et il peut conclure des ententes définissant les obligations de chacune des parties. Les décisions d’intervention prises dans le cadre de telles ententes ont elles aussi un caractère éminemment discrétionnaire. Le MAINC ne prendra pas nécessairement de mesure au moindre manquement à l’entente, et il évaluera de multiples facteurs pour prendre une décision. La présente espèce illustre bien ce pouvoir discrétionnaire : les manquements de la demanderesse à l’entente étaient nombreux et duraient depuis un bon moment, mais le MAINC continuait à rencontrer la demanderesse afin d’établir des façons de fournir les services et de répondre aux besoins des membres de la communauté. Un tel pouvoir discrétionnaire est indicatif d’un degré minimal d’équité procédurale.

 

Nature du régime législatif

[70]           Aucune disposition législative ne prévoit d’obligation d’équité procédurale en l’espèce.

 

L’importance de la décision pour les personnes touchées

[71]           La décision revêt manifestement une grande importance puisqu’elle a fondamentalement pour effet de retirer à la demanderesse le droit de gérer ses propres affaires financières. La question se répercute également sur les intérêts des membres de la communauté, dont l’accès aux programmes et services risque d’être compromis si les fonds sont mal administrés. L’intérêt public à ce qu’il soit rendu compte de l’emploi de fonds publics entre aussi en jeu.

 

Attentes légitimes

[72]           La demanderesse n’a soumis aucun élément de preuve concernant ses rapports antérieurs avec le MAINC lorsque de telles décisions ont été prises ni la procédure suivie; il n’existe pas non plus d’élément de preuve relatif à des promesses. Il s’agit donc en l’espèce d’un facteur neutre.

 

Choix de la procédure

[73]           Deux documents régissent la décision prise par le MAINC en l’espèce : l’entente et la politique. L’entente ne renferme aucune disposition exigeant de donner préalablement avis de la décision de mettre en œuvre la gestion par séquestre‑administrateur, pas plus qu’elle ne prévoie le droit pour la demanderesse de répondre aux motifs fondant la décision ou de remédier aux manquements. Aucun avis de la nomination d’un séquestre‑administrateur n’est prévu (alinéa 9.2c)).

 

[74]           Pour ce qui est de la politique, la défenderesse soutient que, l’entente ayant été conclue antérieurement à la mise en application de la politique, les exigences de ce dernier document ne peuvent l’emporter sur les termes de l’entente. Je ne puis me rendre à cet argument puisque le texte de la politique en définit ainsi la portée :

2.1       La présente politique s’applique aux Ententes de financement Canada – Premières Nations (EFCPN), aux Ententes globales de financement (EGF) et à touts les autres accords de financement signés par Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC). Elle peut s’appliquer également si le conseil n’a pas signé d’accord de financement.

 

En outre, la politique était en place au moment où la décision a été prise, et elle énonce qu’elle vise à faciliter l’intervention en temps voulu et l’harmonisation des opérations régionales (art. 1.3). Son application systématique pour assurer l’uniformité des interventions relevait donc clairement du but poursuivi par son adoption.

   

[75]           La politique prévoit un processus d’intervention par étapes. Si un bénéficiaire ne se conforme pas à l’entente de financement le MAINC doit le rencontrer pour examiner la situation et déterminer les causes des problèmes ayant donné lieu au manquement (art. 8.1.1). Elle décrit également les étapes à suivre pour décider du niveau d’intervention requis. Le MAINC doit informer par écrit le bénéficiaire des clauses en matière de manquement sur lesquelles l’intervention est fondée, du genre d’intervention choisi et des motifs pour lesquels elle a été retenue, des mesures immédiates prises pour remédier aux difficultés sous‑jacentes au manquement et des renseignements ou politiques pouvant aider la Première Nation à se conformer aux exigences (art. 8.1.6 à 8.1.6.4).

 

[76]            La politique énonce également que, suivant le niveau d’intervention retenu, l’avis écrit doit expressément comporter certaines mentions, notamment que le ministre entend nommer un séquestre‑administrateur et qu’il propose de rencontrer la communauté pour expliquer la décision. L’article 8.4 précise que lorsque l’intervention procède au niveau supérieur, le ministre doit indiquer le manquement aux obligations sous le régime de l’article 17 qui est en cause.

 

[77]           À mon avis, la politique n’exige pas de donner de préavis de la décision mais plutôt de donner avis de la décision prise. Ce sont les éléments à inclure dans l’avis écrit – essentiellement les facteurs motivant la décision et les mesures immédiates qui la suivront – qui m’amènent à cette conclusion. L’avis n’appelle pas de réponse du bénéficiaire.

 

[78]           Un facteur additionnel joue en l’espèce, selon la défenderesse : l’urgence. Je relève en effet que la décision de mettre en œuvre la gestion par séquestre‑administrateur se veut une décision à court terme visant à assurer la fourniture de services et la protection des fonds. Elle doit être exécutée sans délai pour que ces objectifs soient remplis. L’urgence motivant cette décision est en outre indicative d’une obligation d’équité procédurale peu élevée.

 

[79]           Après examen de tous ces facteurs, j’estime qu’il n’était pas nécessaire en l’espèce de donner un préavis de la décision de mettre en œuvre la gestion par séquestre‑administrateur.

 

[80]           Le MAINC a satisfait aux obligations imposées par l’article 8.1.1 de la politique; il a rencontré la demanderesse et le cogestionnaire à de nombreuses reprises pour examiner des manquements de cette dernière à l’entente et les mesures à prendre pour y remédier. Une ample correspondance entre les parties se rapportant aux manquements et aux mesures correctrices a été déposée au dossier de la Cour. Le dossier comporte en outre des rapports de voyage et des procès‑verbaux de certaines de ces rencontres montrant qu’il a été fait mention plus d’une fois que le MAINC envisageait de passer au niveau d’intervention supérieur et de mettre en œuvre la gestion par séquestre‑administrateur. Cette possibilité a été mentionnée lors de la rencontre du 12 juillet 2007 (dossier de la défenderesse, volume 2, onglet « TT », page 468), peu avant que la décision soit prise et communiquée à la demanderesse. En conséquence, même si ma conclusion qu’il n’y a pas d’exigence de préavis était erronée, j’ai la conviction qu’il y a eu préavis en l’espèce. Toutes les parties en cause étaient parfaitement au courant de la précarité de la situation et de l’urgence de passer au niveau d’intervention supérieur.

 

[81]           En conséquence, la Cour est d’avis qu’il n’y a pas eu manquement aux règles d’équité procédurale à cet égard.

 

Le MAINC avait‑il une obligation fiduciale envers le demandeur et a‑t‑il manqué à cette obligation en recourant à la gestion par séquestre‑administrateur?

[82]           La demanderesse convient que l’existence d’une obligation fiduciale dans un tel cas n’est pas reconnue par la jurisprudence. Par conséquent, cet argument est voué à l’échec.

 

Les réparations demandées existent-elles en droit et ont‑elles une utilité pratique?

[83]           Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. La demanderesse versera à la défenderesse, à titre de dépens, la somme globale de 2 500 $, assujettie à la TPS. 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme
Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1497-07

 

INTITULÉ :                                       BANDE INDIENNE TOBIQUE et

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :               FREDERICTON (NOUVEAU‑BRUNSWICK)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 JANVIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                    LE JUGE BEAUDRY

 

EN DATE DU :                                  LE 21 JANVIER 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Harold L. Doherty                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

 

Susan R. Taylor                                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

 

                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harold L. Doherty                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général

 

 

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