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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100120

Dossier : IMM-2739-09

Référence : 2010 CF 53

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

YOKOB CIYEM GIRMAEYESUS

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) datée du 19 mars 2009 rejetant la demande de protection faute de preuves et à cause de l’absence de changement dans la situation du demandeur.

 

 

 

 

LES FAITS

Contexte

[2]               Le demandeur, un citoyen d’Éthiopie âgé de 33 ans, est arrivé au Canada le 25 juillet 2007 et y a déposé une demande d’asile.

 

[3]               La demande d’asile du demandeur était fondée sur le fait qu’il craignait d’être persécuté à cause de son appartenance à un groupe politique d’opposition en Éthiopie appelé Coalition for Unity and Democracy (CUD). Le demandeur aurait joint les rangs du All Amhara People’s Party (AAPO) en 1996 qui s’opposait au People’s Revolutionary Democratic Front d’Éthiopie (EPRDF), le parti au pouvoir. Le demandeur a soutenu que l’EPRDF l’avait détenu de façon arbitraire et lui avait fait subir des sévices pendant les trois mois qui ont suivi son arrestation dans le cadre d’une manifestation d’étudiants le 18 avril 2001. En 2002, l’AAPO a changé de nom et est devenu le All Ethiopian Unity Party (AEUP). En mai 2005, l’AEUP a fusionné avec trois autres partis politiques pour former le CUD. Le demandeur soutient qu’il a joué un rôle actif à l’intérieur de ces trois organisations.

 

[4]               Le demandeur aurait été arrêté une deuxième fois le 8 juin 2005 dans la foulée d’une élection contestée, puis libéré le 25 octobre 2005 à la condition qu’il se présente aux autorités locales toutes les deux semaines. En décembre 2006, alors qu’il allait se présenter aux autorités, il a été informé par une connaissance que son nom figurait sur une liste de personnes à assassiner à cause de son rôle actif au sein du CUD. Le demandeur s’est enfui au Kenya le 22 décembre 2006 et, de là, s’est rendu au Canada. Il y a demandé l’asile le 29 janvier 2007.

[5]               La demande d’asile du demandeur a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 9 janvier 2008 parce qu’il n’avait pas réussi à démontrer son affiliation à ces partis politiques et qu’il manquait de crédibilité.

 

[6]               La SPR a estimé que les connaissances que le demandeur disait posséder au sujet de la situation politique ne correspondaient pas aux données objectives sur le sujet. La prétention du demandeur selon laquelle il était membre actif de plusieurs partis politiques en même temps manquait de crédibilité. Le demandeur n’a pas réussi à expliquer pour quelles raisons il avait comme seule carte de membre d’un parti politique en sa possession celle de l’AAPO, qui a cessé ses activités en 2002. En réponse à des questions sur la date à laquelle il est devenu membre de l’AAPO, le demandeur a donné des dates différentes.

 

[7]               Le demandeur a pu produire une lettre du CUD dans le but de confirmer son affiliation à ce parti politique, mais la SPR lui a accordé peu de valeur. Selon cette dernière, la description des circonstances qui ont débouché sur la fuite du demandeur manquait de crédibilité ou de vraisemblance. La SPR en a conclu que le demandeur n’a pu prouver son affiliation à des partis politiques, qu’il n’est donc pas une cible du gouvernement éthiopien ou de ses forces de sécurité et que, par conséquent, il n’aurait pas à subir de grandes difficultés s’il retournait en Éthiopie. La demande d’asile a donc été rejetée. Le demandeur a par la suite présenté une demande d’ERAR le 29 mai 2008.

 

 

Décision de l’ERAR visée par la demande de contrôle judiciaire

[8]               Le demandeur a fondé sa demande d’ERAR sur les mêmes risques qui constituaient le fondement de la demande d’asile, soit la crainte de persécution du fait de son appartenance au CUD. Le demandeur a fait une nouvelle demande d’asile sur place à cause de ses activités politiques au Canada.

 

[9]               Les observations écrites du demandeur datées du 27 juin 2008 contenaient des documents sur la situation objective dans le pays qui étaient antérieurs à la décision de la SPR. L’agent d’ERAR a exclu les éléments antérieurs à la décision de la SPR aux termes de l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) L.C. 2001, ch. 27. Les éléments postérieurs à la décision de la SPR ont, par conséquent, été admis.

 

[10]           L’agent d’ERAR a soutenu que le demandeur n’avait pas expliqué pour quelles raisons il n’avait pas traité du risque sur place à l’audience de la SPR; par conséquent, il a soutenu qu’il ne devait pas en tenir compte. Cependant, l’agent d’ERAR a pris en compte le risque sur place à titre de solution de rechange et l’a rejeté faute d’éléments de preuve suffisants.

 

[11]           L’agent d’ERAR a souligné que le demandeur était membre de Kinijit for Human Rights and Democracy, un groupe de défense de la CUD, ce dont il a fait la preuve en soumettant des reçus de cotisations de membre et une lettre du président de l’organisation confirmant que le demandeur en était membre. L’agent d’ERAR a accordé peu de poids à la lettre du président de Kinijit et aux reçus de cotisations de membre de l’organisation parce que ces éléments ne prouvaient pas les activités politiques du demandeur au Canada et ne confirmaient pas son appartenance au CUD en Éthiopie. L’agent d’ERAR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait participé à des manifestations au Canada contre le régime éthiopien ou que les autorités de ce pays connaissaient ses activités.

 

[12]           L’agent d’ERAR a cité ma décision dans Kaybaki c. Canada (MCI), 2004 CF 32, où j’affirmais, au paragraphe 11 : « La procédure d’évaluation du risque avant renvoi ne saurait se transformer en une seconde audience du statut de réfugié. Cette procédure a pour objet d’évaluer les nouveaux risques pouvant surgir entre l’audience et la date du renvoi ».

 

[13]           L’agent d’ERAR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve factuels objectifs démontrant qu’un changement important de la situation en Éthiopie s’était produit depuis que la SPR avait rendu sa décision négative. La demande d’ERAR a donc été rejetée.

 

LÉGISLATION

[14]           L’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) L.C. 2001, ch. 27 accorde une protection aux personnes qui sont des réfugiés au sens de la Convention :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions

politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette

crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa

résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[15]           L’article 97 de la LIPR accorde une protection aux personnes dont la vie est menacée, qui sont exposées au risque de peines cruelles et inusitées les visant directement ou qui risquent d’être soumises à la torture :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au

sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans

le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires

de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not

have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning

of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the

protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard

of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

[16]           Selon l’alinéa 113a) de la LIPR, un demandeur d’ERAR peut présenter uniquement des éléments de preuve postérieurs au rejet de la demande d’asile. L’alinéa 113b) autorise le ministre à tenir une audience :

113. Il est disposé de la demande comme il

suit :

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter

que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

113. Consideration of an application for protection

shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only

new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected

in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

 

[17]           Le paragraphe 161(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) D.O.R.S./2002-227 exige que le demandeur désigne les nouveaux éléments de preuve :

(2) Il désigne, dans ses observations écrites, les éléments de preuve qui satisfont aux exigences prévues à l’alinéa 113a) de la Loi et indique dans quelle mesure ils s’appliquent dans son cas.

(2) A person who makes written submissions must identify the evidence presented

that meets the requirements of paragraph 113(a) of the Act and indicate how that evidence relates to them.

 

[18]           L’article 167 du RIPR énonce les facteurs dont le ministre doit tenir compte avant de décider si une audience d’ERAR est requise :

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles

96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne

la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à

la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility

and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

QUESTIONS À TRANCHER

[19]           Le demandeur a soulevé les questions suivantes :

1.      Est-ce que l’agent a erré en omettant d’évaluer le risque couru sur place par le demandeur?

 

2.      Est-ce que l’agent a erré en évaluant le risque aux termes des articles 96 et 97 par l’application du mauvais critère ou d’un critère trop exigeant par rapport à la demande d’asile sur place?

 

3.      Est-ce que l’agent a erré en rendant une décision et en donnant des motifs inintelligibles et impropres à un contrôle judiciaire?

 

4.      Est-ce que l’agent, en rendant sa décision, a tiré des conclusions et fait des inférences abusives ou arbitraires non fondées sur des éléments de preuve et au mépris de la preuve existante?

 

5.      Est-ce que l’agent d’ERAR a violé le droit du demandeur, prévu par la loi, à une audience (une entrevue) de par la conclusion négative sur sa crédibilité?

 

NORME DE CONTRÔLE

[20]           Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a établi au paragraphe 62 que la première étape de l’analyse de la norme de contrôle judiciaire consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier »; voir aussi Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, par le juge Binnie, au paragraphe 53.

 

[21]           Il est clair que, à la lumière de la jurisprudence établie par les arrêts Dunsmuir et Khosa, les questions touchant le caractère raisonnable des décisions de fait d’un agent d’ERAR doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme du caractère raisonnable : voir mes décisions dans Christopher c. Canada (MCI), 2008 CF 964, Ramanathan c. Canada (MCI), 2008 CF 843 et Erdogu c. Canada (MCI), 2008 CF 407, [2008] A.C.F. n546 (QL)). Étant donné que le demandeur remet en question la justesse des motifs de même que l’équité de l’audience, éléments qui concernent l’équité procédurale, ces questions doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : Alexander c. Canada (MCI), 2006 CF 1147, [2006] 2 R.C.F. 681, par le juge Dawson, au paragraphe 24.

 

[22]           En effectuant le contrôle de la décision de l’agent selon la norme du caractère raisonnable, la Cour tiendra compte de « … la justification de la décision… [de] la transparence et… [de] l’intelligibilité du processus décisionnel » et établira si la décision « fait partie des “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” » : Dunsmuir, au paragraphe 47, Khosa, précité, au paragraphe 59.

 

ANALYSE

Question no 1 :           Est-ce que l’agent a erré en omettant d’évaluer le risque couru sur place par le demandeur?

 

[23]           Le demandeur soutient que l’agent d’ERAR a erré en refusant d’examiner et d’évaluer de nouveaux éléments de preuve relatifs au risque qu’il courait sur place. Le demandeur soutient que la Commission a erré en exigeant du demandeur qu’il explique pour quelles raisons il n’avait pas mentionné à la Commission le risque qu’il courait sur place ou de quelle façon ce risque satisfait aux exigences de l’alinéa 113a) du RIPR.

 

[24]           Il est clair que l’agent d’ERAR était d’avis que le risque sur place aurait dû être mentionné à la Commission, vu l’absence d’explications adéquates. Le premier reçu de cotisations de membre de Kinijit est daté du 1er janvier 2008. Le demandeur affirme dans son affidavit qu’il est devenu membre de Kinijit à la fin 2007. La Commission a rendu sa décision le 9 janvier 2008 après l’audience qui s’est déroulée le 31 octobre 2007. On peut donc supposer que le demandeur était en mesure de remettre ces nouveaux renseignements au sujet d’un risque sur place à la Commission afin qu’elle en tienne compte. La proximité de la date de la décision finale et du premier reçu de droits de cotisation à titre de membre a éveillé avec raison les soupçons de l’agent d’ERAR.

 

[25]           Même si l’agent d’ERAR a erré en ce qui concerne la question des nouveaux éléments de preuve, l’erreur n’était pas déterminante parce que l’agent d’ERAR a évalué, à titre de solution de rechange, le risque sur place que courait le demandeur. La Cour examinera donc l’évaluation du risque qu’a faite l’agent d’ERAR en relation avec la demande d’asile sur place.

 

Question no:           Est-ce que l’agent a erré en évaluant le risque aux termes des articles 96 et 97 par l’application du mauvais critère ou d’un critère trop exigeant par rapport à la demande d’asile sur place?

 

[26]           Le demandeur soutient que l’agent d’ERAR a appliqué le mauvais critère pour évaluer le risque qu’il courait sur place. Plus précisément, l’agent d’ERAR aurait omis d’aborder la question de savoir si le demandeur craint d’être persécuté à cause de ses activités politiques au Canada s’il était renvoyé en Éthiopie, soit ses activités à l’appui du CUD. Le demandeur ajoute que l’agent a appliqué un critère trop exigeant en précisant que le demandeur devait être personnellement visé en Éthiopie à cause de ses croyances personnelles.

 

[27]           Le défendeur soutient de son côté que l’agent d’ERAR a accordé une valeur raisonnable à la preuve, d’une façon entièrement justifiée. Les préoccupations de l’agent concernant les éléments de preuve touchant l’appartenance à Kinijit ont été jugées par la Cour comme appartenant aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Hurtado c. Canada (MCI), 2008 CF 634, aux paragraphes 11-12. Par conséquent, étant donné que l’agent d’ERAR a établi que le demandeur n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve relatifs à ses activités politiques, il ne pouvait pas se prononcer sur la question de savoir si le demandeur craignait avec raison d’être persécuté du fait de ses activités politiques alléguées.

 

[28]           La Cour a déjà accepté en grande partie la description du réfugié sur place de James Hathaway comme définition juridique (voir Kammoun c. Canada (MCI), 2006 CF 128, par la juge Tremblay-Lamer, au paragraphe 18; Win c. Canada (MCI), 2008 CF 398, par le juge Shore, au paragraphe 27) :

La définition du réfugié au sens de la Convention ne prévoit aucune distinction entre les personnes qui fuient leur pays afin d’éviter d’être persécutées et celles qui, alors qu’elles se trouvent déjà à l’étranger, décident qu’elles ne peuvent retourner dans leur pays d’origine ou qu’elles n’y retourneront pas parce qu’elles risquent d’y être persécutées [...]

 

En plus d’être fondée sur une nouvelle circonstance ou sur une détermination majeure des conditions préexistantes dans le pays d’origine, la demande d’asile sur place peut également reposer sur les activités que le demandeur a poursuivies depuis son départ du pays. Il est reconnu en droit international que la personne qui, alors qu’elle se trouve à l’étranger, exprime des opinions ou poursuit des activités mettant en péril la possibilité qu’elle a de retourner sans danger dans son pays peut être considérée comme un réfugié au sens de la Convention. Les questions clés à trancher sont de savoir si les activités poursuivies à l’étranger sont susceptibles d’avoir attiré l’attention des autorités du pays d’origine du demandeur [...]

 

(The Law of Refugee Status, James Hathaway, Butterworths, 1991.)

 

[29]           L’agent d’ERAR a cité l’extrait suivant du Guide des procédures du HCNUR comme critère d’évaluation d’une demande d’asile sur place :

Une personne peut devenir un réfugié « sur place » de son propre fait, par exemple en raison des rapports qu’elle entretient avec des réfugiés déjà reconnus comme tels ou des opinions politiques qu’elle a exprimées dans le pays où elle réside… En particulier, il y a lieu de vérifier si ces actes sont arrivés à la connaissance des autorités du pays d’origine et de quelle manière ils pourraient être jugés par elles.

 

La juge Tremblay-Lamer, dans Ngongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1627 (QL), en fait une description semblable au paragraphe 18 :

La seule question pertinente est de savoir si les activités à l"extérieur du pays peuvent engendrer une réaction négative de la part des autorités et de ce fait une possibilité raisonnable de persécution en cas de retour.

 

Il est donc évident que cet agent d’ERAR a retenu le critère juridique pertinent s’appliquant à une demande d’asile sur place.

 

[30]           L’agent d’ERAR a évalué une preuve que l’on ne peut décrire que comme ambiguë et floue. En effet, les reçus et la lettre de Kinijit montrent seulement que le demandeur est membre de cette organisation. Aucun détail n’est fourni quant aux activités de Kinijit et aucun élément de preuve n’a été soumis relativement aux activités du demandeur au sein de Kinijit au Canada. Le demandeur n’a fourni aucune preuve de la tenue de manifestations publiques au Canada contre le gouvernement éthiopien qui auraient pu attirer l’attention du gouvernement de ce pays. La preuve ne suffit pas pour justifier une demande d’asile sur place et la décision de l’agent d’ERAR était raisonnable.

 

Question no 3:            Est-ce que l’agent a erré en rendant une décision et en donnant des motifs inintelligibles et impropres à un contrôle judiciaire?

 

[31]           Le demandeur soutient que les motifs de l’agent d’ERAR sont inadéquats. Il avance l’argument que le refus de l’agent d’ERAR d’examiner le risque qu’il court sur place et l’examen ultérieur de ce risque à titre de solution de rechange rendent la décision inintelligible. De plus, l’agent d’ERAR n’explique pas pour quelles raisons la preuve fournie par le demandeur est insuffisante pour justifier une demande d’asile sur place ou l’emporter sur les conclusions de la Commission.

 

[32]           Selon le défendeur, l’agent d’ERAR a fourni des motifs adéquats et s’est appuyé à bon droit sur les conclusions non contestées de la Commission.

 

[33]           Dans VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports (C.A.), [2001] 2 C.F. 25 (C.A.F.), le juge Sexton expliquait au paragraphe 21 le contenu de l’obligation de fournir des motifs :

 

21      On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents. [Notes en bas de page omises.] [Non souligné dans l'original].

 

[34]           Le demandeur n’a fourni à la Cour aucune jurisprudence selon laquelle une méthode d’analyse de rechange d’un décideur d’un organe administratif équivalait en soi à des motifs inadéquats. Le demandeur n’a pas montré de quelle façon l’analyse de rechange de l’agent d’ERAR rendait l’ensemble de la décision inintelligible. J’estime que les motifs contestés sont adéquats à cet égard.

 

[35]           En ce qui concerne le caractère inadéquat allégué des conclusions sur l’insuffisance de la preuve, il faut se tourner vers la jurisprudence antérieure de la Cour sur le rôle d’un ERAR. En effet, un ERAR n’équivaut pas à un appel d’une décision négative de la Commission : voir ma décision dans Kaybaki c. Canada (Solliciteur général du Canada), 2004 CF 32. Par conséquent, un agent d’ERAR est fondé à s’appuyer sur une décision non contestée de la Commission : C.D. c. Canada (MCI), 2008 CF 501, par le juge de Montigny, au paragraphe 26.

 

[36]           Le demandeur a invoqué les mêmes risques sur lesquels il s’était appuyé lors de l’audience où l’asile lui a été refusé. L’ERAR a simplement permis de constater que la preuve ne révélait pas une modification de la situation ou la présence de nouveaux risques. En l’absence de changement, l’agent d’ERAR peut s’appuyer sur les conclusions de la Commission. L’agent d’ERAR a indiqué s’être appuyé sur les conclusions non contestées de la Commission à cause de l’absence de changement de la situation. Ce raisonnement équivaut à des motifs adéquats.

 

[37]           En ce qui concerne la preuve relative à Kinijit, l’agent d’ERAR a expliqué que la preuve ne démontrait pas l’existence des activités politiques alléguées du demandeur au Canada et la façon dont les autorités de l’Éthiopie auraient pu avoir connaissance de ses activités. L’agent d’ERAR a déduit que la preuve soumise ne corroborait pas les allégations du demandeur. À mon avis, ces explications équivalent à des motifs adéquats.

 

 

Question no:           Est-ce que l’agent, en rendant sa décision, a tiré des conclusions et fait des inférences abusives ou arbitraires non fondées sur des éléments de preuve et au mépris de la preuve existante?

 

 

[38]           Le demandeur soutient qu’accorder peu de valeur à la preuve objective provenant d’un tiers constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire. À l’appui de son argument, le demandeur cite Marshall c. Canada (MCI), 2009 CF 622, par le juge en chef Lutfy. L’agent d’ERAR aurait donc erré en accordant peu de valeur à la lettre et aux reçus de Kinijit.

 

[39]           L’arrêt Marshall, précité, ne s’applique pas aux faits en l’espèce. En effet, dans Marshall, précité, l’agent d’ERAR a erré en accordant peu de valeur à une lettre qui n’était pas jugée authentique. L’agent d’ERAR dans Marshall, précité, aurait dû rejeter totalement la lettre s’il avait des doutes au sujet de son authenticité plutôt que de lui accorder peu de valeur.

 

[40]           En l’espèce, l’authenticité des éléments de preuve du demandeur, soit les reçus et la lettre de Kinijit, n’a pas été remise en question. Il a été accordé peu de valeur à la preuve parce que cette dernière ne permettait pas de démontrer l’existence des faits en relation avec lesquels elle était présentée, soit les activités politiques alléguées du demandeur et la connaissance que pouvaient en avoir les autorités éthiopiennes.

 

Question no:           Est-ce que l’agent d’ERAR a violé le droit du demandeur, prévu par la loi, à une audience (une entrevue) de par la conclusion négative sur sa crédibilité?

 

[41]           Le demandeur soutient que des conclusions négatives sur sa crédibilité ont été tirées contre lui à partir de sa demande d’asile sur place, qui exigeait la tenue d’une audience.

[42]           L’article 167 du RIPR et l’alinéa 113b) de la LIPR énoncent les exigences de la tenue d’une audience dans le cadre d’un ERAR. Si les trois alinéas de l’art. 167 sont respectés, une audience peut être requise (L.Y.B. c. Canada (MCI), 2009 CF 462, par le juge Shore, au paragraphe 12) (souligné dans l’original).

 

[43]           La loi ne prévoit pas la tenue obligatoire d’une audience lorsqu’un agent évalue le poids ou la valeur probante d’éléments de preuve sans se prononcer sur leur crédibilité (Ferguson c. Canada (MCI), 2008 CF 1068, par le juge Zinn, aux paragraphes 26-27).

 

[44]           Les exigences de l’article 167 du RIPR ne sont pas satisfaites en l’espèce car l’agent d’ERAR n’a pas fondé sa décision sur la question de la crédibilité. En effet, l’agent d’ERAR a clairement établi que le demandeur n’avait pas réussi à soumettre suffisamment d’éléments de preuve pour montrer un changement de situation ou fonder une demande d’asile sur place. Il n’existe aucune ambiguïté dans les motifs de l’agent qui pourrait amener la Cour à conclure que ce dernier n’a pas réussi à faire la différence entre des conclusions sur le caractère insuffisant d’éléments de preuve et des conclusions touchant leur crédibilité.

 

QUESTION CERTIFIÉE

[45]           Étant donné que la présente affaire portait sur le défaut du demandeur de présenter la preuve d’activités au Canada qui justifieraient une demande d’asile sur place, elle ne soulève pas de question grave d’importance générale qui soit déterminante dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire et qui, par conséquent, devrait être certifiée en vue d’un appel.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

Copie certifiée conforme

Colette Dupuis

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2739-09

 

INTITULÉ :                                       YOKOB CIYEM GIRMAEYESUS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme M. Shannon Black

 

POUR LE DEMANDEUR

M. Kevin Doyle

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. Shannon Black

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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