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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100122

Référence : 2010CF77

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2010

EN PRÉSENCE DE MADAME LA PROTONOTAIRE TABIB

 

                                                                                                                             Dossier : T‑644‑09

 

ENTRE :

 

APOTEX INC.

 

demanderesse

et

 

 

SANOFI‑AVENTIS

 

défenderesse

 

 

 

                                                                                                                             Dossier : T‑933‑09

 

ENTRE :

 

SANOFI‑AVENTIS et

BRISTOL‑MYERS SQUIBB SANOFI

PHARMACEUTICALS HOLDINGS PARTNERSHIP

 

demanderesses

et

 

 

APOTEX INC.,

APOTEX PHARMACHEM INC. et

SIGNA SA de CV

 

défenderesses

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les dispositions des Règles concernant les affidavits de documents ne devraient rien avoir d’étranger pour les plaideurs. Pourtant, il semble que soit ils ne les observent pas rigoureusement, soit ils supposent que les autres ne le font pas. Dans le contexte des actions « express » ou rationalisées, gérées selon l’Avis aux parties et à la communauté juridique publié par notre Cour le 1 er mai 2009, on ne saurait exagérer l’importance que ces dispositions soient comprises, suivies et appliquées à la lettre par les deux parties.

 

[2]               Je suis saisie de deux requêtes réciproques des parties à la présente instance fusionnée, tendant à faire ordonner à la partie adverse de produire un affidavit de documents plus exact et plus complet.

 

[3]               Apotex Inc. est la demanderesse à la première action (dossier de la Cour no T‑644‑09). Elle est aussi, avec Apotex Pharmachem Inc., défenderesse à la seconde (dossier de la Cour no T‑933‑09). Apotex Inc. et Apotex Pharmachem Inc. seront ci‑après dénommées collectivement « Apotex ». Sanofi‑Aventis est la défenderesse dans le dossier T‑644‑09. Elle est aussi, avec Bristol‑Myers Squibb Sanofi Pharmaceuticals Holdings Partnership, la demanderesse dans le dossier T‑933‑09; les deux entités Sanofi seront ci‑après désignées collectivement « Sanofi ».

 

Définition du contexte et remarques préliminaires

[4]               Il me paraît essentiel de noter que les deux parties à la présente espèce très tôt ont épousé et se sont engagées à appliquer l’initiative de la Cour consistant à rationaliser les causes complexes et à faire en sorte que l’instruction commence dans les deux ans suivant l’introduction de l’instance, initiative qui fait l’objet de l’Avis susdit aux parties et à la communauté juridique.

 

[5]               Apotex a présenté sa demande en mai 2009, une vingtaine de jours après avoir déposé sa déclaration relative au dossier T‑644‑09. Sanofi s’est associée à cette demande lorsqu’elle a déposé sa déclaration relative au dossier T‑933‑09 en juin 2009 et formé en juillet 2009 une requête en fusion des deux actions de manière qu’elles fussent instruites ensemble, suivant le calendrier déjà établi pour le dossier T‑644‑09.

 

[6]               En conséquence, la Cour a fixé des dates provisoires pour l’instruction, qui est censée commencer en avril 2011, elle a mis en œuvre dès le départ une gestion d’instance intensive et elle a établi un calendrier propre à faire en sorte que toutes les étapes préalables à l’instruction soient achevées avant ces dates.

 

[7]               La Cour a pris son initiative de rapprochement de l’instruction en réponse au mécontentement exprimé par un grand nombre de plaideurs et d’avocats, notamment dans le domaine de la propriété intellectuelle, comme quoi les affaires mettaient trop longtemps à parvenir au stade de l’instruction. Après que la Cour eut commencé à mettre cette initiative à l’épreuve au cas par cas il y a quelques années, il est vite devenu évident qu’il n’était ni réaliste, ni pratique, ni raisonnable de simplement abréger la durée séparant le dépôt de la déclaration du commencement de l’instruction si les parties et leurs avocats n’adaptaient pas aussi leurs pratiques et leurs stratégies de contestation à ces délais plus courts. Les litiges qui traînaient cinq ans ou plus comportaient généralement au moins trois « cycles » de communication préalable et de nombreuses modifications des actes de procédure, lesquelles donnaient souvent lieu à une nouvelle phase de communication préalable et à la production de nouveaux affidavits de documents. Il n’est tout simplement pas possible à la plupart des plaideurs et des avocats, à supposer même que les ressources limitées de la Cour y suffisent, de comprimer en deux ans l’interminable processus de la communication préalable et des modifications qui prenait naguère de cinq à dix ans.

 

[8]               En même temps, on se plaignait de plus en plus que le processus de communication préalable échappât à tout contrôle, devenant trop long et trop coûteux en temps et en ressources. Dans l’intervalle, certaines des affaires qui avaient nécessité des années de communication préalable effrénée sont enfin parvenues au stade de l’instruction, pour laquelle on avait prévu plusieurs mois et qui a souvent dû être prolongée, de manière à mécontenter et épuiser les avocats aussi bien que les juges. Un nouveau mouvement d’opinion prend maintenant de plus en plus d’ampleur chez certains avocats spécialistes de la propriété intellectuelle et leurs clients : il faut limiter la longueur de l’instruction, disent-ils, et les plaideurs doivent être tenus de respecter le calendrier fixé pour celle‑ci.

 

[9]               Je formule ces longues observations parce qu’elles éclairent et font ressortir les conséquences de l’intention exprimée par les deux parties de bénéficier de l’initiative de rationalisation de la procédure et de rapprochement de l’instruction prise par notre Cour. En demandant instamment que l’instruction, d’une durée prévue de cinq semaines, se tînt au printemps de 2011, les parties et leurs avocats se sont engagés à respecter un calendrier qui ne prévoit pas un temps illimité pour la communication préalable et où la durée de l’instruction est fixe. Les parties elles-mêmes sont des plaideurs avertis au plus haut point, qui peuvent faire état d’une expérience considérable de contestation devant notre Cour. Elles sont toutes deux représentées par des avocats plaidants aussi informés qu'expérimentés. Il y a lieu d’attendre et d’exiger de telles parties que, l’instruction devant commencer dans moins de 15 mois, la procédure écrite étant close et la drogue en litige ayant déjà fait l’objet de contestations devant les tribunaux canadiens aussi bien qu’étrangers, elles aient élaboré et formulé une idée claire de la base juridique qu’elles entendent donner à leurs prétentions respectives, des moyens nécessaires pour les prouver à l’instruction et de la manière dont elles prévoient de mettre ces moyens en œuvre. Il n’y a pas de place dans ce calendrier pour s’engager dans des interrogatoires à l’aveuglette, pour bricoler une stratégie selon l’inspiration du moment, ou pour attendre l’achèvement complet de la communication préalable ou la veille de l’instruction – où le temps est bien chichement compté aussi – avant de formuler une conception cohérente de la base juridique du procès.

 

[10]           J’ai décidé les présentes requêtes en supposant ce niveau de professionnalisme chez les parties et j’ai l’intention, dans la gestion de la présente instance jusqu’à l’instruction, d’exiger systématiquement d’elles qu’elles se conforment à cette norme élevée. Chacune des parties devrait quant à elle pouvoir compter sur le même sérieux de la part de son adversaire. On verra mieux l’effet à prévoir de cette supposition sur la gestion de la présente instance à mesure que j’examinerai les divers aspects des requêtes qui nous occupent.

 

Les principes généraux applicables à la communication préalable de documents

[11]           Les parties sont d’accord sur le droit applicable aux requêtes en production d’affidavits de documents plus exacts et plus complets, de sorte qu’il ne sera pas nécessaire de l’exposer ici en détail. Essentiellement, il est de droit constant que pèse sur l’auteur d’une telle requête la charge de prouver que l’affidavit de documents, tel qu’il a été communiqué, est inexact ou insuffisant. C’est‑à‑dire que le requérant doit prouver qu’il existe vraisemblablement d’autres documents pertinents, que ces derniers soit renforceraient ses moyens, soit affaibliraient ceux de la partie adverse, et que celle‑ci soit les a en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde [voir les sous-alinéas 223(2)a)(i) et (ii) des Règles], soit croit qu’elles sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde d’un tiers [voir l’alinéa 223(2)a)(iv) des Règles].

 

[12]           Il ne semble pas inutile de répéter que la partie produisant l’affidavit de documents n’a pas à y citer les documents qui ne peuvent aider qu’elle-même; en effet, cette partie n’est tenue de citer les documents qui étayent sa thèse que si elle a l’intention de les invoquer à l’instruction. Inversement, la partie qui a en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde un document susceptible de renforcer ses propres moyens est tenue de le citer dans son affidavit de documents si elle prévoit de le produire à l’instruction, faute de quoi, sous réserve de certaines exceptions ou de l’autorisation de la Cour, il ne lui sera pas permis de le faire [voir le paragraphe 232(1) des Règles]. Les Règles prévoient aussi plusieurs autres sanctions pour la partie qui ne remplit pas ses obligations de communication, notamment la radiation de ses actes de procédure (voir l’article 227 des Règles).

 

[13]           L’obligation pour une partie de citer les documents qu’elle a l’intention d’invoquer à l’instruction ou qui aideraient son adversaire vaut également pour les documents qui ne sont pas en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde, mais en celle ou sous celles d’un tiers. Les conséquences du manquement à cette obligation sont théoriquement les mêmes dans ce cas que si les documents étaient en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie en question; cependant, l’avocat de Sanofi a déclaré craindre que, en pratique, presque rien n’empêche une partie de s’appuyer à l’instruction sur des documents de tiers non communiqués au préalable. Il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre de la présente requête, d’établir et de décider comment il conviendrait, le cas échéant, de résoudre de telles difficultés à l’instruction. Qu’il nous suffise ici de constater que la partie qui produit un affidavit de documents est soumise à une obligation manifeste et positive d’enquête et de communication, et que la bonne exécution de cette obligation est censée être assurée par un régime qui prescrit à cette partie de faire une déclaration sous serment, appuyée par l’attestation d’un avocat, et qui vise à empêcher qu’un plaideur soit surpris à l’instruction par la présentation de documents dont la partie adverse ou ses avocats avaient depuis longtemps connaissance – ou auraient dû avoir connaissance s’ils avaient effectués les recherches qui leur incombaient.

 

[14]           Je reprends ici à mon compte les observations formulées par notre Cour dans Poitras c. Twinn, 2001 CFPI 456 : « Un affidavit de documents est un document très solennel. Il s’agit d’un affidavit et son contenu doit, sauf preuve contraire, être tenu pour exact et fidèle; c’est pourquoi les Règles prévoient que l’avocat doit donner à la personne qui rédige l’affidavit des instructions et des conseils concernant ses obligations. » J’ajouterai que, comme l’auteur de l’affidavit doit être autorisé à faire celui‑ci par la partie qu’il représente et que les explications complètes de l’avocat doivent porter entre autres sur les conséquences possibles du manquement à l’obligation de divulgation intégrale (voir l’article 224 des Règles), faire un affidavit de documents revient à déclarer solennellement :

 

a)                  qu’il n’existe pas d’autres documents pertinents que ceux qui y sont cités, ou que, s’il en existe,

b)                  il est probable qu’ils ne renforceraient pas les moyens de la partie adverse ni n’affaibliraient ceux de la partie qui produit l’affidavit, ET que cette dernière a décidé de ne pas les invoquer à l’instruction.

 

[15]           La présomption selon laquelle, si la partie qui produit l’affidavit de documents n’y a pas cité un document donné, c’est qu’elle a pris la décision stratégique et éclairée de ne pas l’invoquer à l’instruction, est d’autant plus forte si l’on considère la longue expérience judiciaire des parties et le niveau de préparation attendu d’elles en l’occurrence. Comme cette présomption forme la base d’un bon nombre des conclusions que je formulerai ici, je ne vois pas pourquoi les parties elles-mêmes ne pourraient pas ou ne devraient pas poursuivre la présente instance en se fondant sur le même principe. Je note en outre que si chacune des parties peut être certaine que son adversaire n’aura pas le droit d’invoquer un tel document au soutien de sa thèse à l’instruction, la durée de la communication préalable devrait s’en trouver réduite, étant donné que les parties n’auront ainsi aucune raison d’insister sur la production de documents supplémentaires par simple crainte de se voir attaquer par surprise à l’instruction.

 

[16]           Enfin, il faut aussi se rappeler que si les Règles permettent à la partie qui a produit un affidavit de documents inexact ou incomplet de corriger la situation en signifiant un affidavit supplémentaire de documents, elles disposent aussi que cette partie doit le faire sans délai. Cette exigence est encore plus importante dans les actions soumises à l’initiative de rationalisation, puisque leurs calendriers serrés ne laissent guère de marge pour rouvrir la phase de la communication préalable dans le cas où l’existence de nouveaux documents serait révélée. Lorsque, par une demande informelle ou une requête en production de documents supplémentaires, l’attention d’une partie se trouve attirée sur une catégorie ou une source déterminées de documents, ou sur une question factuelle donnée, dont elle n’avait pas examiné la pertinence éventuelle, son obligation de réviser son affidavit de documents afin d’en corriger toute inexactitude ou insuffisance se trouve déclenchée, et l’exécution de cette obligation doit donner lieu à la production de l’affidavit supplémentaire de documents que commande la révision, sans délai et sans que la Cour ait à l’ordonner expressément. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la Cour ordonne expressément à une partie de revoir son affidavit de documents pour vérifier s’il est complet, à moins d’être convaincue qu’il y manque en fait des éléments.

 

La requête de Sanofi

[17]           J’examinerai maintenant tour à tour chacune des catégories de documents à l’égard desquelles Sanofi soutient que l’affidavit de documents d’Apotex est insuffisant. Bien que l’avis de requête de Sanofi demande des mesures de redressement à propos de 24 catégories de documents, ses conclusions écrites modifiées se limitent à 14 catégories, énumérées dans des alinéas marqués de lettres aux pages 7 et 8 desdites conclusions.

 

a)                  La présentation d’Apotex visant à obtenir un avis de conformité pour le bésylate et le bromhydrate de clopidogrel, y compris les mises à jour, les suppléments et les changements sujets à notification, et notamment des renseignements détaillés sur le procédé et la stabilité, ainsi que l’« Accusé de réception des renseignements et du matériel » provenant de Santé Canada

 

[18]           Il n’est pas allégué qu’Apotex fabrique, importe, vende ou exporte actuellement du bésylate ou du bromhydrate de clopidogrel. Cependant, Apotex affirme qu’elle a l’intention de demander au ministre de la Santé un avis de conformité lui permettant de vendre ces produits au Canada et elle sollicite par conséquent, entre autres, une déclaration comme quoi les produits qu’elle projette de vendre ne contreferont pas le brevet de Sanofi.

 

[19]           Apotex n’a cité dans ses affidavits de documents aucun document réglementaire touchant le bésylate ou le bromhydrate de clopidogrel, ce qui n’a rien de surprenant, puisque l’allégation formulée dans les conclusions écrites n’est pas qu’Apotex ait demandé un avis de conformité, mais plutôt qu’elle a l’intention d’en demander un. Sanofi fait valoir que si l’intention alléguée est plus qu’une vague idée, comme il faut qu’elle le soit afin d’établir la qualité pour soutenir une action déclaratoire et en invalidation relativement au bésylate ou au bromhydrate de clopidogrel, il doit nécessairement exister des projets de présentations réglementaires ou au moins un document esquissant à grands traits le contenu de telles présentations. Il se pourrait bien que Sanofi ait raison d’affirmer qu’Apotex doit produire ces documents en preuve au soutien de sa qualité pour agir, mais il n’en reste pas moins que l’existence et le contenu de ces documents, en tant que preuve de la qualité pour agir, ne pourraient aider qu’Apotex. Conformément aux observations que j’ai formulées plus haut, l’absence de tels documents dans l’affidavit de documents d’Apotex doit être interprétée comme signifiant soit qu’il n’existe aucun document quel qu’il soit qui témoignerait de son intention de demander un avis de conformité pour le bésylate ou le bromhydrate de clopidogrel, soit que, s’il en existe, Apotex a décidé qu’elle ne s’en servirait pas à l’instruction. Quant à savoir si de tels documents, en supposant qu’il en existe, renforceraient directement ou indirectement les moyens mis en œuvre par Sanofi pour établir la contrefaçon, celle‑ci n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour s’acquitter de sa charge à cet égard.

 

b)                  Toutes les fiches maîtresses de médicaments (FMM) sur lesquelles Apotex se base ou auxquelles elle fait référence dans sa demande d’avis de conformité déposée en rapport avec le bisulfate, le bésylate ou le bromhydrate de clopidogrel

 

[20]           Le bisulfate de clopidogrel est le médicament qu’Apotex fabriquerait actuellement au Canada à des fins d’exportation et pour lequel Apotex n’a pas encore reçu une approbation réglementaire l’autorisant à vendre le produit au Canada. Dans sa déclaration, Apotex allègue qu’elle a fait une demande d’avis de conformité au Canada pour ce produit. Dans ses affidavits de documents, Apotex énumère un certain nombre de dépôts réglementaires, notamment certains dépôts qui semblent être tirés d’une FMM. Le dossier de requête de Sanofi ne contient aucune preuve permettant de conclure qu’il existe un autre document selon lequel il y aurait contrefaçon ou non par le produit proposé, encore moins qu’un tel document pourrait aider Sanofi ou nuire à Apotex.

 

[21]           Pour ce qui est des fiches maîtresses de médicaments pour le bésylate ou le bromhydrate de clopidogrel, les commentaires formulés ci‑dessus pour la catégorie (a) s’appliquent également ici.

 

c)                  Tous les documents qui ont trait aux travaux sur le développement du bésylate et du bromhydrate de clopidogrel

 

[22]           Sanofi soutient que ces documents sont pertinents à trois égards :

 

[23]           Tout d’abord, comme preuve de l’intention de déposer une demande d’avis de conformité. Comme nous l’avons mentionné précédemment, leur absence des affidavits de documents ne peut être traitée comme une indication que ces documents n’existent pas ou qu’Apotex a choisi de ne pas les ajouter au procès.

 

[24]           Deuxièmement, comme preuve que le bésylate de clopidogrel est en fait un sel pharmaceutiquement acceptable, ce qui contredirait les allégations formulées aux paragraphes 11 et 16 de la déclaration modifiée d’Apotex en rapport avec l’invalidité ou l’interprétation. Lors de l’audience, l’avocat d’Apotex a confirmé de façon claire et non équivoque ce qui était suggéré dans le dossier de requête d’Apotex : à savoir que pour appuyer les paragraphes 11 et 16 de la déclaration modifiée, Apotex ne compte pas produire de preuve établissant que le bésylate n’est pas de fait un sel pharmaceutiquement acceptable. Ceci dit et compte tenu du fait qu’il aurait incombé à Apotex de fournir cette preuve, les documents montrant le caractère pharmaceutiquement acceptable du bésylate de clopidogrel n’ont, à mon avis, aucune pertinence (comme le laisse entendre le paragraphe 222(2) des Règles).

 

[25]           Troisièmement, comme preuve que le bésylate ou le bromhydrate de clopidogrel ne présentent pas les avantages importants revendiqués dans le cas du bisulfate de clopidogrel. Apotex a soutenu, au paragraphe 36 de sa déclaration modifiée, que le brevet était invalide comme brevet de sélection parce que le bisulfate n’offre pas d’avantages importants par rapport aux autres composés divulgués dans un brevet antérieur, ces composés incluant les deux sels, le bésylate et le bromhydrate. Lors de l’audience, Sanofi a avancé que dans la mesure où Apotex a effectué le travail de développement de ces sels, de tels travaux pourraient en fait démontrer que ces sels ne comportent pas les avantages revendiqués dans le cas du bisulfate de clopidogrel.

 

[26]           Premièrement, Sanofi n’a produit aucune preuve à l’appui de son argument que le travail de développement a été effectué par Apotex, et si c’était le cas, il démontrerait probablement que le bésylate ou le bromhydrate sont inférieurs au bisulfate. En outre, cet argument particulier n’a pas été clairement formulé dans le dossier de requête de Sanofi et il serait inconsidéré de ma part de rendre une décision officielle à ce sujet. De toute façon, comme je l’ai déjà mentionné, le fait que cet argument soit maintenant porté clairement à l’attention d’Apotex suffit à obliger cette dernière à examiner si des documents liés à son travail de développement, s’il en existe, peuvent aider Sanofi ou nuire à Apotex en regard de cette allégation particulière d’invalidité. Il n’est pas nécessaire d’imposer une autre mesure de redressement.

d)                  Détails techniques sur la méthode de fabrication de l’ingrédient pharmaceutique actif (IPA) utilisé pour fabriquer les comprimés de bisulfate, de bésylate et de bromhydrate de clopidogrel.

 

[27]           Certains renseignements relatifs au procédé de fabrication de l’IPA ont été fournis pour le bisulfate de clopidogrel, mais aucun en ce qui concerne le bésylate ou le bromhydrate.

 

[28]           Dans le cas du bésylate et du bromhydrate, il peut simplement ne pas y avoir de détails sur le procédé, car, pour le moment, rien n’indique que la fabrication ait même débuté.

 

[29]           Pour ce qui est du bisulfate, qui est actuellement produit, Sanofi n’a fourni aucune preuve de l’existence possible d’autres documents qui illustreraient la méthode de fabrication de cet IPA et, à ce titre, sa requête pour cette catégorie doit être rejetée.

 

[30]           Même si j’avais été encline à penser qu’il doive certainement exister d’autres documents relatifs au procédé, étant donné que soit Apotex Pharmachem, soit Signa SA de CV (Signa), semble bien avoir fabriqué du bisulfate de clopidogrel, et que les documents afférents à cette fabrication qui ont été produits paraissent effectivement quelque peu insuffisants, il faut présumer, à partir des affidavits de documents souscrits par Apotex, que cette dernière a eu accès à ces autres documents, a conclu qu’ils ne peuvent qu’établir le caractère non contrefaisant du procédé utilisé et a décidé qu’elle ne s’en servirait pas à l’instruction.

 

[31]           J’inclus dans cette remarque tous documents relatifs au procédé qu’Apotex peut croire exister et être en la possession effective de Signa, société qui était, mais n’est plus, partie à la présente instance, ayant déposé son avis de désistement le 14 septembre 2009. Si Apotex, en vertu d’un contrat, d’un engagement ou d’une règle de droit, a le droit d’obtenir de Signa une copie des documents relatifs au procédé ou à la fabrication, ces documents doivent être considérés comme étant en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde, et Apotex aurait dû en examiner la pertinence éventuelle en les assimilant à ses propres documents. Si Apotex n’avait pas le droit d’obtenir copie des documents de Signa, il lui incombait néanmoins, sous le régime du sous-alinéa 223(2)a)(iv) et de l’alinéa 223(2)e) des Règles, de se demander si des documents pertinents se trouvaient en la possession de Signa et de citer ceux qu’elle croyait l’être à l’annexe iv) de son affidavit de documents.

 

e)                  Tous les dossiers de fabrication (dossiers de lots) de l’IPA en vrac pour chacun des lots

 

[32]           Apotex a dévoilé ses dossiers de lots, mais seulement en ce qui concerne sa propre production. Aucun dossier de lot ne figure sur la liste pour la production de l’IPA par Signa.

 

[33]           Comme la preuve montre qu’Apotex a acheté l’IPA de Signa et qu’il existe des dossiers de lots pour la production de Pharmachem, je suis convaincue que des dossiers de lots existent probablement pour la production de l’IPA par Signa et qu’ils sont pertinents.

 

[34]           Apotex s’est contentée de répondre à la requête de Sanofi touchant cette catégorie que Signa est une entité distincte d’elle et n’est plus partie à l’instance, et qu’il serait [TRADUCTION] « injuste » de lui attribuer l’obligation de communication de Signa en l’absence de toute preuve qu’elle ait en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde des documents de cette société.

[35]           À la lumière de l’analyse qui précède, la position d’Apotex est manifestement erronée. Elle a l’obligation de citer les documents qu’elle sait ou a des raisons de croire exister et être pertinents – comme c’est ici le cas –, que Signa soit ou non un tiers indépendant et qu’elle-même soit ou non considérée comme ayant les documents de Signa en sa possession, sous sa garde ou sous son autorité. Il incombe au représentant d’Apotex, dans le cadre de son obligation de faire les recherches et l’enquête nécessaires à la rédaction de l’affidavit de documents, d’établir si Apotex a le droit de se faire communiquer par Signa les originaux ou des copies des documents en question et, selon le résultat de son enquête, de citer lesdits documents à l’annexe i) ou à l’annexe iv) de l’affidavit de documents.

 

[36]           Comme elle ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour décider si Apotex doit être considérée comme ayant en sa possession, sous son autorité ou sous garde les dossiers de lots relatifs à l’IPA importé par Apotex, la Cour ne peut décider non plus dans laquelle des annexes ces documents devraient figurer. Néanmoins, ma conclusion selon laquelle lesdits documents existent probablement, sont pertinents et n’ont manifestement été cités dans aucune des annexes suffit pour que je conclue que les affidavits de documents d’Apotex sont insuffisants et pour que je lui ordonne de signifier des affidavits de documents complets, où figureront dans l’annexe appropriée les dossiers de lots relatifs aux lots pertinents fabriqués par Signa.

 

f)                   Tous les documents et notes établissant la manière dont on a trouvé les documents énumérés à l’annexe A de la déclaration

 

[37]           Sanofi fait valoir que, en droit, pèse sur la partie qui allègue la nullité d’un brevet au motif de l’évidence en se fondant sur des antériorités déterminées la charge d’établir que ces antériorités étaient à la disposition du public et auraient été trouvées par le destinataire versé dans l’art. Dans la présente espèce, Sanofi a explicitement nié qu’une recherche raisonnable et diligente aurait permis à la personne versée dans l’art de trouver à l’époque pertinente les antériorités citées à l’annexe A de la déclaration d’Apotex.

 

[38]           Avant d’examiner la question du privilège de non-divulgation revendiqué par Apotex, il convient de se demander si de tels documents seraient pertinents au sens de l’article 222 des Règles.

 

[39]           Apotex soutient que le point de savoir comment elle-même ou ses avocats ont trouvé les antériorités citées est dénué de pertinence, puisque la seule question pertinente s’agissant de l’évidence est celle de savoir si le destinataire versé dans l’art les aurait trouvées. Cet argument, en tant qu’il prétend énoncer une règle générale sur la pertinence, est à mon sens erroné. Tous éléments établissant si Apotex, ses avocats, ou qui que ce soit d’ailleurs, ont effectivement trouvé des antériorités et comment ils les ont trouvées, tendent à prouver que cette recherche, effectuée à ce moment, aurait permis et a effectivement permis de découvrir les antériorités en question. Le point de savoir si le destinataire versé dans l’art aurait songé à faire cette recherche et si celle‑ci, à une époque antérieure, aurait produit le même résultat, peut rester en litige et relever de témoignages d’expert, mais les résultats effectifs d’une recherche déterminée, effectuée à un moment déterminé, pourraient fort bien avoir force probante à l’instruction.

 

[40]           La question de la pertinence, aux fins de l’obligation de communication d’Apotex dans un affidavit de documents, exige un complément d’analyse. S’il existe des documents établissant qu’on a effectué sans succès une recherche déterminée, ils renforceraient probablement la thèse de Sanofi. Une telle recherche tendrait à établir que les antériorités, au moins à la date de la recherche et au moyen des paramètres de celle‑ci, n’auraient pas été trouvées; la question relevant des experts serait alors celle de savoir si le destinataire versé dans l’art aurait effectué cette recherche. Les documents attestant simplement la recherche fructueuse d’une antériorité ne sembleraient susceptibles d’aider qu’Apotex, de sorte que cette dernière n’aurait l’obligation de les communiquer que si elle a l’intention de les invoquer à l’instruction. Sanofi soutient qu’une recherche fructueuse, mais mettant en œuvre des paramètres ésotériques ou inhabituels, établirait qu’une recherche raisonnable ne pouvait permettre ou n’aurait pas permis de trouver l’antériorité en question. Le fait qu’on puisse trouver une antériorité au moyen d’une recherche non classique ne prouve pas  en soi qu’une recherche classique n’aurait pas aussi permis de la découvrir. Cependant, il me paraît concevable que, invoqué conjointement avec d’autres circonstances, le fait qu’on ait d’abord trouvé une antériorité au moyen d’un mode inhabituel de recherche puisse étayer l’argument qu’on ait songé à un autre mode, de caractère « raisonnable », seulement par l’exercice d’une sagesse rétrospective. Par conséquent, s’il est vrai que je pense comme Sanofi que les documents établissant comment on a trouvé les antériorités énumérées dans la déclaration pourraient, selon ce qu’ils révéleraient, s’avérer pertinents au sens où ils appuieraient sa thèse, les éléments produits devant moi ne suffisent pas à établir la probabilité que de tels documents existent.

 

[41]           Il reste toutefois à examiner la question du privilège de non-divulgation. Si Apotex ou ses avocats ont effectivement effectué des recherches d’antériorités principalement à des fins contentieuses, il se pourrait bien que les documents ainsi trouvés soient protégés par le privilège relatif au litige. Pour l’instant, je ne suis pas à proprement parler saisie de cette question, puisqu’il n’existe au dossier aucun élément établissant l’existence de tels documents, et encore moins les conditions dans lesquelles ils auraient pu être obtenus et dont découlerait le privilège. Cependant, si de tels documents existent qui appuieraient la cause de Sanofi ou qu’Apotex aurait l’intention d’invoquer à l’instruction, ils rempliraient le critère de pertinence en dépit de la revendication de privilège. Ils devraient alors être cités et décrits à l’annexe ii) de l’affidavit de documents, tout comme devraient y être exposés les motifs de chaque revendication de privilège à l’égard de l’un d’eux [voir le paragraphe 223(2) des Règles].

 

[42]           À l’heure actuelle, l’annexe 2 des affidavits de documents d’Apotex est libellée comme suit :

[TRADUCTION]

 

Liste de tous les documents pertinents, ou liasses de documents pertinents, qui sont ou étaient en la possession, sous l’autorité ou sous la garde d’Apotex et à l’égard desquels un privilège de non-divulgation est revendiqué :

 

1.                  Documents, notamment rapports, notes, mémoires et lettres, établis aux fins d’obtenir et de donner des conseils juridiques;

 

2.                  Documents, notamment rapports, notes, mémoires et lettres, établis aux fins d’aider les avocats à se préparer à la présente action et à la plaider;

 

3.                  Documents, notamment rapports, notes, mémoires et lettres, établis en vue de la présente action, ou aux fins de s’y préparer et de la plaider;

 

4.                  Documents communiqués par des fournisseurs d’Apotex sous réserve de non-divulgation, leur confidentialité étant essentielle au maintien des relations avec ces fournisseurs, notamment : [aucun document n’est cité (la note est de moi)].

 

 

[43]           Le paragraphe 223(4) des Règles permet à une partie de répertorier une liasse de documents comme un seul document, mais seulement sous certaines conditions. Les observations formulées à ce sujet par notre Cour aux paragraphes 7 à 12 de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Dueck, [1998] A.C.F. no 449, 146  F.T.R. 89, se révèlent tout à fait pertinentes pour la présente espèce :

 

7    La Règle 448(3) permet à une partie de répertorier une liasse de documents comme un seul document à deux conditions. Selon la première, les documents doivent tous être de même nature. Selon la deuxième, la liasse doit être décrite avec suffisamment de détail pour que l’autre partie puisse en comprendre facilement le contenu. À mon avis, les liasses « A » à « F » ne respectent aucune de ces deux conditions.

8     Chacune des liasses « A » à « F » est visée par une revendication de privilège couvrant des documents très variés. La liasse de documents « A » renfermerait une multitude de documents décrits, notamment, comme [TRADUCTION] « de la correspondance, des notes et d’autres communications échangées entre des dirigeants, préposés ou employés de la requérante et ses conseillers juridiques... » ainsi que [TRADUCTION] « des documents créés ou assemblés et des renseignements acquis pour être utilisés par l’avocat représentant la requérante dans le litige, y compris des dossiers d’enquête, des mémoires, des notes, des traductions et des documents de travail ». La description donnée pour les documents de la liasse « A » est ensuite reprise mot à mot pour les liasses « B » à « F ». À première vue, les documents des différentes liasses ne comportent aucun élément commun. Effectivement, lorsqu’il a été interrogé à ce sujet, l’avocat de la requérante a admis que le seul trait commun de ces documents est le fait qu’ils sont tous visés par une revendication de privilège. De toute évidence, si ce critère suffisait pour invoquer la Règle 448(3), il ne serait en aucun cas nécessaire de dresser une liste de documents privilégiés.

9     Étant donné que les documents en question ne sont pas tous de même nature, la description que la requérante a tenté de présenter à leur sujet ne peut permettre à l’intimé de comprendre facilement le contenu de chaque liasse, comme la Règle 448(3) l’exige. Habituellement, lorsqu’une partie s’oppose à la production d’un document parce qu’il serait privilégié, elle doit fournir un minimum de précisions au sujet du document en question, afin de permettre à la partie opposée de décider si une contestation est justifiée. À cette fin, elle doit décrire brièvement le document en question et en indiquer la date, l’expéditeur et le destinataire, le cas échéant, etc. Cependant, avec le temps, il a été permis à une partie qui revendique un privilège à l’égard d’un nombre important de documents de classer ceux-ci en différentes catégories et de les présenter en liasses4. La Règle 448(3) a pour effet de codifier cette pratique. À mon avis, lorsque des documents de même nature ou des documents appartenant à la même catégorie sont présentés en liasse, il n’est pas nécessaire d’identifier chaque document, car cette exigence éliminerait l’avantage de ce type de présentation5. Cependant, moins les documents faisant partie de la liasse sont liés entre eux, plus il est nécessaire de fournir des précisions à leur sujet pour en décrire le contenu de façon satisfaisante.

10     Dans la présente affaire, aucune précision ne peut compenser la dissimilitude qui caractérise la panoplie de documents dont se compose chaque liasse. Pour décrire les différentes liasses de documents, la requérante a utilisé à maintes reprises des expressions comme « y compris » et la conjonction disjonctive « ou » ou encore des renvois à « d’autres documents », désignant probablement des documents autres que ceux qui étaient mentionnés de façon spécifique. Ces mots et expressions donnent très peu d’éclaircissements et indiquent que la requérante n’a pas une idée très précise des documents pour lesquels elle revendique un privilège.

11     Le privilège revendiqué au cours d’un litige constitue une exception à la règle générale qui oblige les parties à une action à communiquer en entier tous les renseignements pertinents quant à leur différend. C’est une règle de fond qui ne peut être prise à la légère6. Pour paraphraser la Chambre des lords, [TRADUCTION] « la revendication d’un privilège dans un affidavit n’est pas une formule magique qui, une fois qu’elle est prononcée, rend tous les documents tabous »7. La partie qui revendique un privilège doit déposer un affidavit suffisamment détaillé pour permettre d’identifier les documents pertinents et le fondement de la revendication en question. Comme l’a dit le juge MacKay dans l’arrêt Bande indienne Samson c. Canada, lorsque la Cour s’appuie sur une preuve par affidavit, elle compte nécessairement sur la diligence raisonnable des avocats « en leur qualité d’auxiliaires de la Cour pour informer leur client des documents qui doivent être communiqués intégralement et de ceux à l’égard desquels un privilège peut être revendiqué... »8.

12     Dans la présente affaire, j’estime que l’avocat de la requérante n’a pas respecté la norme de diligence raisonnable lorsqu’il a préparé l’annexe II de l’affidavit.

[Non souligné dans l’original.]

 

[44]           Donc s’il s’avérait que les liasses citées à l’annexe 2 des affidavits de documents d’Apotex comprennent des éléments attestant une recherche d’antériorité qui aideraient Sanofi ou qu’Apotex a l’intention d’invoquer à l’instruction, ces affidavits seraient insuffisants. Cependant, comme je ne peux établir que les liasses citées contiennent de tels éléments et que Sanofi n’a pas soulevé cette question dans sa requête, je ne déclarerai pas les affidavits de documents insuffisants à ce motif. Je compte cependant qu’Apotex aussi bien que Sanofi souhaiteront réexaminer l’annexe ii) de leurs affidavits de documents respectifs pour s’assurer qu’elle est complète.

 

g)                  Tous les résultats des tests et les documents sur le travail effectué sur des sels de clopidogrel.

 

[45]           En ce qui concerne la pertinence, Sanofi a soutenu que ces tests auraient un rapport direct avec l’allégation d’Apotex, au paragraphe 36 de sa déclaration modifiée, que le bisulfate de clopidogrel n’offre pas d’avantages importants par rapport à d’autres composés divulgués dans un brevet antérieur. Les commentaires formulés et les conclusions tirées pour la catégorie (c) ci‑dessus, au sujet du même argument, s’appliquent également ici. De plus, dans la mesure où Apotex a défendu cette partie de la requête de Sanofi en invoquant le secret industriel, les commentaires présentés en ce qui concerne les résultats de recherche, pour la catégorie (f), s’appliquent également à ces résultats de tests.

(h)(i)(j) Échantillons de l’IPA, comprimés ou bouteilles de bisulfate, de bésylate et de bromhydrate de clopidogrel

 

[46]           Je suis d’accord avec l’argument d’Apotex que les échantillons d’objets matériels ne répondent pas à la définition de « documents », donnée dans l’article 222 des Règles. Le fait que des mots ou des lettres soient probablement gravés sur les comprimés ou que des étiquettes soient apposées sur les bouteilles constitue un effort ingénieux, mais vain en bout de ligne, de la part de l’avocat de Sanofi pour obtenir la production de ces échantillons : même si ces objets pouvaient être considérés comme une « information enregistrée ou mise en mémoire sur un support », je refuserais d’exercer mon pouvoir discrétionnaire d’accorder réparation à Sanofi pour cette partie de la requête, car son objectif essentiel est clairement d’obtenir « l’objet » et non l’information qui pourrait figurer sur cet objet.

 

k)                              Tous les contrats entre Apotex et son ou ses fournisseurs d’IPA

 

[47]           Sanofi soutient dans ses conclusions écrites que ces documents pourraient permettre d’établir les conditions de vente et notamment le lieu de la vente, infirmant ainsi la prétention d’Apotex selon laquelle [TRADUCTION] « [l]es exportations qui auraient été effectuées par Apotex [...] n’ont donné lieu à aucune vente au Canada ». Cet argument n’est pas valable. Quelles qu’en soient les conditions, la vente à Apotex d’IPA utilisé par elle pour fabriquer des comprimés qu’elle vend au pays ou exporte ensuite ne peut être définie comme une vente par Apotex, au Canada ou à l’étranger. À l’audience, l’avocat a plutôt fait valoir que l’importation au Canada est un acte contrefaisant et que les conditions du ou des contrats liant Signa et Apotex permettraient d’établir laquelle de ces deux sociétés était le véritable importateur. Cet argument de Sanofi n’est pas dénué de fondement. Cependant, Apotex paraît avoir cité tous les bons de commande, factures et documents de douane lot par lot, pièces qui sembleraient en principe beaucoup plus probantes qu’un contrat général aux fins de l’identification de l’importateur de chaque expédition. Cela étant, et comme je soupçonne que l’intérêt de Sanofi pour ce contrat a beaucoup plus à voir avec ce qu’il révélerait du droit d’Apotex d’obtenir copie des documents de Signa, je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire d’accueillir la requête de Sanofi à cet égard. La question de savoir si Apotex a en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde les documents de Signa pourrait se révéler pertinente sous le rapport de la communication préalable, mais elle ne l’est pas pour ce qui concerne les faits invoqués dans l’action.

 

l)m)n)     Les lettres autorisant Apotex à exporter et à vendre à l’étranger, la correspondance « concernant » les ventes de clopidogrel  effectuées par elle et les contrats avec des entreprises locales qui y vendent son clopidogrel

 

[48]           Je ne dispose pas d’éléments de preuve établissant que, à part les factures citées par Apotex touchant le clopidogrel exporté à partir du Canada, il existe des lettres ou des contrats de la nature susdite qui seraient susceptibles d’étayer la thèse de Sanofi que les ventes ont été effectuées au Canada. Je ne dispose pas non plus d’éléments établissant qu’il existe de tels documents qui laisseraient à penser que des exportations ont été faites vers d’autres pays que ceux qui sont nommément désignés. Par conséquent, Sanofi ne s’est pas acquittée de la charge qui pesait sur elle d’établir l’insuffisance des affidavits de documents d’Apotex à cet égard.

 

La requête d’Apotex

[49]           L’avis de requête d’Apotex énumère dix catégories de documents, mais toutes ces catégories peuvent être examinées – et elle les a en fait présentées dans son argumentation – sous quatre rubriques générales.

 

a)            Les documents relatifs à la négociation et au contexte des accords conclus dans le cadre d’une action opposant les parties aux États-Unis

 

[50]           Apotex soutient dans sa défense qu’elle-même et Sanofi ont conclu des accords dans le contexte d’une action américaine portant sur le clopidogrel, accords par lesquels Sanofi s’est engagée à ne demander que dans ladite action l’indemnisation de toute perte qu’elle aurait subie du fait de l’exportation et de la vente de clopidogrel par Apotex à partir du Canada vers les États-Unis. Sanofi avance quant à elle que les accords en question ne s’appliquent qu’à l’action en recouvrement qu’elle a intentée aux États-Unis et seulement aux ventes effectuées dans ce dernier pays, et qu’ils n’ont pas pour effet de limiter son droit de réclamer au Canada l’indemnisation intégrale des pertes attribuables à des actes contrefaisants commis dans notre pays (c’est‑à‑dire les actes de fabrication, de vente ou d’exportation qui seraient déclarés avoir été accomplis au Canada), sous réserve de déduction pour Apotex des dommages-intérêts qui pourraient avoir déjà été perçus aux États-Unis.

 

[51]           Apotex fait valoir que, comme il est évident que les parties sont en désaccord sur l’interprétation des contrats en question, [TRADUCTION] « les éléments de preuve relatifs aux intentions des parties, notamment les déclarations faites par elles avant et après la conclusion de l’accord, les circonstances dans lesquelles l’accord a été passé et la conduite ultérieure des parties », se révèlent pertinents pour l’interprétation du contrat.

 

[52]           Comme je le disais plus haut, les parties sont censées avoir déjà une idée nette de leurs prétentions et moyens et de ce qu’il leur faudra prouver à l’instruction. Il y a lieu d’attendre d’elles qu’elles exposent les faits en litige dans les actes de procédure avec une certaine précision et une certaine clarté. Dans la présente espèce, il ressort à l’évidence des actes de procédure d’Apotex aussi bien que de Sanofi que, pour ce qui concerne l’effet des accords, chacune des parties invoque seulement les conditions de ceux‑ci. Apotex a aussi explicitement allégué, dans le cadre de ses moyens fondés sur l’abus de procédure et la préclusion, la conduite de Sanofi devant les tribunaux américains et les conclusions prises par cette dernière dans sa contestation, fondée sur les accords américains, d’instances antérieurement introduites par Apotex devant les tribunaux ontariens. Mis à part ces faits déterminés, aucune des deux parties n’a invoqué, en tant que pertinents pour l’interprétation de l’accord, de faits relatifs à des déclarations formulées par elle-même ou son adversaire avant ou après ledit accord, à des intentions exprimées ou non, ou au comportement. Les circonstances de la passation d’un contrat et les intentions subjectives des parties peuvent dans certains cas se révéler pertinentes, mais seulement si les conditions de ce contrat sont ambiguës et seulement si ces circonstances sont valablement alléguées dans les actes de procédure. Aucune des parties à la présente espèce n’a fait valoir que les conditions du contrat fussent ambiguës et, comme je le disais, les actes de procédure des deux n’invoquent manifestement que les conditions expresses des contrats. Me fondant sur les actes de procédure tels qu’ils se présentent actuellement, je dois déclarer cette catégorie de documents non pertinente.

 

b)            Les documents concernant les activités de Sanofi à l’étranger et les brevets équivalents qu’elle y détient ou sur lesquels elle y détient une licence

 

[53]           Les paragraphes de la défense d’Apotex relatifs aux activités (ou à l’absence d’activités) de Sanofi à l’étranger sont rédigés comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

7.         Les demanderesses cherchent par la présente action à obtenir l’exécution extraterritoriale des droits afférents au brevet 777. Or le brevet 777 n’a pas d’effet extraterritorial. Les demanderesses ne peuvent réclamer l’indemnisation de préjudices qu’elles prétendent avoir subis à l’extérieur du Canada qu’en vertu de droits détenus par elles à l’étranger, droits dont Apotex conteste l’existence. Par suite, les demanderesses n’ont pas qualité pour réclamer d’indemnisation à l’égard d’activités qu’elles prétendent exercer en dehors du territoire canadien.

 

14.       Apotex conteste que les demanderesses aient été lésées par l’exportation supposée de produits à base de bisulfate de clopidogrel vers Hong Kong, la Nouvelle-Zélande, l’Iran, la Libye, la Malaisie ou Singapour. Les exportations qui auraient été effectuées par Apotex vers les pays susénumérés n’ont donné lieu à aucune vente au Canada. En outre, soit les demanderesses n’ont pas déposé de brevets correspondant au brevet 777 dans ces pays, soit les brevets de cette nature sont expirés. Par suite, les demanderesses n’auraient pas effectué les ventes découlant des exportations supposées d’Apotex en l’absence de celles‑ci.

 

15.       Apotex conteste en outre que l’une ou l’autre des demanderesses exerce une activité commerciale à Hong Kong, en Nouvelle-Zélande, en Iran, en Malaisie ou à Singapour. Par suite, les demanderesses ne peuvent rien réclamer relativement aux ventes supposées dans ces pays ni n’ont qualité pour faire valoir une telle réclamation.

 

[54]           Donc, Apotex a formellement invoqué les faits substantiels suivants dans la procédure écrite : Sanofi ne détient pas de droits sur l’invention à l’étranger, et elle n’exerce pas d’activité commerciale à Hong Kong, en Nouvelle-Zélande, en Iran, en Libye, en Malaisie ni à Singapour.

 

[55]           Sanofi a répondu comme suit aux moyens de défense susdits :

 

[TRADUCTION]

3.         Les demanderesses contestent expressément les paragraphes 6 à 19 de la défense et font valoir l’absence de pertinence d’un bon nombre d’affirmations y contenues. En outre, les demanderesses ont été lésées par des actes contrefaisants commis au Canada, notamment la fabrication dans ce pays de clopidogrel par Apotex Inc. et Apotex Pharmachem Inc. (les défenderesses).

 

[56]           Il est important de noter que la thèse de Sanofi est dans la présente requête, et a toujours été dans les autres qu’elle a formées devant moi, que son action et son droit à réparation sont fondés sur les droits découlant du brevet canadien et se limitent aux actes contrefaisant celui‑ci dont il peut être établi qu’ils ont été commis au Canada ou qui peuvent être réputés y avoir été commis. Malgré le moyen exposé au paragraphe 7 de la défense d’Apotex, il est donc évident que n’est pas en litige entre les parties la question de savoir si Sanofi a le droit de réclamer, ou a qualité pour réclamer, l’indemnisation d’actes contrefaisants commis à l’extérieur du Canada, ou encore a le droit d’ester en justice, ou a qualité pour ce faire, en vertu de droits découlant de brevets étrangers. Bien qu’Apotex allègue explicitement dans sa défense l’absence de droits de brevet étrangers, c’est manifestement là une allégation dénuée de pertinence qui, même si elle était étayée de preuves, ne pourrait influer sur l’issue de l’action. Par conséquent, cette allégation ne peut servir à établir la pertinence de documents aux fins de la communication préalable. Voir Apotex c. Merck & Co., (2004) 33 C.P.R. (4th) 387, paragraphe 14, confirmée par (2005) 38 C.P.R. (4th) 289.

 

[57]           Quant au point de savoir si Sanofi exerce une activité commerciale dans d’autres pays ou aurait été capable d’effectuer les ventes supposées contrefaisantes, Sanofi ne conteste pas que ces faits pourraient se révéler pertinents pour la quantification du préjudice subi par elle. Cependant, elle ajoute que, par ordonnance en date du 2 novembre 2009, toutes les questions et obligations de communication préalable se rapportant seulement à la quantification des dommages-intérêts réclamés par elle ou des bénéfices réalisés par Apotex et à réclamer dans le cadre d’une comptabilisation des profits ont fait l’objet d’une disjonction, leur examen ayant été reporté à une date postérieure à l’instruction principale relative à la responsabilité. Dans la mesure où la question de la présence ou de l’activité commerciales de Sanofi se rapporte au point de savoir si elle aurait effectué les ventes supposées contrefaisantes, je pense aussi que les faits y afférents concernent les questions disjointes et qu’il ne peut en découler de droits ni d’obligations de communication préalable pour l’instant.

 

[58]           Apotex a aussi soutenu à l’audience que l’incapacité de Sanofi à effectuer des ventes à l’étranger ne concerne pas seulement les dommages-intérêts, mais se révèle pertinente aussi pour son droit supposé  à une comptabilisation des profits. Or cet argument n’est formulé nulle part dans les conclusions écrites d’Apotex ni dans son dossier de requête. Elle l’a avancé pour la première fois à l’audience, et elle n’a cité à son soutien ni jurisprudence ni doctrine. Il s’agit donc là, je pense, d’un nouvel argument, et s’il me paraît concevable qu’on puisse soutenir que l’incapacité prouvée d’un demandeur à effectuer des ventes déterminées lui enlève le droit de réclamer les bénéfices réalisés par le défendeur sur ces ventes, j’aurais tendance à penser que cette question concerne plutôt la quantification des bénéfices dans le cadre d’une comptabilisation des profits que le droit, en tant que tel, à une telle comptabilisation. Si la capacité d’un demandeur à effectuer une vente est effectivement pertinente pour une comptabilisation des profits et ne concerne que la quantification, Apotex n’a pas pour l’instant le droit à une communication préalable des documents y afférents. Mais dans l’hypothèse où cette question serait à examiner aux fins d’établir si le demandeur a droit à une comptabilisation des profits, indépendamment de leur quantification, elle ne serait pas disjointe et relèverait de l’obligation de communication préalable. Ne disposant pas de conclusions suffisantes des parties sur cette question, je m’estime incapable de la décider ici et m’abstiendrai donc de le faire.

 

[59]           Cependant, même dans l’hypothèse où l’absence d’activité commerciale de Sanofi à l’étranger serait valablement en litige à l’instruction principale de la présente affaire, son obligation de communication se limiterait aux documents susceptibles d’aider Apotex à établir qu’elle n’exerce pas d’activité commerciale dans d’autres pays ou aux documents que Sanofi a l’intention d’invoquer à l’instruction pour établir qu’elle exerce une telle activité.

 

[60]           Il est beaucoup plus facile d’imaginer la sorte de documents qui établirait l’existence d’une activité commerciale que celle qui prouverait ou établirait le contraire. L’avocat d’Apotex a pu avancer seulement le fait que certains rapports internes de Sanofi pourraient donner la liste des pays où cette dernière est active, ce qui montrerait indirectement où elle ne l’est pas, ou qu’il pourrait exister certains documents de même nature attestant la décision de Sanofi de ne pas poursuivre ou d’abandonner ses activités dans un pays donné. Si cette hypothèse est plausible, elle n’est pour l’instant qu’une pure conjecture. Apotex ne s’est donc pas acquittée de sa charge d’établir qu’il existe vraisemblablement des documents qui l’aideraient à prouver que Sanofi n’exerce pas d’activité commerciale dans les pays considérés. S’il existe des documents établissant que Sanofi exerce effectivement une activité commerciale dans ces pays, Apotex a le droit de supposer que Sanofi a décidé de ne pas les invoquer à l’instruction. En conséquence, même dans l’hypothèse où la question de l’activité de Sanofi à l’étranger serait pertinente aux fins de l’établissement de son droit à une comptabilisation des profits, Apotex n’a pas établi que les affidavits de documents de Sanofi soient entachés d’insuffisance.

 

c)            Les documents produits par Sanofi dans des procédures étrangères relatives au clopidogrel

 

[61]           Apotex a énuméré six exemples distincts de documents produits par Sanofi dans des procédures étrangères qu’elle déclare pertinents pour les questions en litige dans la présente espèce et que Sanofi n’a pourtant pas cités dans ses affidavits de documents. Sanofi conteste la pertinence de la plupart des documents en question. Je n’ai pas à décider si chacun de ces documents est effectivement pertinent ni si Sanofi aurait dû citer chacun dans son affidavit de documents. Même dans l’hypothèse où celui‑ci serait insuffisant du fait que ces documents n’y soient pas cités, je ne vois entre eux aucun facteur commun qui indiquerait qu’ils aient été laissés de côté ou omis délibérément, par un défaut systématique dans la manière dont Sanofi aurait effectué ses recherches ou appliqué le critère de la pertinence, ou simplement par erreur. Par conséquent, on ne peut conclure que d’autres documents pertinents existent vraisemblablement et aient été « oubliés ». Certains des documents désignés par Apotex sont, il est vrai, pertinents, mais je ne dirais certainement pas qu’ils soient importants, d’une pertinence évidente ou manifestement probants, de telle sorte que la non-communication de leur existence par Sanofi inciterait à mettre sa diligence en doute et justifierait qu’on lui ordonne de réviser son affidavit de documents.

 

[62]           Tout au plus, la requête a porté à l’attention de Sanofi la pertinence possible des documents, s’il en existe, qui pourraient attester sa connaissance des dispositions réglementaires stipulant l’obligation de déposer des demandes de brevet à l’égard d’énantiomères considérés isolément (comme motif de les séparer), ou faire état des prévisions internes de l’activité et de la toxicité respectives, le cas échéant, des énantiomères qu’elle aurait établies avant qu’ils ne fussent créés et mis à l’essai. L’obligation continue de Sanofi de réexaminer ses documents en fonction de ces arguments se trouve ainsi déclenchée. Il n’est nul besoin de rendre une autre ordonnance à cet égard.

 

d)            Les traductions du français en anglais de documents produits par Sanofi dans la présente espèce aussi bien que dans des procédures étrangères

 

[63]           Cette catégorie ne concerne pas les traductions qui pourraient être en la possession de Sanofi, mais plutôt les traductions de documents de Sanofi qui pourraient avoir été effectuées par Apotex ou ses avocats dans le contexte de procédures étrangères et n’y ont pas été publiquement produites en preuve.

 

[64]           Apotex admet que de telles traductions ne seraient pas réputées être en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de Sanofi, mais bien en sa propre possession. Le problème est que des ordonnances préventives ou les règles de l’engagement implicite concernant l’utilisation des documents communiqués au préalable dans ces procédures étrangères ont pour effet d’interdire aux avocats étrangers d’Apotex de communiquer ces traductions à celle‑ci pour utilisation dans la présente espèce. Ce qu’Apotex demande ici, c’est une ordonnance prescrivant à Sanofi d’exempter les avocats étrangers d’Apotex de l’application des ordonnances ou règles susdites, ou de renoncer à cette application afin de permettre la communication et l’utilisation des traductions en question.

 

[65]           Il semble que Sanofi ne serait pas opposée à une forme ou une autre de renonciation, mais les parties ne s’entendent pas sur la nature précise du mécanisme à utiliser, d’où le présent chef de la requête d’Apotex. En supposant, mais sans décider ce point, que la Cour ait le pouvoir d’ordonner à une partie de renoncer à la protection des ordonnances de confidentialité ou des règles d’engagement implicite d’autres tribunaux, je refuserais de rendre une telle ordonnance dans le contexte factuel de la présente espèce.

 

[66]           L’effet de ces règles ou ordonnances de non-communication n’empêche pas Apotex d’avoir accès à des renseignements pertinents. Apotex dispose de tous les documents pertinents de Sanofi dans leur langue originale, à savoir le français. Elle peut les faire traduire si elle le souhaite, et comme le français est l’une des langues officielles de notre pays, on ne peut dire que cette tâche présente d’insurmontables difficultés pratiques. Apotex désire avoir accès aux traductions déjà établies de ces documents pour de simples raisons d’économie et de commodité. La décision de faire obstacle, même indirectement, à l’application d’ordonnances ou de règles de procédure de tribunaux étrangers en ordonnant à une partie de renoncer à la protection qu’elles lui assurent ne devrait pas être prise par notre Cour à la légère. Si notre Cour dispose effectivement de ce pouvoir, elle devrait en faire usage avec la plus grande modération, et seulement lorsqu’il a été démontré qu’une telle mesure est nécessaire pour donner à une partie accès à des renseignements pertinents et impossibles à obtenir autrement. Or Apotex est en mesure d’obtenir par ses propres moyens des traductions des documents considérés, même si ce n’est pas sans frais. Si elle peut démontrer que Sanofi a refusé son consentement de manière déraisonnable, c’est dans le contexte d’une requête en directives relatives aux dépens, après l’instruction, qu’il convient qu’elle soulève cette question.

 

Les dépens

[67]           Au début de l’audience, les deux parties se sont accordées à reconnaître qu’il serait raisonnable de fixer à 1 500 $ les dépens afférents à chacune des requêtes, pour le cas où des dépens seraient adjugés. Or la requête d’Apotex a été rejetée, tandis que celle de Sanofi n’a été accueillie que relativement à une seule des 14 questions en litige. À en juger simplement par l’issue, Sanofi devrait avoir droit aux dépens afférents à la requête d’Apotex, tandis qu’Apotex devrait avoir droit à la plus grande partie des dépens relatifs à la contestation  de la requête de Sanofi.

 

[68]           Il est aussi à noter, cependant, que les requêtes ont connu une issue défavorable en grande partie du fait que les deux parties ne se sont pas acquittées de la charge de prouver l’existence d’autres documents pertinents. Dans la grande majorité des cas, la raison en était non la manière dont la Cour a évalué les éléments de preuve contradictoires, mais simplement qu’on n’avait même pas produit d’éléments de preuve.

[69]           Étant donné le niveau d’expérience des avocats, le fait qu’ils n’aient pas produit le strict minimum d’éléments de preuve nécessaires pour espérer l’issue favorable d’une requête est à mettre au compte soit d’un manque de préparation, soit de l’utilisation de la procédure de requête à des fins tactiques, comportements qui ne devraient ni l’un ni l’autre être entérinés ou encouragés par l’attribution de dépens. En conséquence, il ne sera adjugé de dépens dans ni l’une ni l’autre des requêtes.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  Apotex Inc. et Apotex Pharmachem Inc. doivent, au plus tard le 2 février 2010, signifier et déposer des affidavits de documents modifiés divulguant, selon le calendrier approprié, les dossiers de lots pour l’ingrédient pharmaceutique actif du clopidogrel qu’elles ont acheté de Signa SA de CV et qui est en litige dans la présente instance.

 

2.                  Les requêtes respectives des parties sont par ailleurs rejetées.

 

3.                  Il n’est adjugé de dépens dans ni l’une ni l’autre de ces requêtes.

 

 

 

« Mireille Tabib »

Protonotaire

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑644‑09

 

INTITULÉ :                                       APOTEX INC. c. SANOFI‑AVENTIS

 

DOSSIER :                                        T‑933‑09

 

INTITULÉ :                                       SANOFI AVENTIS et BRISTOL‑MYERS SQUIBB

SANOFI PHARMACEUTICALS HOLDINGS PARTNERSHIP c.APOTEX INC., APOTEX PHARMACHEM INC. et SIGNA SA de CV

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 janvier 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LA PROTONOTAIRE TABIB

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 janvier 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ben Hackett

 

POUR APOTEX INC. ET

APOTEX PHARMACHEM INC.

 

Anthony Creber

Cristin Wagner

 

POUR SANOFI‑AVENTIS ET

BRISTOL MYERS SQUIBB

SANOFI PHARMACEUTICALS

HOLDINGS PARTNERSHIP

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Gowling Lafleur Henderson, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR APOTEX INC. ET

APOTEX PHARMACHEM INC.

 

 

POUR SANOFI‑AVENTIS ET

BRISTOL MYERS SQUIBB

SANOFI PHARMACEUTICALS

HOLDINGS PARTNERSHIP

 

 

 

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