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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100122

Dossier : T-1099-09

Référence : 2010 CF 74

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

TRAVIS HARVEY

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, d’une décision rendue le 9 juin 2009 par un membre de la Commission d’appel des pensions du Régime de pensions du Canada (la Commission), dans laquelle la Commission a rejeté la demande présentée par le demandeur afin d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel d’une décision d’un tribunal de révision du Régime de pensions du Canada.

 

Contexte factuel

[2]               M. Travis Harvey (le demandeur) s’est blessé en juin 2006 alors qu’il travaillait en tant que manœuvre en construction; depuis qu’il a subi sa blessure, il souffre de maux de dos. M. Harvey a quitté son travail de façon définitive en août 2006, et il affirme ne pas avoir été capable de travailler depuis ce temps en raison de maux de dos et de la douleur que ces maux provoquent. Il ne serait pas capable de s’asseoir ou de se tenir debout pendant de longues périodes de temps ni de soulever aucun poids. En outre, il allègue avoir de la difficulté à dormir en raison de ses maux de dos et être incapable d’exécuter les tâches ménagères les plus simples.

 

[3]               Le demandeur a 44 ans, a une septième année de scolarité et a travaillé en tant que manœuvre en construction la plus grande partie de sa vie active.

 

[4]               Le demandeur a présenté une demande de prestation d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le RPC), en septembre 2007. Sa demande a été rejetée et il a demandé une révision, laquelle a également été rejetée. Par la suite, en avril 2008, il a présenté une demande auprès d’un tribunal de révision du Régime de pensions du Canada (le tribunal de révision).

 

[5]               Le tribunal de révision a tenu une audience où le demandeur et son épouse ont témoigné. En avril 2009, il a rejeté l’appel par écrit et a conclu que l’invalidité du demandeur ne respectait pas la définition d’invalidité établie au paragraphe 42(2) du RPC, car [traduction] « son invalidité n’est pas si grave ou si prolongée qu’il est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice » (paragraphe 32 de la décision du tribunal de révision).

 

[6]               Il a par la suite présenté une demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission. La demande renfermait une brève lettre ainsi qu’un document intitulé [traduction] « Décision sur l’invalidité permanente et sur les prestations supplémentaires de remplacement du revenu » délivré par la Worker’s Compensation Board [Commission d’indemnisation des accidentés du travail] de la Nouvelle‑Écosse (la décision de la W.C.B.). Le 9 juin 2009, la Commission a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel; il s’agit de la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

La décision contestée

[7]               La décision de la Commission dans son entier se lit ainsi :

[traduction]

[1]        La décision du tribunal de révision est fondée sur une interprétation raisonnable de la preuve médicale fournie. Dans sa demande d’autorisation d’interjeter appel, le demandeur a seulement déposé une copie de la décision de la W.C.B. et rien d’autre.

 

[2]        Si la décision de la W.C.B. révèle quelque chose, c’est que le demandeur n’est pas invalide au sens du Régime de pensions du Canada et qu’il n’existe pas de cause défendable en appel de la décision du tribunal de révision.

 

[3]        La demande d’autorisation est rejetée.

 

Les questions en litige

[8]               Les questions en litige sont ainsi formulées :

a.       Les motifs fournis par la Commission sont-il suffisants?

b.      La Commission a-t-elle appliqué le critère approprié pour trancher la question de l’octroi de l’autorisation d’interjeter appel?

c.       La Commission a-t‑elle commis une erreur de droit dans son examen des faits lorsqu’elle a tranché la question de savoir s’il existait une cause défendable?

 

[9]               La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs qui suivent.

 

Les dispositions légales pertinentes

[10]           Les paragraphes 83(1) et (3) du RPC sont ainsi rédigés :

83. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en application de l’article 82 — autre qu’une décision portant sur l’appel prévu au paragraphe 28(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse — ou du paragraphe 84(2), ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, de même que le ministre, peuvent présenter, soit dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant le jour où la décision du tribunal de révision est transmise à la personne ou au ministre, soit dans tel délai plus long qu’autorise le président ou le vice‑président de la Commission d’appel des pensions avant ou après l’expiration de ces quatre‑vingt‑dix jours, une demande écrite au président ou au vice‑président de la Commission d’appel des pensions, afin d’obtenir la permission d’interjeter un appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission.

 

[…]

 

(3) La personne qui refuse l’autorisation d’interjeter appel en donne par écrit les motifs.

83. (1) A party or, subject to the regulations, any person on behalf thereof, or the Minister, if dissatisfied with a decision of a Review Tribunal made under section 82, other than a decision made in respect of an appeal referred to in subsection 28(1) of the Old Age Security Act, or under subsection 84(2), may, within ninety days after the day on which that decision was communicated to the party or Minister, or within such longer period as the Chairman or Vice‑Chairman of the Pension Appeals Board may either before or after the expiration of those ninety days allow, apply in writing to the Chairman or Vice-Chairman for leave to appeal that decision to the Pension Appeals Board.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(…)

 

(3) Where leave to appeal is refused, written reasons must be given by the person who refused the leave.

 

Les observations du demandeur

Motifs suffisants

[11]           Le demandeur soutient que les motifs écrits fournis par la Commission, lesquels sont exigés par le paragraphe 83(3) du RPC, ne sont pas suffisants et que la décision devrait donc être annulée.

 

[12]           Le demandeur allègue que les motifs de la décision de la Commission ne sont absolument pas suffisants pour permettre à la Cour de déterminer si la décision de la Commission de rejeter l’autorisation d’appel était justifiée, parce que la Commission n’explique pas pourquoi elle a tiré sa conclusion.

 

[13]           Le demandeur soutient que la déclaration de la Commission selon laquelle la décision du tribunal de révision était fondée sur une [traduction] « interprétation raisonnable » de la preuve médicale n’est d’aucune aide. La Commission a également affirmé que la décision de la W.C.B. mentionnait que le demandeur ne souffrait pas d’une invalidité au sens du RPC, mais elle n’a fourni aucune analyse expliquant pourquoi elle avait tiré une telle conclusion. En outre, le demandeur, en raison de l’absence d’explication, qualifie les motifs de [traduction] « tellement généraux qu’ils sont inutiles » et avance que la conclusion de la Commission, selon laquelle [traduction] « il n’existe pas de cause défendable en appel », équivaut à répéter le critère approprié sans que cette conclusion soit expliquée ou justifiée.

 

[14]           En appui à ses observations, le demandeur se fonde sur les paragraphes 25 à 32 de l’arrêt R c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, rendu par la Cour suprême du Canada, dans lequel il est conclu que les motifs doivent être suffisants afin de permettre qu’un examen valable de la décision puisse être effectué. Il se fonde également sur l’arrêt Marrone c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 216, [2008] A.C.F. no 1007 (QL), rendu par la Cour d’appel fédérale, et sur la décision Canada (Procureur général) c. Kermenides, 2009 CF 429, [2009] A.C.F. no 973, paragraphe 9 (QL), rendue par la Cour fédérale.

 

Le critère relatif à l’octroi d’une autorisation

[15]           Selon le demandeur, la norme de contrôle applicable à la question de savoir si la Commission a appliqué le critère approprié lorsqu’elle a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel devrait être la décision correcte (Canada (Procureur général) c. Landry, 2008 CF 810, 334 F.T.R. 157 (QL)).

 

[16]           Le demandeur soutient que la Cour doit trancher deux questions lors du contrôle d’une décision de la Commission portant sur une demande d’autorisation d’interjeter appel. Ces questions ont été établies par le juge Mackay qui a affirmé ce qui suit dans la décision Callihoo c. Canada (Procureur général) (2000), 190 F.T.R. 114, paragraphe 15 (C.F. 1re inst.) (QL) :

[…] [J]e suis d’avis que le contrôle d’une décision relative à une demande d’autorisation d’interjeter appel à la CAP donne lieu à deux questions :

 

1. la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère, c’est‑à‑dire la question de savoir [s’il existe une cause défendable], sans que le fond de la demande soit examiné;

 

2.  la question de savoir si le décideur a commis une erreur de droit ou d’appréciation des faits au moment de déterminer s’il [existait une cause défendable]. Dans le cas où une nouvelle preuve est présentée lors de la demande, si la demande soulève une question de droit ou un fait pertinent qui n’a pas été pris en considération de façon appropriée par le tribunal de révision dans sa décision, une [cause défendable] est soulevée et elle justifie d’accorder l’autorisation.

 

 

[17]           En ce qui concerne la question du critère approprié, le demandeur avance que la Commission doit déterminer s’il existe une « cause défendable » dans le cadre de la demande d’autorisation et qu’il s’agit d’un critère plus facile à respecter que celui imposé lors de l’appel portant sur le fond (Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) (1999), 173 F.T.R. 102 (C.F. 1re inst.) (QL)); Callihoo, paragraphe 15). Le demandeur souligne que, par ailleurs, la Commission ne doit pas examiner le bien‑fondé de la demande.

 

[18]           Le demandeur allègue que la Commission n’a pas appliqué le critère approprié bien qu’elle ait affirmé [traduction] « qu’il n’existe pas de cause défendable en appel ». Il soutient que les motifs donnent à penser que la Commission a en fait basé sa décision sur son examen du bien‑fondé de l’affaire. Cette approche ressort clairement de la déclaration de la Commission selon laquelle la décision du tribunal de révision est fondée sur une interprétation raisonnable de la preuve médicale. En outre, la déclaration portant sur la décision de la W.C.B. donne à penser que la Commission ne s’est pas penché sur la question de savoir si les renseignements se trouvant dans cette décision établissaient l’existence d’une cause défendable et qu’elle avait plutôt tiré sa conclusion sur le fondement de son appréciation de la preuve.

 

[19]           Le demandeur soutient donc que la conclusion de la Commission selon laquelle [traduction] « il n’existe pas de cause défendable en appel » ne peut pas justifier sa décision vu les motifs qui semblent révéler que la Commission a tranché la demande selon son bien‑fondé.

 

Les erreurs dans la conclusion portant sur la cause défendable

[20]           Le demandeur soutient que le présent point constitue la deuxième question devant être tranchée selon l’approche établie dans la décision Callihoo et que de nombreuses erreurs ont été commises en l’espèce.

 

[21]           La première erreur alléguée est que la Commission n’aurait pas apprécié la nouvelle preuve (soit la décision de la W.C.B.) que le demandeur avait fournie dans sa demande d’autorisation. Sur le fondement de la décision Samson c. Canada (Procureur général), 2008 CF 461, [2008] A.C.F. no 588 (QL), le demandeur avance que la cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire doit se demander si la demande d’autorisation permet véritablement de douter que le tribunal de révision serait arrivé à la même décision si la nouvelle preuve lui avait été soumise.

 

[22]           Le demandeur soutient qu’une analyse de la décision de la W.C.B. n’appuie pas la conclusion de la Commission selon laquelle il n’est pas invalide au sens du RPC. Il renvoie aux conclusions liées à la preuve médicale et aux perspectives d’emploi convenable dont il est question dans la décision de la W.C.B. ainsi qu’à la conclusion selon laquelle il a droit à des prestations de remplacement du revenu à long terme en raison de sa blessure.

 

[23]           Le demandeur fait remarquer que la W.C.B. a conclu dans sa décision que, selon une évaluation des capacités fonctionnelles datée du 9 février 2009, il ne peut effectuer que quatre à cinq heures de travail sédentaire par jour, ce qui diffère des renseignements sur ses capacités fonctionnelles dont a tenu compte le tribunal de révision dans sa décision. Le demandeur reconnaît que la décision de la W.C.B. ne constitue pas un élément de preuve décisif établissant qu’il est invalide au sens du RPC, mais il soutient que le tribunal de révision aurait rendu une décision différente s’il avait disposé de ce document.

 

[24]           La deuxième erreur alléguée est que la Commission n’aurait pas reconnu que le tribunal de révision avait mal appliqué le critère de l’analyse « réaliste » afin de déterminer si le demandeur souffrait d’une invalidité grave au sens du paragraphe 42(2) du RPC et que cela constituait une cause défendable.

 

[25]           Le demandeur allègue que le tribunal de révision a mal appliqué le critère établi dans l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, [2002] 1 C.F. 130 (QL), parce qu’il n’a pas examiné la question de savoir si le demandeur était capable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice compte tenu de sa blessure et de ses circonstances particulières, notamment eu égard à son expérience de travail et à son niveau d’instruction. Le demandeur plaide également que, dans la conclusion du tribunal de révision selon laquelle les difficultés qu’il a eues à se trouver un emploi étaient dues non pas à son invalidité physique, mais plutôt à son poste d’ouvrier non qualifié et à son faible niveau d’instruction, le tribunal de révision a effectué le type d’analyse même qui avait été qualifié d’inapproprié dans l’arrêt Villani.

 

[26]           La troisième erreur alléguée est que la Commission n’aurait pas reconnu que le tribunal de révision avait mal interprété la preuve médicale portant sur la nature et la gravité de l’invalidité du demandeur et que cela constituait une cause défendable.

 

[27]           Le demandeur souligne des éléments de preuve dont disposait le tribunal de révision et il soutient que, lorsque le tribunal de révision a conclu que le demandeur [traduction] « souffre d’un certain inconfort physique et est limité en raison de maux de dos, lesquels n’ont pas été qualifiés par un médecin comme étant graves ou dus à un grave problème de santé » (paragraphe 32 de la décision du tribunal de révision), il a commis une erreur dans l’interprétation de la gravité de l’état du demandeur et des conséquences négatives qu’il a subies.

 

[28]           La quatrième erreur alléguée est que la Commission n’a pas reconnu que le tribunal de révision n’avait pas donné suffisamment de poids, voire aucun poids, aux témoignages oraux présentés lors de l’audience.

 

[29]           Le demandeur soutient que le tribunal de révision a accordé trop de poids aux rapports médicaux, qu’il a mis l’accent sur la question de savoir si son invalidité avait un fondement objectif et qu’il n’a pas évalué les conséquences subjectives que son état avait sur lui. Le demandeur allègue que le tribunal de révision avait l’obligation de tenir compte de l’ensemble de la preuve, y compris son propre témoignage oral et celui de son épouse, lorsqu’il s’est penché sur la question de savoir si le demandeur était invalide. Le demandeur avance également que la Commission avait la même obligation lorsqu’il a tranché la question de savoir si une cause défendable existait en appel et qu’elle a commis une erreur lorsqu’elle a affirmé que la décision du tribunal de révision était fondée sur une interprétation raisonnable de la preuve médicale, et ce, sans tenir compte des témoignages oraux.

 

Les observations du défendeur

[30]           Le défendeur soutient que la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande d’autorisation et que la décision est raisonnable. En outre, le défendeur plaide que, à la lumière de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (QL), et du paragraphe 14 de la décision Samson, la norme de contrôle applicable à une décision de la Commission portant sur l’octroi d’une autorisation d’interjeter appel est la raisonnabilité.

 

[31]           Dans ses observations écrites, le défendeur n’a pas avancé d’arguments directement contre les points soulevés par le demandeur, y compris contre la question de savoir si les motifs sont suffisants, mais il a bien présenté des observations portant sur la raisonnabilité de la décision.

 

L’invalidité au sens du RPC

[32]           Le défendeur a présenté les observations générales suivantes en ce qui concerne les conditions prévues par le RPC. Afin d’avoir droit à une prestation d’invalidité, le demandeur doit respecter trois conditions : respecter les exigences en matière de cotisation; être invalide au sens du RPC lorsque les exigences en matière de cotisation sont respectées et être ainsi invalide pour une période continue et indéfinie (voir les paragraphes 42(2) et 44(2) et l’alinéa 44(1)b) du RPC). Le paragraphe 42(2) du RPC prévoit qu’une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité n’est pas fondée sur l’incapacité d’un demandeur d’exécuter son travail habituel, mais plutôt sur son incapacité à détenir une occupation véritablement rémunératrice et, lorsqu’il y a des éléments de preuve établissant que le demandeur est capable de travailler, il doit également montrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux en raison de son état de santé (Villani paragraphe 50; Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117, [2003] A.C.F. no 378, paragraphes 3 et 4 (QL)).

 

[33]           Ce ne sont pas toutes les personnes ayant un problème de santé et de la difficulté à trouver et à converser un emploi qui ont droit à une prestation d’invalidité du RPC. Le demandeur est tenu d’établir qu’il souffre d’une invalidité grave et prolongée qui le rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Par conséquent, une preuve médicale doit être présentée de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et de la non‑existence de possibilité d’emploi (Villani, paragraphes 44 à 46 et 50).

 

Le critère applicable à l’octroi de l’autorisation

[34]           Le défendeur souligne également que le demandeur doit établir qu’il existe une cause défendable à l’appui de sa demande d’autorisation d’interjeter appel à la Commission ou, autrement dit, qu’il existe des arguments défendables qui pourraient faire en sorte que l’appel soit accueilli (Kerth, paragraphe 24; Callihoo, paragraphe 15). À l’instar du demandeur, le défendeur avance que, comme cela a été établi au paragraphe 15 de la décision Callihoo, deux questions doivent être tranchées dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision de la Commission portant sur une demande d’autorisation d’interjeter appel.

 

[35]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas présenté une cause défendable parce que, dans sa demande d’autorisation d’interjeter appel, il n’a allégué aucune erreur de droit ou d’appréciation de la preuve et il n’a relevé aucun fait important et pertinent qui n’aurait pas été examiné de façon appropriée par le tribunal de révision. Le défendeur renvoie à la demande d’autorisation d’interjeter appel, dans laquelle le demandeur a simplement mentionné qu’il demande l’autorisation d’interjeter appel parce qu’il [traduction] « recevait une pension d’invalidité de la W.C.B. » après la décision du tribunal de révision (Demande d’autorisation d’interjeter appel à la Commission d’appel des pensions (le 22 mai 2009), dossier du défendeur, volume 1, page 12).

 

[36]           En ce qui concerne la nouvelle preuve déposée, le défendeur allègue que la décision de la W.C.B. n’est pas pertinente parce que le critère applicable à la loi de la Nouvelle‑Écosse diffère de celui applicable au RPC (Callihoo, paragraphes 18 et 20). En outre, on ne peut pas affirmer que cette décision est importante simplement parce qu’elle mentionne l’évaluation fonctionnelle du 9 février 2009. Enfin, le défendeur fait remarquer que la décision de la W.C.B. n’appuie pas l’existence d’une cause défendable parce qu’elle révèle que le demandeur a encore une certaine capacité de travailler et qu’une personne ayant une capacité résiduelle à travailler n’est pas invalide au sens du RPC (certains exemples sont cités : Janzen c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 150, [2008] A.C.F. no 667 (QL); Warren c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 377, [2008] A.C.F. no 1802 (QL)). Il était donc raisonnable de rejeter la demande d’autorisation.

 

Analyse

Les normes de contrôle judiciaire

[37]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a clairement établi deux normes, la décision correcte et la raisonnabilité, et elle a statué que différentes questions commandent des normes différentes. La norme applicable aux questions de fait et aux questions de droit et de fait est la raisonnabilité, alors que la norme applicable aux questions de droit est soit la raisonnabilité, soit la décision correcte et elle est déterminée par certains facteurs. La jurisprudence actuelle peut être mise à contribution pour savoir quels sont les facteurs appropriés et il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive.

 

[38]           En ce qui concerne les questions en l’espèce, la première question porte sur l’équité procédurale et la norme applicable est donc la décision correcte (Sonier c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1278, 332 F.T.R. 127 (QL)). La deuxième question consiste à déterminer si la Commission a appliqué le critère approprié et la norme applicable est la décision correcte (McDonald c. Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CF 1074, [2009] A.C.F. no 1330, paragraphe 6 (QL)). La troisième question porte sur des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, et la norme applicable est donc la raisonnabilité (Landry, paragraphe 18).

 

[39]           La raisonnabilité tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. La Cour déterminera également si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, paragraphe 47).

 

Les motifs fournis par la Commission sont-ils suffisants?

[40]           Le demandeur affirme que les motifs fournis par la Commission sont tellement insuffisants que cela constitue un manquement aux principes de justice naturelle. Je ne suis pas d’accord avec le demandeur. Il est vrai que les motifs sont succincts, mais vu les circonstances en l’espèce, ils sont acceptables.

 

[41]           Dans la présente affaire, le seul nouvel élément de preuve présenté dans la demande d’autorisation était le rapport du W.C.B., et aucun moyen d’appel n’a été plaidé.

 

[42]             Dans ses motifs, la Commission traite bien du rapport du W.C.B. et elle conclut que ce rapport ne suffit pas pour respecter le critère relatif à l’octroi de l’autorisation d’interjeter appel. Les motifs soumis au contrôle judiciaire doivent être examinés équitablement et ils devraient renfermer un examen du dossier sur lequel est fondé la décision (Doucette c. Ministre du Développement des ressources humaines, 2004 CAF 292, [2005] 2 R.C.F. 44 (QL)). Le dossier dont disposait le tribunal de révision ne renfermait que peu d’éléments de preuve contradictoires, comme le tribunal de révision l’a mentionné dans ses motifs, et on peut comprendre des motifs donnés par la Commission que le nouveau document, à son avis, ne fournissait aucun nouveau renseignement différent de ceux déjà au dossier. Il ne s’agit pas d’une affaire où le demandeur a déposé une nouvelle preuve ou une preuve complexe qui aurait pu faire en sorte que la Commission accueille la demande. Je suis convaincu que, vu l’unique document déposé auprès de la Commission, l’analyse et les motifs étaient suffisants.

 

[43]           Comme l’a mentionné le juge Binnie dans l’arrêt Sheppard et comme cela a été rappelé dans l’arrêt Doucette rendu par la Cour d’appel fédérale, les cours ne doivent pas intervenir simplement parce que les motifs n’ont pas été rédigés d’une manière qui leur paraissent acceptable (Doucette, paragraphe 12). On ne peut pas prétendre que les motifs fournis par la Commission, bien que succincts, constituent un manquement à la justice naturelle, et la Cour n’interviendra pas. 

 

La Commission a-t-elle appliqué le critère approprié pour trancher la question de l’octroi de l’autorisation d’interjeter appel?

[44]           Les deux parties conviennent, avec raison, que la Commission doit déterminer s’il existe une « cause défendable » dans le cadre de la demande d’autorisation et qu’il s’agit d’un critère plus facile à respecter que celui imposé lors de l’appel portant sur le fond. Dans la décision Kerth, la Cour a accueilli le contrôle judiciaire parce qu’il semblait que la Commission avait rendu une décision sur le fond, et ce, même si la Commission s’était exprimée de la façon suivante : « les rapports médicaux […] établissent que les conclusions du tribunal sont raisonnables » et « la demande n’offre aucune nouvelle preuve qui pourrait faire pencher la balance en faveur d’un résultat différent » (voir paragraphe 25). Le demandeur compare l’espèce à l’affaire Kerth et, de façon semblable, il soutient que les mots utilisés par la Commission révèlent qu’elle a tranché l’affaire sur le fond plutôt qu’au regard du critère relatif à la cause défendable.

 

[45]           Comme le juge Reed l’a mentionné au paragraphe 27 de la décision Kerth :

[…] lorsque le motif d’une demande d’autorisation d’interjeter appel se fonde principalement sur l’existence d’une preuve additionnelle, à mon avis, la question qu’il faut se poser, c’est de savoir si la nouvelle preuve déposée à l’appui de la demande d’autorisation soulève un doute véritable quant à savoir si le tribunal serait parvenu à la décision qu’il a prise s’il avait été saisi de la preuve additionnelle.

 

 

[46]           Par conséquent, on doit s’attendre à ce que la Commission, lorsqu’elle applique le critère applicable à l’octroi de l’autorisation, fera dans une certaine mesure des observations dans ses motifs sur la qualité du fond de la question. Par conséquent, faire des observations sur la preuve et sur sa valeur ne peut pas être déterminant en ce qui concerne la question de savoir si la Commission a appliqué le critère approprié.

 

[47]           En l’espèce, la demande d’autorisation avait pour seul fondement la décision de la W.C.B. qui n’avait pas été déposée auprès du tribunal de révision. La Commission n’était clairement pas d’avis que le nouvel élément de preuve suffisait même à établir l’existence d’une cause défendable contre la décision du tribunal de révision ou que sa décision aurait été différente s’il avait disposé de cet élément de preuve. Je reconnais, comme la Cour l’a fait dans la décision Callihoo, qu’il peut être difficile d’établir si la Commission a appliqué le critère approprié, particulièrement si la Commission a utilisé le genre de formulations utilisées en l’espèce. Bien que la formulation soit semblable à celle utilisée dans la décision Kerth, je suis convaincu que la Commission a bien appliqué de façon appropriée le critère lorsqu’elle a pris sa décision quant à l’octroi de l’autorisation et qu’elle n’a pas imposé au demandeur un fardeau indu. Les renseignements se trouvant dans la décision de la W.C.B. n’étaient pas très différents de ceux qui avaient été déposés auprès du tribunal de révision, et cette décision ne fournissait aucun nouveau renseignement qui aurait pu faire en sorte que le critère relatif à la cause défendable soit respecté.

 

La Commission a-t‑elle commis une erreur de droit dans son examen des faits lorsqu’elle a tranché la question de savoir s’il existait une cause défendable?

[48]           En ce qui concerne la deuxième question établie dans la décision Callihoo, le demandeur a plaidé quatre erreurs alléguées qui, à son avis, font en sorte que le critère relatif à la cause défendable est respecté. Même s’il est bien établi qu’il n’appartient pas à la Cour d’examiner le bien-fondé de ces quatre erreurs alléguées, je ferai de brèves observations à leur sujet afin d’expliquer pourquoi je conclus qu’aucune erreur n’a été commise.

 

[49]           En ce qui concerne la première erreur alléguée, soit l’appréciation de la preuve effectuée par la Commission, il importe de noter que le régime de prestation de la Nouvelle-Écosse ne prévoit pas les mêmes conditions que celles prévues par la loi fédérale que je dois interpréter; par conséquent, la décision de la W.C.B. ne tranche pas la présente affaire.

 

[50]           Dans la décision de la W.C.B., le demandeur a obtenu une pension pour une invalidité permanente de 5 % et une prestation prolongée de remplacement du revenu parce que la W.C.B. a conclu qu’il n’y avait aucun autre emploi convenable pour le demandeur dans sa région. Cependant, la décision de la W.C.B. ne fournit aucun nouveau renseignement qui aurait pu raisonnablement mener la Commission à conclure que le tribunal de révision aurait rendu une décision différente.

 

[51]           Le dossier ne révèle pas clairement si le tribunal de révision disposait de l’évaluation fonctionnelle du 9 février 2009, laquelle était jointe à la décision de la W.C.B. (page 14 du dossier du demandeur), mais la mention se trouvant dans le rapport sur l’Épreuve canadienne de rendement pour adulte et sur l’analyse des compétences polyvalentes (page 42 du dossier du défendeur, volume 1, daté du 13 février 2009) dont a tenu compte le tribunal de révision, était ainsi rédigée : « ECF (évaluation des capacités fonctionnelles) : révèle qu’il peut effectuer du travail sédentaire ou léger ». Même si la Cour tenait pour acquis que le tribunal de révision ne disposait pas du document daté du 9 février 2009, elle ne voit aucune différence importante entre les deux conclusions.

 

[52]            La décision du tribunal de révision dans son ensemble révèle clairement que le tribunal savait que le demandeur avait plaidé qu’il ne pouvait effectuer que du travail sédentaire. Je suis convaincu que la conclusion de la Commission est raisonnable et que les renseignements se trouvant dans la décision de la W.C.B. ne révèlent l’existence d’aucune cause défendable.

 

[53]           En ce qui concerne les deuxième, troisième et quatrième erreurs alléguées devant la Cour, il convient de noter que le demandeur ne les a pas soulevées devant la Commission. Il a été établi dans la décision Barcellona c. Canada (Procureur général), 2007 CF 324, [2007] A.C.F. no 443, paragraphe 31 (QL), qu’il incombe au demandeur d’exposer les motifs de sa demande d’autorisation. Cependant, j’ai des réserves parce que le demandeur n’a jamais été représenté par un avocat dans l’ensemble des instances, sauf en l’espèce. Par conséquent, j’ai examiné les erreurs alléguées et je suis convaincu qu’aucune d’entre elles ne respecte le critère relatif à la cause défendable, et ce, même si ces erreurs avaient été soulevées devant la Commission.

 

[54]           La lecture de la décision du tribunal de révision, particulièrement les paragraphes 26 à 31, révèle que le tribunal de révision a tenu compte des circonstances particulières du demandeur. Le tribunal de révision mentionne expressément le critère établi dans l’arrêt Villani. Par la suite, il a appliqué ce critère et a mis en balance la preuve médicale et les « facteurs de l’analyse réaliste » dans sa conclusion. En outre, les troisième et quatrième erreurs alléguées équivalent en fait à demander à la Cour d’examiner et de soupeser de nouveau la preuve dont disposait le tribunal de révision. Le tribunal de révision a effectué un examen minutieux de la preuve médicale et il s’est fondé sur cet examen pour tirer ses conclusions. Il a également mentionné les témoignages oraux du demandeur et de son épouse et a clairement tenu compte de l’opinion du demandeur quant à son propre état. Rien dans le dossier ne révèle l’existence d’une cause défendable quant à une erreur de fait qui aurait été commise par le tribunal de révision.

 

[55]           Vu l’analyse qui précède, la Cour estime qu’il n’est pas justifié d’intervenir.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Le défendeur n’a pas sollicité l’adjudication des dépens.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1099-09

 

INTITULÉ :                                                   TRAVIS HARVEY c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 22 janvier 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Charles A. Thompson                                       POUR LE DEMANDEUR

 

Michael Stevenson                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Burchell MacDougall                                        POUR LE DEMANDEUR

Truro (Nouvelle-Écosse)

 

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

 

 

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