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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court

Date : 20100119

Dossier : IMM-1222-09

Référence : 2010 CF 50

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAINVILLE

 

 

ENTRE :

ESTEBAN SANCHEZ FOCIL

 ARIANNA YURIE SANCHEZ NARITA

 KAZUE NARITA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente décision concerne une demande qu’Esteban Sanchez Focil, son épouse Kazue Narita et leur enfant mineur Arianna Yurie Sanchez Narita (les trois demandeurs étant appelés collectivement les « demandeurs ») ont déposée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la « Loi ») en vue du contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le « tribunal ») rejetant les demandes d’asile que les demandeurs avaient faites en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

[2]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 14 décembre 2006, et ils ont demandé l’asile le jour même. Le demandeur, M. Sanchez Focil, est citoyen du Mexique, son épouse, Mme Narita, est citoyenne du Japon, et leur fille est citoyenne du Mexique et du Japon. Le demandeur, M. Sanchez Focil, a demandé asile et protection sur le fondement de son allégation selon laquelle un groupe de gauchistes actif au Mexique l’avait menacé. Son épouse, la demandeure Mme Kazue Narita, allègue une crainte de persécution au Japon en raison de ses liens passés avec une secte chrétienne marginale active au Japon, et leur fille allègue de la discrimination au Japon en raison des ses origines mixtes.

 

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur a produit un énoncé des faits détaillé et complet expliquant leur situation personnelle, qui fait quelque 35 pages à interligne simple dans leurs formulaires de renseignements personnels. Ce qui suit est un résumé partiel de cet énoncé des faits.

 

[4]               Le demandeur, M. Sanchez Focil, a travaillé dans l’industrie du cinéma au Mexique et comme professeur d’anglais langue seconde. Dans le cadre de son travail, il a notamment travaillé à de nombreuses œuvres cinématographiques et télévisuelles américaines tournées au Mexique. Il allègue être fortement identifié aux sociétés de production cinématographiques et télévisuelles américaines au Mexique.

 

[5]               Les demandeurs ont vécu à León dans l’état de Guanajuato au Mexique de janvier 2001 à novembre 2006. Pendant un peu plus de deux mois (d’octobre à décembre 2005), le demandeur, M. Sanchez Focil, s’est rendu dans l’état d’Oaxaca au Mexique pour travailler dans le cadre du tournage du film « Nacho Libre » de Paramount Pictures et Nickelodeon Studios. Sa tâche consistait à veiller à ce que les membres mexicains de la distribution puissent communiquer avec l’équipe de tournage américaine et à enseigner aux figurants mexicains différents mots simples en anglais. Pendant son affectation, la situation politique dans l’état d’Oaxaca s’est détériorée, et la province s’est trouvée aux prises avec d’importants conflits civils entourant une grève des enseignants.

 

[6]               M. Sanchez Focil affirme que pendant son bref séjour dans l’état d’Oaxaca, il a eu des discussions politiques avec certains de ses élèves mexicains qui travaillaient à la production cinématographique. Il allègue qu’il a dit à ses élèves qu’il aimait travailler pour des sociétés de production américaines et qu’il a défendu leur présence au Mexique. Ces propos ont été apparemment mal reçus par certains des élèves qui percevaient les sociétés américaines comme des exploiteurs et qui ont reproché au demandeur de toucher ce qu’ils percevaient comme un salaire élevé pour ses services.

 

[7]               Après que M. Sanchez Focil eut quitté l’état d’Oaxaca et fut retourné dans la ville de León en décembre 2005, la situation politique dans l’état d’Oaxaca a continué à se détériorer. Cet état s’est enfoncé de plus en plus dans de graves conflits sociaux qui ont nécessité une intervention musclée des autorités fédérales mexicaines. Des liens tissés entre différents groupes gauchistes au Mexique ont eu pour effet d’étendre le conflit civil à d’autres régions du pays au soutien de la quasi-insurrection dans l’état d’Oaxaca. Il s’est ensuivi des menaces de violence et des actes de violence dans l’état d’Oaxaca et dans d’autres régions du Mexique, notamment des attentats à la bombe à Mexico.

 

[8]               Le demandeur, M. Sanchez Focil, affirme qu’il a souvent été pris à tort pour un Américain ou pour le fils d’un politicien mexicain parce qu’il parle très bien l’anglais avec un accent américain, il est marié à une citoyenne japonaise, et il mène essentiellement sa vie à l’occidentale, utilisant l’anglais comme langue de communication avec son épouse. Il croit que des groupes gauchistes les ont ciblés, lui et son épouse, pour ces raisons.

 

[9]               Le 11 novembre 2006, près d’un an après avoir travaillé dans l’état d’Oaxaca, le demandeur, M. Sanchez Focil, allègue avoir reçu un appel anonyme d’un homme ayant l’accent des habitants d’Oaxaca, qui lui aurait dit que les enseignants recevraient l’argent que le demandeur avait reçu des studios américains par tous les moyens nécessaires, et qui aurait ensuite raccroché. Cet incident aurait été suivi d’une série d’appels téléphoniques anonymes durant la nuit entre le 11 et le 16 novembre 2006, au cours desquels personne ne parlait à l’autre bout de la ligne.

 

[10]           Tôt dans la matinée du 16 novembre, M. Sanchez Focil aurait reçu un autre appel d’un homme ayant l’accent des habitants d’Oaxaca. Cette personne aurait réitéré au demandeur qu’il lui faudrait rendre l’argent qu’il avait reçu des studios américains, sinon il ne verrait pas la fin de l’année. M. Focil a perçu ces propos comme une menace de mort. À la suite de cet appel, M. Focil s’est rendu le jour même à la police à León pour demander de l’aide. Il n’a toutefois pas pu obtenir de protection préventive de la police ni la mise en place d’un dispositif d’écoute sur son téléphone. Compte tenu des circonstances, M. Sanchez Focil et Mme Narita ont décidé de déménager avec leur fille et leur fils dans le village d’El Cercado dans l’état du Nuevo León, pour loger chez des amis de la famille.

 

[11]           Le séjour à El Cercado a été bref, et les demandeurs sont retournés dans la ville de León le 1er décembre 2006 pour obtenir un passeport pour leur fils, mais par peur, ils ont logé à l’hôtel plutôt que de retourner à leur résidence. La mère et le père de M. Focil sont retournés à la résidence du demandeur pour récupérer leurs effets personnels et, pendant qu’ils étaient là, la mère aurait répondu à un appel téléphonique anonyme d’une personne qui cherchait à connaître les allées et venues de son fils et qui aurait proféré des menaces. La mère aurait immédiatement signalé l’incident à la police locale à León.

 

[12]           Plus tard ce jour-là, M. Sanchez Focil et Mme Narita allèguent qu’une voiture les a suivis dans la ville de León et que le conducteur de cette voiture les a menacés en tentant de heurter leur véhicule. Après cet incident, ils ont décidé de quitter définitivement le Mexique. Ils ont d’abord logé chez des amis à San Juan de Rio dans l’état du Querétaro, jusqu’à ce qu’ils puissent se procurer des billets pour le Canada le 14 décembre 2006. Leur fils est demeuré au Mexique chez les parents de M. Sanchez Focil puisqu’aucun passeport n’avait pu être obtenu pour lui.

 

[13]           Les demandeurs ont présenté une longue lettre des parents de M. Sanchez Focil étayant leurs allégations, de même que des copies de différents rapports de police. M. Sanchez Focil et Mme Narita ont tous deux témoigné devant le tribunal.

 

[14]           En ce qui concerne la demandeure Mme Narita, celle-ci allègue qu’il serait difficile pour elle de vivre au Japon, et elle demande essentiellement asile et protection sur le fondement de la demande de son époux. Toutefois, elle demande aussi l’asile relativement au Japon en raison de son appartenance passée à une secte chrétienne marginale connu sous le nom « La Famille » ou « Les Enfants de Dieu » ou « La Famille de l’amour ». Ces liens passés feraient d’elle un paria au sein de la société japonaise au point d’être persécutée. Mme Narita a commencé à fréquenter ce groupe durant son enfance, lorsque ses grands-parents, qui étaient membres de ce groupe, l’élevaient. Compte tenu des particularités de la société japonaise, Mme Narita affirme qu’il lui serait impossible de dissimuler ses liens passés avec ce groupe, et qu’elle serait pratiquement incapable de trouver de un emploi au Japon.

 

[15]           Mme Narita a fait sa scolarité au Japon au sein du système scolaire administré par « La Famille » pour faire plaisir à ses grands-parents, qui étaient ses parents de fait. Elle a voulu quitter cette secte, et elle a quitté le Japon pour le Mexique en septembre 1997, à l’âge de 19 ans. Elle allègue avoir été forcée de quitter le Japon puisqu’en dehors de la secte marginale « La Famille », il n’y a aucune place permanente pour elle au sein de la société japonaise, qui est très conservatrice. La secte au sein de laquelle elle a été élevée serait très impopulaire au sein de la société japonaise, et elle aurait fait l’objet de nombreux reportages médiatiques négatifs.

 

[16]           En outre, Mme Narita allègue que ses grands-parents sont des membres bien en vue de ce groupe religieux, et que sa grand-mère est un des principaux porte-parole du groupe. Mme Narita a affirmé qu’au moins un autre membre de « La Famille » s’était suicidé après avoir quitté la secte parce qu’il n’avait pas réussi à s’ajuster à la société japonaise. Mme Narita a noté que les gens au Canada étaient souvent incrédules lorsqu’elle affirmait qu’elle demandait l’asile en rapport avec le Japon, et elle attribue cela au manque général de connaissance et de compréhension de la société japonaise comparativement à d’autres pays occidentaux. L’individualisme qui a cours dans d’autres pays occidentaux est étranger à la société japonaise, au sein de laquelle Mme Narita allègue que l’on considère souvent que l’individu est responsable non seulement de ses propres actes, mais aussi de ceux des membres de sa famille. Mme Narita croit qu’étant donné ses liens passés avec la secte, elle n’aurait aucun avenir au Japon, elle ne pourrait pas s’y trouver d’emploi, et la société japonaise en général l’ostraciserait si elle retournait dans ce pays.

 

[17]           Mme Narita allègue aussi que sa fille subirait de la discrimination racial au Japon parce qu’elle est d’ethnie mixte et elle passe pour une étrangère aux yeux des Japonais. Au cours d’un récent voyage qu’elle a fait au Japon pour se rendre au chevet de sa mère mourante, Mme Narita a amené sa fille avec elle, et elle allègue que sa fille a été victime de discrimination au cours de son bref séjour lorsque Mme Narita a tenté d’obtenir des services médicaux et des services de garderie pour sa fille. Mme Narita étaye ces allégations au moyen de nombreux rapports et articles concernant les traitements discriminatoires dont seraient victimes les Aïnous, les Baracous, les Coréens et les étrangers en général. Elle a aussi produit un rapport médical concernant sa fille, daté du 14 juillet 2008, qui conclut que sa fille a de la difficulté à s’adapter au changement et aux nouveaux environnements et qu’elle éprouve des degrés élevés d’anxiété reliés aux degrés d’anxiété de ses parents.

 

 

La décision du tribunal

 

[18]           Aux termes de sa décision, le tribunal a rejeté la demande des demandeurs.

 

[19]           Le tribunal a rejeté les allégations du demandeur, M. Sanchez Focil, essentiellement au motif que son récit n’était pas crédible. En bref, le tribunal ne trouvait pas crédible qu’un an après que M. Sanchez Focil eut complété sa brève assignation professionnelle dans l’état d’Oaxaca, certains de ses anciens étudiants et leurs acolytes gauchistes aient cherché à s’en prendre à lui dans la ville lointaine de León. Comme l’a noté le tribunal au paragraphe 27 de la décision : [TRADUCTION] « [r]ien de tout cela n’a de sens, et le tribunal conclut qu’il n’y a aucun élément de preuve indiquant que les étudiants auraient été impliqués dans quoi que ce soit ».

 

[20]           En outre, le tribunal a conclu, d’après les rapports de police qui ont été produits, que les autorités policières mexicaines avaient pris très au sérieux les menaces téléphoniques alléguées concernant M. Sanchez Focil. Une conclusion défavorable a été tirée à l’endroit de M. Focil du fait que celui-ci avait refusé d’installer un dispositif d’identification de numéro sur son téléphone comme la police le lui avait recommandé. Comme le tribunal l’a noté au paragraphe 30 de sa décision : [TRADUCTION] « [s]i les appels ont réellement été effectués, le tribunal est d’avis que le demandeur n’a fait aucun effort pour identifier ceux qui le menaçaient ».

 

[21]           Après avoir conclu que la demande n’était pas crédible, le tribunal n’a pas jugé utile de traiter de l’allégation relative à la poursuite en voiture avant le départ des demandeurs pour le Canada.

 

[22]           Le tribunal a conclu ce qui suit au sujet des allégations formulées par M. Sanchez Focil au paragraphe 33 de sa décision :

[TRADUCTION] « En dernière analyse, le demandeur a concocté un récit autour de la situation chaotique dans l’état d’Oaxaca en 2006. Il avait travaillé dans l’état d’Oaxaca pendant seulement deux mois en 2005, après quoi il était rentré chez lui dans la ville de Léon, qui est loin de l’état d’Oaxaca. À cause de certaines remarques qu’il a faites à ses soi-disant élèves à l’automne 2005, ceux-ci auraient parlé de lui au mouvement d’opposition, après avoir obtenu ses renseignements personnels alors qu’ils occupaient une banque. Le mouvement, les Enseignants, l’APPO ou quelque chose d’autre, l’auraient recherché loin de l’état d’Oaxaca pour demander sa paye, qu’ils estimaient trop élevée en comparaison de ce que touchaient les gens qui ne parlaient pas anglais. Ce récit est invraisemblable, et le demandeur n’a présenté absolument rien pour le prouver. »

 

 

[23]           Concernant les allégations de Mme Narita, celles-ci sont rejetées dans une analyse qui se lit comme suit :

[TRADUCTION] [36] « Le tribunal est d’avis que la demandeure n’a présenté aucun élément de preuve au soutien de son allégation selon laquelle elle risquerait d’être persécutée si elle devait vivre au Japon en raison de son appartenance passée à une secte. De même, elle n’a produit aucun document concernant la secte. Le tribunal note également que la demandeure est retournée au Japon le 1er septembre 2005 pour s’occuper de sa mère. Elle est retournée au Mexique en juin 2006. La demandeure n’a rapporté aucun fait important pour démontrer qu’elle-même avait été assujettie à quoi que ce soit qui pourrait corroborer ses affirmations.

 

 

[24]           Les allégations relatives à la fille sont aussi rejetées pour les motifs suivants :

[TRADUCTION] [37]    Les difficultés que sa fille Arianna aurait eues avec d’autres enfants ou avec un médecin, ou à être admise dans une garderie, sont insuffisantes pour étayer une demande de protection à titre de réfugiée. Le rapport psychiatrique daté du 14 juillet 2008 conclut que l’anxiété d’Arianna semble être directement reliée au niveau d’anxiété ressentie par ses parents. Cela n’établit pas un lien avec la situation qu’elle a vécue au Japon.

 

 

Analyse

 

[25]           La norme de contrôle des décisions de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié fondées sur des questions de crédibilité des témoins et d’appréciation des éléments de preuve est celle de la décision raisonnable : Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), (1993) 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. n732 au paragraphe 4; Sukhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 427, [2008] A.C.F. no 515 au paragraphe 15; Sierra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1048, [2009] A.C.F. no 1289 au paragraphe 20. J’appliquerai donc cette norme pour procéder au présent contrôle judiciaire. En conséquence, l’analyse s’intéressera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 au paragraphe 47).

 

[26]           Il y avait clairement une situation politique troublante et un soulèvement populaire dans l’état d’Oaxaca à l’époque où M. Sanchez Focil y a brièvement travaillé à l’automne 2005 ainsi qu’à l’époque de l’arrivée des demandeurs au Canada en décembre 2006.

 

[27]           Aux fins du présent contrôle judiciaire, il importe notamment de déterminer si le tribunal a procédé à une appréciation déraisonnable des éléments de preuve lorsqu’il a conclu que les allégations de M. Sanchez Focil selon lesquelles un groupe gauchiste de l’état d’Oaxaca avait voulu s’en prendre à lui dans le contexte de ce soulèvement n’étaient tout simplement pas crédibles et n’étaient pas étayées par les éléments de preuve.

 

[28]           Le tribunal a conclu qu’il n’était tout simplement pas crédible que des organisations ou des individus gauchistes dans l’état d’Oaxaca harcèlent M. Sanchez Focil dans une ville lointaine plus d’un an après sa brève affectation professionnelle dans cet état. Cette conclusion appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il n’était pas déraisonnable pour le tribunal de conclure que l’énoncé des faits du demandeur n’était pas crédible dans ces circonstances. Le demandeur affirme que plus d’un an après une brève affectation professionnelle dans l’état d’Oaxaca, et à cause d’une brève conversation qu’il aurait eue avec des élèves qui participaient à une production cinématographique américaine, une organisation gauchiste aurait soudainement décidé de s’en prendre à lui dans une ville lointaine pour menacer sa vie. La conclusion du tribunal à cet égard est une issue acceptable. La Cour en serait peut-être arrivée à une conclusion différente, mais tel n’est pas son mandat, celui-ci se limitant à s’assurer que la décision du tribunal appartient aux issues acceptables et qu’elle est conforme à la loi et aux principes d’équité et de justice naturelle.

 

[29]           En outre, même si la Cour devait croire l’énoncé des faits des demandeurs, il serait presqu’inconcevable que les demandeurs n’aient eu aucune possibilité de refuge intérieur. Les demandeurs allèguent que les gauchistes qui les persécutent parcourraient de longues distances partout au Mexique pour s’en prendre à eux, et pourtant, aucun élément de preuve n’a été produit à l’appui de cette allégation.

 

[30]           Ces dernières années, la Cour suprême du Canada a clairement affirmé que lorsqu’il s’agit d’examiner la décision d’un tribunal administratif, une cour supérieure devrait éviter de substituer sa propre appréciation des éléments de preuve à celle du tribunal. Cela est particulièrement vrai lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le tribunal administratif a eu l’occasion d’entendre les témoignages de vive voix et qu’il est donc bien mieux placé pour évaluer la crédibilité des témoins. La Cour a pour fonction de s’assurer que le tribunal s’est acquitté de ses responsabilités dans le respect du cadre législatif établi par sa loi constitutive et en tenant dûment compte des règles d’équité et de justice fondamentale. Lorsque ce cadre juridique et les règles de justice fondamentale ont été respectés, une cour de révision ne devrait pas intervenir à moins que la décision soit clairement déraisonnable. Or, les conclusions du tribunal en l’espèce ne sont pas déraisonnables.

 

[31]           Concernant les allégations de Mme Narita, il est évident que le Japon est une démocratie avancée qui est résolue à faire respecter les droits de la personne. Cependant, dans toutes les sociétés, même les meilleures, il peut arriver qu’une situation personnelle particulière et inhabituelle commande à tout le moins un examen sérieux et approfondi afin de déterminer si cette situation spéciale et inhabituelle justifie de protéger l’intéressé : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

 

[32]           En l’espèce, comme le tribunal l’a conclu, aucun élément de preuve émanant d’un tiers indépendant et démontrant une situation spéciale et particulière n’a été produit par Mme Narita, qui n’a invoqué au soutient de sa cause que son propre témoignage devant le tribunal et le long énoncé des faits qu’elle avait inclus dans son formulaire de renseignements personnels. Mme Narita n’a présenté aucune preuve indépendante de ses liens passés avec la secte ni de ses liens avec ses grands-parents, ni aucune coupure de presse ou autre confirmation indépendante du profil médiatique négatif du groupe au Japon ou concernant les aspects les plus pertinents de son témoignage et de son énoncé des faits. Tout au plus, Mme Narita a-t-elle donné dans son énoncé des faits l’adresse d’un site Internet non officiel concernant la secte et ses activités. Cependant, le tribunal ne disposait d’aucun élément de preuve émanant d’un tiers indépendant et confirmant que Mme Narita avait fait partie de la secte, ni d’aucune preuve objective de persécution des membres ou des anciens membres de cette secte au Japon.

 

[33]           En outre, Mme Narita a passé plusieurs mois au Japon entre septembre 2005 et juin 2006, et, comme le tribunal l’a noté, elle n’a présenté aucune preuve de persécution au cours de son séjour dans ce pays. À l’évidence, Mme Narita préférerait ne pas vivre au Japon puisqu’elle n’y voit aucun véritable avenir pour elle. Il se peut bien que telle soit sa préférence personnelle; toutefois, cela ne fait pas d’elle une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. La protection des réfugiés n’est pas un mode alternatif d’immigration. Elle sert à réaliser des objectifs bien précis reliés aux engagements du Canada en matière de droits de la personne et à ses obligations internationales.

 

[34]           Dans ces circonstances, la décision du tribunal à l’égard de Mme Narita « [appartient] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[35]           Concernant les allégations formulées relativement à la fille de M. Sanchez Focil et de Mme Narita, le tribunal a conclu qu’il n’était pas possible d’accorder l’asile ou une protection en s’appuyant uniquement sur des difficultés alléguées résultant de commentaires insensibles faits par un médecin ou de difficultés éprouvées dans une garderie dans le contexte d’un voyage de sept mois au Japon. Cette conclusion du tribunal est raisonnable.

 

[36]           La présente affaire ne soulève aucune question importante justifiant une certification en vertu de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et par conséquent, aucune question du genre ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Robert Mainville »

Juge

 

 

 

 

 

 

Copie certifiée conforme

Colette Dupuis


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1222-09

 

 

INTITULÉ :                                       ESTEBAN SANCHEZ FOCIL ET AL c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 novembre 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mainville

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 janvier 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stewart Istvanffy

 

POUR LES DEMANDEURS

Zoé Richard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

STEWARD ISTVANFFY

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H.SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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